Première séquence - Le double écueil du corset normatif et d'une politique commerciale européenne défavorable aux RUP

Younous OMARJEE, Député européen

(Diffusion d'une vidéo)

Mesdames, messieurs,

J'aurais aimé être parmi vous. Malheureusement, je participe au quinzième forum européen de l'Association des pays et territoires d'outre-mer à l'Union européenne (OCTA) à Aruba. Je voulais néanmoins ouvrir des perspectives et dresser le bilan de la politique de l'Union européenne à l'égard des RUP. Le résultat de cette action est contrasté, comme la situation de l'Union européenne aujourd'hui.

Une première grande période consista dans le rattrapage des retards. L'UE était alors en croissance et conduisait au développement de l'intégration. À cette époque, nous avons accompli des avancées significatives. Puis nous avons obtenu l'inscription, au moment de la négociation constitutionnelle, de l'article 349 dans le traité de Lisbonne. Il permet la reconnaissance de nos régions ultrapériphériques au plus haut de la hiérarchie des normes.

Tout notre combat a porté sur la mise en oeuvre de cet article. Nous attendions qu'une jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) détermine son champ d'application et tranche les débats de doctrine. Cet arrêt est intervenu. Nous savons aujourd'hui ce qu'il est possible de faire dans le cadre de l'article 349. La Cour précise, dans ses conclusions, les limites de son application.

Je travaille actuellement pour le Parlement européen à la rédaction d'un rapport sur la mise en oeuvre de cet article 349. Il sera probablement mis au vote en avril ou mai. J'attends la plus grande participation des parlementaires nationaux, de votre délégation sénatoriale, des acteurs économiques et des élus ultramarins à l'élaboration de ce rapport. Il dressera un constat de cette mise en oeuvre, mais tentera aussi d'ouvrir un certain nombre de possibilités pour l'avenir.

Il m'a été demandé d'intervenir sur la question de la politique commerciale à l'égard des RUP. Cette problématique n'est pas séparable de l'orientation des politiques générales de l'Union européenne. Nous en subissons les conséquences malgré nos particularités et malgré l'article 349. Nous ne devons pas livrer le combat dans un champ rétréci. Nous devons contester cette politique plus largement.

L'Union européenne est sûrement aujourd'hui la puissance la plus naïve du monde. Elle démantèle toutes les barrières douanières et tarifaires. Elle poursuit, envers et contre tout, cet objectif d'un grand marché mondial. Elle a placé au coeur de son action un certain nombre de dogmes, en particulier celui du libre-échangisme. Cette posture est très dommageable.

Néanmoins, depuis le Brexit, depuis l'arrivée de Donald Trump au pouvoir, depuis la contestation du traité de libre-échange transatlantique (TAFTA) et de l'accord économique et commercial global avec le Canada (CETA), avec notamment le rejet de ce dernier par la Wallonie, un débat sur la future politique commerciale de l'Union européenne a vu le jour. J'espère que l'Europe veillera enfin à protéger ses productions et ses emplois.

Pour la politique actuelle, il nous est très difficile de faire comprendre nos particularités et la nécessité de dérogations aux commissaires européens, notamment Madame Malmström qui possède des compétences exorbitantes en termes de négociations. Cela étant, les batailles ne sont assurément perdues que lorsque les combats ne sont pas menés.

Néanmoins, lorsque nous sommes capables de nous unir, lorsque nous savons agir avec méthode auprès de la Commission européenne, nous pouvons enregistrer des avancées. La Commission européenne multiplie les accords de libre-échange. Nombre d'entre eux concernent nos productions. Le dernier en date est le traité avec la Colombie, le Pérou et l'Équateur concernant notamment la banane.

Avec mon collègue Gabriel Mato, j'ai réussi à organiser des forces au Parlement européen pour que cet accord comprenne de véritables clauses de sauvegarde opérationnelles. Elles permettront de protéger davantage la banane communautaire. Jusqu'à présent, le déclenchement des clauses de sauvegarde était laissé à la discrétion de la Commission européenne. De fait, elles n'étaient jamais mises en oeuvre.

Lorsque nous avons introduit cette proposition dans le débat, tout le monde considérait comme impossible d'obtenir satisfaction. Cet accord politique avait une très grande importance pour l'Union européenne et pour l'Équateur. Personne ne voulait qu'il soit modifié. Nous avons quand même livré cette bataille. À une voix près, nous avons obtenu un vote en Commission du commerce international (INTA) et son examen par la Commission européenne, puis par le Conseil de l'Europe.

Ce résultat concret montre que, lorsque les RUP sont unies et que tous les groupes politiques du Parlement européen nous soutiennent, il est possible de se faire entendre auprès de ces instances. J'ai mené cette bataille pour la banane, mais aussi pour le sucre. Les dispositions introduites par le Parlement européen serviront de référence pour les futurs accords de libre-échange qui concerneront la canne à sucre.

Avec Philippe Labro, nous avons également mené un combat désespéré contre l'accord avec le Vietnam. Il fragilisait les sucres de La Réunion. Au dernier moment, nous avons pu introduire un certain nombre de dispositions qui ont finalement permis d'éviter le pire. Néanmoins, ces avancées ne répondent pas à nos demandes d'un changement de doctrine de la Commission européenne. Nous réclamons la prise en compte de nos intérêts et la mise en oeuvre de l'article 349.

Tel est le combat qu'il nous reste à mener. Nos discussions avec la Commission européenne portent sur ce sujet. Cette question sera au coeur de mon rapport sur l'article 349. Je demande à l'ensemble des acteurs d'inscrire cette question des accords commerciaux à l'ordre du jour du forum des RUP qui se tiendra à Bruxelles en mars. Au travers de ces accords se joue la survie de nos quelques productions ultramarines. Ce combat, nous sommes condamnés à le gagner.

Camille WEHRLI, Consultante d'Eurodom

Ces dernières années, l'actualité européenne a été marquée par une série de négociations d'accords de libre-échange avec des pays leaders sur nos productions : le Brésil, le Mexique, l'Indonésie ou le Vietnam. Ces économies ont en commun des coûts productifs, sociaux et environnementaux nettement inférieurs aux nôtres. Tous bénéficient d'une forte capacité d'exportation.

Si ces traités présentent un intérêt offensif pour l'Union européenne, les productions agricoles ultramarines sont en concurrence directe avec les denrées issues de ces pays fréquemment situés en zone tropicale. C'est pourquoi, contrairement à l'industrie européenne, les DOM adoptent plutôt une position défensive.

Des progrès ont été récemment constatés. Le mandat de négociation de l'accord avec le Mexique prévoit, pour la première fois, une prise en compte particulière des RUP. Néanmoins, face aux dangers encourus, nos productions sont insuffisamment considérées et protégées. Prenons l'exemple du rhum et des sucres spéciaux.

Les rhums des pays tiers arrivent par vagues sur les marchés européens. Ils rentrent en concurrence directe avec les producteurs des DOM. En métropole, leur croissance atteint 20 % par an. En Europe, les États-Unis dominent désormais le marché. Ils ont multiplié leur volume de vente par vingt-quatre en dix ans, notamment grâce à l'accord cover-over .

L'ouverture des frontières présente déjà des impacts. Ces dix dernières années, les exportations de rhum léger de La Réunion vers le marché allemand ont connu une chute catastrophique au profit des rhums des pays tiers. Autrement dit, le rhum des DOM doit faire face à une concurrence massive, agressive et parfois déloyale.

Les sucres spéciaux soulèvent une problématique bien connue. Avec 90 000 tonnes produites et exportées annuellement sur le marché européen, La Réunion est leader sur ce marché haut de gamme. Elle est toutefois suivie de près par l'île Maurice. Ce marché est déjà ouvert aux pays de l'ACP-PMA (pays les moins avancés d'Afrique, de la Caraïbe et du Pacifique) et passablement saturé.

Avec la suppression des droits de douane, les producteurs de canne des pays tiers convoiteront ce marché de niche très valorisable de manière très agressive. La pérennité des débouchés des sucres spéciaux est sérieusement menacée. Il est indispensable que l'Union européenne protège nos productions sensibles en les excluant des négociations. Un contingent réduit, même très limité, suffirait à compromettre nos filières.

Les autorités françaises sont particulièrement vigilantes. Elles ont pris conscience de ces enjeux et de la nécessité d'une mobilisation en amont des négociations. L'attention est plus timide au sein de la Commission européenne. Bien qu'elle s'y soit engagée le 20 juin 2012, elle n'a commandé aucune étude d'impact pour nos productions. Pire encore, elle mesure les conséquences sur l'agriculture européenne, mais pas sur celle des RUP. Il en va ainsi des analyses concernant le Mercosur ou le partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP).

La Commission européenne semble minimiser les alertes des producteurs en leur demandant de la convaincre. Depuis l'accord avec le Vietnam, nous assistons ainsi à un renversement de la charge de la preuve. Il revient aux producteurs d'assurer une veille continue, de fournir une documentation exhaustive permettant d'objectiver la menace et de caractériser le préjudice.

Une fois l'accord entré en vigueur, la Commission européenne doit continuer de prendre en compte nos productions afin d'amortir les effets négatifs des concessions commerciales. Tel n'est pas encore le cas. Pour les sucres spéciaux, compte tenu de la porosité des codes douaniers, un producteur de pays tiers peut ainsi contourner les droits de douane en faisant entrer sur le marché européen un produit identique, mais sous un code douanier libéralisé. De même, pour la banane, les clauses de sauvegarde n'ont pas été déclenchées malgré le dépassement des quotas. Le Parlement européen et le Sénat se sont récemment penchés sur cette problématique.

Si les négociations en cours commencent à prendre en compte les productions de nos territoires, notamment grâce à la mobilisation des professionnels et de la Délégation sénatoriale à l'outre-mer, cette démarche reste insuffisante compte tenu des enjeux. Comme l'article 349 l'y invite, la Commission européenne doit spontanément assurer la protection des productions communautaires et ne plus s'en servir comme « monnaie d'échange ».

Dominique VIENNE, Président de la Confédération des petites et moyennes entreprises réunionnaises (CPME Réunion)

Ce matin, une présentation a montré que l'économie productive réunionnaise est encore susceptible d'augmenter. Effectivement, le PIB par habitant à La Réunion est inférieur à celui de la métropole. Or, cet accroissement n'est possible qu'en développant l'emploi, en augmentant le pouvoir d'achat de la population. On nous a aussi présenté l'économie de proximité qui m'est chère. Il est nécessaire de changer le regard sur l'outre-mer. Nous sommes la France océanique, vaste de 11 millions de kilomètres carrés, contre 420 000 kilomètres carrés pour l'Hexagone.

Pour opérer ce développement, nous pourrions prendre modèle sur le small business act . Sa version européenne comprend dix mesures pour renforcer et accompagner le parcours entrepreneurial. Nous pourrions ainsi ne plus définir l'outre-mer par des lois, qui ne sont jamais assez ambitieuses, mais par ce small business act vu par l'Europe comme sa politique phare en faveur des TPE-PME. Nous emploierions ainsi plus efficacement les zones économiques exclusives (ZEE). Nous ne comprenons pas pourquoi le droit européen nous empêche de profiter de nos zones de pêche au profit d'autres pays comme l'Espagne.

Avec un small business act , nous pourrions nommer un ambassadeur auprès de la Commission européenne. Il rendrait compte des impacts sur nos économies ultramarines. Nous luttons souvent contre certaines législations injustes. Il existe depuis 2014 un panel test pour les PME. Pourquoi promulguer de nouvelles lois lorsque les dispositions existantes conviennent à nos structures ? Le small business act européen constituerait un cadre ambitieux pour créer les conditions normatives et fiscales propices à nos entreprises. Cette démarche répondrait au nécessaire changement de paradigme du financement invoqué par Maître L'Homme.

Ce matin, un intervenant a indiqué que La Réunion engendrait 6,6 milliards d'euros de valeur ajoutée. Je me suis renseigné auprès de l'Insee. Ce chiffre correspond uniquement aux entreprises dont le siège social se situe dans l'île, qui paient leurs taxes d'apprentissage et règlent leur fiscalité sur place. La valeur ajoutée des simples établissements n'a donc pas été projetée. Je rêve de voir émerger cette France océanique, que je porte dans mon coeur. Peut-être est-ce parce que nous ne sommes pas dans l'histoire de France que notre place est difficile à occuper ? Changeons de paradigme. Devenons l'avenir de la France : la France océanique.

Daniel MOREAU, Président de l'Interprofession fruits et légumes de La Réunion (Arifel) et de la société Royal Bourbon Industries

La diversification végétale, un pilier de l'économie réunionnaise

Les cultures fruitières et légumières couvrent 13 % de la surface agricole utile, produisent 36 % de la valeur de la production agricole de l'île et représentent environ 3 000 emplois directs (2 000 exploitations agricoles et 5 000 hectares).

La production totale est évaluée à 90 000 tonnes, à parts égales entre les fruits et les légumes. Ces chiffres font de la filière fruits et légumes la plus importante filière agricole à La Réunion et un secteur d'activité particulièrement important pour la structuration du milieu rural.

Les données actuelles établissent que la production locale répond à 70 % des besoins du marché local de fruits et légumes « frais », les 30 % restants étant satisfaits par l'importation. Ce chiffre est à rapprocher des 51 % de couverture des besoins en fruits et légumes frais par la production locale au niveau de la France hexagonale.

Apprécié globalement, ce chiffre peut être évidemment considéré comme particulièrement satisfaisant ; il cache pourtant de réelles problématiques :

- une forte progression des importations de certains légumes très consommés à La Réunion aux dépens de notre production locale (exemple : 90 % des oignons consommés à La Réunion sont importés) ;

- une part de marché des fruits et légumes transformés importés hégémonique (85 à 90 %) par rapport aux produits locaux équivalents et, par voie de conséquence, un vrai gisement en termes de développement d'activité locale ;

- une part de marché faible pour la production locale de fruits et légumes frais et transformés dans la restauration collective publique (environ un tiers seulement).

Face à la nécessité de relever ces défis, mais également de faire face à l'évolution des besoins liés à la croissance démographique et de saisir les opportunités à l'export pour des productions comme l'ananas Victoria ou le letchi, la filière « fruits et légumes » a créé, il y a 5 ans, une interprofession (l'Arifel).

On y retrouve des producteurs, des grossistes, des distributeurs, des transformateurs et des exportateurs.

L'enjeu est important tant du point de vue qualitatif que quantitatif. En chiffres, cela représente 40 000 tonnes de fruits et légumes de plus d'ici à 10 ans. Et de fait, les besoins de coordination et d'une stratégie collective entre les différents acteurs sont déterminants.

Parmi les marchés visés par ce plan stratégique, je vous propose de faire un focus particulier sur l'exportation des fruits, particulièrement visée par l'écueil normatif européen.

Si les différentiels de compétitivité trouvent essentiellement leur origine dans le coût du travail, le cadre normatif européen contribue substantiellement à les creuser.

L'exemple le plus parlant concerne la réglementation sanitaire et phytosanitaire.

Des productions pénalisées par une dépendance normative phytosanitaire qui creuse les différentiels de compétitivité.

En l'espace de 5 ans, la filière export a presque doublé ses volumes exportés vers le marché européen (cf. tableau ci-dessous), malgré les aléas climatiques (cyclones et sécheresses). Ce développement s'appuie sur une production emblématique du territoire : l'ananas Victoria.

La culture de l'ananas est une production fruitière majeure dans le contexte agricole réunionnais. Elle est mise en oeuvre pratiquement sur tout le territoire à différentes altitudes et représente environ 350 hectares. Chaque année, l'île de La Réunion exporte près de 2 500 tonnes d'ananas Victoria sur les marchés français et européen, soit 70 % des exportations totales. Reconnu par les consommateurs comme un fruit d'excellence, l'ananas Victoria constitue aussi une vitrine pour la promotion de notre île.

Évolution des exportations réunionnaises vers le marché européen

2011

2012

2013

2014

2015

2016

1 861

2 434

2 429

2 718

3 019

3 700

31 %

0 %

12 %

11 %

22 %

Toutefois, la filière se trouve aujourd'hui à un tournant de son développement et est confrontée à :

- des usages orphelins qui pourraient entraîner son effondrement. Depuis quelques années, les producteurs constatent une dégradation de leur matériel végétal, entraînant une perte de rendement au champ pouvant aller jusqu'à 50 %. Aujourd'hui, 60 % des surfaces de l'île sont touchés chaque année par la maladie du Wilt ;

Plusieurs bio-agresseurs ont été identifiés. En premier lieu, la maladie du Wilt est associée à un complexe de virus PMWaV-1 et PMWaV-2 (Petty, G.J. et al. 2002). Ces virus sont transmis par les cochenilles farineuses ( Dysmicoccus brevipes ) qui, elles-mêmes, ne sont pas mobiles et vivent en association avec les fourmis qui transportent leurs larves sur la plante. Les fourmis se nourrissent alors du miellat qui est sécrété et les protègent de leurs ennemis naturels tels que les coccinelles (Martin, J. P. 1970). À ce jour, nos producteurs ne disposent d'aucune solution pour cantonner à un niveau acceptable la population de fourmis. Des usages phytosanitaires non couverts amplifient désormais les distorsions de concurrence avec les producteurs d'ananas de pays concurrents tels que Maurice, qui eux peuvent avoir accès à des traitements chimiques non disponibles pour les agriculteurs réunionnais ;

- un cadre réglementaire rigide et inadapté aux enjeux du développement de l'agriculture biologique dans nos régions.

Face à des consommateurs de plus en plus exigeants tant sur la qualité des produits qu'ils consomment que sur les impacts des conditions de production, nos producteurs sont à la recherche de modes de production innovants, respectueux de l'environnement et susceptibles d'être mieux valorisés d'un point de vue économique. La perspective de marché offerte par cette prise de conscience du consommateur conforte la démarche entamée par la filière locale de production à travers son projet stratégique de développement qui vise à produire un ananas réunionnais respectant le cahier des charges de l'agriculture biologique. La maîtrise de l'induction florale est une étape-clé de l'itinéraire technique de production.

En effet, si des températures fraîches et des jours courts sont des facteurs induisant la floraison, la production naturelle des fruits est trop étalée dans le temps et aléatoire pour être commercialement viable. D'où la nécessité d'utiliser un procédé à base de charbon actif enrichi en éthylène, mis au point par le Cirad dans le cadre des réseaux d'innovation et de transfert agricole (Rita), pour l'induction florale des plants d'ananas. Ce procédé, bien qu'éprouvé, ne peut être utilisé aujourd'hui en raison de conditions d'usage de l'éthylène inadaptées à nos productions.

L'éthylène est inscrit sur la liste des substances actives approuvées par la Commission européenne selon le règlement CE n° 1107-2009 depuis septembre 2009. La substance est inscrite à l'annexe IV du règlement CE n° 396-2005 et n'est donc pas soumise à limite maximale de résidus (LMR). Le règlement CE n° 1318-2005 autorise l'utilisation de l'éthylène pour l'induction florale de l'ananas en agriculture biologique. Malheureusement, le règlement d'exécution CE n° 187-2013 limite les autorisations aux utilisations en intérieur (milieu clos) de l'éthylène pour les usages en Europe alors que l'induction florale de l'ananas se déroule systématiquement en extérieur. Dès lors, cette méthode est largement utilisée dans les pays tiers producteurs d'ananas, mais pas accessibles actuellement à nos producteurs ;

- un nouveau cadre réglementaire qui pénalise notre compétitivité.

C'est le cas du règlement européen 2016/2031 relatif aux mesures de protection contre les organismes nuisibles aux végétaux, en date du 26 octobre 2016. Ce règlement définit les nouvelles règles liées aux introductions de végétaux sur le territoire de l'Union européenne. La Réunion, comme d'autres territoires visés à l'article 355, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l'Union, est désormais désignée, dans le cadre de ce règlement, comme « pays tiers ». Les mesures définies par ce règlement imposeront dès 2019 que nos produits soient soumis à certification phytosanitaire, comme ceux provenant de pays concurrents tels que l'île Maurice, par exemple. La mise en place de ces nouveaux dispositifs conduira de toute évidence à la fois à alourdir nos procédures d'exportation, voire à les freiner considérablement, et à augmenter nos coûts d'expédition.

De plus, dès lors que les règles de délivrance de ces certificats seront propres à chacun des pays exportateurs, il est très vraisemblable qu'elles seront beaucoup plus contraignantes pour notre territoire que pour certains de nos concurrents.

En résumé, il s'agit d'une nouvelle source de déséquilibre de compétitivité pour nos activités qu'il nous faudra, avec le soutien des autorités françaises, tenter de réduire le plus possible.

Pour conclure, je me permettrai de rappeler les préconisations du rapport d'information sur les normes sanitaires et phytosanitaires applicables à l'agriculture des outre-mer fait par la Délégation sénatoriale à l'outre-mer, présidée par Michel Magras. Il ressort de ce rapport, trois mesures prioritaires qui, mises en oeuvre rapidement, auront un impact majeur sur la compétitivité de nos productions vis-à-vis des pays tiers :

- supprimer les tolérances à l'importation pour les denrées traitées par une substance active interdite dans l'Union européenne ;

« Cette mesure contribuera à restreindre l'avantage comparatif indu dont bénéficient des pays tiers et à les forcer à s'aligner sur les normes européennes de production s'ils souhaitent pénétrer nos marchés . »

- faire obligation aux firmes pétitionnaires de joindre à tout dossier d'autorisation de mise sur le marché (AMM) d'un produit phytopharmaceutique des analyses portant sur son utilisation sur des cultures tropicales. Dès lors, fusionner sur cette base les deux procédures d'octroi d'AMM et d'extension d'autorisation pour usage mineur sur cultures tropicales.

Cette mesure permettra de s'affranchir des difficultés liées au manque d'engagement de la part des firmes phytosanitaires dans les démarches d'extension pour usages mineurs, malgré le peu d'attractivité du marché des DOM ;

- prendre en compte systématiquement les outre-mer dans les travaux du Comité des normes agricoles installé en mars 2016, à la fois pour l'analyse des normes existantes et pour la préparation de nouvelles normes.

Nous recommandons qu'un ou plusieurs représentants des professionnels des DOM soient membres du comité. Ils auront la mission de faire remonter et de suivre les propositions de modifications issues des DOM.

Philippe LABRO, Président du Syndicat du sucre de La Réunion et Président du directoire de Tereos Sucre océan Indien

Je ne suis nullement un pourfendeur de la Commission européenne. Un pan entier de la politique européenne, notamment le POSEI, est très favorable à l'outre-mer. Néanmoins, il existe un problème de cohérence entre la politique interne et la politique externe. Nous avons parfois le sentiment d'être confrontés à un dogmatisme ultralibéral très dangereux pour nos économies ultramarines.

Mon propos portera sur le sucre. Il vaudrait autant pour le rhum, pour la banane ou pour le sucre de la Guadeloupe et de la Martinique. À La Réunion, la filière de la canne à sucre représente 18 300 emplois directs, indirects et induits, soit 13,3 % de la population active du secteur privé. En métropole, cette proportion équivaudrait à 2,3 millions d'emplois, à 3,5 millions d'emplois en ajoutant la Guadeloupe et la Martinique.

La consommation totale de sucre en Europe s'élève à 18 millions de tonnes, dont 17,7 millions de tonnes de sucre blanc et 300 000 tonnes de sucre roux. Dans le cadre des DOM, seule cette seconde variété nous intéresse. Elle correspond à un marché de niche de 1,5 %. La Réunion est leader en Europe, suivie de près par l'île Maurice. Toutefois, ce marché évolue très rapidement.

Depuis 2009, grâce à l'accord ACP-PMA, les productions de l'île Maurice et celles de l'Afrique australe et de l'Afrique de l'Est peuvent entrer sur le continent européen sans quota ni taxe. Pour la période 2009-2015, ces importations représentent 5 milliards d'euros, soit 750 millions d'euros par an en moyenne. Le coût moyen de l'heure de travail dans l'industrie sucrière de ces pays est entre 17 et 20 fois plus faible qu'à La Réunion.

Les accords avec les pays du Pacte andin ont accordé des quotas de 120 000 tonnes de sucre en 2013. Ils se sont ensuite étendus à l'Amérique centrale pour 150 000 tonnes. Le cumulé, environ 300 000 tonnes, correspond à la taille du marché européen des sucres spéciaux. Quand l'Union européenne conclut des accords globaux sur le sucre, elle ne précise pas la part relative aux sucres spéciaux. Si ces pays exportent vers l'Europe 300 000 tonnes de sucre blanc, cette quantité n'est pas significative pour un marché de 17,7 millions de tonnes. En revanche, s'ils choisissent d'y exporter des sucres spéciaux, ils pourraient représenter la totalité du marché.

En 2014, nous avons conclu des accords avec l'Afrique du Sud. Nous avons réussi à exclure totalement les sucres spéciaux de ces négociations. En 2015, pour le Vietnam, la Commission européenne a refusé d'exclure totalement les sucres spéciaux, mais a accepté de limiter à 400 tonnes les sucres spéciaux sur 20 000 tonnes de quotas accordés.

Ce chiffre équivaut au prorata de la production et de la consommation européenne de sucres spéciaux. Cette disposition est satisfaisante. Néanmoins, comme le soulignait Camille Wehrli, plusieurs codes douaniers permettent d'importer des sucres spéciaux. Or, seul l'un d'entre eux a été protégé.

L'Union européenne a engagé des négociations avec le Brésil et avec la Thaïlande, respectivement le premier et le deuxième exportateur mondial, avec l'Inde, deuxième producteur mondial, avec les Philippines, etc. La Commission européenne refuse toute exclusion de principe.

Nous formulons cinq demandes :

- réaliser des études d'impact préalables à la signature des mandats de négociation ;

- obtenir si possible l'exclusion totale des sucres spéciaux des accords ;

- négocier un prorata de 1,5 % lorsque l'exclusion est impossible ;

- régler le problème des codes douaniers ;

- étudier les conséquences des accords, notamment en termes de clauses de sauvegarde.

La Délégation sénatoriale à l'outre-mer et la Commission des affaires européennes ont produit d'excellents rapports à ce sujet. Je les en remercie. Désormais, plus personne ne peut dire à Bruxelles qu'il ignore la problématique des sucres spéciaux. Nous ne comptons pas d'adversaire en Europe, puisque seule la France produit du sucre de canne. Toutefois, il est difficile de mobiliser nos partenaires. C'est pourquoi nous devons poursuivre cette démarche.

Source : Syndicat du sucre de La Réunion

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