IV. LA MÉTHODE DU REDRESSEMENT DE LA JUSTICE : UNE LOI DE PROGRAMMATION POUR DÉFINIR LES RÉFORMES ET RELEVER LES MOYENS DANS LA DURÉE

Outre la présentation des propositions qu'elle estime nécessaires pour assurer le redressement de la justice, votre mission s'est aussi attachée à envisager la méthode qu'il conviendrait de suivre pour les mettre en oeuvre. Ces propositions de réforme se répartissent entre un volet budgétaire et un volet structurel , ces deux volets devant être élaborés de façon concertée avec les acteurs du monde judiciaire, puis discutés conjointement, l'un assurant la crédibilité et la justification de l'autre, dans le cadre d'une loi quinquennale de programmation pour la justice , concernant aussi bien les juridictions que l'administration pénitentiaire, la protection judiciaire de la jeunesse 385 ( * ) ou bien l'administration du ministère de la justice.

Compte tenu des critiques récurrentes sur le défaut d'évaluation des moyens humains, financiers ou informatiques nécessaires à la mise en oeuvre et à la réussite des réformes judiciaires, cette concertation devra s'appuyer sur des études d'impact approfondies et régulièrement actualisées , comme le propose par principe votre mission pour toutes les réformes judiciaires 386 ( * ) .

Plus largement, parallèlement à la sanctuarisation des crédits alloués à l'autorité judiciaire, votre mission tient à insister sur le besoin de stabilité législative de l'institution judiciaire . De nombreuses réformes ont accru ou perturbé au fil des dernières années le travail des juridictions : les prochaines réformes doivent être mieux préparées et suivies d'une pause législative en matière civile et pénale.

A. UNE LOI DE PROGRAMMATION DES MOYENS ET DES RÉFORMES DE LA JUSTICE SUR CINQ ANS

Considérant que le redressement des moyens de la justice doit être inscrit dans la durée, tout en étant associé aux réformes structurelles qui en seront la justification, votre mission juge nécessaire que soit présenté, au début de la prochaine législature , un projet de loi de programmation des moyens et des réformes de la justice sur cinq ans .

En effet, depuis la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice, aucune loi de programmation globale n'a été adoptée dans le domaine de la justice 387 ( * ) .

L'article 34 de la Constitution dispose que « des lois de programmation déterminent les objectifs de l'action de l'État » 388 ( * ) .

Cette loi de programmation serait destinée à fixer la trajectoire de redressement des crédits, de fonctionnement comme d'investissement, et des effectifs des différents programmes de la mission budgétaire « Justice », en particulier les quatre programmes « Justice judiciaire », « Accès au droit et à la justice », « Administration pénitentiaire » et « Protection judiciaire de la jeunesse ». Elle devrait également comporter un plan de modernisation de l'organisation et du fonctionnement de la justice, déclinant les différentes réformes de niveau législatif proposées par votre mission.

Un tel texte permettrait de donner davantage de visibilité tant à la progression des effectifs et des moyens qu'aux réformes qui seront mises en oeuvre sur la même période de cinq ans, en particulier pour les magistrats et les différents personnels de la justice. Il devrait également inclure une mise à niveau du parc immobilier judiciaire et pénitentiaire.

Les objectifs, les orientations sur cinq ans et le contenu des réformes en faveur de la justice seraient détaillés dans un rapport annexé à la loi de programmation, avec un calendrier précis de mise en oeuvre.

Le volet législatif de loi de programmation permettrait de prévoir, dès le commencement de son application, les réformes d'organisation et de fonctionnement qui seraient mises en oeuvre sur la même période, avec des échéances précises et progressives pour leur entrée en vigueur. La plupart de ces réformes se traduiraient par des modifications du code de l'organisation judiciaire. Les propositions portant sur l'aide juridictionnelle conduiraient à modifier la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et le code général des impôts.

Par exemple, les dispositions relatives à la création du tribunal de première instance seraient adoptées en début de législature, pour une mise en oeuvre progressive sur la période de cinq ans, pour permettre de réaliser les conditions préalables majeures à sa mise en place, à savoir la résorption des vacances de postes dans les juridictions - laquelle sera prévue dans le cadre de l'application de la loi de programmation - et la mise à niveau de l'informatique judiciaire civile, en particulier l'achèvement du projet Portalis dans sa version finale - laquelle sera présentée dans le rapport annexé à la loi de programmation, car il ne s'agit pas d'une mesure de nature législative.

Le projet de loi de programmation, comme l'exige la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution, devra être accompagné d'une étude d'impact. Un soin particulier devra être apporté à l'élaboration de cette étude d'impact, au regard des critiques formulées par votre mission quant à la qualité des études d'impact et des évaluations réalisées sur les textes législatifs concernant le ministère de la justice.

Ainsi conçue, la loi de programmation permettra de soumettre à un examen parlementaire conjoint les composantes budgétaire et structurelle de la réforme de la justice . Le rapport annexé permettra aussi au Parlement de débattre des objectifs et des orientations de cette réforme, ainsi que des mesures non législatives, qui seront présentés dans ce rapport.

Comme la défense, les affaires étrangères ou encore la lutte contre le terrorisme, la justice, mission régalienne par excellence, doit échapper aux aléas des confrontations politiques et recueillir un certain consensus national de la part des différentes familles politiques. La loi de programmation doit être conçue dans un tel esprit, en recherchant l'accord le plus large sur les évolutions budgétaires et les réformes structurelles qu'elle comportera.

Par la suite, la déclinaison dans les lois de finances successives du volet budgétaire de la loi de programmation pour la justice devra respecter les choix initiaux approuvés par le Parlement, sous peine d'altérer l'esprit ou la crédibilité de la réforme. Il faut relever que, depuis 2002, la période au cours de laquelle les crédits alloués au ministère de la justice ont cru le plus fortement était celle couverte par la dernière loi de programmation.

L'objectif ultime est bien de rétablir durablement la confiance dans l'institution judiciaire , de la part des justiciables, des magistrats ainsi que des fonctionnaires des services judiciaires et des services pénitentiaires. Tel est l'esprit dans lequel a travaillé votre mission.

Proposition n° 126 :

Présenter au début de la prochaine législature un projet de loi de programmation, sur cinq ans, du redressement des crédits et des effectifs ainsi que des réformes d'organisation et de fonctionnement de la justice.

Votre mission a cherché à chiffrer l'ampleur de l'effort budgétaire nécessaire au redressement de la justice, en estimant l'impact des principales propositions qu'elle formule en termes de crédits 389 ( * ) .

Toutefois, ces estimations peuvent difficilement prendre en compte avec une totale exactitude les augmentations de dépenses résultant de l'ensemble des propositions, de même que l'impact de facteurs extérieurs pesant sur les dépenses de justice, en particulier le flux contentieux de nouvelles affaires. Par ailleurs, certaines propositions, si elles n'ont pas une finalité de maîtrise budgétaire, peuvent conduire à réaliser des économies.

Aussi les estimations qui suivent ont-elles avant tout une valeur indicative de l'effort budgétaire global à accomplir en cinq ans, concernant les juridictions judiciaires et l'administration pénitentiaire.

Votre mission considère que le budget du ministère de la justice doit progresser, sur la période de la loi de programmation, de 2017 à 2022, de l'ordre de 5 % par an , pour se rapprocher des 11 milliards d'euros en 2022 . Les tableaux ci-après montrent l'évolution de ce budget depuis 2002, ainsi que la projection envisagée pour 2022.

Évolution des crédits du ministère de la justice depuis 2002 et projection pour 2022

2002

2007

2012

2017

Cible 2022

Budget
du ministère de la justice 390 ( * )

4,518

6,198

7,392

8,542

10,902

2002-2007

2007-2012

2012-2017

2017-2022

Progression sur cinq ans

37,18 %

19,27 %

15,56 %

27,63 %

Taux annuel moyen
de progression

6,52 %

3,58 %

2,93 %

5,00 %

Reposant sur les estimations réalisées par la mission, la valeur cible de 2022 revêt une dimension d'abord indicative de l'effort budgétaire global à accomplir en cinq ans, concernant la justice, en particulier en faveur des juridictions judiciaires et de l'administration pénitentiaire.

Outre l'évolution générale des crédits et la progression des moyens correspondant à d'autres priorités, en particulier la protection judiciaire de la jeunesse, le montant supplémentaire de 2,4 milliards d'euros en 2022 par rapport à 2017 comprend notamment le coût des mesures ayant un impact budgétaire significatif, que votre mission a tenté de chiffrer. L'estimation du coût de ces mesures est présentée dans le tableau ci-après, pour les différents programmes budgétaires concernés.

Pour celles qui ont pu être estimées, ces mesures représentent un coût global de 836 millions d'euros , hors programme d'accroissement des capacités du parc pénitentiaire . Concernant ce programme, votre mission ne se prononçant pas sur les modalités de construction et sur le recours ou non à des contrats de partenariat, le coût global du programme est estimé, en cas de maîtrise d'ouvrage publique, à 1,8 milliards d'euros, alors que le coût annuel en cas de partenariat public-privé s'élèverait à 900 millions d'euros. Pour des raisons de commodité de lecture, le tableau retient ce second chiffre pour apprécier l'effort budgétaire annuel, qui se monterait à 1,736 milliards d'euros en 2022 .

N'ont pas pu être chiffrés les coûts de deux mesures liées au régime indemnitaire des personnels judiciaires et de deux mesures concernant l'aide juridictionnelle.

Source : commission des lois du Sénat.

Par ailleurs, votre mission a aussi voulu identifier les propositions susceptibles de produire des économies, voire d'apporter des recettes pour l'aide juridictionnelle, quand bien même ce ne serait pas la première finalité recherchée par ces propositions :

- diminution du nombre de chefs de juridiction en raison de la création du tribunal de première instance ;

- transfert de compétence en matière de contentieux des entreprises du tribunal de grande instance vers le tribunal de commerce ;

- réduction du nombre de conseillers de prud'hommes ;

- réduction du nombre de cours d'appel ;

- renforcement de la conciliation et des modes alternatifs de règlement des litiges, y compris sous forme dématérialisée ;

- développement d'outils informatiques plus performants et dématérialisation des procédures ;

- déjudiciarisation de certaines procédures civiles et dépénalisation de certains délits ;

- rétablissement de la contribution pour l'aide juridique ;

- développement du paiement de l'avocat à l'aide juridictionnelle par la partie adverse qui succombe ;

- simplification des circuits financiers de l'aide juridictionnelle ;

- meilleur contrôle de l'attribution de l'aide juridictionnelle ;

- mobilisation des contrats d'assurance de protection juridique ;

- maîtrise des frais de justice.


* 384 Les référents ont été créés par la circulaire du 2 septembre 2011 relative aux modalités d'organisation de la reprise des missions d'extractions judiciaires par le ministère de la justice et des libertés.

* 385 Compte tenu du calendrier et du périmètre de ses travaux, la mission d'information n'a pas eu la possibilité d'approfondir les questions intéressant la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), ni de se rendre à l'école nationale de la PJJ à Roubaix, mais le même travail d'évaluation des besoins et de propositions de réforme devra être réalisé.

* 386 Voir supra page 113 .

* 387 Hormis la loi n° 2012-409 du 27 mars 2012 de programmation relative à l'exécution des peines, au champ très circonscrit.

* 388 Il n'y aurait pas d'obligation de saisir le Conseil économique, social et environnemental, au titre de l'article 70 de la Constitution, car il ne s'agirait pas d'un projet de loi de programmation à caractère économique, social ou environnemental.

* 389 Estimations effectuées à partir de données communiquées par la direction des services judiciaires ou figurant dans les documents budgétaires.

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