D. ADAPTER LE DROIT DU TRAVAIL

Enfin, une rénovation du cadre applicable en matière de droit du travail doit être opérée afin de renforcer l'attractivité française pour les entreprises internationales.

En effet, les professionnels du secteur financier entendus par la commission des finances s'accordent pour voir dans le droit du travail français un obstacle qui demeure dans les arbitrages internationaux de localisation d'activités.

Contrairement aux points soulevés précédemment, ce n'est pas l'instabilité, les dispositions du code du travail critiquées ayant peu évolué depuis le début des années 2000, mais le manque de prévisibilité résultant des règles en vigueur qui est en cause.

Une difficulté majeure, bien identifiée et qui doit être rapidement traitée, concerne l'incertitude sur le coût d'un licenciement économique . Les entreprises du secteur financier y sont particulièrement exposées, compte tenu du caractère cyclique de leurs activités ainsi que des niveaux et de l'architecture des rémunérations servies, intégrant une part fixe et une part variable.

Actuellement, aucun encadrement des indemnités que le juge peut prononcer n'est prévu par le code du travail 240 ( * ) , ce qui tire les indemnités de conciliation à la hausse, et rend difficile toute prévisibilité sur le coût définitif d'un licenciement.

Le travail de recensement, effectué par l'inspection générale des finances, des cent onze décisions prononcées en juridiction d'appel entre 2010 et 2016 sur les licenciements économiques intervenus dans le secteur financier, atteste ainsi d'une grande dispersion des indemnités prononcées par le juge d'appel. Dans moins de 5 % des décisions, des indemnités supérieures à deux millions d'euros ont été prononcées - et même à six millions d'euros dans un cas. Marginales, ces situations n'en forment pas moins la règle du point de vue des entreprises, qui ne peuvent prévoir le coût définitif de la rupture d'un contrat de travail pour motif économique.

Cette incertitude constitue un désavantage par rapport à nos voisins européens. À titre d'exemple, en Allemagne , un double encadrement des indemnités de licenciement pour motif économique s'applique : d'une part, le contrat de travail peut prévoir que le salarié renonce par avance à la possibilité de recours devant le juge, en contrepartie d'une indemnité qu'il détermine à l'avance 241 ( * ) ; d'autre part, en phase contentieuse, un barème enserre les indemnités que le juge prononce. Ce cadre garantit ainsi une forte prévisibilité à l'employeur, sans pour autant priver le salarié d'une juste indemnisation du préjudice subi.

Ces difficultés, bien appréhendées, ont fait l'objet de plusieurs tentatives de résolution . Si la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi 242 ( * ) a introduit un barème indicatif, fixé par voie réglementaire, pour déterminer l'indemnité de conciliation, la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques 243 ( * ) avait entendu instaurer un barème impératif de l'indemnité contentieuse, variant en fonction de l'ancienneté du salarié et de la taille de l'entreprise. Toutefois, en raison de l'application de ce dernier critère, sans lien avec le préjudice subi par le salarié, le Conseil constitutionnel a censuré ces dispositions, jugeant qu'elles introduisaient une rupture d'égalité devant la loi entre les salariés licenciés 244 ( * ) . Prenant acte de cette décision, le Gouvernement entendait initialement soumettre au Parlement une nouvelle version de ce barème dans la version préparatoire du projet de loi relatif au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels ; il y a finalement renoncé dans le projet in fine soumis au Parlement.

C'est pourquoi votre rapporteur général recommande d'instaurer un barème fixant un montant minimal et maximal des indemnités en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse , variant en fonction de l'ancienneté du salarié et reprenant les modalités prévues par le Sénat en première lecture du vote du projet de loi relatif au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.

Quoique s'imposant à l'ensemble des salariés, cet encadrement des indemnités prud'homales vaut tout particulièrement pour le secteur financier et les emplois susceptibles d'être transférés de la City, compte tenu du niveau élevé des rémunérations et du caractère cyclique de l'activité.

Recommandation n° 14 : instaurer un barème encadrant les indemnités prononcées par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, afin de garantir davantage de prévisibilité aux employeurs.

S'agissant des licenciements collectifs , les dispositions applicables 245 ( * ) prévoient que, pour les entreprises d'au moins 50 salariés, l'employeur est tenu de mettre en place un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) en cas de licenciement de dix salariés ou plus au cours d'une même période de trente jours. Il s'ensuit en particulier des obligations renforcées, notamment pour l'accompagnement des salariés. Le seuil de dix salariés licenciés durant trente jours s'apprécie quelle que soit la taille de l'entreprise, au-delà de cinquante salariés.

Quoique ces dispositions résultent en partie d'un encadrement par le droit de l'Union européenne 246 ( * ) , des règles mieux proportionnées ont été définies dans d'autres États membres .

Tel est notamment le cas en Allemagne, où des seuils progressifs en fonction du nombre d'employés de l'entreprise s'appliquent, soit le licenciement, dans un même délai de trente jours :

- de plus de 5 personnes dans les établissements comprenant entre 20 et 59 salariés ;

- d'au moins 10 % ou de plus de 25 employés dans les établissements comprenant entre 60 et 499 salariés ;

- et d'au moins 30 employés dans les établissements de plus de 500 salariés.

De fait, le seuil à partir duquel s'ouvrent les obligations renforcées d'accompagnement est deux fois plus élevé en Allemagne qu'en France pour une entreprise de 200 salariés, trois fois pour une société de 500 salariés.

Aussi, une meilleure adaptation de ces exigences à la taille de l'entreprise pourrait être recherchée.


* 240 Articles L. 1233-1 et suivants du code du travail.

* 241 Dans la mesure où l'indemnité conciliatrice et l'indemnité contentieuse ne visent pas la réparation du même préjudice, un tel renoncement ne peut constitutionnellement pas trouver à s'appliquer en France.

* 242 Article 21 de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi.

* 243 Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques.

* 244 Décision n° 2015-715 DC du 5 août 2015, cons. 148 à 153.

* 245 Art. L. 1233-61 du code du travail.

* 246 Directive 98/59/CE du Conseil du 20 juillet 1998 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs.

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