C. L'ÉTAT DOIT SOUTENIR LES COLLECTIVITÉS LOCALES DANS LEUR ACTION

1. Accompagner les collectivités territoriales face aux pressions

Lors de leurs auditions et déplacements, vos rapporteurs ont pu constater que les élus pouvaient être confrontés soit à des pressions parfois très fortes, soit à des actions présentant des risques, ou s'inscrivant en marge de la légalité, voire dans l'illégalité.

Dans le premier cas, on peut ranger les tentatives d'imposer tel ou tel comportement (horaires de piscine différents pour les hommes et les femmes, récriminations sur l'éducation...). Vos rapporteurs ont pu prendre connaissance d'une situation où un maire s'était lui-même placé dans une situation difficile après avoir accepté de trop nombreux accommodements avec certains membres de son équipe municipale, voire avec certains personnels d'autorité de la mairie.

Dans le deuxième cas, figurent notamment les manoeuvres relevant de l'entrisme ou de la prise de pouvoir dans certaines structures jugées stratégiques (associations, régies de quartier, mosquées, MJC....).

Dans le troisième cas, on trouve la question de la déscolarisation de certains enfants et de la constitution connexes d'écoles clandestines.

Il n'existe pas de formule magique pour remédier à ces situations difficiles, mais quelques principes simples peuvent aider les élus :

- le premier est la vigilance à l'égard de toutes les manoeuvres qui pourraient les enfermer dans une posture, notamment à l'occasion des élections municipales. Plusieurs élus ont évoqué les pressions, parfois assorties de menaces plus ou moins voilées, de constitution de listes communautaires si telle condition n'était pas remplie ou si tel individu ne figurait pas sur la liste du maire. La réalité du terrain conduit à dire que ces listes communautaires ont très peu de chances d'aboutir et que, dès lors, céder, sans même faire intervenir de considérations morales ou politiques, s'avère un très mauvais calcul ;

- le second est que l'élu confronté à des difficultés de ce type ne doit pas rester isolé , mais se rapprocher au plus vite des services de l'État, en l'espèce de la préfecture, qui lui donnera des pistes d'actions et de conduites à tenir.

De leur côté, les préfets doivent bien sûr se mettre en capacité d'accueillir les élus et de les accompagner, ce qui exige une organisation à cet effet des cabinets des préfets et des sous-préfets d'arrondissement. Vos rapporteurs soulignent à cet égard l'initiative prise par le préfet du Val-d'Oise, qui a constitué un groupe local d'appui à une municipalité visée par de fortes pressions.

Recommandation n° 17 : Se mettre en capacité d'accompagner les élus locaux face à leurs éventuelles difficultés liées à la radicalisation.

Destinataires : Préfets.

2. L'État doit jouer tout son rôle aux côtés des collectivités sur les territoires

Au-delà de cet accompagnement, l'État doit pleinement jouer son rôle en exerçant les missions qui lui reviennent. C'est particulièrement le cas en matière de contrôle de l'obligation scolaire ou du fonctionnement des établissements scolaires privés hors contrat.

Dans les départements visités, vos rapporteurs ont pu constater une récente et forte progression du nombre d'élèves quittant le système public d'éducation. À titre d'exemple, dans le Val-d'Oise on passe de 247 élèves « instruits dans la famille » pour l'année 2014-2015 à 314 pour l'année 2015-2016, soit une augmentation de 27%. Certes, tous ne sont pas des enfants soumis à une éducation islamiste, mais l'évolution des chiffres témoigne d'une dynamique nouvelle et préoccupante.

Or, vos rapporteurs ont pu constater que, dans plusieurs départements, les moyens affectés par l'Éducation nationale au contrôle des situations ne semblaient pas adaptés à l'étendue du problème. À l'inverse, dans un département comme le Haut-Rhin, l'inspection d'académie a jugé indispensable d'orienter l'action de ses services sur ce type de contrôle.

Il revient aux préfets, dans leur département, de sensibiliser les inspecteurs, recteurs d'académie et directeurs académiques des services de l'Éducation nationale à cette problématique, qui devrait être régulièrement analysée en état-major de sécurité.

Recommandation n° 18 : Affecter des moyens suffisants au contrôle de l'obligation scolaire et du fonctionnement des écoles privées hors contrat.

Destinataires : Préfets, recteurs d'académie, directeurs académiques des services de l'Éducation nationale.

Recommandation n° 19 : Inscrire régulièrement la question de la scolarisation des enfants à l'ordre du jour des états-majors de sécurité.

Destinataires : Préfets, recteurs d'académie, directeurs académiques des services de l'Éducation nationale.

3. Le financement des actions de prévention de la radicalisation

Le Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) constitue la principale source de financement à disposition des collectivités territoriales pour des missions de prévention et de lutte contre la radicalisation et le terrorisme.

Ce fonds a été créé par la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance. Initialement destiné « à financer la réalisation d'actions dans le cadre des plans de prévention de la délinquance et dans le cadre de la contractualisation mise en oeuvre entre l'État et les collectivités territoriales en matière de politique de la ville », sa mission a été élargie, suite aux attentats de 2015 et 2016, à la lutte contre le terrorisme.

a) Des moyens financiers en augmentation

Doté de 52,9 millions d'euros par la loi de finances pour 2015, il a fait l'objet d'abondements successifs dans le cadre de renforcement du dispositif de lutte contre le terrorisme. Ainsi, le Gouvernement a annoncé le 21 janvier 2015 un abondement de 60 millions d'euros sur 3 ans, dont 20 millions d'euros dès 2015.

En 2016, le FIPD a été doté d'un montant de 69,40 millions d'euros, dont 17,7 millions d'euros dédiés au financement des actions de lutte contre la radicalisation. Il atteint pour 2017 80,4 millions d'euros , dont 47,5 millions d'euros pour la lutte contre le terrorisme et la radicalisation . La dotation du FIPD a donc augmenté de plus de 50% en trois ans. Quant aux crédits consacrés à la lutte contre la radicalisation et au terrorisme, ils ont augmenté de 137%.

Dotation du FIPD (2015-2017)

Si le fonds interministériel de prévention de la délinquance prend en compte les questions de terrorisme et de radicalisation, vos rapporteurs regrettent qu'il fasse de la prévention de ceux-ci le parent pauvre . En effet, sur les 20 millions d'euros mobilisés en 2015, seuls 6 millions sont consacrés à la prévention de la radicalisation au niveau déconcentré, le reste étant réparti entre les trois autres priorités définies par la circulaire du 23 mars 2015 60 ( * ) . Et, si l'enveloppe consacrée à la prévention de la radicalisation augmente (9 millions d'euros en 2016 ; 15,1 millions d'euros en 2017), vos rapporteurs constatent pour 2017 la proportion moindre que représente la prévention de la radicalisation dans l'enveloppe consacrée à la lutte contre la radicalisation et le terrorisme. En effet, en 2016, les crédits destinés à la prévention de la radicalisation représentaient 48 % de l'enveloppe consacrée à la lutte contre la radicalisation et le terrorisme, alors qu'en 2017 cette proportion dépasse à peine les 30% .

Vos rapporteurs regrettent ainsi, alors même que l'on fait face à une augmentation du nombre de personnes radicalisées, que l'augmentation des crédits consacrés à la prévention de la radicalisation ne soit pas proportionnelle à ceux consacrés à la lutte contre le terrorisme et la radicalisation en général.

b) Des priorités définies et une association des collectivités territoriales

Plusieurs circulaires du Secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation précisent les projets pouvant faire l'objet d'un soutien financier du FIPD au titre de la lutte contre le terrorisme et la radicalisation. Il s'agit notamment, aux termes de la circulaire du 23 mars 2015, intégrant dans le FIPD la thématique du terrorisme et de la radicalisation :

- de la prévention de la radicalisation, par la mise en place de référents de parcours pour accompagner les jeunes concernés et leurs familles, la mobilisation de postes de psychologues et psychiatres formés à la radicalisation, la mise en place d'actions éducatives, citoyennes, d'insertion sociale et professionnelle « sous réserve qu'elles soient ciblées en direction des jeunes dont les situations sont traitées par les cellules de suivi des préfets », des actions de soutien à la parentalité en direction des familles concernées ;

- du renforcement de la vidéoprotection des sites sensibles ;

- de la sécurisation (hors vidéo) des sites sensibles ;

- de l'équipement des polices municipales.

Le rôle des collectivités territoriales est reconnu : en effet, les circulaires qui mentionnaient initialement seulement les cellules départementales de suivi mises en place par le préfet, font désormais explicitement référence au plan d'action contre la radicalisation et le terrorisme du 9 mai 2016 prévoyant notamment un renforcement du partenariat avec les collectivités territoriales. Les préfets doivent ainsi « structurer un réseau pluridisciplinaire d'acteurs en capacité d'inscrire durablement leurs interventions en appui des cellules départementales, et tout particulièrement dans le cadre des plans d'action des contrats de ville et des conseils locaux et sécurité de prévention de la radicalisation ».

Les préfets sont également encouragés à établir avec les communes et intercommunalités un partenariat. La circulaire du 16 janvier 2017 poursuit la volonté de « mieux associer » les collectivités territoriales, « notamment les conseils départementaux du fait de leur compétence dans le champ social et de la protection de l'enfance » , ainsi que les communes via les comités locaux de sécurité et de prévention de la délinquance.

En outre, la circulaire du 16 janvier 2017 ouvre la possibilité d'un financement, dans la limite de 20% de la programmation préfectorale des actions de formation et de sensibilisation à destination des acteurs locaux , dont les agents des collectivités territoriales. Enfin, 3 millions d'euros sont consacrés au financement des annexes aux contrats de ville dédié à la lutte contre la radicalisation.

Toutefois, vos rapporteurs ont été alertés par les problèmes rencontrés par les collectivités territoriales pour bénéficier de ces fonds. Ainsi, Grégoire Le Blond, maire de Chantepie et représentant de l'APVF lors de la table ronde des associations d'élus organisée au Sénat le 23 novembre 2016 soulignait la difficulté rencontrée par les petites villes pour avoir accès à ce fonds. C'est notamment le cas pour le financement de la vidéosurveillance : « depuis les attentats, les enveloppes sont réservées sur les plus grandes agglomérations » . En outre, les projets pouvant bénéficier d'un financement au titre du FIPD sont strictement délimités . À titre d'exemple, il a été souligné que « les petites villes, plus en difficulté par exemple pour créer un poste de médiateur des rues, ne peuvent pas bénéficier d'une aide de l'État pour ces projets, non fléché dans le FIPD ». Or, la vidéosurveillance ne peut suffire à elle-seule en termes de prévention de la radicalisation. La présence de personnels sur le terrain pour dialoguer avec la population est nécessaire et permet de témoigner du non-abandon par les services publics de certains quartiers.

Enfin, comme en témoignent plusieurs élus locaux dans la consultation réalisée par vos rapporteurs, le FIPD est « un fonds d'amorçage ». La commune se retrouve alors seule financièrement pour poursuivre l'action dans le temps. Or, les collectivités locales sont déjà confrontées à de fortes contraintes budgétaires, notamment en raison de la baisse des dotations depuis 2015, alors même que les besoins d'action en matière de lutte contre la radicalisation et le terrorisme sont en croissance.

Aussi, vos rapporteurs attirent l'attention du Gouvernement sur la nécessité de pérenniser les subventions du FIPD a minima à moyen terme, sous réserve d'une évaluation positive, afin de permettre aux collectivités locales de mener à bien leurs actions dans le temps.

Recommandation n° 20 : Consacrer davantage de moyens à la prévention de la radicalisation proprement dite dans l'enveloppe du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) consacrée à la lutte contre le terrorisme et la radicalisation.

Destinataire : SG-CIPDR

Recommandation n° 21 : Pérenniser les subventions du FIPD, a minima à moyen terme, afin de permettre aux collectivités de mener à bien leurs actions, dans un contexte marqué par de fortes contraintes budgétaires.

Destinataire : SG-CIPDR


* 60 Renforcement de la vidéoprotection des sites sensibles, sécurisation (hors vidéo) des sites sensibles, équipements des polices municipales (gilets pare-balles et terminaux portatifs de radiocommunication).

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