N° 495

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2016-2017

Enregistré à la Présidence du Sénat le 4 avril 2017

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) par la mission d'information sur le redressement de la justice ,

Par M. Philippe BAS,
Président-rapporteur,

Mme Esther BENBASSA, MM. Jacques BIGOT, François-Noël BUFFET,
Mme Cécile CUKIERMAN, MM. Jacques MÉZARD et François ZOCCHETTO,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; Mme Catherine Troendlé, MM. Jean-Pierre Sueur, François Pillet, Alain Richard, François-Noël Buffet, Alain Anziani, Yves Détraigne, Mme Éliane Assassi, M. Pierre-Yves Collombat, Mme Esther Benbassa , vice-présidents ; MM. André Reichardt, Michel Delebarre, Christophe-André Frassa, Thani Mohamed Soilihi , secrétaires ; MM. Christophe Béchu, Jacques Bigot, François Bonhomme, Luc Carvounas, Gérard Collomb, Mme Cécile Cukierman, M. Mathieu Darnaud, Mme Jacky Deromedi, M. Félix Desplan, Mme Catherine Di Folco, MM. Christian Favier, Pierre Frogier, Mme Jacqueline Gourault, M. François Grosdidier, Mme Sophie Joissains, MM. Philippe Kaltenbach, Jean-Yves Leconte, Roger Madec, Alain Marc, Didier Marie, Patrick Masclet, Jean Louis Masson, Mme Marie Mercier, MM. Michel Mercier, Jacques Mézard, Hugues Portelli, Bernard Saugey, Simon Sutour, Mmes Catherine Tasca, Lana Tetuanui, MM. René Vandierendonck, Alain Vasselle, Jean-Pierre Vial, François Zocchetto .

AVANT-PROPOS DU PRÉSIDENT

La justice va mal. Ses délais ne cessent de s'allonger. En dix ans, ils sont passés de sept mois et demi à près d'un an pour les tribunaux de grande instance. Dans le même temps, le stock d'affaires en attente d'être jugées a augmenté de plus de 25 % pour les juridictions civiles. Or, le nombre de magistrats et de greffiers diminue, les vacances de postes sont devenues endémiques : actuellement, près de 500 postes de magistrats et 900 postes de greffiers ne sont pas pourvus.

Nous sommes proches de l'embolie. Chaque année, ce sont plus de 2,7 millions d'affaires civiles et plus de 1,2 million d'affaires pénales nouvelles dont les juridictions sont saisies.

Pour des centaines de milliers de Français chaque année, la justice c'est d'abord les litiges relatifs au loyer, au bornage, au crédit à la consommation, aux saisies sur salaire, aux saisies immobilières, aux servitudes de passage, à l'état civil, au droit du travail, au recouvrement de créances et, bien sûr, aux divorces, à la garde des enfants et aux pensions alimentaires.

À l'égard de tous ces concitoyens en demande de justice, les tribunaux doivent avant tout répondre à un impératif de service public : qualité, facilité d'accès, simplicité de fonctionnement, rapidité et, bien sûr, effectivité de l'exécution des jugements. Il suffit d'énoncer toutes ces exigences pour mesurer le chemin qui reste à accomplir pour que la justice réponde pleinement aux attentes des Françaises et des Français. En attestent aussi les lenteurs et les dysfonctionnements de l'aide juridictionnelle et l'incroyable complexité du partage des rôles entre le tribunal d'instance et le tribunal de grande instance. Dans notre pays, le chemin de l'accès au droit demeure trop souvent labyrinthique.

Il ne faut donc pas s'étonner de l'essor fulgurant des sites internet qui proposent une palette de plus en plus large de services permettant à nos concitoyens de traiter leurs litiges, selon un modèle déjà entré dans les moeurs aux États-Unis. De plus en plus de justiciables règleront ainsi leurs différends par référence aux jurisprudences des tribunaux, mais en dehors des tribunaux. Acceptable, et même souhaitable à certains égards, cette évolution inéluctable n'est pas sans risques et doit donc être maîtrisée.

Votre mission croit à la vertu irremplaçable du juge pour rendre une justice impartiale, conforme à la loi et reposant sur une appréciation exacte et individuelle de chaque situation. Cependant, elle relève que le marché du droit est en pleine expansion et que, sur ce marché, les tribunaux n'ont plus de monopole. C'est une raison supplémentaire d'appeler à des réformes profondes de modernisation de notre institution judiciaire, qui supposeront l'engagement de tous les magistrats et personnels des greffes.

Quant à la chaîne pénale, elle se caractérise par un phénomène de saturation, qui prend deux formes : tout d'abord, de l'ordre de 100 000 condamnations à une peine de prison ferme sont en attente d'exécution, dont une grande partie donne lieu à des peines de substitution, et une autre, très faible mais difficile à chiffrer, ne donnera jamais lieu au moindre commencement d'exécution ; ensuite, près de 70 000 détenus sont enfermés en France alors que la capacité de nos prisons n'est que de 58 000 places.

Surtout, la préoccupation de la prévention de la récidive, et plus généralement celle de la réinsertion des personnes condamnées, demeure insuffisamment prise en compte par notre système pénitentiaire. Les modalités de la détention ne sont adaptées ni à la diversité des situations des condamnés et des prévenus ni à l'exigence d'un suivi individualisé de qualité pour prévenir la récidive.

Les comparaisons internationales font apparaître que la situation française se caractérise par une sous-capacité pénitentiaire. La France dispose de 86 places de prison pour 100 000 habitants, là où l'Allemagne en compte 91 et l'Angleterre 152. Quant aux alternatives à la prison, elles sont également moins développées en France que dans les pays comparables. Si les aménagements de peines sous forme de surveillance électronique ont augmenté de plus de 50 % en 2011, ils sont restés stationnaires depuis lors.

Pour rattraper son retard et créer des conditions de détention et d'application des peines dignes d'un grand pays moderne et assurer une meilleure prévention de la récidive, la France doit impérativement revoir en profondeur ses moyens et ses pratiques.

*

* *

Selon votre mission, l'enjeu essentiel du redressement de la justice n'est pas le bouleversement de l'institution judiciaire, mais la modernisation de son fonctionnement.

Au cours de notre plongée de neuf mois dans le monde de la justice, jamais ou presque la question du manque d'indépendance n'a spontanément été soulevée, sauf pour ce qui concerne l'achèvement de la révision constitutionnelle relative à la nomination et à la discipline des magistrats du parquet. En effet, l'indépendance est profondément ancrée, non seulement dans notre droit, mais aussi dans la culture et les pratiques des magistrats. Elle est un bien précieux que la justice doit défendre et chérir dans l'intérêt des justiciables. Solidement établie, elle n'est en rien menacée. Elle n'est d'ailleurs pas un obstacle à la modernisation nécessaire de l'activité juridictionnelle.

La séparation constitutionnelle des juridictions administratives et des juridictions judiciaires, la mission essentielle du Gouvernement, responsable devant le Parlement, pour la bonne administration du service public de la justice, l'unité indissoluble du corps des magistrats, le rôle du garde des sceaux dans la définition de la politique pénale constituent sans doute, avec d'autres questions passionnantes pour les constitutionnalistes, des thématiques de grande portée symbolique et politique. Aucune de ces thématiques n'a cependant le moindre impact sur le traitement des difficultés actuelles du service public de la justice si l'on se place du point de vue du citoyen en attente de la décision du juge.

C'est pourquoi votre mission a concentré ses réflexions et ses propositions sur la question des moyens, de l'organisation et de la gestion des juridictions plutôt que sur la conception de réformes institutionnelles sans portée concrète.

Philippe Bas
Président de la commission des lois du Sénat,
Président-rapporteur de la mission d'information
sur le redressement de la justice

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