N° 153

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2016-2017

Enregistré à la Présidence du Sénat le 29 novembre 2016

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de décret d' avance notifié le 23 novembre 2016, relatif au financement de dépenses urgentes , transmis pour avis à la commission, en application de l'article 13 de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances,

Par M. Albéric de MONTGOLFIER,

Rapporteur général,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : Mme Michèle André , présidente ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Yvon Collin, Vincent Delahaye, Mmes Fabienne Keller, Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. André Gattolin, Charles Guené, Francis Delattre, Georges Patient, Richard Yung , vice-présidents ; MM. Michel Berson, Philippe Dallier, Dominique de Legge, François Marc , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, François Baroin, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Jean-Claude Boulard, Michel Bouvard, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Carcenac, Jacques Chiron, Serge Dassault, Bernard Delcros, Éric Doligé, Philippe Dominati, Vincent Éblé, Thierry Foucaud, Jacques Genest, Didier Guillaume, Alain Houpert, Jean-François Husson, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Marc Laménie, Nuihau Laurey, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Hervé Marseille, François Patriat, Daniel Raoul, Claude Raynal, Jean-Claude Requier, Maurice Vincent, Jean Pierre Vogel .

AVIS DE LA COMMISSION DES FINANCES DU SÉNAT

sur le projet de décret d'avance notifié le 23 novembre 2016,
portant ouverture et annulation de 1 749 millions d'euros
en autorisations d'engagement et 1 735 millions d'euros
en crédits de paiement

La commission des finances,

Vu les articles 13, 14 et 56 de la loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances ;

Vu la loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016 ;

Vu le décret n° 2016-732 du 2 juin 2016 portant ouverture et annulation de crédits à titre d'avance ;

Vu le décret n° 2016-1300 du 3 octobre 2016 portant ouverture et annulation de crédits à titre d'avance ;

Vu le projet de décret d'avance notifié le 23 novembre 2016, portant ouverture et annulation de 1 748 716 860 euros en autorisations d'engagement et 1 735 171 935 euros en crédits de paiement, le rapport de motivation qui l'accompagne et les réponses du secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget, au questionnaire du rapporteur général ;

Sur la régularité du projet de décret d'avance :

1. Constate que l'objet du projet de décret d'avance est de permettre des ouvertures de crédits sur treize missions du budget général afin de financer les opérations extérieures et intérieures du ministère de la défense, les dépenses de personnel du ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche et de sept autres ministères, ainsi que les dépenses d'intervention notamment liées à l'hébergement d'urgence, au service civique, à divers contentieux du ministère de l'intérieur et aux bourses de l'enseignement supérieur ;

2. Relève que le présent projet de décret d'avance doit être analysé de façon conjointe au projet de loi de finances rectificative en cours d'examen par le Parlement ; celui-ci ouvrant près de 7 milliards d'euros pour assurer la fin de gestion 2016, dont 1,5 milliard d'euros pour les opérations intérieures et extérieures de la défense, plus de 1 milliard d'euros au titre de divers dispositifs de solidarité, près de 700 millions d'euros de crédits de personnel, 700 millions d'euros pour la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » en lien avec les refus d'apurement communautaire, 300 millions d'euros pour la politique de l'emploi, 200 millions d'euros pour le fonds d'urgence pour les départements et 2,4 milliards d'euros au titre du renforcement des fonds propres de l'Agence française de développement ;

3. Estime que le besoin d'une ouverture rapide des crédits est avéré au regard de la nécessité d'assurer la continuité du paiement des personnels de l'État, de poursuivre les opérations extérieures et intérieures dans lesquelles est engagée l'armée française, d'assurer le paiement des bourses étudiantes, ainsi que de faire face aux besoins de l'hébergement d'urgence ;

4. Constate que les ouvertures de crédits prévues par le projet de décret d'avance, le décret n° 2016-732 du 2 juin 2016 et le décret n° 2016-1300 du 3 octobre 2016 portant ouverture et annulation de crédits à titre d'avance n'excèdent pas le plafond de 1 % des crédits ouverts par la dernière loi de finances de l'année et que les annulations n'excèdent pas le plafond de 1,5 % des crédits ouverts par les lois de finances afférentes à l'année en cours ;

5. Observe que les ouvertures de crédits prévues par le présent projet de décret sont gagées par des annulations de même montant réparties sur vingt-cinq missions du budget général ;

6. Constate que les conditions de régularité du recours au décret d'avance prévues par la loi organique relative aux lois de finances du 1 er août 2001 précitée sont donc formellement réunies ;

7. Relève néanmoins que l'annulation de 672 millions d'euros en crédits de paiement sur le programme 146 « Équipement des forces » est compensée par la réouverture de crédits du même montant prévue par le projet de loi de finances rectificative pour 2016 déposé le 18 novembre 2016 ;

8. Considère que la préservation des moyens de la défense est particulièrement nécessaire au regard de l'ampleur des opérations extérieures et intérieures dans lesquelles l'armée française est engagée et des tensions auxquelles est soumis son budget ;

9. Constate toutefois le caractère artificiel de l'équilibre entre les ouvertures et les annulations de crédits du projet de décret d'avance dans la mesure où plus du tiers des crédits annulés sont aussitôt rouverts par le projet de loi de finances rectificative ;

Sur les ouvertures prévues par le projet de décret d'avance :

10. Souligne que le caractère urgent des ouvertures ne préjuge pas de leur imprévisibilité et rappelle une nouvelle fois que le décret d'avance ne saurait se substituer à une budgétisation initiale sincère ;

11. Observe à ce titre que les ouvertures de crédits motivant le présent projet de décret d'avance sont similaires aux dépenses financées par le décret d'avance n° 2015-1545 du 27 novembre 2015 et note que les opérations extérieures et intérieures du ministère de la défense, les dépenses de personnel de l'État et les dépenses d'intervention, liées en particulier à l'hébergement d'urgence et aux bourses de l'enseignement supérieur, font l'objet d'une sur-exécution récurrente par rapport aux prévisions de la loi de finances initiale qui nuit à la lisibilité de la politique budgétaire du Gouvernement et interroge la crédibilité de la budgétisation initiale ;

12. Constate en particulier que le décret d'avance est devenu un instrument récurrent d'ajustement des crédits destinés aux opérations extérieures, dont le besoin de financement en incluant le présent projet de décret d'avance s'élève à 686 millions d'euros en 2016, soit un besoin de financement annuel total de 1 136 millions d'euros, plus de 2,5 fois supérieur à l'enveloppe de 450 millions d'euros allouée en loi de finances initiale, nuisant tant à la bonne information du Parlement qu'à la soutenabilité de la budgétisation de la mission « Défense » ;

13. Relève que la dotation initiale des opérations intérieures était également insuffisante, l'abondement de crédits prévu par le présent projet de décret d'avance à hauteur de 145 millions d'euros étant plus de 5,5 fois supérieur à leur budgétisation en loi de finances initiale pour 2016 qui s'établissait à 26 millions d'euros ;

14. Relève que près de 700 millions d'euros sont ouverts pour financer la masse salariale de l'État ; que les hypothèses de budgétisation relatives à la masse salariale se sont une fois de plus révélées insuffisantes, en particulier concernant le « glissement vieillesse technicité » (GVT) des personnels du ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche ;

15. Note que la réévaluation du point d'indice décidée en mars 2016 fait peser dès 2016 une charge supplémentaire sur le budget de l'État qui nécessite des ouvertures à hauteur de 125 millions d'euros dans le présent projet de décret d'avance ;

16. Constate que ces dérapages récurrents reflètent l'incapacité du Gouvernement à mettre en oeuvre des mesures de maîtrise des dépenses en cours de gestion, concernant en particulier la masse salariale de l'État ;

17. Observe que la sous-budgétisation des dépenses d'hébergement d'urgence est habituelle et que l'insuffisance des moyens était manifeste dès la loi de finances initiale au regard de l'exécution 2015 et de l'augmentation du nombre de demandeurs d'asile sur le territoire à partir de la seconde moitié de l'année 2015 ;

18. Relève qu'au total, les ouvertures par décret d'avance en matière d'hébergement d'urgence représentent plus de 15 % de la budgétisation initiale du programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » ;

19. Estime par conséquent que l'urgence à ouvrir les crédits ne découle pas du caractère imprévisible des besoins budgétaires, mais d'une décision gouvernementale s'agissant de la réévaluation du point d'indice d'une part et de l'insuffisance des moyens alloués en loi de finances initiale concernant les opérations intérieures et extérieures du ministère de la défense ainsi que l'hébergement d'urgence d'autre part ;

Sur les annulations prévues par le projet de décret d'avance :

20. Constate que la plus grande partie des annulations porte sur des crédits mis en réserve, ce qui ne permet pas au Parlement d'identifier les dispositifs touchés par les redéploiements ;

21. Estime par conséquent que le recours croissant, par le Gouvernement, à la mise en réserve de crédits, qui s'élève depuis 2015 à 8 % des crédits ouverts sur le budget de l'État, détourne de sa vocation une procédure destinée à permettre le respect de l'autorisation parlementaire, et non à la contourner ou à la rendre inopérante ;

22. Observe que l'opération à laquelle se livre le Gouvernement qui annule 672 millions d'euros de crédits de paiement sur le programme 146 « Équipement des forces » de la mission « Défense » pour les ouvrir de nouveau par le projet de loi de finances rectificative précité, si elle permet une nécessaire préservation des moyens de la défense, témoigne surtout de son incapacité à dégager de réelles économies sur d'autres missions au titre de la solidarité interministérielle afin de compenser la sous-budgétisation manifeste de la dotation prévue en loi de finances initiale au titre des opérations extérieures et intérieures de l'armée française ;

23. Émet, en conséquence, un avis défavorable au présent projet de décret d'avance.

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