B. LA NÉCESSITÉ D'UNE PLUS GRANDE COORDINATION POUR UNE MEILLEURE ALLOCATION DES MOYENS

Vos rapporteurs proposent de réaffirmer l'autorité de l'État, de repenser les documents de planification et de territorialiser les compétences des acteurs.

1. L'exigence d'une autorité nationale unique pour l'application du référentiel commun

Vos rapporteurs n'ignorent pas les efforts déployés pour mieux délimiter les missions de chaque service. On ne compte plus les rapports et les tentatives de clarification des procédures successivement engagées, la dernière, le 5 juin 2015, à la suite de la remise du rapport IGAS-IGA. En liminaire de leur circulaire aux préfets et directeurs généraux des ARS, les ministres de l'intérieur et de la santé rappellent que « La coordination des interventions, la complémentarité des moyens et, plus généralement, la coopération entre ces acteurs constituent un impératif reposant sur un objectif de qualité du service rendu aux usagers mais recouvre également une exigence d'efficience globale du dispositif ». Cependant, ces voeux resteront pieux tant qu'une autorité nationale ne les fera pas appliquer et ne fera pas prévaloir l'intérêt général sur celui d'acteurs qui se croient concurrents.

C'est pourquoi vos rapporteurs pensent utile la désignation d'une autorité unique, rattachée aux services du Premier ministre, responsable de l'application du référentiel d'organisation du secours à personne et de l'aide médicale urgente.

Proposition :
Instituer auprès du Premier ministre une autorité responsable de l'application du référentiel portant sur l'organisation du secours à personne et de l'aide médicale urgente.

Il est aussi désolant, voire inadmissible, que les services de l'État ne parviennent pas à coopérer, chacun préférant, dans son coin, régler ses affaires sans tenir compte de la dimension générale de la mission.

À cet égard, le lancement, par le ministère de la santé, d'un appel d'offres pour la fourniture d'un nouveau logiciel appelé à équiper les SAMU sans consultation de la sécurité civile et sans tenir compte des besoins des CTA, est incompréhensible. Résultat, les SDIS vont être contraints d'acheter les dispositifs permettant d'assurer l'interopérabilité des deux plateformes.

Visiblement, il manque un pilote national dans l'avion de l'État.

2. Une meilleure allocation des moyens héliportés

On s'accorde généralement à réclamer l'établissement d'une doctrine d'emploi claire et rationnelle des moyens héliportés pour le secours à personne, à l'instar de SAMU de France qui appelle à mettre en place un maillage territorial cohérent.

Vos rapporteurs proposent de mutualiser les hélicoptères de la sécurité civile et ceux de la santé en un service unifié placé auprès du Premier ministre mais dont l'emploi serait décidé au niveau de la zone de défense.

Le choix de la centralité apparaît tout d'abord indispensable pour décider des implantations territoriales des différentes flottes : la carte doit être établie à l'aune de l'ensemble des ressources et compte tenu des besoins spécifiques de chaque territoire (caractéristiques géographiques, saisonnalité, ...). Il apparaît à cet égard indispensable de fixer des règles garantissant une couverture optimale du territoire. La mutualisation des aéronefs permettrait aussi de résoudre les problèmes de frontières et les disparités de facturation en résultant selon que sont ou non franchies les limites de la circonscription. La DGSCGC conserverait néanmoins la gestion opérationnelle de ses moyens.

La disparition d'une ressource commune permettrait de mieux répondre aux demandes par le choix de l'appareil disponible le plus pertinent pour l'intervention. Tous n'ont pas en effet les mêmes capacités. Elle permettrait d'optimiser l'emploi de ces appareils sur l'année, de limiter les pertes de temps en négociation entre services.

Ce serait aussi une source d'optimisation des coûts, la location des appareils par les hôpitaux s'avérant coûteuse.

Il va de soi que la mutualisation proposée par vos rapporteurs respecterait la régulation médicale du SAMU qui, pour le secours à personne, déciderait de la demande. Cependant, l'autorité zonale pourrait apprécier la pertinence du choix du moyen héliporté requis au regard des différentes contraintes et des conditions du transport, et décider du meilleur vecteur - aérien ou routier. Dans tous les cas, la demande du SAMU se verrait attribué un moyen de transport, quel qu'il soit.

La procédure actuelle des demandes transitant par le CODIS serait maintenue afin de permettre à la sécurité civile d'arbitrer entre les différents besoins pour pouvoir assumer ses autres missions comme l'hélitreuillage des victimes qu'on ne peut pas évacuer autrement.

Proposition :
Mutualiser les hélicoptères des services d'urgence et de sécurité au niveau zonal et établir des règles d'implantation des appareils.

3. Pour une planification efficace et coordonnée

Une meilleure articulation entre les différents services concourant à l'organisation des services d'urgence passe également par une planification efficace et coordonnée.

La réflexion de vos rapporteurs a porté sur le contenu des schémas départementaux d'analyse et de couverture des risques (SDACR) et de leur articulation avec les schémas régionaux d'organisation des soins (SROS).

a) Le schéma départemental d'analyse et de couverture des risques : un document stratégique qui ne joue pas son rôle

Moins connu que d'autres schémas ou plans, le SDACR n'en est pas moins utile, à condition d'être bien élaboré et actualisé et de ne pas le limiter à un inventaire de besoins théoriques et de moyens en regard.

Or comme le regrettait notre collègue Dominique de Legge, « ce schéma est devenu dans de nombreux départements totalement obsolète et n'est pas appréhendé comme l'outil d'aide à la décision qu'il est pourtant. » 43 ( * ) La Cour des comptes fait le même constat : « l'existence d'un schéma à jour ne garantit pas les SDIS contre une mauvaise estimation des besoins, car l'élaboration d'un nouveau SDACR repose rarement sur le bilan d'application du document précédent. Une fois le SDACR arrêté, sa mise en oeuvre est rarement évaluée, faute d'indicateurs quantifiés. » 44 ( * )

Les SDACR n'abordent pas non plus ou peu la question des implications financières du document.

Généralement, ils ne tiennent pas non plus compte des moyens dont disposent les partenaires du SDIS, notamment les collectivités, pourtant mobilisables, en cas de catastrophe, ni même l'État s'agissant des moyens de la sécurité civile susceptibles d'intervenir et des risques spécifiques (nucléaires, bactériologiques, etc. ).

Plusieurs facteurs peuvent expliquer cet état de fait.

C'est un exercice bureaucratique qui ne fait pas vraiment l'objet de concertation. Il est présenté finalisé à l'ensemble des parties qui le votent, alors qu'en théorie, son élaboration repose sur un travail partenarial entre le représentant de l'État dans le département, le conseil départemental, le SDIS et son conseil d'administration. En réalité, le préfet se contente de valider les propositions - il n'a pas les moyens de faire autrement - qui lui sont faites par le SDIS, lequel dispose de l'ingénierie nécessaire, et le président du conseil départemental rejette rarement les demandes de son SDIS. Ainsi, le SDACR se transforme en une justification des moyens nécessaires aux services de la sécurité civile pour assumer leurs missions et permettre une couverture des risques satisfaisante sur le territoire départemental. Ce n'est en rien l'outil stratégique qu'il est censé être.

C'est pourquoi vos rapporteurs se félicitent que l'article 96 de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, issu d'une initiative de notre collègue Jacques Mézard, prévoit au moins une révision tous les cinq ans de ces schémas, précédée d'une évaluation des objectifs du précédent schéma.

b) Vers l'élaboration d'un SDACR « dynamique »

Il faudrait pourtant que le SDACR devienne le texte de référence en matière de sécurité civile.

M. Yves Rome, président de la Conférence nationale des services d'incendie et de secours, estime qu'une part de l'origine de l'augmentation des coûts des SDIS est liée aux SDACR. Faute d'un « regard national » efficient sur leur contenu, chaque SDIS détermine les moyens dont il estime avoir besoin pour faire face aux risques préalablement définis. Or il n'existe pas de lien clair entre la survenue d'un risque et les moyens envisagés pour y faire face. Le SDACR prévoit, pour des risques rares, des équipes dédiées, souvent sous-utilisées, source de coût mais également d'une perte d'efficacité. Les moyens destinés à y faire face devraient faire l'objet d'une réflexion supradépartementale ou interdépartementale pour certains risques spécifiques.

Au-delà de la nécessaire révision périodique de ces schémas, vos rapporteurs préconisent de réorienter les objectifs du SDACR pour en faire un document plus dynamique prenant mieux en compte l'augmentation des risques, leurs évolutions ainsi que celles des technologies de secours, les modifications des obligations réglementaires incombant aux différents acteurs de la sécurité civile afin de permettre une adaptation régulière et continue des services d'urgence.

Pour que le SDACR devienne un outil d'aide à la décision, il faut qu'il procède d'une collaboration associant l'ensemble des acteurs de la sécurité civile au terme d'une procédure contradictoire arbitrée par le préfet.

Et pour qu'il devienne également un outil d'aide à la planification des besoins et des moyens d'intervention, il doit nécessairement comporter un volet financier.

Proposition :
Prévoir une interdépartementalisation des moyens pour certains risques spécifiques dans les schémas départementaux d'analyse et de couverture des risques (SDACR) au terme d'une réflexion sur les périmètres pertinents pour leur traitement.

Une troisième voie d'évolution des SDACR touche aux périmètres des schémas. Plusieurs personnes rencontrées ont proposé une approche soit régionale, soit interdépartementale, soit zonale. Une voie médiane pourrait consister à distinguer, au sein d'un SDACR, les risques qui relèvent du périmètre départemental de ceux qui relèvent d'un périmètre supradépartemental, avec un volet spécifique pour ces derniers.

c) Mieux articuler SDACR et SROS

Ainsi que vos rapporteurs l'ont regretté précédemment, les préfets et leurs services ne sont pas toujours aussi impliqués qu'ils devraient l'être dans l'élaboration des SDACR, peut-être faute de moyens liée aux restrictions de personnels. Or, comme le note la Cour des comptes, « en intervenant de manière si limitée, le préfet se prive du rôle de mise en cohérence qui devrait être le sien . »

En effet, le préfet, en arrêtant le SDACR, devrait veiller à sa compatibilité avec les différents schémas concourant, à des degrés divers, à l'organisation des secours sur le territoire départemental, en particulier le SROS ou le plan ORSEC, sans compter les multiples plans d'intervention relevant de sa compétence. Cette articulation entre les différents documents est nécessaire car elle permettrait de contribuer au rapprochement des centres de traitement des appels d'urgence du « 15 » et du « 18 ».

Par ailleurs, on peut regretter qu'une grande majorité des SDACR analysés par vos rapporteurs ne prennent pas en compte les moyens de l'État en matière de sécurité civile ainsi que, plus largement, l'ensemble des moyens spécifiques destinés à faire face à certains types de crise (tels que les risques nucléaire, chimique ou bactériologique).

Les communes et les divers intervenants en cas de catastrophe nationale sont importants.

Lors de leurs déplacements, les personnes rencontrées par vos rapporteurs ont affirmé l'importance d'une meilleure articulation entre SDACR et SROS, d'autant plus indispensable que l'activité prédominante des SDIS est désormais le secours à personne : toute réorganisation de l'offre de soins a désormais des répercussions sur l'activité des SDIS. C'est pourquoi, au lieu d'une élaboration des SDACR par les SDIS suivie par une validation préfectorale, vos rapporteurs préconisent une véritable co-production du SDACR afin de mieux articuler l'analyse des risques avec les orientations du SROS, sous la double conduite du président du SDIS et du préfet.

Une telle co-production doit s'accompagner d'échanges d'informations réguliers entre les différents acteurs afin d'assurer la meilleure cohérence entre les deux schémas, ce qui nécessite une information mutuelle des services des SDIS et préfectoraux par les outils jugés, par les agents de terrain, les plus pertinents.

Proposition :
Associer, pour l'élaboration du SDACR, l'ensemble des acteurs compétents en matière de sécurité civile pour une meilleure articulation
avec les schémas régionaux d'organisation des soins (SROS).

Proposition :
Prévoir un échange régulier de données entre les différents acteurs de la sécurité civile, en particulier entre les SDIS et les préfets de département.

Si, dans certains départements, on peut constater une réflexion commune entre les deux principaux acteurs de la sécurité civile, l'échange régulier de données mérite d'être généralisé.

Une meilleure articulation des SDACR et des SROS pose la question du périmètre d'élaboration des SDACR par rapport à celui des SROS. Outre cette question, les objectifs de ces schémas doivent être repensés : le SDACR vise à définir les moyens à mettre en oeuvre face à un risque tandis que le SROS prévoit les objectifs à atteindre.

4. Pour une territorialisation des responsabilités

Le pragmatisme commande de tirer les conséquences des dérives du système. La part prédominante du secours dans les interventions des sapeurs-pompiers conduit vos rapporteurs à proposer de sectoriser leur activité.

La répartition des tâches entre les « blancs » et les « rouges » doit être fondée sur la disponibilité de leurs moyens humains et matériels respectifs.

Comme l'a souligné le SDIS du Lot, la plupart des hôpitaux n'ont pas de moyens de transport des victimes, hors les zones urbaines. Dans ce cas, il serait logique de confier la mission de transport d'urgence aux SDIS, forts de leur maillage territorial.

Vos rapporteurs privilégient une approche géographique. Le maillage territorial des casernes, dense dans les territoires ruraux, permet aux « rouges » de réagir promptement aux demandes de secours. Partout présents, il n'apparaît pas déraisonnable de leur confier le transport d'urgence dans les zones faiblement peuplées. Leur proximité leur permet d'assister très rapidement la victime.

C'est pourquoi il est proposé de sectoriser la compétence des services de secours : les sapeurs-pompiers seraient engagés en premier rang dans les territoires ruraux, délimités selon leur éloignement d'une antenne SMUR et la prise en compte des bassins de population. Les SMUR, moins nombreux, interviendraient d'abord dans les agglomérations et, évidemment, partout en cas de besoin. Dans les zones éloignées des hôpitaux capables de traiter les cas graves, les transports héliportés interviendraient ou, éventuellement, il serait recouru à une intervention conjointe des pompiers et du SMUR, chacun faisant une part du chemin.

Proposition :
Sectoriser la compétence des différents services intervenant dans le secours à personne : les sapeurs-pompiers seraient compétents en premier rang dans les territoires ruraux précisément délimités selon leur éloignement d'une antenne SMUR, les SMUR le seraient dans les agglomérations et partout en cas d'urgences graves.


* 43 Rapport d'information n° 33 (2012-2013) de M. Dominique de Legge, « Les investissements de la sécurité civile : intérêt national, enjeux locaux - Gérer les risques au meilleur coût ». Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/notice-rapport/2012/r12-033-notice.html

* 44 « Les services d'incendie et de secours », Rapport public thématique, Cour des comptes, 2011. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :
http://www.ccomptes.fr/fr/Publications/Publications/Les-services-departementaux-d-incendie-et-de-secours

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