ANALYSE DES OUVERTURES ET ANNULATIONS DE CRÉDITS

Le présent projet de décret d'avance prévoit des ouvertures et annulations de crédits pour un montant total de 1 749 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 1 735 millions d'euros en crédits de paiement (CP). Soumis pour avis à la commission des finances, il lui a été notifié le 23 novembre 2016.

Conformément à l'article 13 de la loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), « la commission chargée des finances de chaque assemblée fait connaître son avis au Premier ministre dans un délai de sept jours à compter de la notification qui lui a été faite du projet de décret ».

I. OBJET DES OUVERTURES ET ANNULATIONS DE CRÉDITS

Les décrets d'avance permettent de procéder à des ouvertures de crédits en cas d'urgence , dans la limite de 1 % des crédits ouverts en loi de finances initiale, gagées par des annulations de crédits 1 ( * ) .

A. LES OUVERTURES

Les ouvertures de crédits prévues par le présent projet de décret d'avance s'élèvent à 1,7 milliard d'euros en AE et en CP . Elles s'inscrivent au sein du schéma de fin de gestion, qui s'établit à 7 milliards d'euros , et concernent quatre grands ensembles : la défense, la masse salariale de l'État, l'hébergement d'urgence et diverses dépenses d'intervention.

1. Un schéma de fin de gestion de 7 milliards d'euros

Les crédits ouverts par le présent projet de décret d'avance doivent être analysés en tenant compte du projet de loi de finances rectificative .

Le présent projet de décret d'avance s'inscrit en effet au sein du schéma de fin de gestion pour 2016 , c'est-à-dire de l'ajustement en fin d'exercice des crédits alloués afin d'éviter des impasses budgétaires tout en assurant le respect de la norme de dépenses par des annulations d'un montant équivalent.

Les ouvertures auxquelles procède le décret d'avance sont concentrées sur les besoins les plus urgents , pour lesquels les délais associés au vote du projet de loi de finances rectificative poseraient des problèmes : les crédits de personnel et d'intervention en forment donc, comme chaque année, la plus large part, dans la mesure où le Gouvernement ne peut différer le paiement du traitement des fonctionnaires ou de certaines allocations.

Si l'ouverture de crédits par décret d'avance en fin d'année constitue une procédure somme toute classique, deux points méritent d'être relevés .

D'une part, l'ampleur du schéma de fin de gestion pour 2016 confirme le constat fait en 2015 : les redéploiements en fin d'année sont de plus en plus importants car le Gouvernement peine à tenir le cap qu'il s'est fixé en loi de finances initiale . Ainsi, ce sont 7 milliards d'euros (en crédits de paiement) qui doivent être ouverts, dont 1,7 milliard d'euros par décret d'avance et 5,3 milliards d'euros par le projet de loi de finances rectificative, auxquels il faut ajouter 539 millions d'euros de redéploiement des fonds issus du programme d'investissements d'avenir (PIA). Ces ouvertures se répartissent entre 1,5 milliard d'euros pour les opérations intérieures et extérieures de la défense, plus de 1 milliard d'euros au titre de divers dispositifs de solidarité, près de 700 millions d'euros de crédits de personnel, 700 millions d'euros pour la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » en lien avec les refus d'apurement communautaire, 300 millions d'euros pour la politique de l'emploi, 200 millions d'euros pour le fonds d'urgence pour les départements et 2,4 milliards d'euros au titre du renforcement des fonds propres de l'Agence française de développement

D'autre part, le Gouvernement recourt de plus en plus à l'ouverture de crédits par voie réglementaire , alors même que cette procédure totalement dérogatoire au principe de l'autorisation parlementaire des dépenses devrait être exceptionnelle : ainsi, notre ancien collègue député Didier Migaud indiquait lors des travaux préparatoires relatifs à la loi organique relative aux lois de finances du 1 er août 2001 que « le décret d'avance constitue l'atteinte la plus importante au pouvoir financier du Parlement ». En 2016, ces atteintes auront concerné 4,73 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 3,42 milliards d'euros en crédits de paiement , soit une hausse des montants ouverts par décret d'avance de respectivement 69 % et 56 % en un an, alors même que 2015 représentait déjà un point haut avec 2,79 milliards d'euros ouverts en AE et 2,2 milliards d'euros en CP, soit des montants inégalés depuis 2010.

Les ouvertures par décret d'avance en 2016 sont, de loin, les plus fortes depuis dix ans . L'usage réitéré de l'outil réglementaire, pour des sommes aussi significatives, affaiblit la portée de l'autorisation parlementaire .

Évolution des ouvertures de crédits par décret d'avance de 2006 à 2016

(en milliards d'euros et en %)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les décrets d'avance publiés depuis 2016 et le présent projet de décret d'avance

2. Des ouvertures de 1,7 milliard d'euros réparties entre quatre grands ensembles : la défense, la masse salariale, l'hébergement d'urgence et diverses dépenses d'intervention

Les ouvertures prévues par le présent projet de décret d'avance concernent douze missions mais seules trois sont bénéficiaires nettes (les ouvertures sont plus importantes que les annulations).

Répartition des ouvertures de crédits entre les missions bénéficiaires nettes

(en millions d'euros)

Missions bénéficiaires nettes

AE

CP

Enseignement scolaire

618,77

610,68

Défense

540,64

159,13

Sport, jeunesse et vie associative

12,00

12,00

TOTAL

1 171,41

781,81

Source : commission des finances du Sénat, d'après le présent projet de décret d'avance

Elles se répartissent en quatre grands ensembles .

831 millions d'euros, soit près de la moitié des ouvertures, visent à financer les opérations extérieures et intérieures du ministère de la défense.

700 millions d'euros, soit 40 % des ouvertures, concernent la masse salariale de l'État.

100 millions d'euros, soit près de 6 % des ouvertures, sont liés au financement de l'hébergement d'urgence.

Enfin, 118 millions d'euros en AE et 105 millions d'euros en CP sont ouverts au titre de divers dispositifs d'intervention, en particulier les bourses de l'enseignement scolaire et de l'enseignement supérieur, le service civique et l'aide à la recherche du premier emploi (ARPE).

Ouvertures de crédits de paiement prévues
par le présent projet de décret d'avance

(en millions d'euros et en %)

Source : commission des finances, d'après le projet de décret d'avance

a) 831 millions d'euros au titre des opérations extérieures et intérieures de l'armée française (mission « Défense »)

831 millions d'euros de crédits doivent être ouverts au profit des opérations extérieures et intérieures de l'armée française. Sur ce total, 686 millions d'euros financeraient les Opex et 145 millions d'euros les opérations intérieures .

Répartition des ouvertures de crédits entre opérations extérieures (OPEX) et intérieures (MISSINT)

(en millions d'euros et en %)

Source : commission des finances, d'après le projet de décret d'avance et les réponses du Gouvernement au questionnaire du rapporteur général

Plus de 80 % du coût des opérations extérieures est lié à la présence de l'armée française au Sahel (50,9 %) et en Irak et au Levant (31,4 %) .

Répartition du surcoût « Opex »

(en millions d'euros et en %)

T2

HT2

Total en M€

Total en %

Sahel

151,1

447,2

598,3

50,9%

Irak & Levant

60,5

309,1

369,6

31,4%

RCA

23,2

65,6

88,8

7,6%

Liban

31,4

20,2

51,6

4,4%

Afghanistan

5,8

21,9

27,8

2,4%

Côte d'Ivoire

7,8

10,2

18

1,5%

Autres OPEX

4,6

8,7

13,3

1,1%

Atalante

2

2,4

4,4

0,4%

Kosovo - Macédoine

0,1

2,3

2,4

0,2%

Manque à gagner service de santé des armées

2

2

0,2%

Total coûts OPEX

286,5

889,6

1176,1

100,0%

Source : commission des finances, d'après les réponses du Gouvernement au questionnaire du rapporteur général

Certes, la nécessité d'une ouverture rapide des crédits ne peut être contestée.

Mais l'imprévisibilité de la dépense ne paraît pas établie : la sous-budgétisation de ces opérations en loi de finances initiale est manifeste.

Évolution du surcoût Opex depuis 2003

(en millions d'euros et en %)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Au total, le besoin de financement des Opex en 2016 est plus de 2,5 fois supérieur aux crédits alloués en budgétisation initiale . Concernant les opérations intérieures, l'exécution devrait être 5,6 fois plus importante que la dotation votée en loi de finances initiale .

L'écart à la prévision en 2016 est le plus important constaté sur la mission depuis plus de quinze ans .

L'insincérité de la budgétisation initiale nuit à la lisibilité de la politique budgétaire du Gouvernement et fragilise l'exécution budgétaire de la mission « Défense » .

b) 700 millions d'euros en AE et en CP pour financer la masse salariale de l'État (principalement missions « Enseignement scolaire » et « Recherche et enseignement supérieur »)

Le deuxième poste de dépense nécessitant des ouvertures de crédits d'une ampleur significative est la masse salariale de l'État . Celle-ci a donné lieu à des ouvertures de crédits en fin de gestion chaque année depuis 2012.

Près de 700 millions d'euros sont ouverts à ce titre, un montant inédit depuis le début du quinquennat et supérieur de 290 millions d'euros à la moyenne du dépassement constaté entre 2012 et 2016 sur ce poste , qui s'établit à 411 millions d'euros.

Ouvertures de crédits en fin de gestion au titre de la masse salariale de l'État (hors défense) depuis 2012

(en millions d'euros et en %)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Ces besoins proviennent principalement d'une anticipation erronée du glissement vieillesse technicité (GVT) et de la hausse du point d'indice décidée en mars 2016 par le Gouvernement .

Là encore, l'imprévisibilité de ces dépenses peut être remise en question : une partie des besoins découle d'une décision prise par le Gouvernement, et non d'un évènement de force majeure.

Ces ouvertures de crédits démontrent surtout l'incapacité du Gouvernement à maîtriser la masse salariale de l'État .

Répartition des ouvertures au titre de la masse salariale en fin de gestion 2016

(en millions d'euros et en %)

Source : commission des finances du Sénat, d'après le présent projet de décret d'avance

c) 100 millions d'euros de crédits supplémentaires ouverts pour l'hébergement d'urgence (mission « Égalité des territoires et logement »)

De façon désormais classique, des crédits sont aussi ouverts au profit de l'hébergement d'urgence , à hauteur de 100 millions d'euros (en AE=CP). 55 millions d'euros sont également prévus par le projet de loi de finances rectificative et 84 millions d'euros avaient déjà été ajoutés par le précédent décret d'avance, que la commission des finances avait examiné en septembre.

Dotation initiale et exécution budgétaire du programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables »

(en millions d'euros et en %)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Au total, 239 millions d'euros devraient être ouverts en cours d'exercice 2016 au profit de l'hébergement d'urgence , soit un dépassement de plus de 15 % de la dotation allouée en loi de finances initiale.

La budgétisation initiale pour 2017 est donc d'ores et déjà inférieure de 12,5 millions d'euros à l'exécution prévisionnelle pour 2016 .

Le Gouvernement explique les besoins d'ouverture de crédits par la crise migratoire et les évacuations de campements parisiens . Le besoin complémentaire lié à la mise à l'abri des personnes évacuées des campements de Calais et Paris s'élève à 12,2 millions d'euros . Le complément, qui s'élève à 87,8 millions d'euros, touche les dispositifs de droit commun .

Ces ouvertures ne constituent pas une surprise et votre rapporteur général avait déjà souligné en septembre dernier que les crédits prévus ne suffiraient sans doute pas à couvrir les besoins jusqu'à la fin de l'année .

d) 105 millions d'euros au titre de divers dispositifs d'intervention

Enfin, le reliquat des ouvertures, soit 118 millions d'euros, se répartit entre plusieurs dépenses d'intervention.

Répartition des ouvertures de crédits de paiement au titre de diverses dépenses d'intervention

(en millions d'euros et en %)

Source : commission des finances du Sénat, d'après le présent projet de décret d'avance

En autorisations d'engagement, les deux agrégats les plus importants sont l'aide à la recherche au premier emploi (ARPE) , pour 30 millions d'euros, et, pour un montant de 33 millions d'euros, la contribution française à ITER , un réacteur de recherche en fusion nucléaire dont le financement associe une trentaine de pays.

Les bourses de l'enseignement scolaire et de l'enseignement supérieur nécessitent l'ouverture de 20 millions d'euros.

12 millions d'euros sont consacrés aux contrats de service civique et 10 millions d'euros à divers contentieux du ministère de l'intérieur . En réponse au questionnaire de votre rapporteur général, le Gouvernement n'a pas précisé la nature des affaires en cours mais il a indiqué que « les 10 millions d'euros de crédits sollicités dans le cadre du décret d'avance sont destinés à financer des dossiers de contentieux de différentes natures (relatifs notamment à la protection fonctionnelle, aux refus de concours de la force publique, aux attroupements, aux accidents de la circulation, aux contentieux des étrangers ou à d'autres mises en cause de l'État ), portant sur les décisions de justice les plus coûteuses ou à fort enjeu ».

Enfin, doit également être signalé le fonds de soutien pour le développement des activités périscolaires (fonds de soutien pour les rythmes scolaires), qui donne lieu à l'ouverture de 8,5 millions d'euros.


* 1 Ou la constatation de recettes supplémentaires - mais, dans la pratique, ce dernier cas est très rare.

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