III. REVOIR LES CONDITIONS DE CONTRÔLE AUX FRONTIÈRES INTÉRIEURES

Pour de nombreux citoyens européens, la liberté de circulation dans l'espace Schengen sans contrôle aux frontières intérieures est un acquis de la construction européenne à préserver. Le renforcement du contrôle aux frontières extérieures, s'il est indispensable au bon fonctionnement de l'espace Schengen, ne saurait toutefois suffire face au risque terroriste. Force est de constater que, dans certaines circonstances exceptionnelles, les contrôles aux frontières intérieures peuvent être utiles. Pour autant, aucun des interlocuteurs entendus par votre commission d'enquête ne préconise le rétablissement de l'ensemble des infrastructures de contrôle aux points de passage frontaliers préexistant avant 1995.

L'expérience de l'année écoulée l'a montré : Schengen doit être repensé en des termes plus dynamiques et prévoir des modalités de contrôle aux frontières intérieures plus mobiles et plus souples , rendues aujourd'hui possibles grâce aux nouvelles technologies et au développement des systèmes d'information. L'objectif est de rechercher un équilibre - difficile et parfois précaire - entre liberté de circulation et sécurité au sein de l'espace Schengen.

A. EN CAS DE MENACE PERSISTANTE POUR LA SÉCURITÉ INTÉRIEURE, ÉTENDRE LA POSSIBILITÉ DE RÉTABLISSEMENT DU CONTRÔLE AUX FRONTIÈRES INTÉRIEURES

Six États membres de l'espace Schengen maintiennent à ce jour des contrôles à tout ou partie de leurs frontières intérieures : au motif de la persistance de la menace terroriste dans le cas de la France, et ce dans le cadre général de réintroduction prévu par l'article 25 du code frontières Schengen, et sur le fondement de l'article 29 dudit code dans le cas de l'Allemagne, de l'Autriche, du Danemark, de la Suède et de la Norvège, en raison de « circonstances exceptionnelles mettant en péril le fonctionnement global de l'espace sans contrôle aux frontières intérieures ». Pour ce dernier groupe de pays, la prolongation des contrôles a été autorisée par le Conseil de l'Union européenne jusqu'au 11 mai 2017. En principe, une seule nouvelle prolongation est autorisée, pour une durée de six mois tout au plus.

Dans une lettre du 20 février 2017 adressée à la Commission, les ministres de l'intérieur allemand et français, MM. Thomas de Maizière et Bruno Le Roux, ont indiqué que « la persistance de la menace terroriste et l'efficacité des contrôles actuels aux frontières intérieures témoignent de la nécessité de procéder à la révision du code frontières Schengen relative à la réintroduction temporaire des contrôles aux frontières intérieures en cas de menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure . Les contrôles doivent être rétablis pour des durées supérieures à celles prévues actuellement ».

En effet, aux termes des articles 25 et 27 du code frontières Schengen, en cas de menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure, un Etat membre est autorisé à réintroduire le contrôle aux frontières intérieures « pendant une période limitée d'une durée maximale de trente jours ou pour la durée prévisible de la menace grave si elle est supérieure à trente jours ». En cas de persistance de la menace, les prolongations sont possibles « pour des périodes renouvelables ne dépassant pas trente jours », la durée totale ne pouvant pas excéder six mois . Ce n'est que dans les circonstances visées à l'article 29 de « péril du fonctionnement global de l'espace Schengen » que cette durée totale peut être étendue à deux ans. Ainsi, le code frontières Schengen n'envisage pas la persistance d'une menace sécuritaire au-delà de six mois .

Pour autant, le directeur général de la sécurité intérieure au ministère de l'intérieur, M. Patrick Calvar, a confirmé aux membres de votre commission d'enquête que « le niveau de cette menace [terroriste] reste à un seuil particulièrement élevé et [que] rien ne permet de dire qu'il baissera dans les mois à venir ». De plus, votre commission d'enquête a pu constater lors de déplacements effectués à différents points de passage autorisés que les contrôles aux frontières intérieures présentent un intérêt dans la lutte contre le terrorisme : par exemple, à l'aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, les contrôles opérés sur les vols « intra-Schengen » ont permis d'identifier 55 personnes recherchées, dont huit faisant l'objet d'une « fiche S » entre le 1 er janvier et le 16 février 2017. De surcroît, du point de vue de M. Patrick Calvar « le rétablissement de contrôles à nos frontières a le mérite de déstabiliser les auteurs potentiels d'attentats, susceptibles d'être interceptés à tout moment ».

Dans le contexte de retour d'Irak et de Syrie de milliers de combattants terroristes étrangers européens partis rejoindre l'organisation État islamique et de leurs familles, le niveau de menace terroriste auquel la France et d'autres pays européens sont aujourd'hui confrontés est particulièrement élevé. À cette situation exceptionnelle, l'Europe doit apporter une réponse exceptionnelle. À défaut, elle ne pourra qu'alimenter l'incompréhension à l'égard de l'espace Schengen et de son fonctionnement, voire le rejet.

Votre commission d'enquête est, par conséquent, favorable à une révision ciblée du code frontières Schengen en vue d' autoriser la réintroduction du contrôle aux frontières intérieures pour une durée maximale supérieure à six mois en cas de menace persistante pour l'ordre public ou la sécurité intérieure. La réintroduction du contrôle ayant vocation à demeurer une mesure temporaire, cette faculté d'extension devrait s'effectuer dans le respect des principes inscrits dans le code frontières Schengen , à savoir :

- la proportionnalité des mesures ;

- l'évaluation de leur incidence sur la libre circulation des personnes au sein de l'espace sans contrôle aux frontières intérieures ;

- enfin, l'autorisation continuerait d'être accordée pour une période définie, renouvelable, seule la durée maximale étant modifiée pour être portée de six mois à deux ans. La prolongation du rétablissement du contrôle au-delà de deux ans pour un même motif demeurerait possible, mais serait soumise à une clause de réexamen en vue d'évaluer l'impact de la mesure au cours des deux années précédentes et devrait faire l'objet d'un avis positif de la Commission et d'une décision du Conseil.

La durée maximale de deux ans prévue à l'article 29 du code frontières Schengen relatif aux circonstances exceptionnelles mettant en péril le fonctionnement de l'espace serait, quant à elle, conservée.

Proposition n° 17 : procéder à une révision du code frontières Schengen afin d'autoriser le rétablissement du contrôle aux frontières intérieures pour une durée maximale supérieure à six mois et limitée à deux ans en cas de persistance d'une menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure. Au-delà de deux ans, la prolongation serait soumise à une clause de réexamen

Depuis le 13 novembre 2015, la réintroduction des contrôles aux frontières en France mobilise un nombre important d'agents de la police aux frontières et des douanes, mais aussi de la gendarmerie, des compagnies de CRS et de l'armée. En outre, le contrôle aux points de passage autorisés s'est révélé difficile en raison du démantèlement en 1995 des installations initialement prévues à cet effet. C'est ce qu'ont pu constater les délégations de votre commission d'enquête qui se sont rendues à Kehl et à l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, dans les terminaux dévolus aux vols « intra-Schengen ».

Dans l'hypothèse, hautement probable, d'un prolongement des contrôles aux frontières intérieures françaises après juillet 2017, le développement des contrôles mobiles à l'aide d'outils - tablettes ou smartphones - connectés aux bases de données pertinentes, au premier rang desquelles le SIS, VIS et Eurodac, doit être encouragé et soutenu. Pour M. David Skuli, les modalités de contrôle doivent profondément changer et être plus flexibles pour s'adapter à des situations de rétablissement fréquent ou prolongé des contrôles aux frontières intérieures : « S i je procède à un contrôle [...] à Orléans, il faut, qu'avec une tablette ou un smartphone, je puisse avoir accès aux bases de données Schengen et Eurodac et que je dispose d'un capteur multi-doigts me permettant de contacter la base des visas. Telle est la modernité du contrôle [...] à laquelle il nous faut parvenir, si l'on ne souhaite pas rétablir des guérites à chaque kilomètre ! ».

Proposition n° 18 : développer les moyens de contrôle en mobilité, à l'aide d'outils connectés aux systèmes d'information européens (SIS, VIS, Eurodac)

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