ANNEXE I - COMPTES RENDUS DES RÉUNIONS DE LA DÉLÉGATION

La délégation a procédé, les 30 juin, 29 septembre et 6 octobre 2016, à trois échanges de vues sur le contenu du présent rapport et sur l'orientation de ses conclusions.

L'examen du rapport et de ses conclusions s'est déroulé au cours de deux réunions, les 20 octobre et 3 novembre 2016.

A. TROIS ÉCHANGES DE VUES SUR LE CONTENU DU RAPPORT ET L'ORIENTATION DE SES CONCLUSIONS

Premier échange de vues - Jeudi 30 juin 2016

Présidence de Chantal Jouanno, présidente

Chantal Jouanno, présidente, rapporteure . - Mes chers collègues, il m'a paru important de faire le point aujourd'hui avec vous sur notre projet de rapport que nous avions intitulé, dans un premier temps, « Femmes et laïcité ». Ce rapport donnera lieu à plusieurs échanges entre nous dans la perspective d'un examen en délégation dans le courant du mois d'octobre. Je souhaite d'emblée rappeler combien ce rapport aborde des sujets sensibles.

Je rappelle que ce thème de travail avait été inspiré à l'origine par le constat de dérives incompatibles avec les valeurs de la République, notamment par des difficultés d'accès des femmes à l'espace public dans certains quartiers. Un entretien avec l'association Femmes sans voile d'Aubervilliers avait attiré notre attention sur des menaces affectant l'égalité et la mixité et sur la nécessité d'une réflexion qui a d'abord, je le rappelle, porté sur la dimension protectrice, pour les femmes, de la laïcité.

Depuis cette première prise de conscience de la pertinence de ce sujet pour la délégation, nous avons pu faire le constat d'agissements graves tels que le refus de serrer la main à une femme. On a par exemple vu, à la télévision, le 24 janvier 2016, un responsable d'association affirmer devant la ministre de l'éducation nationale qu'il « ne serre pas la main aux femmes ». Cela a été finalement assez peu relevé.

Or des dérives de cet ordre, qui se produisent par exemple à l'école, à l'université et dans le domaine des soins médicaux, remettent profondément en cause les principes d'égalité et de mixité. Ces phénomènes, que le rapport décrit, sont très alarmants.

Ce sujet n'est pas nouveau pour la délégation, qui s'est déjà préoccupée des mariages forcés et des crimes d'honneur et qui a consacré, en 2003, un travail important à la « mixité menacée ».

Le contexte actuel est néanmoins différent, car il est marqué par les attentats, par le phénomène de radicalisation et par l'existence de groupes comme Daech, qui exercent contre les femmes une véritable barbarie. Et je n'oublie pas les événements du 31 décembre 2015 à Cologne.

Mais dans le même temps, il faut être prudent et ne pas cautionner des propos xénophobes. D'où mon souhait de privilégier, pour notre rapport, une approche dénuée de préjugé.

Comme vous le savez, nos premières auditions ont porté sur le sujet de la laïcité et sur sa portée émancipatrice pour les femmes. Cette première étape de nos réflexions a donné lieu à des auditions passionnantes. Mais le moins que l'on puisse dire est qu'elles ont montré combien la problématique de l'égalité hommes-femmes avait été absente des débats du début du XX e siècle sur la laïcité et combien les auteurs de la loi de 1905 se sont longtemps accommodés de l'absence de droits civils et politiques pour les femmes. Il y avait en effet à l'époque une volonté partagée de réduire la femme à son statut d'épouse et de mère.

Même si la laïcité a eu des conséquences émancipatrices pour les femmes car elle a permis de séparer la loi religieuse de la loi tout court, on ne peut dire que cette logique ait fait partie du « pacte laïque » d'origine. Je souhaite vivement que nous puissions avoir un échange sur ce point avec notre collègue Françoise Laborde, dont nous connaissons l'engagement en faveur de la laïcité et qui maîtrise parfaitement ce sujet.

Pour poursuivre notre réflexion sur notre rapport, nous avons fait le choix d'aborder la question de la dégradation de l'égalité et des droits et libertés des femmes sous un autre angle : non plus celui des relations entre femmes et laïcité mais, à l'inverse, celui de l'influence du fait religieux, dans son ensemble, sur les femmes. Il m'a semblé que cette approche était importante, même si elle n'avait jamais été tentée, il me semble, dans le cadre parlementaire.

L'idée était d'interroger, avec toutes les précautions qui conviennent, les contenus théologiques et d'envisager quelles conséquences ils impliquent, encore actuellement, sur le rôle des femmes dans notre société.

Dans cette logique, nous avons eu, le 14 janvier 2016, une table ronde extrêmement intéressante avec des personnalités investies dans les questions religieuses (parmi lesquelles un homme), mais qui ne représentaient pas nécessairement un point de vue officiel, aux côtés de représentantes des libres penseurs et de la Grande loge féminine de France. Cet échange avec des théologiennes, des sociologues, des ministres du culte, des responsables associatives et des traductrices de la Bible a été très stimulant. Le compte rendu de cette table ronde, qui a été publié, figure à titre de rappel dans vos dossiers.

La réunion du 14 janvier nous a permis de comprendre comment les textes fondateurs ont été interprétés d'une manière qui a contribué à renforcer la domination des hommes. Car ces textes, à l'origine, n'étaient pas destinés à restreindre la place des femmes. Le problème est l'interprétation qui a pu en être faite dans un sens contraire à l'égalité.

L'une des choses qui m'a frappée au cours de cette table ronde est la connivence qui s'est exprimée entre nos interlocutrices, qui cherchent à faire admettre une plus grande place pour les femmes dans les religions, et les sénatrices de la délégation. Celles qui ont assisté à cette réunion ont eu le sentiment, je crois, que les convictions de la délégation en matière d'égalité entre femmes et hommes et les combats de nos interlocutrices se rejoignaient.

J'ai retenu de cette matinée très riche un autre constat, fait par la rabbin Delphine Horvilleur, que je cite : « L'incapacité d'un système à faire de la place au féminin est toujours révélatrice de son incapacité à faire de la place à « l'autre » en général. Cette problématique est directement liée à l'intégrisme. Dans une pensée intégriste, en effet, l'identité se conçoit toujours de façon monolithique, pure de toute contamination étrangère. C'est la raison pour laquelle tous les fanatismes mettent en garde contre l'impureté des croyances, des idées et, surtout, du corps des femmes ».

Voilà une belle synthèse de la question qui sous-tend notre réflexion : empêcher un ordre social fondé sur la soumission des femmes par la réaffirmation de l'égalité entre femmes et hommes.

Ainsi pourrions-nous d'ores et déjà envisager que le titre de notre futur rapport se réfère, comme d'ailleurs l'intitulé de notre table ronde du 14 janvier, à l'égalité entre femmes et hommes. Il est essentiel, à mon avis, que ce titre comporte le mot « égalité ». Car c'est bien de cela qu'il s'agit !

Il faut à la fois lutter contre les extrémismes et contre l'obscurantisme pour permettre à l'égalité entre hommes et femmes d'être effective et à la laïcité d'être porteuse d'émancipation. Il faut affirmer l'égalité entre hommes et femmes comme principe essentiel de nos valeurs, comme marqueur absolu pour empêcher l'extrémisme et l'obscurantisme de faire partie de notre société.

Michelle Meunier . - Cette priorité donnée à l'égalité, j'y souscris tout à fait. Nous avons constaté, au cours de la table ronde du 14 janvier, que c'était pour nos interlocuteurs un aspect essentiel de leur engagement. Comme vous, je pense qu'il est indispensable d'avoir un échange avec notre collègue Françoise Laborde sur l'articulation de la laïcité avec le principe d'égalité.

Chantal Jouanno, présidente, rapporteure . - Initialement, je comptais vous proposer de partir de la laïcité, en raison notamment de la spécificité de notre pays dans ce domaine, mais il m'a paru au fil du temps que la laïcité n'entraînait pas nécessairement de marteler comme une priorité le principe d'égalité entre les sexes. Or la laïcité, pour protéger les femmes, suppose l'égalité des sexes. À mon avis l'égalité doit être érigée en principe avant même la laïcité. Cette hiérarchie, pour moi, ne fait aucun doute.

Brigitte Gonthier-Maurin . - En effet, alors que la laïcité est un terme générique, qui s'adresse tant aux hommes qu'aux femmes, le principe d'égalité pour nous est crucial et il se trouve au coeur des dérives que vous évoquiez. Si l'on s'en tient à un travail sur la laïcité, on n'identifie pas de manière assez claire notre thématique centrale de l'égalité.

Corinne Bouchoux . - Je suis d'accord. Ce qui m'a frappée, le 14 janvier, comme vous tous et toutes je crois, c'est que, si la laïcité était au départ notre questionnement, en revanche pour les personnes que nous avons entendues, l'égalité était bel et bien au coeur de leur lutte et elles sont venues témoigner des inégalités dont elles souffrent.

Chantal Jouanno, présidente, rapporteure . - J'en viens au projet de rapport, qui à ce stade s'appuie sur dix auditions, table ronde et entretiens et sur une abondante bibliographie comportant de nombreux titres (rapports officiels, ouvrages juridiques, recueils de témoignages...). La principale difficulté est presque d'en arrêter la liste, tant les nouvelles parutions sur ces sujets sont fréquentes !

Ce projet se réfère d'ailleurs aussi aux auditions faites par la mission d'information sur l'organisation, la place et le financement de l'islam en France, dont le programme de travail, considérable, a permis de rassembler des informations très complètes. Il s'appuie aussi sur le travail de la commission d'enquête sur le fonctionnement du service public de l'éducation nationale, présidée par notre collègue Françoise Laborde, dont le rapport a été publié en juillet 2015.

À ce stade, le contenu de notre rapport n'est pas encore abouti, mais la trame que je souhaitais vous soumettre ce matin pourrait nous permettre d'articuler notre raisonnement en trois temps.

Nous sommes partis, je le rappelle, d'une interrogation sur la manière dont la religion a pu contribuer à justifier des sociétés inégalitaires.

Je vous rappelle que, parmi les informations que nous avons reçues lors de la réunion du 14 janvier, il y a l'idée que les textes fondateurs ne sont pas en eux-mêmes porteurs d'inégalités. Ce point est d'ailleurs confirmé par d'autres sources.

Nous avons entendu le 14 janvier qu'Ève n'avait pas été créée à partir d'une côte d'Adam, mais « aux côtés » d'Adam, ce qui est très différent. De même, le mot « aide » qui figure dans la Genèse à propos de la femme, doit être compris non pas comme justifiant le rôle d'éternelle seconde dévolu à la femme, mais comme soulignant le besoin d'aide de l'homme. La nuance est importante.

Il est ressorti de ces échanges que les interprétations faites de ces textes ont en revanche permis de rendre acceptable l'infériorité des femmes, d'autant plus facile à maintenir que s'il est une loi contre laquelle il est difficile de se rebeller, c'est bien la loi présentée comme divine.

Cette étape de notre travail pose aussi la question de l'évolution possible des religions vis-à-vis des femmes : toutes les religions connaissent aujourd'hui des relectures plus favorables aux femmes, que je qualifierais de féminines, car elles sont portées principalement par des femmes. Ces interprétations des textes fondateurs conduisent notamment à des demandes d'accès à l'espace sacré pour les femmes, quand elles en sont exclues, et dans certains cas aussi à des revendications de leur accès au sacerdoce. Mais leur combat ne se limite pas à cette question.

L'expérience des femmes pasteures était sur ce point très éclairante pour montrer que les femmes ont toute leur place dans les fonctions sacrées.

S'agissant des droits sexuels et reproductifs, si le Protestantisme libéral a été engagé assez tôt, comme cela nous a été rappelé le 14 janvier, aux côtés du Planning familial, il y a actuellement une remise en cause de ces droits, et plus particulièrement de l'IVG. Nous devons nous élever fermement contre cette tendance. C'est, vous en serez d'accord je pense, un positionnement très fort de notre délégation.

Par ailleurs, il me semble que la délégation ne peut que s'élever contre des demandes concernant des certificats de virginité (en dehors de toute plainte pour violence sexuelle) ou de réfection d'hymen, qui témoignent de la volonté de maîtriser la sexualité des femmes. Il s'agit là de pratiques d'un autre âge et il est regrettable que certaines femmes puissent encore y être soumises dans notre pays, dans certains cas.

Michelle Meunier . - Je suis pour ma part inquiète que l'association Civitas, mouvement catholique intégriste, ait été reconnue comme parti politique. On sait quelles idées sur les femmes ce mouvement véhicule. J'ai la même remarque, sur ce point, en ce qui concerne l'association pro-vie Alliance VITA.

Corinne Bouchoux . - En effet, l'association Civitas a tout récemment été agréée par la Commission nationale des comptes de campagne et de financement des partis politiques en tant qu'association de financement du parti politique Civitas. Elle peut donc oeuvrer en tant que parti politique, soutenir ou présenter des candidats, et bénéficier des mêmes exonérations fiscales.

Maryvonne Blondin . - Dans le cadre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, dont je suis membre, nous constatons une menace sur les droits sexuels et reproductifs liée à un certain retour du religieux. Ce phénomène coïncide à mon avis, pour les femmes, avec un retour en arrière que l'on peut constater sur le continent européen. On peut donc avoir quelques craintes pour l'avenir...

Chantal Jouanno, présidente, rapporteure . - En effet, s'il y a une chose dont nous sommes ici toutes et tous conscients, c'est qu'en matière de droits des femmes, rien n'est acquis, spécialement en ce qui concerne la maîtrise de la fécondité.

Brigitte Gonthier-Maurin . - Vous évoquiez, madame la présidente, des relectures « féminines » des textes religieux. Je trouve que nous devrions parler de relectures « objectives », car elles permettent tout simplement de rétablir la vérité : ces textes ne sont pas misogynes.

Chantal Jouanno, présidente, rapporteure . - Effectivement. Mais il se trouve que ces interprétations sont souvent le fait de théologiennes ou de traductrices, même s'il y a des hommes, bien sûr, pour porter ces relectures. Mais en effet, nous devrons tenir compte de ce qualificatif « objectif » dans le rapport, je suis bien d'accord.

J'en viens à la partie du rapport qui concerne les conséquences du fait religieux aujourd'hui, en France, sur l'égalité entre femmes et hommes.

Cette partie du projet de rapport fait également le constat, préoccupant, de menaces à la fois sur les droits et libertés des femmes en France et sur nos traditions de mixité. Le constat de ces menaces concerne le monde du travail, l'école, l'université et les soins médicaux, avec des conséquences particulières sur la pédiatrie et sur la gynécologie-obstétrique. Quant à l'espace public, on peut observer que dans de nombreux quartiers les femmes en sont trop souvent exclues.

J'observe que l'amendement de notre collègue Françoise Laborde a permis, dans le cadre de la discussion du projet de loi « travail », de faire passer dans le code du travail, avec l'accord du Gouvernement et de la commission, la possibilité d'inscrire le principe de neutralité dans le règlement intérieur des entreprises. Cet amendement a d'ailleurs été adopté avec un large consensus.

Cette partie met en évidence la diffusion, par Internet notamment, de messages encourageant une vision inégalitaire du couple et de la société au nom d'allégations religieuses exprimées à des fins politiques.

Le projet de rapport développe de manière assez complète les questions concernant le fait religieux à l'hôpital.

Dans ce domaine, je pense que nous pourrions recommander la mise en place, dans les hôpitaux, d'équipes pluriconfessionnelles d'aumôniers, dont la présence semble permettre de lever les doutes de certains malades sur la compatibilité entre les soins qu'exige leur santé et leur pratique religieuse. Les aumôniers hospitaliers sont d'ailleurs prévus par la loi de 1905. Encourager le renforcement de leur présence dans un esprit pluriconfessionnel permettrait probablement d'apporter des réponses à certains patients et contribuerait à apaiser la vie à l'hôpital.

Les questions qui se posent vont donc bien au-delà du débat sur le voile, dont le rapport analyse d'ailleurs l'enjeu et le sens. Les questions qui nous intéressent sont à mon avis bien plus vastes et le débat public se réduit trop souvent, dans ce domaine, au voile. Par exemple, je suis assez réservée sur l'idée, avancée par certains, d'étendre à l'université la loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse.

En revanche, je voudrais savoir si vous seriez d'accord pour que nous abordions le sujet de la manifestation de signes d'appartenance religieuse par des élu-e-s : la loi, actuellement muette sur ce point, pourrait prévoir l'extension du principe de neutralité aux élu-e-s dans le cadre de l'exercice de leur mission. Pourquoi la même exigence de neutralité ne s'applique-t-elle pas aux agents du service public et aux élu-e-s ?

Michelle Meunier . - Pour ma part, je m'abstiens, dans mes activités d'élue, de porter certains bijoux comportant une croix.

Roland Courteau . - Il me semble qu'une telle recommandation aurait du sens.

Catherine Génisson . - En effet, les élus ont valeur d'exemple. À mon avis, la question devrait aussi se poser pour les candidats.

Chantal Jouanno, présidente, rapporteure . - Je souhaitais aussi aborder avec vous le problème de l'influence étrangère qui s'exerce à travers par exemple la formation des imams et le fonctionnement des mosquées.

J'ai été très frappée, lors de la table ronde du 14 janvier, d'entendre certains intervenants déplorer que la loi de la République ne s'applique pas dans les espaces religieux, s'agissant notamment des droits des femmes. Je comprends pour ma part ces regrets, même si la question posée est très difficile compte tenu de la séparation des Églises et de l'État. L'un des participants de la table ronde a fait état de ce regret s'agissant plus particulièrement des mosquées, et de ce qu'il a qualifié de discriminations qui y sont faites aux femmes. Appliquer la loi de la République aux lieux de culte ? Cela mérite débat !

Corinne Bouchoux . - À mon avis, la loi devrait s'appliquer partout.

Catherine Génisson . - J'ai observé, dans ma région des Hauts-de-France, lors de funérailles religieuses, que femmes et hommes se trouvaient parfois séparés dans certains lieux de culte, même les membres de la famille du défunt.

Maryvonne Blondin . - Je n'ai pas fait ce constat en Bretagne.

Chantal Jouanno, présidente, rapporteure . - En tout cas, en ce qui concerne l'égalité entre femmes et hommes, on peut se demander pourquoi des lieux de notre territoire en seraient exonérés, même si ce sont des lieux de culte.

L'un des points évoqués au cours de la table ronde du 14 janvier concernait la formation des imams, qui actuellement est assurée par des pays étrangers avec lesquels notre pays conclut à cet effet des conventions. Je me demandais donc s'il ne serait pas pertinent de suggérer que les conventions bilatérales conclues par la France avec les pays dont sont originaires des imams appelés à exercer leur mission sur notre territoire, soient renégociées de manière à prévoir que la formation de ces personnes comprenne l'égalité entre femmes et hommes. Il faudrait aussi que ces conventions comportent l'engagement des intéressés à respecter, dans le cadre de leur mission en France, l'égalité entre femmes et hommes, socle de nos valeurs. Bien sûr, l'idéal serait que les imams qui exercent leur mission en France puissent être formés dans notre pays. Mais tant que cela n'est pas possible, il serait important, à tout le moins, d'attirer l'attention de ces personnes sur ce principe essentiel.

Brigitte Gonthier-Maurin . - Je comprends qu'actuellement, dans notre pays, l'islam radical pose des problèmes au regard de l'égalité et de la mixité. Mais ne pourrait-on pas rappeler que, dans l'histoire, les droits et libertés des femmes ont pu être bafoués, et parfois de manière assez épouvantable, par le catholicisme ?

Catherine Génisson . - Ne pourrions-nous pas aussi rappeler l'attitude de l'Église catholique à l'égard de la condamnation des crimes pédophiles ? Surtout avec la remise en cause du droit des femmes à maîtriser leur corps à laquelle on assiste aujourd'hui... Pourquoi une telle fermeté à cet égard et tant d'hésitations face à la pédophilie ?

Chantal Jouanno, présidente, rapporteure . - Un autre point qui me tient à coeur concerne les influences étrangères qui s'exercent dans les compétitions sportives internationales, et qui ont entre autres conséquences l'expansion du voile dans le sport féminin. Cela est contraire à l'égalité entre les athlètes, parce que l'on applique l'article 50 de la Charte olympique sur la neutralité politique et religieuse de manière beaucoup plus rigoureuse aux hommes qu'aux femmes.

L'une de nos recommandations pourrait concerner, si vous en êtes d'accord, l'appel à une stricte application du principe de neutralité des athlètes, prévu par l'article 50 de la Charte olympique, dans le cadre de la candidature française aux Jeux olympiques.

Corinne Bouchoux . - Pour assister régulièrement aux réunions du groupe d'études sur les pratiques sportives et les grands événements sportifs, constitué au sein de la commission de la culture, il ne me semble pas acquis que les responsables de la candidature française abordent pour l'heure cette question dans ces termes.

Brigitte Gonthier-Maurin . - Le Qatar, qui attache beaucoup d'importance au sport dans ses relations internationales et qui recourt à des sportives pour améliorer son image, a envoyé pour la première fois des athlètes femmes aux Jeux olympiques de Londres et a organisé en février 2016 un Tour cycliste féminin du Qatar. Mais on observe que ces athlètes, dès la fin des compétitions, sont très vite invitées à retourner à leur place. L'émancipation par le sport a ses limites...

Catherine Génisson . - Ce sujet est essentiel. Nous devrions, je pense, informer la maire de Paris, dont nous connaissons les engagements féministes, de notre détermination à cet égard.

Chantal Jouanno, présidente, rapporteure . - Je suis d'accord pour lui écrire après l'adoption de notre rapport. Cette exigence de neutralité doit d'ailleurs être portée par la France pour toutes les grandes compétitions internationales, sans se limiter à la candidature française aux JO.

J'en viens à la dernière étape de ce pré-rapport, qui concerne la nécessité de réaffirmer l'égalité entre femmes et hommes dans notre législation et de mettre l'égalité au coeur de la laïcité : celle-ci ne peut vraiment protéger les femmes contre le risque d'obscurantisme lié aux extrémismes religieux qu'à la condition d'une stricte application de l'égalité entre les sexes.

Nous pourrons aborder à la rentrée des recommandations juridiques qui pourraient concrétiser cette affirmation.

Il s'agirait, d'une part, de mieux appliquer la règle de droit quand elle existe. Par exemple, un jugement récent a fait application de l'article du code pénal interdisant la discrimination contre un commerçant qui avait prévu des horaires d'ouverture séparés pour hommes et femmes dans son épicerie de la région de Bordeaux. Cela montre que notre législation permet d'ores et déjà, dans une certaine mesure, de faire respecter de manière stricte l'égalité entre les sexes.

Il s'agirait, d'autre part, d'approfondir les dispositions de notre corpus législatif pour permettre de sanctionner de manière plus rigoureuse les discriminations et les agissements sexistes.

L'idée serait aussi de modifier l'article premier de la Constitution pour que l'égalité des sexes figure explicitement dans notre loi fondamentale.

Certes, l'article premier prévoit, dans son second alinéa, l'égal accès aux mandats électoraux et aux fonctions électives, ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales. Mais il ne s'agit pas d'une affirmation claire du principe d'égalité entre les sexes.

Corinne Bouchoux . - En effet, mais le principe inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946 ne doit pas être minimisé.

Chantal Jouanno, présidente, rapporteure . - Certes, le préambule de la Constitution de 1946 garantit aux femmes « des droits égaux à ceux de l'homme ». Cette affirmation n'a pas la même dimension, à mon avis, que revêtirait l'affirmation explicite de l'égalité entre femmes et hommes dans le texte de la Constitution de 1958.

Roland Courteau . - Rien ne nous empêche de déposer, le moment venu, une proposition de loi constitutionnelle !

Chantal Jouanno, présidente, rapporteure . - Ce serait en effet une belle conclusion pour nos travaux. Nous aurons, bien sûr, ce débat plus tard : je voulais aujourd'hui vous indiquer quelques orientations constituant la trame de nos futures recommandations.

Brigitte Gonthier-Maurin . - Cela présenterait le mérite de faire avancer, peut-être, le débat sur l'égalité...

Corinne Bouchoux . - Je suis convaincue que ce débat ne peut pas laisser le Sénat de côté. Des progrès en matière d'égalité doivent y être encouragés. Par exemple, mon groupe est partisan de faire évoluer la présence des sénatrices dans les commissions où elles sont trop peu nombreuses ; je pense par exemple aux commissions des lois et des finances. Il nous semble important que la présence des sénatrices dans les commissions soit proportionnelle à leur place au Sénat, soit actuellement 26 % du total des membres de notre assemblée. Nous ne saurions exonérer le Sénat de l'obligation de respecter le principe d'égalité, dont notre rapport prônera une application rigoureuse...

Maryvonne Blondin . - Dans le même ordre d'idée, j'observe que trop peu de femmes sont désignées pour participer à l'Assemblée parlementaire de l'OTAN, dans laquelle on ne compte que 16 % de femmes. Pourtant, cette assemblée, il faut le souligner, a la volonté d'y confier des responsabilités à des femmes, et ce depuis 2008. Des sujets tels que les violences faites aux femmes dans les armées ont ainsi été abordés dans le cadre de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN. Les parlements nationaux, et plus particulièrement le Sénat français, peuvent-ils se tenir à l'écart de ce mouvement favorable aux responsabilités des femmes ?

Je voudrais mentionner aussi aujourd'hui que mon rapport sur les femmes dans les forces armées a été adopté à l'unanimité dans le cadre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.

Catherine Génisson . - L'année 2017 sera une année de rendez-vous politiques très importants. Nous devrions, je pense, à cette occasion, faire une « piqûre de rappel » pour que les partis politiques n'oublient pas les femmes en procédant aux investitures. Même dans les partis plutôt engagés en faveur de l'égalité, on peut avoir des surprises...

Maryvonne Blondin . - En effet, nous savons bien que, souvent, les femmes sont investies dans des circonscriptions difficiles, voire ingagnables...

Chantal Jouanno, présidente, rapporteure . - Je tiens à faire observer que si, au Sénat, les seuls groupes effectivement paritaires sont le groupe CRC et le groupe écologiste, le groupe dont je suis membre vient juste après, avec 30 % de sénatrices !

Corinne Bouchoux . - Il faut toutefois souligner que la parité dans le groupe écologiste n'est pas nécessairement liée à une volonté déclarée de promouvoir des femmes, car il me semble qu'une une assez forte proportion de nos sénatrices étaient inscrites en second sur les listes. Le parti communiste est le premier parti à avoir appliqué la parité, il a à cet égard une très nette antériorité historique. Et de surcroît, il inscrit des femmes en tête de liste.

Deuxième échange de vues - Jeudi 29 septembre 2016

Présidence de Chantal Jouanno, présidente

Chantal Jouanno , présidente, rapporteure . - Mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui pour procéder à un deuxième échange de vues sur le rapport « Femmes et laïcité », titre provisoire qui a évidemment vocation à évoluer. À la suite de cette discussion, nous discuterons la date d'examen de ce rapport de manière à vous laisser le temps de vous l'approprier.

En tout état de cause, afin que chacun d'entre vous puisse faire part de ses éventuelles observations écrites et compte tenu de la sensibilité et de la complexité des questions abordées, je propose que vous me transmettiez vos contributions écrites, par exemple, d'ici le 20 octobre. Ces contributions seront annexées au rapport.

Avant d'en venir à notre discussion, je vous rappelle brièvement l'articulation du rapport. Je ne reviens pas sur son historique, dont nous avons déjà parlé le 30 juin.

La partie dont le titre est formulé sous forme de question - les religions ont-elles un problème avec les femmes ? - rappelle qu'à la base, les religions n'étaient pas marquées du sceau de l'inégalité entre les femmes et les hommes. Elles étaient même potentiellement protectrices des femmes, voire porteuses de leur émancipation. C'est l'interprétation des textes qui par la suite a conféré cette connotation relativement inégalitaire commune à la plupart des religions. On relève cependant que se développent aujourd'hui des lectures favorables à l'égalité, et la délégation ne peut que regarder de telles démarches avec intérêt, même s'il ne lui appartient pas de se prononcer sur ce sujet.

La deuxième partie du rapport traite du fait religieux dans notre pays. Les faits que nous mentionnons évoquent des situations liées aux extrémismes religieux mettant en cause les droits et libertés des femmes et la mixité.

Cette partie aborde des sujets divers, qu'il s'agisse de la question des normes vestimentaires, des compétitions sportives, de l'enseignement primaire, secondaire et supérieur ou des soins médicaux.

L'objectif n'est surtout pas de faire des généralisations à partir de situations d'extrémisme qui demeurent marginales. On constate dans des endroits spécifiques, sur des points particuliers, effectivement, la remise en question de la mixité et de l'égalité entre femmes et hommes. Tous ces faits mis « bout à bout » dans un rapport peuvent donner l'impression que c'est un phénomène important. Mais notre propos n'est pas d'affirmer que l'on retrouve de tels comportements partout en France.

Enfin, la troisième partie pose le principe selon lequel la laïcité n'est pas en soi une valeur protectrice de la condition des femmes.

Le fil conducteur de notre rapport consiste donc à rappeler que l'égalité entre femmes et hommes doit être réaffirmée et renforcée dans notre système juridique pour que la laïcité puisse véritablement exercer un effet protecteur sur les femmes.

À ce stade, la version provisoire du rapport que je vous soumets comporte trente recommandations et propositions. Deux d'entre elles sont susceptibles selon moi de faire débat. D'une part, l'inscription explicite, dans la Constitution, de l'égalité entre les femmes et les hommes, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui car l'égalité est présente dans le Préambule de la Constitution de 1946, mais pas dans l'un des articles de la Constitution.

D'autre part, et c'est beaucoup plus délicat, une proposition que je porte à votre attention consisterait à inscrire le principe d'égalité entre les femmes et les hommes dans la loi de décembre 1905. Il va de soi que cette proposition est essentiellement théorique, voire symbolique...

Je précise que nous avons aussi repris certaines recommandations déjà formulées dans de précédents rapports du Sénat, notamment dans celui de la commission d'enquête présidée par Françoise Laborde sur le fonctionnement du service public de l'éducation nationale.

Pour conclure, il y a un aspect de la question qui persiste à poser problème : pourquoi des femmes, au nom de leurs convictions religieuses, revendiquent-elles parfois cette inégalité ? Nos propositions peuvent contribuer à endiguer le problème, mais pas à le traiter à la source...

Je pense donc qu'il faut inscrire dans le rapport un rappel de l'importance de l'éducation et des stéréotypes, car c'est finalement l'intégration dès le plus jeune âge de cette différenciation qui peut expliquer, selon moi, que des femmes se réclament de cette inégalité et se sentent en phase avec le message inégalitaire véhiculé par les extrémismes.

Vous avez reçu chacun et chacune un exemplaire du projet de rapport. Je vous invite à exposer sans plus tarder les remarques qu'il vous inspire.

Corinne Bouchoux . - Je voudrais saluer l'audace de la délégation d'avoir eu l'idée de travailler sur cette thématique, et rendre hommage à l'immense travail d'auditions, de documentation et de synthèse qui a été réalisé et qui nous fournit une excellente base de discussion. Je vous ferai part de ma contribution écrite - en une ou deux pages - d'ici le 10 octobre.

Cela étant, deux points mériteraient à mon avis une attention particulière. D'une part, le titre du rapport, qui ne doit pas être réduit à la seule question des relations entre femmes et laïcité. D'autre part, je me suis concentrée plus particulièrement sur les propositions et recommandations. Je pense qu'il faudrait n'en présenter qu'un nombre réduit - pas plus de dix à mon avis - et les regrouper par thème. Il faut aussi les hiérarchiser. Tout cela s'organise, en effet, de façon systémique avec le fil conducteur de l'égalité.

Au-delà de ces remarques de méthode, deux ou trois propositions doivent être reformulées parce qu'elles pourraient donner lieu à des malentendus - je pense par exemple au principe d'autonomie des universités, sur lequel presque toutes les familles politiques s'étaient accordées quand ce point a été débattu par le législateur.

J'appelle à la prudence s'agissant des parents accompagnateurs des sorties scolaires. À mon avis, soumettre ces personnes à la neutralité aurait pour conséquence de priver les enfants de toute sortie culturelle ou sportive, tant est grande la ségrégation urbaine dans notre pays.

Enfin, gardons à l'esprit qu'en 1905, les auteurs de la loi concernant la séparation des Églises et de l'État se moquaient éperdument de l'égalité entre les femmes et les hommes... J'irai même plus loin en ajoutant que les défenseurs de cette loi étaient ceux qui, dans nos institutions, pendant des années, au nom de la laïcité, ont empêché le vote des femmes... En tant qu'historienne, je trouve paradoxal que le principe de laïcité soit aujourd'hui « récupéré », en quelque sorte, pour défendre l'égalité entre les femmes et les hommes...

Chantal Jouanno , présidente, rapporteure . - Les recommandations sont aujourd'hui présentées telles qu'elles apparaissent au fil du rapport, mais pas encore hiérarchisées à ce stade. C'est bien l'objectif de nos échanges de ce matin.

Le sens du rapport est précisément de montrer l'ambivalence et les limites du principe de laïcité quand on veut défendre l'égalité entre les femmes et les hommes. Je suis totalement d'accord avec vos remarques sur ce point.

Sur l'enseignement supérieur, nous « invitons » les établissements, ce n'est donc pas à proprement parler une recommandation. Je pense donc que l'orientation que nous suggérons ne porte pas atteinte à leur autonomie, même si je suis d'accord pour rappeler ce principe auquel nous adhérons.

Sur les parents accompagnateurs, je rappelle qu'un avis du Conseil d'État les considère comme des usagers du service public, même si cela peut se discuter.

Françoise Laborde . - Merci pour ce rapport. Certes, comme vous le disiez, il n'analyse pas les raisons pour lesquelles certaines femmes revendiquent l'infériorité où les placent certaines allégations religieuses, mais ce n'est pas son but. Pour ce faire, il aurait fallu écrire 200 pages supplémentaires ! Expliquer pourquoi certaines femmes adhèrent à des systèmes inégalitaires pourrait faire l'objet d'un travail à part, au demeurant très important en soi.

Rappelons-nous toutefois que certains garçons et filles sont retirés de l'école pour éviter qu'ils soient éduqués dans l'égalité par l'école de la République. Il faut en avoir conscience. Nous avons eu l'occasion d'en parler dans le cadre du projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté (PLEC). Je crois qu'il y a là un vrai travail à poursuivre. On l'a bien vu avec les ABCD de l'égalité... Les intégristes de toute sorte sont « montés au créneau » pour les combattre. C'est un point de vigilance à garder en tête.

Il y a un passage du projet de rapport sur la formation des imams et sur l'importance de la connaissance du français, mais je rappelle que l'imam de Brest, comme cela est d'ailleurs mentionné, parle très bien le français...

Dans certaines facultés, par exemple à Montpellier, on voit des étudiants qui rédigent des mémoires sur l'égalité, la laïcité, les femmes, dans le cadre de leur master. Or cette année, de nombreux élèves, dont une majorité de femmes, se sont abstenus de passer le concours de professeurs des écoles, ce qui est surprenant au vu de leur cursus. Où sont passés ces étudiants et ces étudiantes ? Je laisse la question ouverte...

La question des aumôniers à l'hôpital est très intéressante. Un article de l'urgentiste Patrick Pelloux pointe les problèmes auxquels sont confrontés les hôpitaux. Je pense que des outils existent pour y répondre. Par ailleurs, l'ordre des médecins a élaboré des fiches qui rappellent aux soignants les principes découlant de la laïcité.

Je suis bien sûr favorable à une modification de la Constitution pour y inscrire explicitement le principe d'égalité entre les femmes et les hommes.

En revanche, je suis plus partagée en ce qui concerne une modification de la loi de 1905, car si on rouvre le débat sur la laïcité, on sait où cela peut nous mener demain...

Chantal Jouanno , présidente, rapporteure . - Certes, mais on a le droit de présenter des propositions, même si on sait qu'elles ont peu de chances d'aboutir ! Le projet de rapport le dit, d'ailleurs...

Françoise Laborde . - Je suis bien évidemment d'accord avec Corinne Bouchoux pour hiérarchiser les recommandations. En effet, beaucoup de gens ne liront sans doute malheureusement pas en intégralité ce rapport fort intéressant, et s'en tiendront peut-être à cette seule partie.

Sur l'autonomie des universités, ce que dit Corinne Bouchoux est vrai, mais à mon avis, se pose surtout la question des futurs enseignants. Il y a eu un rapport très intéressant du Haut Conseil à l'Intégration (HCI) sur les universités. Quant aux élèves des ÉSPÉ, ils sont de futurs enseignants et donc de futurs fonctionnaires. Il faut donc qu'ils soient capables de faire respecter la laïcité dans leurs futures fonctions.

Sur la recommandation relative aux parents accompagnateurs, j'entends bien les objections de Corinne Bouchoux. Il me paraît important d'avoir un signe distinctif associé à l'école dans le cadre d'une sortie, par exemple un badge qui soit porté par les élèves, les enseignants, mais également par les parents.

Enfin, le titre du rapport doit bien sûr être discuté, je suis d'accord. C'est d'ailleurs toujours comme cela que nous procédons. Cela fait partie du travail d'examen d'un rapport.

Marie-Pierre Monier . - Je vous remercie à mon tour pour ce gros travail qui aborde des sujets importants et délicats à traiter. Je me suis attachée à lire les conclusions, je vais prendre connaissance du corps du rapport.

Je ne comprends pas bien la portée de la recommandation sur les aumôniers, mais je lirai attentivement le rapport sur ce point. Quant au voile, je constate que le rapport y consacre plusieurs développements.

Chantal Deseyne . - Sur la formation des imams et des aumôniers, certaines de vos recommandations recouvrent des champs explorés par la mission sur l'organisation, la place et le financement de l'islam en France et de ses lieux de culte, dont j'étais membre. Ce rapport est d'ailleurs cité dans le travail que nous examinons ce matin.

Autant il me paraît évident que les imams et les aumôniers doivent maîtriser le français - nous avons auditionné des aumôniers qui avaient des difficultés à s'exprimer en français, c'est inquiétant -, autant il me paraît difficile de nous immiscer dans le volet théologique de leur formation. Le rapport mentionne ce point, d'ailleurs. En fait, il faudrait avoir ces exigences pour tous les cadres religieux. On pourrait requérir un certificat validant officiellement une formation aux valeurs de la République, avec un volet dédié à l'égalité entre les femmes et les hommes.

Chantal Jouanno , présidente, rapporteure . - Vous avez raison. Sur la formation des imams, nous avons fait nôtres les propositions de la mission sur l'islam, mais celles-ci n'évoquaient pas spécifiquement l'égalité entre les femmes et les hommes. Nous avons donc ajouté cette dimension en préconisant que les imams suivent une formation spécifique sur ce point, ce qui peut se faire dans le cadre des diplômes universitaires sur la laïcité qui existent déjà et auxquels certains participent.

Laurence Cohen . - Je salue le travail qui a été effectué. Le rapport me paraît extrêmement important car il contribue à montrer que la laïcité est une liberté, alors qu'elle est souvent brandie comme un épouvantail ou comme une entrave à la liberté. Pour moi, c'est tout le contraire : c'est justement une condition de la liberté.

La partie dont intitulé est formulé sous forme de question « Les religions ont-elles un problème avec les femmes ? » est un clin d'oeil et me rappelle un débat que j'avais animé sur le thème suivant : pourquoi les religions monothéistes ont-elles peur des femmes ? Car effectivement, cela concerne toutes les religions.

Je suis d'accord avec Corinne Bouchoux quant à la nécessité de hiérarchiser nos recommandations et peut-être de n'en présenter qu'une sélection...

S'agissant du voile, je regrette que ce thème accapare le débat public sur la laïcité et le fait religieux. Toujours aux dépens des femmes !

Dans L'Humanité , j'ai lu une interview de l'iranienne Shirin Ebadi, prix Nobel de la paix en 2003, où elle explique que dans l'islam, le symbole équivalent du voile pour l'homme est la barbe longue. Et elle pose cette question, que je n'aurais pas osé poser : pourquoi est-ce toujours la liberté des femmes, et plus largement le corps de la femme, qui pose problème ? La réponse est claire. Il ne s'agit donc pas d'une question de laïcité, mais bien d'un problème d'égalité entre les femmes et les hommes. C'est ce que dit le rapport et je suis d'accord sur ce point.

Enfin, concernant le calendrier présenté pour l'adoption du rapport, je suggèrerais que nous puissions avoir un certain délai pour y travailler.

Nos contributions pourraient également nourrir le débat que nous aurons ensemble en examinant le rapport et influer sur son contenu.

Corinne Bouchoux . - Je suis d'accord.

Chantal Jouanno , présidente, rapporteure . - Nous pourrions examiner le rapport le 20 octobre, ce qui nous permettrait de prendre en compte les contributions remises jusqu'à cette date. Mais d'ici là je vous demande de respecter strictement l'exigence de confidentialité.

Concernant le voile, je me suis toujours dit que ce sujet occupe une place excessive dans le débat. Effectivement, on ne s'intéresse jamais à d'autres tenues vestimentaires qui parfois relèvent aussi dans certains cas de signes religieux ostensibles, plus particulièrement quand ce sont les hommes qui les portent. Nous pourrions peut-être affirmer que nous souhaiterions une égalité totale entre les femmes et les hommes dans le traitement des questions relatives à l'ostentation vestimentaire.

Je vous rappelle par ailleurs que l'association Femmes sans voile d'Aubervilliers préconise l'interdiction du voile pour les mineures. Nous nous devons de rappeler ce point.

Toutefois, je ne souhaite pas non plus que tout le rapport soit centré sur la question du voile.

Françoise Laborde . - Nous pourrions peut-être distinguer les recommandations à proprement parler des autres sujets qui, tout en nous tenant à coeur, ne doivent pas pour autant donner lieu à proposition ou recommandation ?

Didier Mandelli . - Je salue à mon tour ce travail. Je suis également favorable à une hiérarchisation des recommandations. Je pense qu'il faudrait commencer par la proposition concernant la loi de 1905. J'estime que c'est le coeur du rapport. Si l'on propose d'ajouter à ce texte l'égalité entre les femmes et les hommes, en quelque sorte on a tout dit !

À mon sens, pour prendre un peu de hauteur, il faut commencer par la proposition concernant la loi de 1905, en demandant effectivement d'y ajouter le respect de l'égalité entre les femmes et les hommes, même si cette proposition, on le sait, est avant tout symbolique. Je le répète, pour moi, à travers cette seule recommandation, on a pratiquement déjà tout dit.

Chantal Jouanno , présidente, rapporteure . - Sans oublier celle sur la Constitution...

Annick Billon . - Je partage beaucoup des remarques qui ont été formulées. Je me réserve pour les contributions personnelles. Si nous examinons le rapport le 20 octobre, nous pourrons éventuellement avoir un débat en délégation sur nos contributions personnelles, ce qui me paraîtrait interactif et intéressant.

Françoise Laborde . - Les contributions écrites porteront, il me semble, sur le fond plus que sur la méthode, sur les points de divergence, car tous les sujets ne feront pas l'unanimité.

Chantal Jouanno , présidente, rapporteure . - Je le répète, à ce stade, les recommandations sont volontairement présentées dans la logique du déroulement du projet de rapport, sinon il ne sert à rien d'échanger, et leur hiérarchisation résultera précisément de nos échanges d'aujourd'hui.

Les contributions écrites personnelles me paraissent nécessaires car nous avons des sensibilités différentes et certains sujets ne feront pas l'unanimité entre nous. Disons-le tout net : je pense par exemple au burkini, question extrêmement sensible. Je vous soumets le texte suivant en vue du rapport : « En tout état de cause, le burkini peut être considéré comme l'illustration symbolique d'une conception du corps de la femme et de sa place dans la société à laquelle ne saurait souscrire la délégation. Faut-il pour autant légiférer sur cette question complexe ? La proposition de loi anti burkini dont certains élus ont annoncé cet été le prochain dépôt, si elle se borne à réglementer la tenue des femmes, ne paraît pas pouvoir être soutenue par la délégation ».

Voilà à mon avis un point qui ne fera peut-être pas consensus, y compris au sein de la délégation.

Corinne Bouchoux . - Je ne crains pas les contradictions internes à la délégation. Je crains les conséquences du contexte électoral. Je n'aimerais pas qu'après toutes ces années de travail constructives et positives entre nous, notre rapport soit utilisé à des fins purement politiciennes.

C'est pourquoi, pour aller dans le sens d'une méthodologie permettant des débats sereins et constructifs, il me paraît important de privilégier une entrée dans le rapport par la Constitution, les textes et la vie politique, afin de montrer qu'il y a une historicité de l'égalité entre les femmes et les hommes, et que nous, en France, ne sommes pas exemplaires, mais sommes le reflet des contradictions de la société... Cela permettrait d'éviter l'écueil du côté « donneur de leçon ».

L'appel à la parité, dans les assemblées parlementaires qui seront issues des élections de 2017, montre bien que nous travaillons pour tout le monde.

En revanche, pour certaines propositions comme la neutralité des candidats aux concours de la fonction publique, par exemple, je me pose des questions.

Chantal Jouanno , présidente, rapporteure . - Nous visons la neutralité le jour des épreuves, c'est-à-dire la participation effective aux épreuves des concours, écrites et orales. C'est la moindre des choses que des personnes qui veulent intégrer la fonction publique se conforment, le jour du concours, à l'obligation de neutralité qu'ils seront tenus de respecter pendant toute leur vie professionnelle.

Corinne Bouchoux . - La rédaction doit donc en être clarifiée, à mon avis.

Chantal Jouanno , présidente, rapporteure . - Je vous l'accorde. Cette formulation sera retravaillée.

Françoise Laborde . - J'ai une préoccupation relative au calendrier. À un instant T, il faudra bien arrêter le rapport, malgré l'actualité incessante sur le sujet. Pourtant, la vie des ministères continue... Je pense par exemple au rapport demandé par Annick Girardin sur la laïcité dans la fonction publique ainsi qu'au guide de la laïcité en entreprise demandé par Myriam El Khomri.

Chantal Jouanno , présidente, rapporteure . - La publication de ce guide est prévue pour le 20 octobre...

Françoise Laborde . - Il faudra bien préciser la date à laquelle on arrête le rapport, mais peut-être pourrait-on ajouter des liens vers ces travaux, au moins dans la version électronique du rapport, plus facilement modifiable ?

J'en profite pour indiquer que mon amendement sur la neutralité dans l'entreprise, adopté dans la loi El Khomri, pourrait être modifié dans le cadre de l'examen du PLEC. Il n'en demeure pas moins qu'il vous faudra peut-être actualiser le rapport sur ce point.

Chantal Jouanno , présidente, rapporteure . - C'est en effet prévu. Le travail sur ce rapport a commencé en mars 2015. Il faut s'arrêter à un moment, car pratiquement tous les jours paraissent de nouveaux éléments. Cela prouve qu'il y a vraiment un sujet à traiter mais, comme l'a souligné Didier Mandelli, il nous faut déterminer un axe fort, un fil conducteur qui dépasse la seule actualité du moment.

Je suis d'accord : je vais vous proposer de retenir une présentation différente pour hiérarchiser les conclusions dans le corps du rapport.

Pour terminer, je vous propose d'avoir un nouvel échange le 6 octobre pour nous permettre de hiérarchiser les recommandations, et de faire part de vos contributions écrites d'ici l'examen du rapport et de ses conclusions, prévu le 20 octobre.

Troisième échange de vues - Jeudi 6 octobre 2016

Présidence de Chantal Jouanno, présidente

Chantal Jouanno, présidente, rapporteure . - Nous abordons maintenant notre troisième échange de vues sur le rapport que j'appelle par commodité « Femmes et laïcité ». Vous avez dans vos dossiers les projets de conclusions du rapport, qui ont été reformulées à la suite de la réunion de la semaine dernière pour hiérarchiser nos diverses propositions et recommandations.

Ces conclusions sont désormais classées en quatre catégories. Les observations sont en quelque sorte les « considérants », qui nous amènent à formuler : d'abord, des propositions à l'attention du législateur, dans l'ordre de la hiérarchie des normes (la Constitution en premier, puis les lois), ensuite des recommandations à l'attention du Gouvernement et, enfin, des pistes de réflexion à l'attention des acteurs (partis politiques, associations, établissements d'enseignement supérieur, représentants des cultes...).

Ce qui concerne les établissements d'enseignement supérieur a été reporté dans les suggestions adressées aux acteurs, par cohérence avec le principe d'autonomie. Ce ne sont donc pas des recommandations, mais des pistes de réflexion.

Les conclusions ont été allégées, notamment pour supprimer une précédente recommandation sur le sport, qui est cependant rappelée dans le corps du rapport. Nous nous en tenons, s'agissant du sport, si vous en êtes d'accord, à ce qui concerne le respect de la Charte olympique.

Il y a désormais dans les « considérants » un alinéa qui reprend nos débats de la semaine dernière sur le voile. Vous convient-il ?

Enfin, des débats de la semaine dernière, il résulte aussi qu'il n'y a pas consensus pour proposer une réforme législative qui fasse des parents accompagnateurs de sorties scolaires une catégorie soumise au respect de la neutralité. Il faudra voir par ailleurs comment rédiger la partie sur la neutralité des élus dans le cadre de leur mandat.

Le débat est ouvert.

Corinne Féret . - Avant toute chose, pourriez-vous me rappeler le calendrier d'adoption du rapport ?

Chantal Jouanno, présidente, rapporteure . - La date d'adoption a été fixée, en principe, au 20 octobre, sous réserve que chacun et chacune d'entre vous soit prêt à cette date pour procéder à ce débat. Nous pourrons bien sûr prévoir une réunion ultérieure si vous le souhaitez. Par ailleurs, les groupes ou les sénateurs et sénatrices, de façon individuelle, peuvent nous adresser des contributions spécifiques qui seront annexées au rapport. Pour ceux qui souhaitent que l'on puisse échanger sur le contenu de leur contribution avant l'adoption du rapport, nous demandons d'adresser leur contribution en temps voulu. Pour les autres, la date butoir est fixée en cohérence avec la date d'adoption définitive du rapport, afin que les contributions puissent lui être annexées.

Laurence Cohen . - J'ai relu attentivement le rapport cette semaine et j'éprouve l'inquiétude que certains de nos propos soient détournés, dans le contexte tendu que nous connaissons aujourd'hui, attisé par la primaire de novembre prochain. Pourrions-nous évoquer d'emblée les questions concernant la formation des ministres du culte ?

Chantal Jouanno, présidente, rapporteure . - Nos propositions en ce domaine s'inspirent des remarques formulées par certains participants à la table ronde du 14 janvier 2016 et de celles de la mission du Sénat sur l'organisation, la place et le financement de l'islam en France et de ses lieux de culte, présidée par notre collègue Corinne Féret. Le projet de rapport ajoute une dimension relative à l'égalité entre les femmes et les hommes.

Je voudrais dire que j'ai eu le souci constant, en travaillant à ce rapport, de ne pas stigmatiser un culte plus qu'un autre, mais d'avoir au contraire la vision la plus globale possible.

Corinne Féret . - En matière de formation des ministres du culte, l'État, comme vous le savez, n'intervient en aucun cas dans le volet théologique, en conformité avec la loi de 1905. En revanche, il est possible d'accompagner les cadres religieux avec des formations profanes ou civiques, lesquelles peuvent s'adresser à l'ensemble des cadres religieux, et pas seulement aux imams, sujet sur lequel la mission d'information que j'ai présidée s'est concentrée pour des raisons évidentes. La question de la formation doit donc être posée pour l'ensemble des cultes.

En matière de formation civique, il existe déjà une certaine offre de formations et ce rapport les mentionne. Nous avons fait des recommandations pour les développer davantage sur les questions relatives à la société française, aux valeurs de la République et à la laïcité. Ces formations peuvent être proposées dans des universités publiques. Une quinzaine de diplômes universitaires (DU) existent sur le territoire français et sont ouverts à tous. Nous avons préconisé qu'il y ait aussi un module ou des heures dédiées à la non-discrimination dans le droit français. En conclusion, l'encouragement à suivre ces DU devrait concerner l'ensemble des religions et leurs ministres des cultes.

Chantal Jouanno, présidente, rapporteure . - Vous avez raison, nous allons rédiger la proposition dans ce sens. Il faut insister sur le fait que dans la partie non théologique de la formation, il est important que les cadres religieux soient sensibilisés tout particulièrement au principe d'égalité entre les femmes et les hommes, valeur centrale de notre République.

Chantal Deseyne . - On ne peut certes pas s'immiscer dans le volet théologique de la formation des ministres du culte, mais en revanche, je confirme que l'État a son mot à dire en ce qui concerne la formation civique ou profane. Cette formation doit à mon avis concerner aussi les aumôniers.

Corinne Féret . - Les aumôniers interviennent à l'hôpital, dans les prisons, dans les armées, et toutes les religions sont concernées. Leur rôle est prévu par la loi de 1905.

Chantal Jouanno, présidente, rapporteure . - Le rapport traite la question des aumôniers dans les établissements hospitaliers, en recommandant d'avoir davantage d'aumôniers, de nommer des femmes pour accomplir cette mission et de renforcer leur formation aux valeurs de la République et à la question de l'égalité entre les femmes et les hommes.

Corinne Féret . - Je voudrais souligner que la question des aumôniers dans les prisons, bien que non abordée dans le rapport, est un vrai sujet.

Chantal Jouanno, présidente, rapporteure . - Nous avons limité notre analyse aux secteurs où se présentent des difficultés au regard plus particulièrement de la mixité. Les établissements hospitaliers en font partie. Je vous propose donc de mentionner le sujet des prisons pour montrer qu'on ne l'ignore pas, même si nous n'y consacrons pas de développements spécifiques. En revanche, je suis d'accord avec vous sur l'importance de la question de la situation des femmes en milieu carcéral, qui d'ailleurs a été le thème d'un rapport de la délégation en 2009 281 ( * ) .

Chantal Deseyne . - De façon générale, la nouvelle présentation des recommandations que vous nous proposez aujourd'hui me convient tout à fait, car il était impératif de les hiérarchiser. Cela permet de mettre en exergue les principes sur lesquels on ne peut transiger, puis de les décliner ensuite dans les différents domaines thématiques. J'associe à ma remarque notre collègue Didier Mandelli qui ne pouvait être présent ce matin.

En ce qui concerne les propositions sur l'enseignement supérieur, je me pose la question de l'enseignement privé. Quant à la charte des examens que vous évoquez, j'estime qu'elle devrait émaner du ministère et non de chaque établissement.

Corinne Bouchoux . - Cela irait à l'encontre du principe d'autonomie des universités...

Chantal Deseyne . - J'en suis consciente, mais cela me gêne s'agissant des examens. Sur la question des parents accompagnateurs, je pense qu'il faut faire attention à ne pas priver de toute sortie les enfants concernés.

Chantal Jouanno, présidente, rapporteure . - Ce point débattu la semaine dernière a été écarté des recommandations mais, dans le rapport, je propose de faire figurer un encadré qui prenne acte de l'absence de consensus sur ce sujet. Vous avez évoqué sur ce point l'intérêt des enfants.

Chantal Deseyne . - Il y avait également une interrogation sur la neutralité des élus dans le cadre de leur mandat.

Chantal Jouanno, présidente, rapporteure . - Là encore, la rédaction a été reformulée. Le paragraphe relatif aux cérémonies religieuses auxquelles les élu-e-s peuvent être amenés-e-s à participer dans le cadre de leurs fonctions a été maintenu dans le rapport, mais il ne figure plus dans les conclusions.

Chantal Deseyne . - Et la question des candidats pendant leur campagne ?

Chantal Jouanno, présidente, rapporteure . - Ce point a été tranché par le Conseil d'État, et il me paraissait important de le noter. Je suis d'avis que cette remarque ne figure pas dans les conclusions, mais qu'elle soit maintenue dans le corps du rapport. Je précise au passage qu'une référence à un rapport de l'Observatoire de la laïcité sur ce sujet a été ajoutée.

Françoise Laborde . - Cela me convient.

Chantal Deseyne . - Sur la question de la mixité dans les entreprises, certains comportements me semblent inacceptables, tel que le refus de serrer la main d'une femme ou d'obéir à son autorité hiérarchique. Il faut le souligner.

Chantal Jouanno, présidente, rapporteure . - Nous en parlons abondamment dans le rapport.

Chantal Deseyne . - Est-ce également le cas dans les conclusions ?

Chantal Jouanno, présidente, rapporteure . - En effet, cette question est traitée à la fois dans les propositions au législateur à travers la création d'un délit autonome d'agissement sexiste, et dans les pistes de réflexion pour les acteurs à travers la nécessité de faire connaître la législation sur l'agissement sexiste, dans le code du travail et dans le statut des fonctionnaires.

Françoise Laborde . - C'est une bonne chose que le rapport propose de modifier le code pénal pour créer un délit autonome d'agissement sexiste.

Corinne Bouchoux . - En tant qu'historienne, je suggérerais de remplacer dans le rapport l'expression « place des femmes » par celle de « rôle des femmes ». En effet, le terme « place » était pertinent quand les femmes n'avaient pas de place et qu'on se battait pour qu'elle existe. Cette place étant acquise par l'égalité dans tous les domaines, il me paraît plus exact de parler du « rôle des femmes ».

Je me réjouis que nous ayons pu procéder à différents échanges de vues sur le rapport de façon apaisée, grâce à une méthodologie qui devrait à mon sens être plus répandue au Sénat...

J'en viens maintenant aux points du rapport qui me gênent. En premier lieu, la question des certificats de virginité et des réfections d'hymen qui, pour certaines femmes, sont des questions de vie ou de mort. Je pense que c'est d'abord un problème d'injonction sociale qui fait que ces femmes n'ont pas d'autre choix que de faire ce type de demandes. De plus, ces pratiques, loin de diminuer, tendent semble-t-il à augmenter.

Chantal Jouanno, présidente, rapporteure . - La nouvelle rédaction pourrait mentionner par exemple les contraintes sociales qui pèsent sur ces jeunes filles, pour mieux marquer qu'elles sont victimes et que nous nous en indignons.

Nous pourrions formuler notre remarque ainsi : « la délégation s'indigne que les contraintes sociales qui pèsent sur certaines jeunes femmes les obligent à formuler de telles demandes » ?

Laurence Cohen . - Je suis d'accord, il ne faut pas juger le fait, pour ces jeunes femmes, de recourir à ces actes, mais ce qu'on les oblige à subir. Ces femmes sont d'abord des victimes !

Corinne Bouchoux . - Le dernier point que je voudrais soulever concerne l'autonomie des établissements d'enseignement supérieur. Ce principe est un choix politique validé par la loi. À l'époque, j'étais contre la loi Pécresse, mais maintenant il faut l'appliquer correctement. Ne demandons pas à ces établissements d'appliquer une disposition qui n'est pas une obligation légale. Je fais référence à l'adoption d'une charte des examens que vous suggérez.

Chantal Jouanno, présidente, rapporteure . - Nous les invitons à adopter une charte des examens, dans le respect de leur autonomie. Ce n'est pas une recommandation. Dans nos conclusions, les recommandations s'adressent au Gouvernement.

Corinne Bouchoux . - Posons-nous la question : qu'est-ce que l'autonomie ? Ces établissements ont un conseil d'administration, un président.

Je salue la précision que vous avez apportée sur le jour de l'examen, s'agissant de la neutralité qui pourrait s'imposer aux candidats aux concours de la fonction publique. Pour le reste, je me fie à mon expérience. Certaines jeunes filles ont besoin d'achever leur formation à l'ÉSPÉ pour s'affranchir du voile. Peu importe qu'elles le portent pendant la formation si, le jour où elles prennent leur poste d'enseignante, elles ne le portent plus.

Chantal Jouanno, présidente, rapporteur . - Ce n'est donc pas le fond de notre recommandation qui vous gêne, mais sa faisabilité.

Corinne Bouchoux . - Pour finir, je respecte totalement votre point de vue sur le sport. Pour autant, dans les quartiers, je préfère voir une gamine faire du foot avec un petit signe religieux, que pas de fille du tout.

Pour les avoir rencontrées, dans 98 % des cas, ces jeunes filles, si elles ne portent pas un signe religieux, ne peuvent pas venir faire du sport.

À mon avis, la recommandation de neutralité ne doit pas s'appliquer au sport amateur, mais seulement aux compétitions régies par la Charte olympique.

Chantal Jouanno, présidente, rapporteure . - Dans les recommandations, nous nous en tenons aux Jeux olympiques. Pour avoir bien connu le dossier, puisque le problème s'est posé à la Fédération internationale de karaté, la question ne s'était jamais posée jusqu'à très récemment. On avait des combattantes de tous les pays qui venaient non voilées, ou avec un signe très peu visible. Or tout d'un coup, c'est devenu une obligation dans certains pays. On n'aurait pas laissé faire pour des hommes.

Corinne Bouchoux . - J'assume mon point de vue. Je suis contre une recommandation qui risque de pénaliser doublement des jeunes femmes. Cela ne m'empêchera pas de voter le rapport. C'est un problème politique majeur : pourquoi ce sont les femmes qui sont pénalisées alors qu'elles sont des victimes ? Et pourquoi fait-on preuve de tant de compréhension envers les pays qui formulent ces exigences ?

Chantal Jouanno, présidente, rapporteure . - Il y a des sujets sur lesquels il n'y aura pas de consensus entre nous. On peut faire état de ce débat sur le sport dans le corps du rapport. L'essentiel est que nous nous retrouvions sur les grandes lignes.

Corinne Bouchoux . - Je n'y vois pas d'objection.

Brigitte Gonthier-Maurin . - Ce débat illustre les difficultés inhérentes à ce sujet complexe. Il y a une charte de l'olympisme auxquels les pays participants adhèrent. Pour moi, il est absolument fondamental d'être vigilant sur ce point. Je comprends ce que dit Corinne Bouchoux, mais pour moi c'est vraiment important.

Laurence Cohen . - En tant que féministes, nous sommes toutes confrontées à ce dilemme. D'un côté, il y a effectivement le respect, l'égalité, ce pour quoi nous nous battons. Des femmes meurent parce qu'elles refusent de porter le voile et nous sommes accusé-e-s, nous les intellectuels-les des pays occidentaux, d'être trop tolérant-e-s sur ces sujets. Mais il faut aussi entendre tout ce que dit Corinne Bouchoux. Toutefois, jusqu'où est-on prêt à aller ? À force d'accepter, on recule peu à peu sur l'égalité entre les femmes et les hommes.

Les recommandations sur le sport n'évoquent justement que les Jeux olympiques et ne parlent pas du sport amateur dans un club local.

Corinne Féret . - S'agissant de la neutralité des étudiants dans les ÉSPÉ, je serai d'avis d'opérer une distinction entre le moment où les étudiants sont en cours, comme tous les autres étudiants, et celui où ils sont en stage dans des établissements scolaires. Dans ce dernier cas seulement leur serait applicable, comme aux enseignants, le principe de neutralité. Sinon, je considère que c'est la porte ouverte à l'interdiction des signes d'appartenance religieuse à l'université. Personnellement, je n'y suis pas favorable.

Chantal Jouanno, présidente, rapporteure . - Nous partons du principe que ces étudiants font un choix quand ils se destinent à l'enseignement et doivent donc assimiler tout de suite ce principe de neutralité. Là encore, je crains que nous n'obtenions pas de consensus sur ce point, mais nous pouvons faire état du débat dans le rapport. Il ne s'agit pas d'interdire les signes d'appartenance religieuse à l'université. Je ne pense pas que nous pourrons trouver une rédaction susceptible de satisfaire tout le monde, même si j'avais l'impression que notre formulation était assez neutre en utilisant le conditionnel.

Françoise Laborde . - Sur la question des ÉSPÉ, on ne trouvera pas de consensus. Les personnes qui étudient dans les ÉSPÉ sont de futur-e-s enseignant-e-s. Je suis d'accord pour ne pas se focaliser, à l'université, sur les tenues vestimentaires. L'important, c'est le contenu des enseignements. Si un étudiant ne porte aucun signe religieux ostensible, mais manifeste son désaccord sur le contenu des enseignements, cela me pose un problème. Nous avons eu des échanges avec des directeurs d'ÉSPÉ dans le cadre de la commission d'enquête sur le fonctionnement du service public de l'éducation nationale. Si on ne les aide pas, ils n'arriveront pas à faire respecter la neutralité au sein de leur établissement. Certains jeunes sont dans le déni de la laïcité, alors que ce sont de futurs professeurs. C'est anormal.

Corinne Féret . - On peut avoir des étudiantes voilées respectueuses de nos valeurs républicaines, et inversement, des étudiantes non voilées, mais totalement opposées à la laïcité.

Chantal Jouanno, présidente, rapporteure . - Certes, je suis d'avis qu'il ne faut pas se focaliser sur le voile. Il me semble cependant que si l'on suivait ce raisonnement, on remettrait en question le principe de neutralité dans le service public.

Corinne Féret . - Dans les appels aux organismes représentant les cultes en France, on parle de deux instances de l'islam, le Conseil français du culte musulman (CFCM) et la Fondation pour l'islam de France, qui relèvent de deux logiques différentes.

Au CFCM, la gouvernance se fait au niveau des musulmans eux-mêmes, tandis que pour la fondation, c'est le Gouvernement qui structure la gouvernance.

Chantal Jouanno, présidente, rapporteure . - Faut-il pour autant recommander au Gouvernement la parité dans la gouvernance de la Fondation pour l'islam de France ? Le problème est que cette recommandation ne saurait avoir d'équivalent pour les autres cultes.

Corinne Féret . - En effet, il n'existe pas de telles structures pour les autres religions que l'islam. Cet aspect du rapport s'explique, certes, par le caractère récent de la fondation.

Je veux terminer sur un dernier point qui risque de faire débat. L'une des conclusions du rapport demande l'inscription du principe d'égalité entre femmes et hommes dans la loi de 1905. Dans le cadre de la mission d'information sur l'islam, nous avions pris pour prérequis de ne pas toucher à la loi de 1905, celle-ci constituant notre ligne directrice. Je vous renvoie sur ce point à l'avant-propos du rapport de la mission. Étant donné que j'ai présidé cette mission d'information dont le rapport a été adopté à l'unanimité, je ne peux, par cohérence, être favorable à cette recommandation.

Chantal Jouanno, présidente, rapporteure . - Vous n'avez pas travaillé sous le même angle, mais j'en prends note et vous invite donc à nous remettre une contribution personnelle pour signaler ce point de divergence.

Laurence Cohen . - J'anticipe sans doute nos débats, mais j'ai réfléchi à une proposition de titre, qui s'appuie sur l'une des citations de la rabbin Delphine Horvilleur. Je propose donc : « Laïcité : un point d'appui pour faire reculer l'infériorisation des femmes dans les traditions religieuses ». Ce n'est qu'une suggestion.

Chantal Jouanno, présidente, rapporteure . - Nous aurons un vrai débat sur le titre au moment de l'adoption du rapport. Je ne suis pas d'emblée d'accord avec votre proposition car elle ne mentionne pas le principe d'égalité, alors que le rapport montre justement que la laïcité ne suffit pas pour lutter contre les extrémismes religieux. Le mot égalité doit apparaître dans le titre. Je vous invite tous et toutes à nous faire part de vos idées, et nous en débattrons le 20 octobre.


* 281 Rapport d'activité pour l'année 2009 et compte rendu des travaux de cette délégation sur le thème Les femmes dans les lieux de privation de liberté , rapport d'information n° 156 (2009-2010) de Mme Michèle André fait au nom de la délégation aux droit des femmes.

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