Seconde séquence - La politique européenne de financement et de compensation des surcoûts : un soutien déterminant mais jusqu'à quand ?

Fabrice MINATCHY, Président de l'Association réunionnaise interprofessionnelle de la pêche et de l'aquaculture (Aripa)

La pêche réunionnaise s'étend jusqu'aux zones économiques exclusives (ZEE) des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Elle constitue un secteur d'activité stratégique à l'échelle de l'océan Indien. Longtemps maintenues dans un modèle artisanal et vivrier, parce que tardivement intégrées à la politique commune de la pêche (PCP), à la fin des années 1990, les pêcheries réunionnaises n'ont cherché que sur le tard à concrétiser des potentialités reconnues de tous.

À partir des années 1990, les aides publiques ont activement participé à l'essor de la pêche réunionnaise, conformément aux enjeux communautaires de préservation durable de la ressource halieutique. Malgré un appui financier important, le secteur a néanmoins connu des fortunes très diverses.

La filière était forte de son hétérogénéité, entre bons et mauvais pêcheurs, entre bons et mauvais gestionnaires, entre professionnels et opportunistes. Les effets d'aubaine suscités par les dispositifs fiscaux ont trop souvent renvoyé au second plan les stratégies d'entreprise, de valorisation et de marketing. Les aides publiques, déconnectées des réalités du marché, ont dénaturé les initiatives.

Certes, les opérateurs les mieux structurés, de la grande pêche australe essentiellement, en ont tiré profit pour mener des investissements ambitieux et maîtrisés. Ils se sont notamment diversifiés sur la pêche thonière à la senne. Pour les autres, non regroupés, peu compétitifs, vulnérables aux fluctuations des changes et du prix du baril, les tentatives de structuration, en 2000 puis en 2007, ont abouti à des liquidations judiciaires.

Parallèlement, l'instabilité de l'encadrement de l'Union européenne sur les flottes et sur les aides, ainsi que le desserrement sans anticipation des contraintes communautaires n'ont pas permis aux opérateurs de définir des stratégies de moyen et de long termes. C'est pourquoi les dérogations accordées aux RUP pour l'octroi d'aides publiques à la construction de navires de pêche n'ont pas produit les effets escomptés.

La crise de la pêche de 2008 a provoqué un déclic. Les opérateurs se sont laissé convaincre de la nécessité de coaliser leurs actions. Les clivages entre entreprises se sont estompés avec la disparition des acteurs contre-productifs. Tous ont reconnu que conforter la pêche réunionnaise supposait une professionnalisation des pratiques et une structuration de la filière au travers d'une organisation interprofessionnelle.

Les navires et les entreprises de pêche réunionnais se sont engagés dans le cadre législatif et réglementaire. Les navires réunionnais ont répondu aux normes techniques, les équipages aux standards de formation professionnelle, les entreprises aux régularités sociales et fiscales. La conditionnalité des aides publiques à la formalisation des opérateurs a joué un rôle prédominant.

Une dynamique de structuration en interprofession s'est ainsi initiée, à l'instar du modèle d'organisation prévalant depuis plus de vingt ans dans l'élevage et dans l'agriculture. L'Aripa a ainsi créé les fondations d'une filière délibérément engagée dans le développement économique et la structuration de ses opérateurs.

Les contraintes structurelles propres à l'ultrapériphéricité, les distorsions de concurrence vis-à-vis des pays tiers ont nécessité l'apport d'aides publiques pour compenser nos surcoûts. Cet apport était d'autant plus nécessaire que la pêche est une activité cyclique dans laquelle l'investissement s'amortit sur le long terme.

Les effets positifs ne se sont pas fait attendre : stabilisation puis revalorisation du prix d'achat du poisson aux producteurs, structuration et régulation des apports en poisson du marché intérieur, meilleure pénétration du poisson réunionnais dans le panier de la ménagère, reprise d'exploitation de navires laissés à l'abandon dans la darse de pêche hauturière, création d'activités de valorisation dans la transformation. Ces aides doivent pouvoir durablement être ancrées dans le secteur. Elles doivent inciter le plus grand nombre à participer à la démarche de structuration interprofessionnelle.

Les prochains défis amèneront la pêche réunionnaise à se garantir dans son bassin maritime une ressource halieutique préservée et non surexploitée, à renouveler ses outils de production pour aller en quête des espèces pélagiques migratrices encore disponibles en océan Indien, à mieux différencier ses captures. La pêche réunionnaise doit bénéficier d'une adaptation des politiques européennes afin de renouveler ses outils de production et assurer son émancipation.

Thierry GALARME, Président du Medef Mayotte

Est venu le temps de vous parler de la difficile captation des fonds européens sur notre territoire. Cinq minutes seulement m'étant imparties pour ce sujet ô combien complexe, je tâcherai d'être concis.

Mon propos se développera en deux parties : un premier pan sera consacré au constat de la triste situation actuelle tandis qu'un second se consacrera aux quelques perspectives positives entrevues et à nos propositions.

Je tiens à remercier les adhérents de mon organisation - le Medef - et les services de l'État et des collectivités qui nous ont aidés par leurs connaissances et le temps qu'ils nous ont consacré, à étoffer ce propos.

Un constat somme toute négatif

Je débuterai par un constat simple : les taux de captation des fonds européens sur notre territoire sont aujourd'hui médiocres. Qu'ils nous semblent lointains ces temps où Thierry Repentin, alors ministre délégué aux affaires européennes, affirmait que nous pouvions espérer bénéficier de plus de 340 millions d'euros. Aujourd'hui, les chiffres sont clairs : sur 148 millions de fonds FEDER, seuls 40 ont été programmés et aucun n'a connu de paiement. La durée moyenne entre l'enregistrement du dossier et sa sélection est par ailleurs de 379 jours ! Plus d'un an pour faire valider un dossier, sans aucune visibilité sur les fonds qui seront finalement, ou non, obtenus : c'est absolument inimaginable !

Et que dire quand aucun dossier n'est monté dans l'Objectif Spécifique (OS) 1.2 du premier axe du FEDER, pourtant primordial : celui de donner l'accès à l'eau potable à une population la plus large possible ? N'est-ce pas d'une tristesse infinie que ces 14 millions se perdent, alors que les restrictions d'eau touchent actuellement la moitié de notre territoire et toutes nos entreprises ? Et que dire de ce chiffre tout aussi ridicule de 544 000 euros programmés alors que 18 millions sont disponibles dans l'axe consacré à l'innovation et à la compétitivité de nos entreprises ? Il semblerait que face à nos voisins réunionnais, qui sont dotés de plus d'un milliard et qui assurent déjà 54 opérations programmées, des appels de fonds et même déjà des paiements, nos résultats fassent pâle figure.

Les causes de ce triste bilan sont tout d'abord à chercher du côté de ce que la Cour des comptes appelait dans son dernier rapport sur la question « une départementalisation mal préparée » : alors que l'autorité de gestion devrait être une compétence du Département, sa direction des affaires européennes aux effectifs réduits s'est trouvée incapable d'assurer la gestion des fonds européens et le Conseil départemental a donc demandé à l'État le 25 mars 2013 de garder, à titre transitoire, le rôle d'autorité de gestion jusqu'en 2017.

Mais le Département n'est pas l'unique responsable : comme je vous le disais, les délais de l'administration gestionnaire sont bien trop longs pour que les acteurs économiques engagent la nécessaire trésorerie au fonctionnement de ce système. Les contrôles qui suivent les demandes de paiement peinant, elles aussi, à se mettre en place, les financements ne sont aujourd'hui toujours pas visibles à l'horizon.

Il me faut enfin conclure ce bilan en soulignant que les porteurs de projets doivent eux aussi se remettre en question : trop souvent, en effet, la compétence dans le montage de dossiers a manqué sur notre territoire et la faiblesse de la quantité comme de la qualité des dossiers rendus doit nous pousser à réfléchir ensemble aux améliorations possibles.

Des perspectives néanmoins encourageantes

Si nous avons souligné des problèmes, il nous faut aussi souligner les perspectives positives, car elles existent : si les taux de programmation des crédits sont en effet bien faibles (26 % pour le FEDER, 8 % pour le FSE), il faut se rappeler que nous partions de zéro et que Mayotte, devenue région ultrapériphérique en 2014, ne fait ici que son premier bilan des dispositifs de politique de cohésion. Si le taux de programmation du FSE est aujourd'hui très modeste, il semblerait néanmoins que plusieurs dossiers soient en cours de finalisation et que l'on pourrait atteindre les 20 % dès la fin de cette année. Il faudra persévérer dans cet effort.

Il nous faut aussi souligner que, malgré le tableau au moins gris que nous avons dessiné en termes d'organisation administrative , le secrétaire général aux affaires régionales (SGAR) Jean Almazan - qui vient de quitter notre territoire après 9 mois de service, et dont je salue le travail - a organisé une véritable restructuration des services, qui a permis de faire passer le Pôle Europe de la Préfecture de 4 à plus de 15 personnes, ce qui crée au total une équipe de plus de 35 fonctionnaires étatiques chargés de faire aboutir ces dossiers.

Nos propositions

Je vais désormais vous proposer quelques axes d'amélioration qui me sont apparus comme prioritaires :

- le premier axe à suivre sera de conclure la réorganisation qu'a commencé le SGAR, notamment en élargissant la redistribution des compétences pour définir au mieux les soutiens nécessaires au montage d'un dossier, dépendant souvent de plusieurs administrations : SGAR, conseil départemental, DIECCTE mais aussi parfois DEAL. Il faut que les entreprises et les porteurs de projets aient en face d'eux un guichet unique qui permettra de réduire efficacement les délais de traitement aujourd'hui tout à fait excessifs ;

- ma seconde proposition est de prolonger l'autorité de gestion des fonds accordée au SGAR et donc à l'État jusqu'à la fin du programme. Les compétences n'étant pour l'instant toujours pas présentes au sein du Conseil départemental, il serait dangereux de tenter une marche vers le droit commun alors même que le montage des dossiers commence tout juste à monter en puissance. Néanmoins, afin de permettre une nécessaire transition en douceur, le Pôle Europe du Conseil départemental doit être étoffé en personnel qualifié et doté d'un budget propre destiné à un cofinancement qui manque aujourd'hui cruellement à de nombreux porteurs de projets assumant seuls la lourde charge financière induite par les délais de traitement ;

- enfin, au vu de la situation économique de Mayotte, territoire le plus pauvre de France, ne l'oublions pas, même les filiales des grands groupes sont en réalité des PME : l'ouverture des fonds européens aux filiales de ces groupes est donc une vraie nécessité pour qu'enfin les entreprises se saisissent d'un trésor aujourd'hui médiocrement exploité.

En conclusion, je voudrais élargir quelque peu l'horizon : en effet, si la difficulté dans la réalisation de montages européens à Mayotte est bien causée par les nombreuses variables dont je vous ai parlé, il me faut aussi souligner que j'ai eu vent de plusieurs projets d'investissements et de montage de dossiers européens qui n'ont pas abouti au vu de problèmes plus larges qui touchent aujourd'hui Mayotte, notamment l'insécurité et l'impossibilité de se projeter dans l'avenir.

Depuis le début de mon mandat, je n'ai cessé de lutter pour que Mayotte redevienne un territoire attractif, malgré sa violence, malgré ses faiblesses, malgré ses imperfections. Et pour cela, Mesdames, Messieurs, les entrepreneurs parlent d'une seule voix pour dire que seule une zone franche nous rendra demain l'attractivité que nous avons perdue auprès des investisseurs et des jeunes diplômés. C'est, je le crois vraiment, la seule voie qui nous permettra d'éviter le double marasme économique et social vers lequel nous tendons aujourd'hui.

Merci à tous pour votre écoute.

Martin WITTENBERG, Directeur du bureau de Bruxelles et associé d'Euros/Agency

Je ne traiterai pas des fonds européens structurels, mais des fonds européens sectoriels. Notre agence accompagne des porteurs de projets dans le montage, le dépôt et la mise en oeuvre de leurs dossiers de financement. Nous accomplissons cette mission en métropole et à Mayotte depuis deux ans. Comme Thierry Galarme, le bilan mahorais est assez mitigé. Les fonds européens sont disponibles, mais les contraintes administratives nuisent à l'efficacité du système.

Nous avons accompagné la commune de Sada dans le montage d'un dossier FSE pour la réinsertion d'adultes isolés. L'instruction a duré dix mois. Quand nous avons reçu la convention, elle comportait tellement d'erreurs que nous avons dû la renvoyer pour demander des modifications. Entre le moment où nous avons été sollicités et la mise en oeuvre du projet, il s'est ainsi passé plus d'un an. Par ailleurs, nous sommes confrontés au problème du cofinancement. Les collectivités locales mahoraises disposent de peu de ressources pour apporter la contrepartie aux fonds européens. Nous pourrions donc gagner en efficacité.

Les fonds sectoriels sont moins connus que les fonds structurels. Ils sont pourtant ouverts aux porteurs de projets en métropole et dans les DOM. Ils sont le plus souvent gérés depuis Bruxelles, avec des enveloppes financières plus importantes. Ils couvrent différents domaines. Citons les programmes Erasmus, Europe créative, Cosme pour la compétitivité des PME, Horizon 2020 pour la recherche et l'innovation, Life pour la préservation de la nature et de l'environnement, Best , etc.

La Réunion a davantage l'habitude d'utiliser ces fonds que Mayotte qui n'est une région européenne que depuis trois ans. Ces outils représentent une véritable opportunité, un réel relais de croissance et de financement. Nous parlions de l'importance de l'investissement à Mayotte. Il est nécessaire de le financer. L'Europe ne pourra pas répondre à tous les besoins du territoire, mais il est possible, au-delà de la préfecture, de financer des projets plus conséquents.

Pour entreprendre cette démarche, il convient de se renseigner. Malheureusement, il n'existe pas de site qui agrège l'ensemble de ces aides. L'Europe devrait veiller à amener plus de lisibilité pour le porteur de projet. Cette documentation est parfois en anglais, mais souvent traduite. Le montage de ces dossiers est compliqué. À Mayotte, il peut être intéressant, pour les porteurs de projets, de s'insérer dans les consortiums existants.

Il en existe sur de nombreux sujets tels que l'économie circulaire, l'économie de la mer, la recherche, etc. Des porteurs de projets mahorais pourraient être les partenaires français de ces consortiums. Très souvent, le projet doit présenter une « valeur ajoutée européenne ». Il me semble que Mayotte peut être un territoire test pour des projets pilotes. Ne possédant pas d'antériorité dans la mise en oeuvre de politiques publiques, il est possible d'imaginer des dispositifs différents.

Par exemple, avec l'un de mes clients, nous avons monté un projet de communication et de sensibilisation innovant sur le tri et le recyclage à Mayotte. Pourquoi sommes-nous intervenus sur place ? Parce que la collecte sélective n'est intervenue que très récemment et que les habitudes de tri sont très récentes. Ce faisant, nous pourrons tester des méthodes innovantes. Nous avons obtenu l'appui du sénateur Thani Mohamed Soilihi, des députés européens Younous Omarjee et Joseph Manscour.

Si, au printemps, nous obtenons une réponse favorable, nous investirons plus de 2 millions d'euros à Mayotte dans les prochaines années. Cet argent bénéficiera à des prestataires locaux. Par ailleurs, les partenaires européens du projet, qu'ils soient allemands, belges ou néerlandais, viendront à Mayotte pour apprendre ces nouvelles pratiques. Il me semble intéressant que Mayotte ne soit pas simplement considérée comme devant effectuer un rattrapage, mais comme un territoire test.

Benoît LOMBRIÈRE, Délégué général adjoint d'Eurodom

Le thème de cette table ronde est un peu anxiogène. Il demande « jusqu'à quand » les RUP bénéficieront des financements européens. Depuis trente ou quarante ans, nous ne cessons de nourrir des inquiétudes. Pourtant, l'Europe reste tant bien que mal un soutien. Des milliards d'euros sont investis dans nos territoires. Ils suivent même des processus dérogatoires à l'orthodoxie communautaire pour s'adapter aux différentes situations. En menant le combat, nous sommes jusqu'à présent parvenus à obtenir gain de cause. Il n'existe pas de raison qu'il en aille autrement à l'avenir.

Cela étant, nous devrons nous adapter à une Europe qui est en train de changer. Elle évolue d'abord à cause du Brexit. En pratique, la décision du Royaume-Uni se traduit par une baisse de 10 milliards d'euros d'un budget total de 140 milliards d'euros, soit environ 7 %. L'Europe évolue ensuite parce que ses priorités changent. Elle privilégie la lutte contre le terrorisme, la gestion des migrations, le contrôle des frontières.

Le Brexit fait également peser un risque sur la construction européenne elle-même. À la radio allemande, il y a quelques jours, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, déclarait : « les Britanniques peuvent diviser sans trop d'efforts les vingt-sept autres États membres. [...] L'Union européenne évolue dans des directions différentes selon les pays, des directions difficilement compatibles entre elles . » Cette déclaration peut susciter des inquiétudes sur la cohésion de la structure même de l'Europe. Les RUP pourraient éprouver encore plus de craintes.

L'Union européenne poursuit en effet son mouvement d'élargissement. Elle intègre des régions dites « en retard de développement », qui présentent parfois des difficultés supérieures à nos RUP. Nos argumentaires doivent s'adapter à ce nouveau contexte. Ils doivent devenir plus techniques, plus économétriques, plus juridiques. Chaque demande de dérogation doit être davantage justifiée. Le combat est ainsi encore plus intense que par le passé.

En dépit de ce constat, il subsiste des éléments d'optimisme. Les fonds de la politique régionale ont ainsi été maintenus. Le Président de la République lui-même a dû s'engager, au sein du Conseil européen, pour que l'intégralité de ces fonds soit maintenue. De même, si les fonds de la politique agricole commune (PAC) ont baissé de 15 %, l'enveloppe du POSEI a été maintenue. Au final, dans une Europe qui revoit ses priorités, les RUP sont relativement épargnées. Ce maintien des aides est dû à l'unité des acteurs concernés.

« Jusqu'à quand ? ». La politique européenne de financement perdurera tant que nous aurons l'énergie de nous défendre, tant que nous développerons des arguments pour expliquer nos particularismes. Il importe également que nous fassions preuve d'unité : entre la droite et la gauche, entre acteurs socio-professionnels au plan local et national (CCI, Adir, MPI, Medef, CPME, Fedom), entre parlementaires français et parlementaires européens. À Bruxelles, ces derniers exercent une influence considérable, supérieure à ce que vous imaginez. Vous devez rendre visite à l'ensemble de vos parlementaires, nationaux comme européens.

D'un point de vue gouvernemental, nous avons également de plus en plus besoin d'agir dans l'unité, en formant des alliances, par exemple avec les Portugais et les Espagnols. La Commission européenne ne nous est pas hostile a priori . Il lui arrive de commettre des maladresses, de ne pas vouloir écouter, mais elle s'obstine moins que d'autres pouvoirs. Quand on lui apporte des arguments, elle fait preuve de moins d'orgueil. Son manque de passion, sa moindre humanité peut déstabiliser. Elle présente toutefois la qualité de savoir changer d'avis en présence d'arguments convaincants.

En conclusion, tant que nous serons unis et convaincus, il n'existe aucune raison que la politique communautaire cesse. Elle évoluera, mais ne s'arrêtera jamais tant que nous saurons nous défendre.

Alain ROUSSEAU, Préfet, Directeur général des outre-mer

Ces rencontres régulières dédiées aux économies ultramarines sont très importantes. La question posée dans cette table ronde est effectivement anxiogène. Il convient toutefois de dissiper les inquiétudes en livrant un constat objectif. Chaque fois que nous avons dû renégocier une génération de contrat ou discuter des termes du règlement général d'exemption par catégorie (RGEC), l'angoisse a monté et a finalement été démentie par le résultat de la discussion.

Non seulement le soutien de l'Union ne nous a jamais fait défaut, mais il s'est sans cesse accru. L'aide par habitant ultramarin est aujourd'hui huit fois supérieure à celle reçue en métropole. Les RUP perçoivent 22 % des fonds pour une population qui représente environ 3,3 % du total des Français. La spécificité de l'outre-mer est donc bien prise en compte à Bruxelles.

Cette situation perdurera-t-elle ? Nos premiers contacts à propos de la future génération de contrats ne donnent pas à penser qu'il existerait la moindre volonté de réduire ces fonds après 2020. Certes, nous devrons négocier et objectiver nos besoins, mais le Brexit ne semble pas devoir conduire à une réduction des aides. Il pourrait même donner lieu à une plus grande concentration des fonds sur les territoires en difficulté, les RUP notamment.

Qu'en est-il du point de vue de l'État ? La question du RGEC sera traitée dans les deux mois à venir. Son nouvel équilibre est satisfaisant, même s'il ne correspond pas à nos demandes initiales. Là aussi, la discussion n'a pas laissé apparaître une quelconque volonté de remise en cause du dispositif spécifique aux économies ultramarines. Nos surcoûts sont reconnus. Nous les avons objectivés dans une étude afin d'écarter tout risque ou toute suspicion de surcompensation. La logique actuelle conduit plutôt à une sécurisation du dispositif. Il sera maintenu à court et à moyen termes, fournissant aux différents acteurs une certaine visibilité. Je ne crois nullement à l'indifférence de Bruxelles. Nous devons simplement être crédibles.

La question de l'accès aux fonds est néanmoins posée. Je reconnais que les démarches administratives sont problématiques, notamment pour les TPE qui ne disposent pas de l'ingénierie nécessaire. Nous devons améliorer les procédures. Toutefois, cette évolution n'est pas simple à engager. L'administration éprouve naturellement des difficultés à simplifier. Parallèlement, les autorités de gestion et les collectivités régionales doivent développer des stratégies d'appui en ingénierie pour que les dossiers soient plus rapidement instruits. Il conviendrait également d'évoquer le sujet du préfinancement des aides pour les TPE qui rencontrent des problèmes de trésorerie.

Cela étant, le débat sur les aides européennes ne doit pas occulter la réflexion sur le développement de ces économies. Nous devons non seulement entretenir les secteurs existants, c'est essentiel, mais il faut aller au-delà en portant des projets économiques de territoire. Je ne suis pas certain que nos outre-mer soient doués pour bâtir des programmes élaborés ensemble et consensuels. J'ai pu observer cette insuffisance au cours de ces deux dernières années. Là réside un handicap contre lequel l'Union ne peut rien. Il faut apprendre à bâtir des projets de développement économique dans nos outre-mer, partie intégrante de projets de territoires.

Ainsi, les conditions de la réussite sont les suivantes : être animé d'une franche volonté d'aboutir, rechercher le consensus, faire le choix de priorités et concentrer les demandes sur quelques secteurs stratégiques pour l'avenir. Le discours ne doit pas se limiter à l'évocation de nos difficultés, mais mettre également en avant nos potentiels : l'économie verte, l'économie bleue, la numérisation, la maritimisation du monde. Toutes ces évolutions donnent aux RUP les moyens de devenir compétitives dans leur environnement régional.

Outre un certain nombre de mesures importantes, la loi EROM nous fournit un cadre conceptuel. Les outre-mer doivent aujourd'hui construire leurs propres modèles de développement. Il est intéressant que cette ambition figure dans la loi. Chaque collectivité doit trouver dans son environnement les propres conditions de son essor. Cette loi offre également un cadre d'élaboration, le plan de convergence dont nous attendons beaucoup.

Ce texte constitue un creuset pour établir un diagnostic partagé des handicaps et des opportunités de chaque territoire, pour construire ensuite une stratégie de développement avec l'aide de l'Union européenne et de l'État. Dès lors que cette démarche aura été adoptée, les inquiétudes concernant le devenir des fonds européens seront, je le crois, au moins en partie dissipées.

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