Première séquence - Le nécessaire soutien à l'investissement productif et l'indispensable accompagnement des entreprises

Didier FAUCHARD, Président du Medef Réunion

En 2013, le CEROM (Comptes économiques rapides pour l'outre-mer) de La Réunion a publié une étude intitulée Une crise conjoncturelle ou les limites d'un modèle de croissance . Nous pouvons retenir de cette étude que, durant la décennie de 2000 à 2010, la croissance de La Réunion, deux fois plus importante que celle de la métropole, portée de manière quasi identique par la consommation des ménages et des investissements publics et privés conséquents, a permis à La Réunion de créer plus d'emplois que l'augmentation de la population active, même si le chômage est resté très élevé durant cette période. Depuis la crise de 2009, nous constatons un effondrement des investissements à la fois par une baisse tendancielle de l'investissement public, une perte de confiance des investisseurs et des entrepreneurs due à des rabots successifs des outils de financement, notamment les rabots successifs de la loi pour le développement économique des outre-mer (LODEOM), et un accès plus restreint au crédit bancaire. Seule la consommation des ménages, liée à une démographie toujours positive, continue à porter la croissance de La Réunion.

Je rappellerai que la stratégie de rattrapage, incluant au niveau économique la mise en oeuvre de l'import-substitution qui a permis la création des filières industrielles, nous a effectivement permis de générer de la valeur et de l'emploi, mais que nous avons toujours à ce jour un PIB de 30 % inférieur à celui de la moyenne métropolitaine, et que nous ne parvenons plus à combler notre retard avec les seuls outils existants.

De plus, une étude récente conduite par Nexa sur la compétitivité de notre territoire et de nos entreprises montre que, malgré le dynamisme de notre tissu économique, nos entreprises souffrent d'un déficit de compétitivité lié à nos handicaps structurels, par rapport à celles de la métropole et de nos territoires voisins. Or, nous ne pourrons exporter, que si nos entreprises sont solides, notamment en termes de capitaux propres, d'organisation humaine et de stratégie. Nous avons besoin, plus que toute entreprise basée sur le territoire national, de financements adaptés pour conquérir les marchés extérieurs et trouver de nouveaux relais de croissance.

Il ne fait plus aucun doute que les futures lois de développement économique devront impérativement permettre une relance de l'investissement dans un cadre lisible, stable et pérenne, faute de quoi la croissance restera faible au regard du nombre d'emplois à créer pour résorber le chômage 2,5 fois plus élevé qu'en métropole.

Pour continuer à se développer, La Réunion devra s'appuyer sur une stratégie comportant deux axes majeurs :

- une différenciation positive, adaptée aux contraintes des territoires tropicaux insulaires. Elle repose sur la valorisation des ressources du territoire (humaines, naturelles, technologiques) et sur la mise en oeuvre d'outils favorisant son attractivité ;

- une internationalisation de nos entreprises et de nos femmes et hommes. La Réunion doit être visible sur la carte du monde. Je veux citer le tourisme dont le potentiel reste encore à développer, le numérique, la santé, l'énergie, la mer et sa zone économique exclusive. Grâce à nos entreprises locales reconnues pour leur savoir-faire et en constante recherche d'innovation, et grâce à des critères d'attractivité propices à susciter l'installation, l'investissement et les secteurs tournés vers les marchés internationaux de biens, de services et d'ingénierie se développent.

En effet, pour réaliser pleinement cette ambition, il est crucial d'attirer de nouveaux investisseurs, de capter des richesses externes en complément des richesses existantes et de disposer de ressources humaines formées et compétentes. Nous ne manquons pas sur notre territoire de bonnes idées, innovantes et exportables, mais nous rencontrons systématiquement des difficultés à passer au stade industriel, pour des raisons à la fois de financement et d'accompagnement du processus industriel. Il faut donc se donner les moyens de pouvoir attirer des partenaires, susceptibles de transformer les brevets en activité industrielle et commerciale, exportable dans le monde. Il va de soi que le but de ces démarches est bien de créer de l'emploi et de la valeur localement, tout en s'ouvrant sur le monde et en joignant des expertises et des énergies pour mettre en oeuvre ce que nous avons déjà su inventer.

La visibilité, l'attractivité et la compétitivité des entreprises réunionnaises sont les conditions sine qua non de leur pérennité, de leur développement et de leur capacité à créer les emplois pour La Réunion de demain.

Pour ce qui concerne le financement de nos entreprises, les dispositifs existants : exonérations de charges sociales, défiscalisation et crédit d'impôt industriel, crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) ou son remplaçant, LODEOM renforcée, fonds européens et les montants qui leur sont affectés devront continuer à croître sous peine de briser l'élan du projet de développement économique décrit ci-dessus. Nous avons fait un certain nombre de propositions, en vue des présidentielles, au sein du Medef Réunion pour améliorer et compléter les outils en place.

Au-delà de ces indispensables outils, il est nécessaire de mettre en oeuvre des dispositifs complémentaires qui doivent permettre une désintermédiation de l'accès aux financements.

Pour attirer les capitaux nécessaires au développement de nos entreprises de toutes tailles et de tous secteurs d'activité, l'on devra à travers des dispositifs incitatifs, adaptés et innovants permettre à chacun, du particulier, de la TPE en passant par les PME, les ETI et les grands groupes, de financer directement le développement des entreprises de notre territoire. Il s'agit ici de développer une culture d'actionnariat à l'instar des modèles anglo-saxons pour accélérer et fluidifier la circulation des capitaux orientés vers l'investissement des entreprises, seules capables de compléter les investissements publics.

Aujourd'hui le système d'investissement dans une entreprise est complexe, coûteux et rigide. Il faut faciliter et simplifier le fonctionnement des fonds de type financement participatif, fonds d'investissement et de proximité, de façon à pouvoir stimuler la création d'entreprises et par conséquent l'emploi.

Il faut également impérativement prévoir que les financements permettent l'émergence de structures dédiées à l'accompagnement et à la professionnalisation du chef d'entreprise, tout spécialement pour les TPE.

Assurer le financement des projets est une condition évidente de leur démarrage, mais leur réussite s'appuiera nécessairement sur une organisation pensée et adaptée des ressources humaines.

Il faut intensifier l'effort de formation des individus qui participeront à ce projet. En dépit des efforts fournis pour rattraper le niveau d'éducation de la métropole, 37 % des jeunes de La Réunion contre 21 % en métropole sortent du système scolaire sans aucun diplôme. Afin de permettre une meilleure intégration à l'entreprise, l'on devra rendre perméable les frontières existantes entre enseignement initial, enseignement professionnel et présence des étudiants en entreprise. Il s'agit ici de former les hommes et les femmes de notre territoire en adéquation avec les besoins de l'entreprise et de les préparer à la transformation des métiers, à l'émergence de nouveaux métiers induite par le développement accéléré du numérique. L'entreprise doit être au coeur de l'apprentissage dès le plus jeune âge, et les valeurs telles que l'esprit d'entreprendre, la ténacité, l'audace et l'envie doivent être véhiculées tout au long de la scolarité.

Il est d'une impérieuse nécessité de favoriser l'implantation à La Réunion des écoles de renom pour former des individus de haut niveau qui seront demain le fer de lance de la recherche & développement, de l'adaptation d'innovations en milieu tropical et du développement du numérique pour faire de La Réunion la Silicon Valley de l'océan Indien.

Enfin, il nous faut favoriser la mobilité internationale pour la formation initiale et professionnelle afin que notre territoire mette en valeur la francophonie et fasse rayonner la France dans l'océan Indien et ainsi valoriser nos compétences en matière de formation et d'éducation. Il faut favoriser l'appétence des pays de la zone océan Indien à former leurs jeunes sur nos territoires.

Les entrepreneurs de La Réunion se mobilisent aujourd'hui pour promouvoir notre projet de développement économique, « Formidable Réunion », afin de relever les défis sociaux, environnementaux et économiques et de faire de notre île le porte-avion de la France dans l'océan Indien.

Rien de tout ce projet ne se fera sans la mobilisation active de ceux qui sont impliqués dans le développement de notre territoire, dans une logique de partenariat étroit avec des acteurs soucieux de préserver les valeurs fondamentales de La Réunion : un bien vivre ensemble, une île où chacun peut entreprendre avec succès.

Matthieu BARRIER, Directeur adjoint du réseau de l'Adie

L'Association pour le droit à l'initiative économique (Adie) dans l'océan Indien a la même mission que partout ailleurs en France et en outre-mer : financer et accompagner ceux qui veulent créer ou développer leur activité pour créer leur emploi.

Elle a pour cela deux outils à disposition : le microcrédit et l'accompagnement, avant et après la création d'activité.

Les personnes soutenues sont celles qui n'ont pas accès au crédit bancaire ce qui, à La Réunion ou à Mayotte, peut être le cas de nombreuses personnes.

En 2016, 2 247 personnes ont été financées (997 à Mayotte, 1 250 à La Réunion). La portée de l'action de l'Adie est donc tout à fait significative au regard de la population et le microcrédit est une solution concrète et efficace de retour à l'emploi pour ces personnes.

Les activités financées sont principalement dans le petit commerce ( Doukas ), la vente sur les marchés à Mayotte. À La Réunion, les activités sont plus diversifiées entre le commerce, les prestations de services (31 %), l'hôtellerie-restauration, l'artisanat...

Répartition des financements Adie selon les secteurs d'activité

Source : Adie

Source : Adie

64 % des personnes financées à Mayotte n'ont pas de diplôme et les créatrices d'entreprise représentent plus de 60 % des personnes financées (contre 29 % de la création d'entreprise française).

À La Réunion, 40 % des clients de l'Adie sont bénéficiaires d'un minimum social au moment du démarrage de l'activité.

Pour tous, la création de leur activité représente une réelle solution d'emploi puisqu'ils sont 84 % à être toujours en emploi 3 ans après la création de leur activité.

Les pistes de développement de l'Adie dans l'océan Indien sont :

- développer la présence géographique de l'Adie pour faciliter l'accès au microcrédit accompagné par les personnes qui souhaitent créer leur entreprise et, dès lors, leur emploi ;

- à La Réunion, l'ouverture d'une nouvelle agence au Tampon pourrait permettre de mieux servir cette partie du territoire réunionnais ;

- à Mayotte, si le réseau de l'Adie s'est bien développé ces dernières années, l'opportunité de l'ouverture d'une agence à Petite-Terre est à étudier.

En parallèle, pour favoriser le développement des entreprises financées et accompagnées par l'Adie, des fonds de prêts d'honneur gérés par l'Adie à Mayotte comme à La Réunion permettraient de :

- soutenir le développement des entreprises financées pour leur permettre soit de conquérir de nouveaux marchés, soit de créer de l'emploi ;

- prévoir un parcours d'accompagnement spécifique visant à l'accélération du développement d'entreprises créées, pour certaines, depuis plusieurs années.

L'activité de l'Adie se développe chaque année de 10 à 15 % dans l'océan Indien. Ce développement est rendu possible par les nombreuses demandes émanant de personnes qui souhaitent créer leur propre emploi, mais aussi par le soutien de nombreux partenaires que l'Adie souhaite ici remercier.

Farda MARI, Directrice de Crea Pépites

J'ai 28 ans. J'ai suivi mes études en métropole. J'ai commencé à travailler en 2011 et créé ma structure fin 2014. Étant étudiante, j'ai toujours porté un regard curieux sur le développement du territoire de Mayotte et sur l'intégration des jeunes Mahorais en métropole.

Notre tissu économique est composé à plus de 80 % de TPE. Crea Pépites est née pour accompagner et pour conseiller ces jeunes qui reviennent sur le territoire pour entreprendre. Ils ont envie de contribuer à l'essor de notre île.

La Réunion célèbre cette année ses 71 ans en tant que département contre sa sixième année pour Mayotte. Il nous reste beaucoup de travail à accomplir. L'un des premiers obstacles au développement de projets innovants réside dans la maîtrise du foncier et dans les aléas sociaux.

Au départ, les entreprises mobilisent des aides de l'État, de l'Adie ou de banques. Nous devons leur apprendre à rendre des comptes, à communiquer sur leur action. Trop peu de TPE deviennent des PME. Nous souffrons d'un manque d'aides en termes de management. Nous veillons également à faire intervenir les banques pour remédier au « désert bancaire » de Mayotte.

Notre public est très hétérogène. Certains possèdent un savoir-faire, mais parlent très mal le français. Nous devons les assister dans toutes les tâches administratives. D'autres connaissent leur métier, par exemple un ingénieur géomètre, mais ne disposent pas des technologies pour entreprendre. Le suivi sera alors moins intense.

Maymounati AHAMADI, Directrice de BGE Mayotte

S'il est vrai que la création d'entreprise est reconnue comme une solution durable pour remédier en partie à la lutte contre le chômage et l'exclusion, elle représente un enjeu économique et social important pour le développement local .

Traiter d'un tel sujet ne peut se concevoir sans rappeler les fondamentaux socio-économiques du département.

Bien qu'elle fasse partie de la France depuis 170 ans, Mayotte reste bien méconnue des autres territoires. En 2011, Mayotte a souhaité devenir département d'outre-mer quoiqu'elle soit le territoire le plus pauvre de l'Europe. Le 101 e département de France rencontre la grande problématique nationale qui assombrit et détériore l'économie locale : il connaît un taux de chômage trois fois supérieur à celui de la métropole. En effet, beaucoup de difficultés sévissent dans ce département, tant économiques, sociales que financières.

Mais comment éradiquer un chômage de masse lorsque dans les moeurs locales, seuls l'État, le Département et les collectivités peuvent embaucher et ainsi garantir un emploi à durée indéterminée ? Pourtant ces derniers n'ont pas la capacité d'employer tout le monde et obligent la population à se tourner vers le secteur privé.

La première solution préconisée par les diverses autorités face à cette pénurie d'emplois et le défaut de structuration du secteur privé est d'encourager la création d'entreprise.

Or, Mayotte possède un tissu économique composé de 95 % de TPE. Mayotte se situe au 25 e rang des régions françaises avec des entreprises en majorité individuelles au détriment des sociétés anonymes (SA) ou sociétés à responsabilité limitée (SARL). En effet, les entreprises individuelles y représentent près de huit créations sur dix, contre sept sur dix au niveau national. Fait notable dans ce département, près de la moitié des entrepreneurs sont des femmes.

Depuis sa création à Mayotte en 1999, BGE a vécu toutes les évolutions mahoraises et notamment celles liées à la création d'activité. BGE Mayotte, association loi 1901, fait partie d'un réseau national : « BGE Réseau », pionnier de l'accompagnement de la création d'entreprise depuis plus de 35 ans.

C'est un outil de développement local dont la mission consiste principalement dans l'accompagnement de projets économiques et l'offre de conseils et d'ingénierie aux jeunes entreprises en matière de création, de fonctionnement et de développement. Elle s'adresse pour l'essentiel à des créateurs d'entreprise demandeurs d'emplois, éloignés ou non de la culture entrepreneuriale et souhaitant maîtriser leur devenir économique par la création de leur propre emploi.

Pour accompagner au mieux les futurs créateurs d'entreprise, une mise en relation de proximité et une connaissance fine?des territoires est nécessaire. C'est la raison pour laquelle BGE dispose de plus de 550 lieux d'accueil au coeur des territoires métropolitains et ultramarins.

En plus de se positionner comme un acteur incontournable de la création d'entreprise à Mayotte, il est important que BGE Mayotte puisse continuer son intervention sur le développement et le suivi des entreprises afin d'améliorer leur pérennité. En effet, le travail de l'association ne peut pas se restreindre à l'accompagnement des futurs créateurs d'entreprise mais doit s'étendre au suivi et au développement afin de favoriser la création d'emplois. Ainsi, les premiers exercices de leur activité nécessitent un accompagnement de chaque instant.

Parce qu'un suivi régulier augmente de manière significative le taux de réussite des entreprises nouvelles, BGE Mayotte étend à 2 ans le suivi personnalisé de ses porteurs de projet, afin de les aider à pérenniser et développer leurs entreprises. Ces jeunes pousses ont pour vocation d'être le moteur de croissance de l'économie mahoraise et l'État les encourage à devenir le facteur principal de l'inversion de la courbe du chômage.

Les outils financiers sont les suivants :

Avant création

Post-création

DIECCTE

Conseil départemental

La défiscalisation

Prêt d'honneur

Union européenne

ACCRE : 4 200 €

Aide à l'initiative des femmes (AIF) : 3 200 €

Taux de défiscalisation dépendant du secteur d'activité

Adie et plateforme d'initiative locale

FSE - FEDER
- FEADER

PIJ : 7 319 €

Aide à l'investissement (AI) : subvention de 40 % des investissements de matériel neuf

Malgré un accès difficile à l'emploi, une envie d'entreprendre se développe à Mayotte. Toutefois, cette envie d'entreprendre ne peut être dissociée des contraintes légales non mesurées et non appréhendées avant le démarrage du processus de la départementalisation. Comment développer l'entreprenariat avec des problématiques liées au foncier ? En effet, les locaux commerciaux sont rares et les zones d'activité industrielle quasi inexistantes à travers l'île, ce qui freine automatiquement le développement de ces TPE vers des PME.

Le développement économique et social actuel de Mayotte fait fréquemment évoluer les réglementations et donc les démarches des porteurs de projets (application du droit commun sur les aptitudes professionnelles requises, sur les normes de sécurité, les réglementations métiers, etc...). Il s'avère donc primordial qu'un opérateur d'accompagnement à la création d'entreprise tel que BGE Mayotte puisse faciliter les parcours de création et de développement des dirigeants qu'elle accompagne. La recherche d'informations, notamment, peut en effet se révéler compliquée pour un public demandeur d'emploi parfois éloigné de la culture entrepreneuriale et peu habitué à devoir chercher parmi une somme d'informations. Les retours des dirigeants de TPE font état de difficultés au démarrage de l'activité car ils sont majoritairement éloignés de la culture entrepreneuriale. De ce fait, des ingénieries juridiques, stratégiques et de gestion globale des entreprises doivent bénéficier aux TPE.

Selon nos données internes, nous constatons que 80 % des personnes accompagnées sont demandeurs d'emploi au moment de la création d'entreprise, 1 sur 4 est salarié, 1 sur 10 est bénéficiaire d'un minimum social, 1 sur 3 a un niveau de formation inférieur au baccalauréat. Le taux de pérennité à trois ans des entrepreneurs qui ont bénéficié d'un parcours complet est de 72 % (accompagnement, aide au financement et suivi post-création). Les entreprises créées comptent en moyenne 2,6 emplois trois ans plus tard, soit un emploi net créé en moyenne par entreprise pérenne.

Ces statistiques démontrent le besoin immédiat de montée en compétences à la fois des futurs dirigeants mais également de leurs salariés ou bien des futures embauches. Ces formations pour devenir un dirigeant restent indispensables afin de favoriser la prise de risque et le goût d'entreprendre et de voir grand car, sans un essor du secteur privé, l'emploi ne saurait se développer à Mayotte et, sans une augmentation des PME, un boom de la croissance économique locale sera impossible.

Pôle Emploi et l'Insee compte plus de 30 000 personnes sans emploi, sans comptabiliser ceux qui sont sur le marché parallèle et ceux issus de l'immigration clandestine qui accentuent cette donne.

Des dispositifs tels que « l'embauche d'un premier salarié » lancés par le ministère des outre-mer ne suffisent pas à favoriser l'emploi dans certains secteurs d'activité car le recours à la main d'oeuvre illégale et bon marché y est préférable.

Nous constatons à BGE Mayotte un réel manque de franchise dans notre territoire. Les grandes chaînes industrielles employeuses au niveau national ne s'y installent pas, souvent faute de foncier ou bien en raison du taux d'octroi de mer trop élevé, mais également, pour un créateur d'entreprise lambda , faute de financement bancaire. Nous sommes un territoire où la monnaie circule deux fois plus que dans d'autres départements. Toutefois les données bancaires des futurs créateurs sont rares et, de ce fait, le facteur risque étant engagé, la banque ne prête pas.

En matière de solutions à apporter, il faut, en premier lieu, continuer à soutenir les opérateurs d'accompagnement à la création d'entreprise car les évolutions économiques de Mayotte, avec un tissu composé à 95 % de TPE, ne peuvent se déployer sans cet accompagnement.

Il nous faut encore poursuivre dans le combat pour la régularisation du foncier, afin d'améliorer la mise en place de zones d'activité économique à Mayotte. Encourager l'embauche d'un premier salarié à travers le dispositif mis en place par le ministère des outre-mer demeure indispensable pour continuer à valoriser le tissu économique existant et à encourager l'emploi. Certains dispositifs sont inexistants à Mayotte ou arrivent trop tardivement par rapport aux autres territoires. Je rappelle, par exemple, que l'économie sociale et solidaire n'a été mise en place à Mayotte qu'en 2016.

Un renforcement du système financier envers les entrepreneurs reste primordial pour augmenter les projets porteurs d'emplois car, jusqu'à présent, les franchises sont porteuses d'emplois et de développement de zones économiques. Or, ces projets sont de grande envergure et nécessitent des financements assez importants.

Nathalie COSTANTINI, Vice-recteur de Mayotte

Deux termes s'imposent à l'esprit lorsque l'on songe à Mayotte : lagon et démographie. Ces deux éléments pourraient constituer les clés des voies de développement économiques du territoire et nous exhorter, par exemple, à mettre en oeuvre des formations permettant une meilleure insertion dans les domaines du tourisme et des services.

Tout acteur public ou privé participant à la construction de ce territoire peut a priori acquiescer à de telles propositions. Toutefois, et eu égard à une croissance considérablement impactée par l'histoire proche et lointaine de Mayotte, on se heurte très vite à deux données difficilement compatibles et dont il faut tenir compte dans la réflexion :

- l'exiguïté du territoire (gestion des ressources, du foncier, de l'eau, de l'accueil, de la répartition de la population) ;

- l'explosion démographique, laquelle se répercute sur tous les secteurs de la vie (famille, école, économie, travail...).

Mayotte est un territoire en construction qui se débat entre deux tendances contradictoires : devoir rattraper le temps pour participer au rayonnement de la France et se donner le temps d'une construction nécessaire mais s'inscrivant nécessairement dans la durée.

Il s'agit dès lors de montrer que, dépassées ces premières impressions, la mise en place du Comité régional de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles (Crefop) et l'élaboration d'une carte des formations peuvent donner le cap d'une construction bien différente. Celle-ci ne se fonde plus sur une vision centripète tournée vers les besoins primaires et qui, finalement, exclut le plus grand nombre, mais au contraire sur une vision centrifuge en lien avec, au plus restreint, la zone océan Indien. Il nous semble que c'est ainsi que nous pourrons donner l'image d'un territoire qui s'organise pour former ses élites mais également pour former des citoyens libres et autonomes dans leur parcours professionnel.

Former pour ici et pour ailleurs, pour maintenant et pour demain, perspective qui s'inscrit dans l'idée développée par Jean-Jacques Vlody dans son rapport d'octobre 2016 en faveur de l'insertion régionale des DOM. En effet, le député y recommande que les outre-mer investissent davantage leur territoire régional, favorisent et adaptent la formation des jeunes dans les zones océan Indien et Antilles-Guyane.

Puisqu'il est maintenant acquis que la diplomation aide à l'insertion, il convient que les acteurs décideurs du système éducatif puissent, en lien avec les acteurs économiques et en préfiguration du Crefop, anticiper une réflexion sur les besoins du territoire pour que ce système produise les personnes formées dont le territoire a besoin. Mais comment intégrer les 2 800 jeunes qui arrivent à la fin du cursus du second degré ainsi que ceux qui poursuivent en BTS ou licence et qui font le choix plus ou moins consenti de rester sur le territoire pour s'insérer professionnellement ?

Quelques questions ou remarques président à cette réflexion :

- des précisions sur les termes s'imposent car former pour maintenant ne produit pas les mêmes effets que former pour demain , de même que former pour ici ne relève pas de la même logique que former pour ici, mais aussi ailleurs ;

- qu'est-ce que le territoire ? Quel format, quel périmètre ? Mayotte bien sûr et ses 375 km 2 mais il ne serait pas concevable de ne pas l'inscrire dans un environnement proche, la sous-région de l'océan Indien, de même que de tenir compte des deux continents qui l'entourent, l'Afrique et l'Asie, et plus encore de l'Europe au sein de laquelle elle est inscrite comme RUP ;

- par ailleurs, comment concilier ce dont on a besoin aujourd'hui, à savoir l'augmentation nécessaire du niveau de qualification des personnes pour assurer le besoin immédiat et la nécessaire ouverture pour donner une place - la bonne place - à chacun ? En d'autres termes, comment garantir sur ce territoire comme ailleurs que chacun puisse avoir le droit de sa liberté de lieu de vie, de se construire une vision à plus long terme pour ne pas être en décalage avec l'évolution des métiers qui laisserait ainsi toutes ces personnes formées sur la touche ? Cette réflexion, qui conduit à repenser les équilibres entre niveaux de formations, CAP, BAC et BTS, doit dans le même temps concilier projet individuel et développement collectif.

Si l'objectif est bel et bien défini, un cadre doit diriger cette réflexion pour qu'elle se concrétise. Les propositions doivent répondre à trois principes : la faisabilité matérielle et éthique, l'efficience mais aussi une certaine progressivité.

Un tel engagement sur un territoire en construction mérite, pour se donner une chance de réussite, de mettre en perspective la réflexion théorique avec les contingences locales.

Quelques contraintes majeures sont à prendre en compte pour mener une analyse globale du territoire et adopter les décisions pertinentes :

- l'économie locale est en structuration et, pour l'heure, sous perfusion de l'argent public (transferts sociaux et investissements d'État) ; le PIB par habitant à Mayotte est de 8 350 euros en 2013 quand il est autour de 20 000 euros dans les DOM ; les transports collectifs n'existent pas ; de nombreuses problématiques sociales placent les enjeux vitaux devant les besoins d'insertion professionnelle ; une économie parallèle florissante existe et détourne l'attention d'un grand nombre du besoin de construction à long terme du territoire. Enfin, le secteur public est bien trop développé par rapport au secteur privé ;

- la culture et l'histoire sociale du territoire : formée à partir du peuplement des îles des Comores, l'île de Mayotte présente avec les trois autres îles des similitudes du point de vue des traditions et de son organisation sociétale collective. Néanmoins, des différences sont visibles dans la relation au travail et au besoin de créer de la richesse (cf. annexe 1 : essai sur les îles des Comores de A. Gevrey, 12 janvier 1870) ;

- l'histoire et le positionnement géographique : sans revenir loin en arrière, quelques dates s'imposent. En 1841, Mayotte devient protectorat français puis, en 1886, l'ensemble de l'archipel ; en 1975, référendum pour le rattachement à la France et en 2011, départementalisation. Le 31 mars 2011, Mayotte devient le 101 e département, mais très éloigné de la métropole et dans un environnement qui ne reconnaît pas toujours son appartenance à la France (Comores, Maurice, l'ONU) ;

- le système éducatif très récent : en 1982, un seul collège ; en 1994, première école maternelle ; en 2004, encore un concours d'entrée en 6 e . Dans les vingt dernières années en revanche, la population scolaire a doublé. Ce système présentait une sur-représentation des formations de niveau 5 et propose aujourd'hui des formations de niveau 3 avec les BTS et la licence. À la rentrée 2017, le premier Master du territoire dans le domaine de l'enseignement et de la formation (Master MEEF) est proposé aux étudiants ;

- l'insécurité, corollaire de la très grande pauvreté, qui confronte le territoire à des records sur les chiffres de la violence (1 554 faits d'atteinte volontaire à l'intégrité physique (AVIP) en 2014, 2 820 en 2016 ; 4 693 faits d'atteinte aux biens (AAB) en 2014, 5102 en 2016). Par ailleurs, l'insécurité économique ou financière conduit à des désengagements, et donc à de cuisants échecs qui ont également une incidence sur le développement économique ;

- l'insularité, qui incite au départ sans a priori se poser la question du retour.

En rester là reviendrait à se poser la question de l'intérêt d'une construction. Il est dès lors à souligner que Mayotte ne manque pas d'atouts :

- des apports financiers ou en ressources humaines importants, même si l'attractivité est toujours relative au regard des éléments présentés plus haut. La convergence de moyens nationaux et européens participe à un impact positif ;

- la jeunesse : peut-être plus qu'ailleurs la priorité à la jeunesse a un sens à Mayotte. En effet, c'est 60 % de la population qui a moins de 20 ans. On constate toutefois une migration significative des 20-35 ans, souvent les plus formés, vers La Réunion ou la métropole, dans l'espoir d'une insertion professionnelle et de meilleures conditions de vie (scolarisation, santé, sécurité) ;

- l'environnement peut devenir un véritable atout et un enjeu de développement majeur, à condition d'en assurer la préservation. C'est, selon nous, un enjeu d'avenir autant qu'une priorité ;

- sa position géostratégique qui la situe dans un espace prisé renfermant des ressources naturelles importantes convoitées. Les TAAF contribuent largement à donner à la France la deuxième place mondiale en termes de surfaces maritimes.

Aussi, construire le territoire en prenant le secteur de la formation comme axe majeur de développement suppose-t-il de procéder par étapes successives. Un rapide panorama de l'histoire de la formation jusqu'à nos jours est à ce titre très instructif et nous donne les clés de la démarche.

Quatre étapes nécessaires dans le temps nous renseignent sur les relations plus ou moins directes entre formation et construction du territoire.

Étape 1 : années 1980-1990. La formation reste l'apanage d'un petit nombre et les élites créées sont pour la plupart des personnes qui partent faire leurs études en métropole. À Mayotte, le système de formation est partiel, l'école élémentaire est fréquentée par quelques élèves qui ne poursuivent au collège que pour quelques-uns d'entre eux. La voie professionnelle est identifiée comme la seule possible pour qualifier et répondre aux besoins immédiats du territoire. Dans la réflexion formation/construction, ces deux notions sont traitées plutôt de manière indépendante, disjointe voire contradictoire. Ainsi, ce sont prioritairement des CAP qui ont été mis en oeuvre, CAP liés aux secteurs du commerce et des services (secrétariat, agents d'entretien...) et ce, sans tenir compte des capacités réelles des élèves. Le besoin de cadres n'était alors pas une question qui se posait et les entreprises qui sont arrivées ou ont été créées se sont développées avec de la main d'oeuvre sous-qualifiée pour tenir tous les rôles et assumer toutes les fonctions de l'entreprise.

Étape 2 : dans les années 95, Mayotte a connu une massification de sa population scolaire, ce qui a nécessité de faire face en s'appuyant presque uniquement sur les ressources humaines du territoire. Un institut de formation a été créé et les jeunes à niveau Bac, voire moins diplômés, ont reçu une formation pour satisfaire le système éducatif et sa croissance vertigineuse.

Cette période d'expansion démographique a eu très rapidement un autre effet : Mayotte est apparue comme un territoire d'avenir qui permettait des rêves économiques, des créations d'entreprises, de l'entreprenariat. C'est à cette époque que l'on a pu voir un lien commencer à se tisser entre la nature des formations proposées et la volonté de construction du territoire. Le panel des formations s'est alors diversifié et le niveau de qualification s'est accru. Par ailleurs, des secteurs économiques sont progressivement apparus, comme le BTP qui accompagnait les infrastructures nécessaires au développement social et économique. Mais, là encore, l'immédiateté et le projet individuel ont prévalu sur le besoin collectif. Le sentiment d'appartenance au territoire n'a pas retenu les jeunes réussissant le mieux qui, massivement, se sont tournés vers la métropole. Sont restés, en majorité, les jeunes contraints ou dont les performances ne correspondaient pas aux ressources attendues par le tissu économique local.

Étape 3 : actuellement, si tous les niveaux et modalités de formation existent (voie scolaire, par apprentissage, formation continue ou mixité des parcours), un défi reste à relever et invite à réfléchir à des formations d'avenir pour le territoire à partir de l'évolution des secteurs concernés.

Ainsi trois exemples :

- le BTP, qui pourrait se développer en intégrant de nouvelles technologies ;

- la restauration scolaire, domaine qui est apparu à la suite de la mise en oeuvre de la réforme des rythmes scolaires puisqu'elle a conduit à une nouvelle organisation du temps qui pouvait englober un temps de pause prandiale. De l'apparition de ce service sont nés de nombreux métiers justifiant des formations en amont ou donnant enfin à des formations existantes un pouvoir d'attractivité non encore reconnu. Par ailleurs, ce projet que nous avons déposé permet d'aborder des domaines comme les liaisons courtes, le transport, les unités de production, de transformation, l'agriculture, le service. En d'autres termes, un territoire en construction peut trouver des sources d'inspiration dans la mise en place progressive du droit commun ;

- on parle beaucoup du tourisme qui, en effet, pourrait être une voie de développement extraordinaire et presque évident. Mais pour cela, il faut d'abord avoir travaillé, en amont, sur l'assainissement, la préservation de l'environnement, le traitement des déchets, le développement des infrastructures routières, les ressources en eau... Outre la garantie de prestations de qualité pour les touristes, cela pourrait tout autant satisfaire les besoins premiers de la population.

Étape 4 : on peut poursuivre encore le raisonnement et considérer que, plus le territoire va augmenter l'étendue de ses filières de formation, moins il sera à même de satisfaire seul les besoins de sa population (concept d'assimilation). Je rappelle que Mayotte est un territoire très exigu qui, faute de foncier, ne pourra à loisir se développer. Alors une seule voie possible : la capacité des personnes à penser que le territoire peut former pour l'ailleurs et garder une belle image qui donnera envie à la jeunesse de revenir, ou encore intégrer d'autres espaces à son territoire et créer un nouveau sentiment d'appartenance en lien avec des voisins de la sous-région avec qui il peut former une communauté de vie.

Le tourisme et l'hôtellerie-restauration peuvent à nouveau être cités, comme des domaines de développement ouverts qui peuvent former à haut niveau sur le territoire mais pour un développement de l'ensemble de la zone proche océan Indien. Ainsi, tout comme Maurice ou les Seychelles, Mayotte pourrait faire valoir ses atouts naturels et ne pas se satisfaire du seul tourisme affinitaire.

Le hub maritime : actuellement, le port est confronté à de lourdes et paralysantes problématiques de gestion, mais ce port en eau profonde, du fait de sa position stratégique, pourrait tout à fait devenir un véritable hub de transport de marchandises pour tout l'océan Indien.

En conclusion, Mayotte a des atouts et une grande partie de ses contraintes peut être dépassée pour le développement économique de cette terre de France. À l'instar de La Réunion, Mayotte peut aussi contribuer au rayonnement de la France.

Une seule question essentielle reste posée : quel modèle de développement faut-il créer ?

Si le cap est clair, construire Mayotte dans une démarche plus centrifuge que centripète, il ne faut pas nous contenter de reproduire des dispositifs qui ont, en leur temps, rendu les services escomptés, mais qui, mis en oeuvre maintenant et de manière exclusive, condamneraient Mayotte à un retard inexorable et ne donneraient peut-être plus les réussites connues dans les territoires où ils ont été développés. Il faut là encore s'adapter au temps.

La jeune génération ne peut être formée exclusivement pour un ici. Elle doit pouvoir s'adapter à un ailleurs, et surtout se sentir aussi citoyenne du monde avec le choix et la capacité de mobilité qui offrent la liberté de s'installer où elle le souhaite.

Il nous revient donc de résoudre une équation bien difficile qui, d'un côté, nécessite de donner du temps tout en rattrapant le temps et, concomitamment, impose de penser les espaces au-delà des frontières géographiques. Deux intentions très compréhensibles mais dont il ne faut pas minimiser les risques - ces derniers étant liés à cette véritable transformation sociétale - et dont les conséquences non anticipées peuvent, du fait des pertes de repères que la transformation impose, générer des déséquilibres et des tensions. Une stratégie explicite doit être envisagée avec l'ensemble des acteurs pour que nos jeunes puissent réellement construire leurs choix d'insertion en tenant compte de leurs aspirations et de leurs compétences.

Mayotte n'a pas encore fixé ses structures. Le secteur public est démesurément développé par rapport au secteur privé ce qui conduit à des choix qui ne peuvent être directement ceux de la métropole, voire de La Réunion avec laquelle elle se compare souvent. L'enquête de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) présentée en février 2016 aux différents recteurs d'académie est à ce titre une bonne illustration. Cette enquête montre que les emplois dont a aussi besoin Mayotte sont ceux qui vont s'éteindre en 2022 en France métropolitaine. Si ce constat montre qu'il faut être progressif dans les évolutions à accompagner en termes d'offre de formation, il convient également d'accepter que dans la dialectique formation/construction, cette dernière soit l'entrée de la réflexion et qu'elle conduise le Crefop, instance essentielle à un développement harmonieux et concerté, à proposer de réfléchir à des formations sur de nouveaux secteurs économiques ou dans un concept d'ingénierie frugale corrélée à l'idée d'économie sociale et solidaire.

Mayotte comme beaucoup d'autres territoires de France, et notamment les différentes îles, ne peut insérer tous ses jeunes. Par ailleurs, le territoire ne se développera pas en contraignant les jeunes à rester sur l'île de manière artificielle. L'appel de l'ailleurs est un sentiment de tous les insulaires et seul un développement raisonné et pensé dans l'avenir pourra leur permettre de partir et revenir comme le font actuellement de nombreux métropolitains.

Nous devons être à la fois lucides quant à l'impossibilité de s'affranchir de toutes les contraintes du territoire, mais aussi convaincus de la possibilité de l'oeuvre à bâtir. La coopération transfrontalière doit être pensée comme le moyen le plus efficient pour augmenter le niveau de compétence et ainsi favoriser l'expertise mahoraise sur le marché de l'emploi dans les catégories élevées de qualification.

Reste à s'assurer que ce travail s'inscrive dans le temps long qui nécessite, pour réussir, une stabilité des engagements mais aussi une nécessaire prise en charge de tout cela de l'intérieur.

Annexe 1 : Essai sur les îles Comores par A.Gevrey

Jean L'HOMME, Avocat au Barreau de Paris et directeur associé du cabinet Fidal

Le cabinet Fidal, dont je représente le pôle « financement par la dette », compte 80 000 entreprises clientes en France, principalement des PME. Par ailleurs, nous sommes présents en Martinique et procédons actuellement à l'intégration d'un cabinet réunionnais. Le financement des entreprises, et notamment celui des entreprises ultramarines de l'océan Indien, est un sujet qui nous tient donc à coeur !

Nous disposons de très peu de temps pour présenter une problématique complexe. Nous irons donc à l'essentiel.

La question du financement des entreprises ultramarines nous confronte d'emblée à deux caractéristiques, certes présentes aussi dans l'Hexagone, mais nettement accentuées outre-mer : la très forte prépondérance des PME-TPE, ainsi que celle du crédit bancaire. Or, au regard de la question examinée, ceci constitue aujourd'hui un handicap, car le crédit bancaire est désormais contraint, en particulier pour les PME-TPE qui présentent des risques structurellement plus élevés que les ETI ou les grandes entreprises. En effet, la mise en oeuvre, consécutive à la crise financière, des dispositions de Bâle III, notamment des ratios de solvabilité, de liquidité ou encore de levier, et le renforcement des conditions règlementaires d'exercice des activités bancaires se traduisent inexorablement par une politique plus sélective - certains diront restrictive du crédit bancaire.

Dans ce contexte, mais au-delà des facteurs conjoncturels, c'est à un véritable « changement de paradigme » que nous assistons ! Ce n'est pas nous, mais la Fédération bancaire française (FBF) et l'ancien gouverneur de la Banque de France qui le disent : « il est urgent de sensibiliser les entreprises à l'avènement des financements de marché ». Il s'agit, tout en sécurisant le système bancaire européen, de maintenir et développer le financement des entreprises ; et ce en diminuant leur dépendance au crédit bancaire et en favorisant de nouvelles sources de financement et des circuits alternatifs de distribution du crédit. L'Europe évolue ainsi du modèle classique de la « transformation bancaire » vers le modèle nord-américain dans lequel le marché, c'est-à-dire les financeurs non bancaires, assure plus de 80 % du financement des entreprises.

Qui sont donc ces financeurs alternatifs ? Non pas les crowdfunders ou financeurs participatifs, particuliers dont les volumes de crédit restent globalement et règlementairement faibles, mais des investisseurs institutionnels ou professionnels, tels que les assureurs, mutuelles et autres caisses de retraite ou institutions de prévoyance dont il existe une vingtaine de statuts différents en France ; ou encore : des fonds d'investissement, nouveaux fonds de dette, family office ou banques privées , pension funds ou fonds de pension anglo-saxons , fonds souverains etc.

La rémunération des obligations souveraines étant souvent négative, ces investisseurs recherchent du rendement. Ils s'intéressent ainsi fortement aux autres classes d'actifs de dette, et notamment au financement des entreprises non cotées.

Du point de vue réglementaire, les législateurs et les régulateurs, tant français qu'européens, accompagnent et favorisent cette évolution. Le monopole bancaire français est l'un des plus étendus d'Europe. Il constitue aujourd'hui un frein 7 ( * ) . Un certain nombre de dispositions récentes en réduisent le périmètre ; pour n'en citer que quelques-unes :

- institution du label FPE pour les « fonds de prêts à l'économie » (décret du 2 août 2013 modifié par le décret du 17 décembre 2014) ;

- règlement UE 2015/760 du Parlement européen et du Conseil en date du 29 avril 2015 relatif aux fonds européens d'investissement à long terme ( European long-term investment funds ) qui permet à certains fonds d'investisssement alternatifs (FIA) labellisés ELTIF de pouvoir octroyer des prêts en direct dans tous les États de l'Union européenne ;

- modification récente des réglementations allemandes ( German Banking Act modifié le 18 mars 2016) et italienne (décret-loi du 14 février 2016) permettant aux FIA de droit allemand et italien de pouvoir octroyer des prêts en direct ;

- possibilité pour les entreprises « ayant des liens économiques le justifiant » de s'octroyer des prêts de trésorerie à échéance de 2 ans maximum (issue de la « loi Macron » n° 2015-990 du 6 août 2015) 8 ( * ) ;

- réforme du cadre juridique des plateformes de crowdfunding en France (décret du 28 octobre 2016) qui peuvent prêter à des entreprises ou souscrire des titres de créance à hauteur de 2,5 millions d'euros, en utilisant notamment le nouveau support juridique que constituent les « minibons » ;

- ordonnances prévues par la loi « Sapin II », notamment concernant la cession de créances non échues à des investisseurs financiers non bancaires.

L'apparition de financeurs alternatifs constitue une opportunité pour les entreprises. Les fonds disposent aujourd'hui d'abondantes liquidités et se positionnent sur un large spectre de risques - certains y étant plus ouverts. Encouragés par les gouvernements, ils souhaitent investir l'espace de la dette privée mais peinent, en l'absence de réseaux, à identifier des opportunités de placement. De même, du côté des entreprises, et en particulier des PME ultramarines qui souffrent de leur éloignement des grands centres européens du crédit, il est difficile d'entrer en relation avec ces nouveaux financeurs.

Le développement accéléré des FinTechs, et notamment des plateformes digitales de mises en relation, devrait substantiellement faciliter l'accès des entreprises aux nouveaux financements de marché.

Cette transformation, ce « changement de paradigme » implique pour les investisseurs-financeurs l'apprentissage des métiers du crédit, à commencer par la sélection et le pricing des risques, ainsi que la structuration et la sécurisation des crédits. Les banques s'organisent d'ores et déjà en partenariat avec des sociétés d'assurance et autres investisseurs pour proposer des co-financements, réduisant ainsi leurs engagements et leur charge en fonds propres, et des services d'arrangement - rémunérés par des commissions.

Les entreprises, elles aussi, doivent s'adapter et maîtriser les pratiques, les formats et les contraintes - mais aussi saisir l'opportunité - de ces nouveaux financements. Les banques, partenaires traditionnels des entreprises, disposent d'informations régulières sur leurs clients, dont elles assurent la mise à jour et le suivi. Ce n'est pas le cas des prêteurs non bancaires. Il est donc nécessaire que les entreprises se préparent à se présenter à ces investisseurs, à communiquer avec eux et à mettre à leur disposition des informations pertinentes, régulièrement mises à jour, concernant leurs activités, leur performance et leurs projets de développement 9 ( * ) .

L'accès à ces nouveaux marchés du crédit a un coût, notamment opérationnel, et sans surprise les taux y sont élevés pour les crédits risqués. Mais les conditions et modalités du financement y sont souvent assouplies (crédits in fine , maturités allongées, financement des incorporels, covenants allégés etc.) et ils constituent indéniablement un recours nécessaire, peut-être même salutaire, pour nos entreprises.

Katherine CHATEL, Responsable de la commission Tourisme au Medef Réunion

Je souhaite que la question du tourisme à La Réunion ne soit pas simplement saisie par le prisme du « lynchage médiatique » que nous subissons actuellement en raison de la crise du requin. La dernière victime s'était baignée dans une zone interdite, signalée comme dangereuse. Ce surfeur a malheureusement perdu la vie. Ce genre de drame est la source de grandes difficultés sur le plan local.

L'économie réunionnaise du tourisme est constituée de 95 % de très très petites entreprises (TTPE), souvent des structures familiales. Elle génère toutefois 1,2 milliard d'euros à l'export, à la fois en local et en intrant. Elle représente ainsi davantage que l'industrie de la canne à sucre et que le BTP. Cette activité non délocalisable crée 7 000 emplois directs et 12 000 emplois indirects. Elle constitue 3 % du PIB contre 8 % en métropole. Elle présente donc un potentiel de développement important.

Depuis 2016, sa courbe de croissance s'est inversée. Elle s'accroît actuellement de + 10 % par an. Cette progression est notamment due à l'essor du tourisme d'agrément en plus des déplacements affinitaires. Notre secteur constitue également une économie transversale. Chacune de ses crises engendre un marasme économique, car l'artisanat, le BTP, l'agriculture et les autres filières sont aussi impactés.

Il y a cinq ans, nous avons fondé le Club du Tourisme. Je le présidais jusqu'à l'année dernière. Nous avons lancé le cluster e-tourisme pour la digitalisation et la modernisation de notre secteur. Nous agissons pour réduire le coût du travail car notre environnement régional, constitué de l'île Maurice et de Madagascar, est très agressif. Nous demandons que le tourisme soit mieux considéré au plan économique et politique. Ces actions doivent être beaucoup plus rapides.

Nous réclamons que la saisonnalité soit prise en compte, que les formations s'adaptent à des métiers en évolution constante, que le tourisme soit une voie professionnelle portée par le désir et non plus par défaut. Nous avons également besoin d'aides à l'investissement pour attirer les acteurs majeurs de l'hôtellerie et du transport. La filière du tourisme ne se réduit pas à l'hôtellerie et à la restauration mais s'étend également à la distribution, aux loisirs...

Nous requérons l'ouverture du ciel. Pour éviter de fragiliser les compagnies locales, des code share doivent bénéficier d'autorisations et des compagnies transversales doivent nous ouvrir sur de nouveaux marchés. Il est aussi nécessaire d'augmenter le panier moyen qui favorisera l'artisanat, les loisirs, les activités culturelles et gastronomiques. La Réunion n'a pas besoin de tourisme de masse, mais d'un tourisme de qualité. Pendant la durée de son séjour, un touriste crée 1,5 emploi. Dans une île caractérisée par sa jeunesse et frappée par le chômage, ce point est extrêmement important.

Nous ambitionnons d'accueillir des touristes respectueux des valeurs de La Réunion, recherchant une expérience, souhaitant partager notre culture et notre patrimoine. Nous voulons prouver que le tourisme est une économie à part entière dynamique et entrepreneuriale.


* 7 « La France ne peut plus être le seul État [en Europe] à réguler toutes les activités de prêts et à en réserver la réalisation à certaines catégories d'institutions agréées. Aujourd'hui, le sujet principal est plutôt de déterminer comment permettre à tous les agents économiques de se procurer les ressources qui leur sont nécessaires » (Pierre-Henri Cassou - ancien Secrétaire général du Comité de la réglementation bancaire et financière, et du comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement - CECEI, le « gardien du monopole »).

* 8 La possibilité ouverte par la « loi Macron » aux sociétés par actions de consentir « à titre accessoire à leur activité principale, des prêts à moins de deux ans à des microentreprises, des petites et moyennes entreprises ou à des entreprises de taille intermédiaire avec lesquelles elles entretiennent des liens économiques le justifiant » a été largement fermée par son décret d'application n° 2016-501 du 22 avril 2016.

* 9 La règlementation (par exemple le décret du 2 août 2013 et l'arrêté du 9 décembre 2013 concernant les assureurs) prévoit ainsi, notamment, que l'obtention d'informations régulières sur l'émetteur (ou l'emprunteur) est indispensable pour respecter les exigences de contrôle des risques et de valorisation.

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