C. DE L'EUROSCEPTICISME AU RÉFÉRENDUM POUR LA SORTIE DE L'UNION EUROPÉENNE

1. La montée de l'euroscepticisme britannique à l'origine du référendum

La tendance eurosceptique s'est affirmée au sein de la société britannique et de ses deux grands partis tout au long des années 1990 et 2000. En parallèle, en 1993, un nouveau parti été fondé : le Parti de l'indépendance (UKIP) appelant à la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne.

En 2012, le gouvernement britannique a lancé un audit de la répartition des compétences entre l'Union européenne et le Royaume-Uni qui visait à évaluer la manière dont sont réparties les compétences entre l'État britannique et l'Union européenne tant en fonction des traités existants que de leur pratique. Il s'est achevé en 2014 par la remise de 32 rapports, présentés à la Commission européenne et aux ambassadeurs des pays membres de l'Union 16 ( * ) .

Quatre points devaient faire l'objet d'une réforme de l'Union selon les conclusions de l'audit, les deux premiers étant d'ordre juridique et institutionnel, les deux derniers d'ordre économique et monétaire :

- l'amélioration du processus législatif grâce au renforcement du rôle des parlements nationaux ;

- le rééquilibrage du partage des compétences entre l'Union et les États membres ;

- l'approfondissement du marché intérieur par l'accroissement de la libre circulation des capitaux, et la libéralisation accrue des domaines des services, de l'énergie, des transports et du numérique ;

- et enfin , la non-discrimination des États membres et des États non membres de l'eurozone se traduisant par l'association des pays non-membres aux décisions prises par l'eurozone.

Le 23 janvier 2013, dans un discours dit « de Bloomberg », le Premier ministre David Cameron a annoncé la tenue d'un référendum avant 2017 sur la question du maintien ou non du Royaume-Uni dans l'Union européenne. Le Premier ministre promettait, s'il remportait les élections législatives de 2015, de commencer les « négociations pour un changement fondamental » des termes et conditions de l'adhésion britannique à l'Union européenne. Le parti conservateur a remporté les élections législatives générales le 7 mai 2015. Le Premier ministre a alors immédiatement confirmé sa principale promesse électorale : la tenue du référendum annoncé.

2. Les demandes britanniques préalables au référendum (novembre 2015)

Le 9 novembre 2015, David Cameron a adressé au Président du Conseil européen, M. Donald Tusk, une lettre faisant état des réformes que le Royaume-Uni souhaitait voir se réaliser avant de confirmer son appartenance à l'Union européenne. Le Premier ministre a conditionné sa participation à la campagne en faveur du maintien de son pays au sein de l'Union à l'obtention de résultats probants dans les secteurs suivants 17 ( * ) :

- la compétitivité. Les objectifs étaient triples. Il s'agissait d'approfondir le marché unique en l'élargissant aux secteurs du numérique, des services, des transports et de l'énergie, de réduire la réglementation et de multiplier les accords commerciaux avec des pays comme les États-Unis, la Chine et le Japon ;

- la protection des États hors zone euro, afin que les États non membres ne pâtissent pas des décisions prises par les pays membres de l'eurozone ;

- la souveraineté . Le Royaume-Uni souhaitait la modification de la référence à « une union toujours plus étroite » entre les peuples, prévue par le Préambule du traité de l'Union européenne, ou une exemption britannique dans ce domaine. Le gouvernement britannique demandait aussi le renforcement du système qui permet à plusieurs Parlements de pays membres de se grouper pour bloquer certaines décisions de l'Union.

- et l'aménagement du principe de libre circulation des personnes . Le Royaume-Uni souhaitait qu'un délai de quatre ans soit appliqué avant que les travailleurs européens, non-britanniques, puissent bénéficier des allocations liées à l'emploi (délivrées sous forme d'impôt négatif appelé le complément de salaire), des allocations familiales et de l'aide personnalisée au logement 18 ( * ) .

3. Le « paquet Tusk » de février 2016 : une réponse favorable aux demandes britanniques

Mardi 2 février 2016, le président du Conseil européen, Donald Tusk, en charge des négociations avec le Royaume-Uni, a présenté la réponse de Bruxelles aux demandes britanniques. Composée de plusieurs textes 19 ( * ) , cette réponse a rapidement reçu le nom de « paquet Tusk ».

Ce paquet devrait être juridiquement contraignant, sans changement de traité pour autant. Les États membres indiqueraient ainsi dans l'un des documents composant le « paquet Tusk » leur intention de modifier les traités à une date ultérieure afin notamment de limiter l'applicabilité de la clause de l'« union sans cesse plus étroite » en ce qui concerne le Royaume-Uni. Les institutions européennes s'engageraient de facto à ne pas intenter de recours sur ce fondement dans la période intermédiaire.

Les propositions faites par le Président du Conseil européen ouvraient la voie à un possible consensus, prenant largement en compte les demandes britanniques dans les domaines suivants :

- la compétitivité. Des efforts étaient annoncés pour accroître la compétitivité, simplifier la législation et réduire les obstacles aux échanges commerciaux ;

- la « souveraineté » : l'opt-out sur la clause d'union étroite faisait l'objet d'une acceptation de principe et les droits des Parlements nationaux se voyaient renforcer. Un mécanisme permettant aux Parlements nationaux de l'Union européenne, s'ils sont suffisamment nombreux, de s'opposer à une initiative législative, en appliquant ainsi le principe de subsidiarité défini par les textes européens, était proposé. Ainsi, dans le cas où les avis motivés sur le non-respect du principe de subsidiarité par un projet d'acte législatif de l'Union représentaient plus de 55 % des voix attribuées aux Parlements nationaux, la présidence du Conseil devrait inscrire la question à l'ordre du jour du Conseil afin que ces avis motivés et les conséquences à en tirer fassent l'objet d'une délibération approfondie. À la suite de cette délibération, les représentants des États membres devaient mettre fin à l'examen du projet d'acte en question ou le modifiaient pour prendre en compte les préoccupations exprimées dans les avis motivés ;

- la protection des États hors zone euro. Était annoncée la création d'un mécanisme garantissant aux pays non membres de la zone euro que leurs intérêts seront pris en compte. Ce dispositif ne devait pas constituer un veto ou contribuer à reporter des décisions urgentes pour la sécurité financière et l'équilibre économique de la zone euro. Selon les souhaits britanniques, il était rappelé qu'aucune mesure d'urgence devant aider un membre de la zone euro ne ferait appel à des contributions financières des pays non membres de l'euro et qu'un mécanisme de remboursement serait mis en place si le budget de l'UE devait être mis à contribution pour financer un dispositif d'aide à un pays membre de la zone euro ;

- l'aménagement du principe de libre circulation des personnes , avec la création d'un mécanisme dit de « frein d'urgence » pour les mesures de sécurité sociale dont bénéficient les travailleurs migrants communautaires. Ce mécanisme ne devait pouvoir être mis en oeuvre que pour répondre à une situation qualifiée d'exceptionnelle 20 ( * ) et probablement « en lien » 21 ( * ) avec les autorités européennes .

4. Le résultat du référendum du 23 juin 2016 : le Brexit

Le 23 juin, les Britanniques ont majoritairement voté en faveur d'une sortie de l'Union européenne ou « Brexit ». Le taux de participation a été particulièrement élevé atteignant 72,2 % des inscrits.

Ce sont 51,9 % des votants qui ont choisi le camp du « Leave », soit 17,4 millions de Britanniques.

La carte des régions révèle de nombreuses disparités. En Angleterre, 53,4 % des voix sont allés au Brexit, et 52,5 % des voix au pays de Galles. À l'inverse, le vote pour le maintien du Royaume-Uni dans l'Union européenne l'a largement remporté en Écosse avec 62 % des voix et en Irlande du Nord avec 55,8 % des voix.


* 16 Les conclusions de cet audit sont présentées et analysées dans le rapport n° 420 (2014-2015), précité, de la commission des affaires européennes.

* 17 « Dans un discours prononcé le même jour à Chatham House, l'Institut royal des affaires internationales à Londres, le Premier ministre a assuré qu'il ferait campagne « de tout son coeur et de toute son âme » pour « garder la Grande-Bretagne au sein d'une Union européenne réformée », à condition qu'un maintien dans l'UE soit « sans la moindre ambiguïté dans notre intérêt national ». Il s'est dit convaincu qu'« étant donné les défis auxquels font face les dirigeants européens aujourd'hui », les changements demandés « ne tombent pas dans la boîte marquée : «impossible» ». » Le Monde « David Cameron et l'UE face à face sur le Brexit » 10.11.2015 Par Philippe Bernard et Cécile Ducourtieux.

* 18 Source : article paru dans le Daily Telegraph, en mars 2014, cité dans la publication de la Fondation Robert Schuman du 19 octobre 2015 : « Brexit : un compromis possible entre le Royaume-Uni et les États membres de l'UE ». David Cameron faisait ainsi référence à la nécessité de construire l'Union européenne autour « du droit de travailler et non du droit de réclamer », tout en soulignant la nécessité d'empêcher les « vastes migrations » lorsque de nouveaux pays adhèrent à l'Union européenne.

* 19 Une lettre du Président du Conseil européen, une décision des « chefs d'État et de gouvernements », réunis au sein du Conseil européen, une déclaration des chefs d'État et de gouvernement, qui prévoit l'adoption par le Conseil d'un mécanisme de sauvegarde lié à la zone euro et l'Union bancaire, une déclaration du Conseil européen sur la compétitivité, et trois déclarations de la Commission mettant en oeuvre les décisions qui seraient prises par les chefs d'État et de gouvernements sur la lutte contre les abus en matière de libre circulation des personnes, les restrictions à la mobilité des travailleurs, et la réduction de la charge administrative.

* 20 Il s'agissait de limiter le principe de libre circulation pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique. En outre, si des raisons impérieuses d'intérêt général, telles que la promotion de l'embauche, la réduction du chômage, la protection des travailleurs vulnérables ou la prévention d'un risque d'atteinte grave à l'équilibre financier d'un système de sécurité sociale le justifient, la libre circulation des travailleurs peut être restreinte par des mesures proportionnées à l'objectif légitimement poursuivi.

* 21 Un État membre qui souhaiterait faire usage de ce mécanisme informerait la Commission et le Conseil qu'il est confronté à une situation exceptionnelle de ce type dont l'ampleur affecte des aspects essentiels de son système de sécurité sociale, y compris la finalité première de son régime de prestations liées à l'emploi, ou engendre de graves difficultés qui sont susceptibles de perdurer sur son marché de l'emploi ou qui soumettent à une pression excessive le bon fonctionnement de ses services publics. Sur proposition présentée par la Commission une fois qu'elle a examiné cette notification, le Conseil pourrait, au moyen d'un acte d'exécution, autoriser l'État membre concerné à restreindre l'accès aux prestations sociales liées à l'emploi dans la mesure nécessaire. Cet acte d'exécution autoriserait l'État membre à limiter l'accès des travailleurs de l'Union nouvellement arrivés sur son marché du travail aux prestations liées à l'emploi pendant une durée totale pouvant aller jusqu'à quatre ans à partir du début de l'emploi. La limitation devrait être graduelle : le travailleur serait totalement exclu du bénéfice de ces prestations dans un premier temps, mais il y aurait progressivement accès au fur et à mesure de son rattachement au marché du travail de l'État membre d'accueil.

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