EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 28 juin 2017, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, puis de M. Vincent Delahaye, vice-président, la commission a entendu une communication de MM. Charles Guené et Claude Raynal, rapporteurs spéciaux, sur les modalités de répartition de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).

M. Charles Guené , rapporteur spécial de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » . - Madame la présidente, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, l'article 51 de la loi de finances rectificative pour 2016 modifie la répartition entre collectivités territoriales du produit de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), qui représente 16 milliards d'euros et plus de 8 % de leurs recettes réelles de fonctionnement. La réforme a pour objet de rendre plus juste cette répartition en tenant mieux compte de l'organisation du tissu économique, qui comprend de plus en plus de groupes. À la demande du Sénat, l'entrée en vigueur de cet article a été fixée au 1 er janvier 2018, pour se donner le temps d'en analyser les effets.

À l'issue de ce rapport d'étape, nous pensons que la réforme n'est aujourd'hui pas applicable en l'état. A minima , un nouveau report s'impose.

II faut profiter de ce report pour approfondir l'étude des conséquences de l'entrée en vigueur des valeurs locatives révisées, sur la base desquelles seront réparties plus des deux tiers de la CVAE en 2018.

Enfin, une récente décision du Conseil constitutionnel concernant le dégrèvement barémique rend possible une optimisation fiscale, qu'il convient d'empêcher rapidement.

La consolidation de la CVAE des groupes est un débat récurrent, qui est né dès sa création.

La valeur ajoutée étant mesurée à l'échelle de l'entreprise et non du site, elle n'est pas spontanément territorialisée, sauf pour les entreprises mono-établissements, qui représentent 51 % des entreprises. Ainsi, le choix d'asseoir la CVAE sur la valeur ajoutée portait en lui-même le débat sur les modalités de répartition de son produit. À l'origine, en 2009, je vous rappelle que le Gouvernement avait proposé, pour cet impôt, des modalités de répartition proches de celles d'une dotation : en fonction de critères définis par la loi, avec une logique de péréquation entre collectivités territoriales. C'est le Parlement qui a souhaité et obtenu la territorialisation de l'assiette de la CVAE, et donc de son produit, dans le but de maintenir un lien entre l'activité économique sur le territoire et les recettes perçues par les collectivités.

La solution aujourd'hui retenue consiste à répartir la valeur ajoutée des entreprises multi-établissements en fonction des valeurs locatives et des effectifs. Mais ce dispositif ne permet pas de traiter la situation des groupes de sociétés, alors même que des transferts indus importants de valeur ajoutée peuvent avoir lieu entre les entités d'un même groupe, notamment au profit du siège. Est donc apparue la crainte qu'une partie de la CVAE soit injustement captée par les territoires abritant de nombreux sièges sociaux, à commencer par la région d'Île-de-France. Cette crainte a été alimentée par le fait que près d'un tiers du produit national de CVAE revient à cette région et que sa part est supérieure à son poids dans le PIB.

Dès 2010, des parlementaires ont proposé d'appliquer aux groupes les règles de répartition des entreprises multi-établissements : la valeur ajoutée serait consolidée au niveau du groupe - et non plus au niveau de l'entreprise - avant d'être territorialisée en fonction des valeurs locatives et des effectifs des différents établissements. Cette réforme a finalement été inscrite à l'article 51 de la loi de finances rectificative pour 2016, après un débat difficile en raison de l'absence de transmission de simulations par le Gouvernement. Il aura fallu attendre 2014 pour obtenir les premiers éléments d'analyse solides et c'est cette année seulement que des simulations ont enfin été transmises au Parlement, grâce à l'inscription dans la loi de ces nouvelles modalités de répartition à compter de 2018.

M. Claude Raynal , rapporteur spécial de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » . - Notre travail nous conduit à conclure que ce débat repose, en réalité, sur des craintes difficiles à étayer.

En effet, la pratique des transferts indus de valeur ajoutée vers les sièges n'est pas démontrée, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y en a pas. Tout d'abord, les groupes n'ont aucun intérêt, d'un point de vue fiscal, à faire remonter de la valeur ajoutée à leur siège social. Par ailleurs, des « garde-fous » ont été prévus dès l'instauration de la CVAE afin de réduire les risques de transfert de valeur ajoutée : ainsi, les opérations de location de plus de six mois ou de cession bail sont neutralisées.

En tout état de cause, les relations intra-groupes nationales n'entrent pas dans le champ des obligations déclaratives des entreprises en matière de prix de transfert, et il n'est donc pas possible de les mesurer.

S'agissant de la concentration du produit de la CVAE sur le territoire francilien, elle ne peut être vue comme un dysfonctionnement de la répartition de cette imposition. Elle est la conséquence mécanique du choix de territorialiser l'assiette d'un impôt assis sur la valeur ajoutée.

Cette concentration est d'ailleurs contrebalancée par les mécanismes de compensations de la réforme de la taxe professionnelle, ainsi que par les mécanismes de péréquation mis en place à la même époque, en particulier le fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC).

Le fait que la part de CVAE de la région d'Île-de-France soit supérieure à son poids dans le PIB, c'est-à-dire dans la valeur ajoutée, ne permet pas non plus de conclure à une répartition injuste, dans la mesure où le calcul de la valeur ajoutée au sens de l'INSEE est différent du calcul de la valeur ajoutée au sens de la CVAE.

Enfin, le dynamisme de la CVAE en Île-de-France correspond exactement au niveau de la moyenne nationale et le département des Hauts-de-Seine est même un de ceux qui connaît la hausse la moins importante, ce qui relativise de nouveau l'idée de transferts vers les sièges sociaux. En revanche, le territoire francilien bénéficie quantitativement d'une part très importante du dynamisme de la CVAE, du simple fait qu'il perçoit près d'un tiers de son produit.

M. Charles Guené , rapporteur spécial . - En définitive, la réforme n'est aujourd'hui pas applicable en l'état et, a minima , un report s'impose.

Les simulations transmises par le Gouvernement font apparaître des effets massifs pour certaines collectivités territoriales, sans que le débat ne puisse se résumer à constater des gagnants en régions et des perdants franciliens. À l'échelle régionale, l'Île-de-France serait effectivement le principal perdant en valeur absolue, mais d'autres territoires connaîtraient des baisses importantes en termes relatifs. Ces constats sont également vérifiés au niveau des départements et du bloc communal.

Le total des gains et des pertes enregistrés par les régions s'élèverait, en valeur absolue, à 355 millions d'euros, soit 4,2 % de la CVAE qu'elles perçoivent. La proportion est identique pour les départements. Quant au bloc communal, l'effet serait plus massif encore puisqu'il concernerait 6,5 % des recettes de CVAE, soit 275 millions d'euros.

En outre, cette nouvelle répartition de la CVAE impliquerait très probablement de remettre en cause l'équilibre trouvé en 2010, et donc de recalculer les versements et prélèvements au titre du fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR), pour tenir compte des effets de la nouvelle répartition.

Par ailleurs, si la consolidation de la CVAE des groupes corrige certains facteurs d'instabilité, elle contribue à en créer d'autres. Certes, la filialisation d'un établissement ne conduirait plus à modifier la répartition de la CVAE, toutes choses égales par ailleurs, mais, contrairement à aujourd'hui, les changements de périmètre des entités faisant partie d'un groupe et, à périmètre stable, les évolutions des effectifs et des bases foncières entre les différentes entités du groupe influeraient sur la répartition des recettes entre collectivités. À cet égard, ces derniers effets semblent plus importants que les premiers et accroîtraient donc la volatilité du produit de CVAE.

Enfin, le problème de la volatilité du produit de CVAE, particulièrement significative, ne serait pas résolu par cette réforme.

À ce stade, nous considérons que la réflexion doit être poursuivie. Des simulations fines au niveau du bloc communal doivent être réalisées, en prenant en compte les déclarations des effectifs des entreprises mono-établissements qui ne seront disponibles qu'à l'automne, pour apprécier précisément les conséquences de la réforme.

Parallèlement, il conviendrait d'étudier la réalité des transferts de valeur ajoutée et les risques sur la volatilité du produit de CVAE, à travers la réalisation de monographies sur quelques groupes de tailles différentes. En attendant, il convient de reporter l'application de l'article 51 de la loi de finances rectificative pour 2016.

M. Claude Raynal , rapporteur spécial . - Indépendamment de l'application des nouvelles modalités de répartition de la CVAE, nos travaux nous ont permis d'identifier certaines questions auxquelles il faudra répondre dès le prochain projet de loi de finances.

II s'agit tout d'abord de prendre en compte les effets de l'application, pour la première fois, des valeurs locatives révisées des locaux professionnels. Modifier un des critères utilisés pour répartir la CVAE des entreprises multi-établissements, qui représente 11 milliards d'euros, soit près des trois quarts de la CVAE perçue par les collectivités territoriales, aura forcément des conséquences importantes sur la répartition du produit fiscal entre collectivités territoriales. Ces effets devraient être étudiés, en particulier pour les territoires accueillant des établissements industriels, dans la mesure où les valeurs locatives industrielles, non révisées, vont diminuer par rapport aux valeurs locatives professionnelles et commerciales.

Une telle étude permettra, le cas échéant, de justifier l'augmentation de la surpondération appliquée aux établissements industriels.

Le second point porte sur des risques d'optimisation fiscale qu'il faudrait écarter.

Le montant de CVAE effectivement acquitté par une entreprise dépend du dégrèvement barémique dont elle bénéficie, qui repose lui-même sur son chiffre d'affaires, comme le rappelle le graphique que vous avez sous les yeux. Une décision récente du Conseil constitutionnel a censuré la consolidation du chiffre d'affaires au niveau des groupes fiscalement intégrés pour le calcul du dégrèvement barémique. En d'autres termes, un groupe aurait désormais la possibilité de diviser son activité en plusieurs filiales et de réduire ainsi artificiellement son chiffre d'affaires, afin de bénéficier d'un dégrèvement plus important, voire total. Cette censure ne modifiera pas le montant réparti aux collectivités territoriales, mais pourrait représenter un coût de 300 millions d'euros pour l'État.

Nous souhaitons donc, dès la prochaine loi de finances, empêcher de tels comportements d'optimisation et ainsi éviter un dérapage du coût du dégrèvement barémique pour l'État. Il serait possible d'étendre la consolidation du chiffre d'affaires à l'ensemble des groupes, qu'ils aient ou non choisi l'intégration fiscale. Une telle disposition serait pleinement compatible avec la décision du Conseil constitutionnel, mais augmenterait la pression fiscale sur les groupes non intégrés, ce qui n'est pas notre objectif. Il conviendra donc de travailler sur ce sujet d'ici le prochain projet de loi de finances.

Toujours en matière d'optimisation fiscale, nous constatons que le coût du plafonnement en fonction de la valeur ajoutée progresse deux fois plus vite que la somme du produit de CVAE et de cotisation foncière des entreprises (CFE), ce qui nous interroge.

Nous n'avons pas d'éléments permettant de conclure à des comportements d'optimisation, mais nous allons demander des informations précises sur les entreprises bénéficiant de ce dégrèvement et sur les raisons qui expliquent une telle progression.

M. Charles Guené , rapporteur spécial . - J'en viens maintenant au dernier point de ce rapport, à travers lequel nous voudrions présenter une proposition qui permettrait de sortir du débat actuel sur les modalités de répartition de la CVAE.

Deux craintes alimentent ce débat : celle des transferts de valeur ajoutée vers les sièges sociaux et celle de l'instabilité résultant des changements de périmètre des groupes.

Ni les modalités de répartition actuelle, ni celles qui figurent dans la loi de finances rectificative de 2016, ne répondent de façon satisfaisante à l'ensemble de ces difficultés. La seule solution, d'un point de vue technique, consisterait à ne plus répartir la CVAE en fonction de la valeur ajoutée.

Nous proposons donc que soit étudiée l'hypothèse d'une répartition de l'intégralité du produit de CVAE en fonction des valeurs locatives et des effectifs situés sur chaque territoire, en cessant de territorialiser la valeur ajoutée.

Dans cette hypothèse, les deux risques précités seraient évités et la répartition reposerait sur des éléments physiques, moins mobiles, qui permettraient une moindre volatilité. De plus, de telles modalités de répartition auraient probablement un effet péréquateur au profit des territoires ruraux, dans la mesure où le rapport entre la valeur ajoutée et les critères de répartition - valeurs locatives et effectifs - est probablement supérieur dans les métropoles. Pour aller plus loin, cela pourrait corrélativement remettre en cause le FPIC ou autres. C'est une idée...

M. Claude Raynal , rapporteur spécial . - Idée que je reprends, chers collègues. Cela permettrait de se détacher de la façon dont le groupe est constitué ou de la situation des établissements, peu importe s'il s'agit d'une filiale ou non.

Certes, nous sommes conscients que cette solution impliquerait un changement de logique important.

Tout d'abord, le lien entre le territoire et l'entreprise serait modifié : la collectivité territoriale ne serait plus directement intéressée à la valeur ajoutée produite par les entreprises présentes sur son territoire. Néanmoins, un lien avec l'activité économique serait maintenu, dans la mesure où l'arrivée ou le départ d'une entreprise, ou le fait qu'elle embauche ou licencie, auraient une incidence sur le produit effectivement perçu.

Par ailleurs, les recettes perçues par une collectivité territoriale donnée ne dépendraient plus uniquement des évolutions des entreprises implantées sur son territoire, mais également de celles de l'ensemble des entreprises. Actuellement, si une entreprise a au cours de deux années la même valeur ajoutée, les mêmes effectifs et les mêmes valeurs locatives, le produit perçu est identique. À l'inverse, dans le dispositif que nous imaginons et que nous souhaitons étudier, ce montant varierait, selon la situation de l'ensemble des entreprises au niveau national. Cette moindre prévisibilité de la recette serait la contrepartie de variations de moindre ampleur.

Enfin, l'hypothèse que nous proposons supprimerait le lien entre la base fiscale - la valeur ajoutée - et la répartition de l'impôt, ce qui pourrait donc être analysé comme le remplacement d'un impôt direct local par une dotation. Dès lors qu'il s'agirait d'une dotation, elle serait susceptible d'être rabotée en fonction de la situation budgétaire, tandis que les parlementaires et le Gouvernement pourraient être tentés d'en modifier régulièrement les modalités de répartition. Un tel comportement entraînerait naturellement un surcroît d'instabilité, à moins de parvenir à mettre en place une nouvelle gouvernance des finances locales.

M. Charles Guené , rapporteur spécial . - Pour conclure, voici nos principales recommandations.

Premièrement, reporter d'un an l'application des nouvelles modalités de répartition entre collectivités territoriales du produit de CVAE, fixées par l'article 51 de la loi de finances rectificative pour 2016, qui prévoit de répartir la CVAE acquittée par les groupes en fonction des critères utilisés pour répartir la CVAE des entreprises multi-établissements.

M. Claude Raynal , rapporteur spécial . - Deuxièmement, réaliser des simulations précises, au niveau de chaque établissement public de coopération intercommunale, des effets de cette réforme afin de tenir compte des effectifs des entreprises mono-établissements qui n'ont pas pu être pris en compte dans les simulations réalisées cette année. Nous aurons ces informations en octobre.

M. Charles Guené , rapporteur spécial . - Troisièmement, étudier la réalité des transferts de valeur ajoutée au sein des groupes et les risques suscités par cette réforme sur la volatilité du produit de CVAE, à travers la réalisation de monographies sur plusieurs groupes de tailles variées.

M. Claude Raynal , rapporteur spécial . - Quatrièmement, étudier, d'ici le projet de loi de finances pour 2018, les effets sur les modalités actuelles de répartition de la CVAE de la révision des valeurs locatives des locaux professionnels, appliquée à compter de 2017, en présentant en particulier ses conséquences sur les territoires accueillant des établissements industriels, dont les valeurs locatives devraient proportionnellement diminuer.

M. Charles Guené , rapporteur spécial . - Cinquièmement, réduire les risques d'optimisation fiscale. Tout d'abord, en étudiant des scénarios de réponse à la décision du Conseil constitutionnel. La piste d'une consolidation du chiffre d'affaires pour l'ensemble des groupes, qu'ils aient ou non choisi l'intégration fiscale, serait pleinement compatible avec la décision du Conseil constitutionnel mais présenterait l'inconvénient d'augmenter la pression fiscale pesant sur les groupes non intégrés.

Ensuite, en étudiant précisément les bénéficiaires du plafonnement de la contribution économique territoriale en fonction de la valeur ajoutée, afin d'expliquer une progression plus rapide que celle du produit de la contribution économique territoriale (CET).

M. Claude Raynal , rapporteur spécial . - Sixièmement, étudier l'hypothèse d'une répartition de l'intégralité du produit de CVAE en fonction des valeurs locatives et des effectifs situés sur chaque territoire, en cessant de territorialiser la valeur ajoutée, dans la mesure où, d'un point de vue technique, seul un découplage entre répartition du produit et valeur ajoutée permettra de répondre aux craintes de transferts de valeur ajoutée et de volatilité due aux changements de périmètres des groupes.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Je partage le constat et je souscris à la proposition de reporter a minima d'un an l'application de la nouvelle répartition. Les montants en jeu sont considérables et peuvent donner lieu à d'importantes pertes de recettes. Il ne me paraît pas sérieux, sans simulations préalables, d'adopter de telles mesures. Force est de constater que nous votons de plus en plus des amendements de dernière minute dont nous mesurons mal les impacts, ce qui nous oblige après coup à reporter, voire à démonter, des dispositifs complexes. Certes, la CVAE doit être mieux repartie, mais le sujet est extrêmement compliqué. À l'heure où il est question de rénovation, il serait bon que le Parlement refuse les amendements de dernière minute !

M. Philippe Dallier . - Je félicite les rapporteurs spéciaux de nous avoir éclairés sur ce sujet. J'avais en mémoire que l'amendement dont nous discutons, d'origine parlementaire, avait été adopté en séance contre l'avis du Gouvernement. On comprend d'ailleurs son opposition : sans simulation ni évaluation des risques depuis démontrés, son adoption n'était pas raisonnable.

J'ai en revanche du mal à souscrire aux conclusions des rapporteurs spéciaux, hormis leur recommandation de report d'un an.

Un exemple pour appuyer mon propos. La métropole du Grand Paris a un budget de 3,5 milliards d'euros. Quand elle en a fini des redistributions, il lui reste 27 millions d'euros, pour 7 millions d'habitants. Autant dire : assez pour organiser le concours des apiculteurs et coller des vignettes sur les voitures non polluantes, mais pas pour aider les communes à construire des logements !

Avec ce qui a été adopté à l'Assemblée nationale, la métropole perdrait 138 millions d'euros : elle n'équilibrerait donc plus son budget.

Cela étant, je m'inquiète des propositions formulées dans ce rapport. Nous nous sommes battus, au Sénat, pour garder le lien entre CVAE et territoire. Vous proposez de le modifier pour faire de la CVAE un nouvel outil de péréquation à l'échelle nationale. Or le résultat serait le même que celui obtenu avec la tentative de réforme de la dotation globale de fonctionnement (DGF). J'avais alors soutenu que réformer la DGF sans prendre en compte toutes les autres dotations de péréquation - dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU), FPIC, notamment - était condamné à l'échec, ce qui a été démontré par le groupe de travail monté par notre commission.

Même chose ici : vous nous proposez une réforme de la CVAE alors qu'on nous annonce une réforme de la taxe d'habitation ! Remettons tout sur la table - impôts, DGF, péréquation - au lieu de procéder à des réformes isolées, faites sans appréciation globale des effets sur les collectivités.

De grâce, n'allez pas chercher dans la répartition de la CVAE ce que vous ne trouvez pas dans le FPIC, ce n'est pas possible ! Si les élus veulent des impôts territorialisés, et je pense qu'il en faut, ils doivent aussi accepter le risque de leur variation. Le risque de voir disparaître une entreprise de son territoire existait du temps de la taxe professionnelle, il existe toujours.

Le Gouvernement vient de se rendre compte que la réforme de la taxe d'habitation va poser bien des difficultés ; c'est l'occasion de tout remettre à plat.

M. Maurice Vincent . - Je partage les conclusions des rapporteurs spéciaux.

Il me semble nécessaire de progresser vers une meilleure équité dans la répartition de la CVAE. Les méthodes pour ce faire sont très complexes.

Sans être un partisan absolu de l'amendement évoqué - déposé trop tard, au dispositif trop complexe et aux effets mal étudiés -, je dois dire que la répartition actuelle m'interpelle : elle profite à certains territoires, moins à ceux qui accueillent les établissements industriels des grands groupes.

M. Éric Doligé . - Je suis pour le report préconisé. Nous sommes les premiers à regretter les modifications perpétuelles que l'on nous impose, mais nous nous y livrons nous aussi !

Cette question, très technique, traite en réalité de la difficulté des collectivités à boucler leur budget et à l'anticiper sur plusieurs années. Une chose est sûre : elles ne peuvent continuer comme cela. Le report d'un an permet de voir le couperet tomber plus tard, mais il ne nous exonère pas d'une analyse plus globale en matière de fiscalité et de recettes, comme le préconise Philippe Dallier.

M. Thierry Carcenac . - Je tiens à remercier les deux rapporteurs spéciaux. Leur travail valide ce que nous savions déjà : la CVAE est concentrée sur certains territoires, ce qui implique une certaine péréquation.

Deux aspects me paraissent particulièrement intéressants dans leur rapport : le dégrèvement barémique et le plafonnement en fonction de la valeur ajoutée. L'administration fiscale va-t-elle apporter des éclaircissements sur ces deux points ? Nous parlons tout de même de sommes colossales, notamment pour le plafonnement en fonction de la valeur ajoutée. Il serait utile de disposer de ces informations au moment de l'élaboration du projet de loi de finances.

M. Claude Raynal , rapporteur spécial. - Pourquoi faisons-nous la dernière recommandation ? Philippe Dallier l'a dit, nous nous sommes battus pour qu'un lien soit établi entre territoire et CVAE et nous n'entendons pas le supprimer mais le modifier. Notre volonté est également de sortir des difficultés liées à l'existence même de groupes de sociétés.

Aujourd'hui, l'explication de certaines modifications du montant de la CVAE - à la baisse, surtout, les collectivités ne demandant généralement rien quand les montants augmentent - est très difficile à trouver. Cependant, on la trouve, en regardant entreprise par entreprise. Avec le système envisagé pour les groupes, cette boîte grise devient noire : on ne voit plus rien.

Nous proposons donc d'explorer la piste initialement proposée par le Gouvernement lors de la réforme de la taxe professionnelle, et d'étudier l'hypothèse d'une répartition globale, sans prendre en considération l'existence ou non d'un groupe. Il pourrait - ce n'est pas certain - y avoir un effet sur la péréquation.

Il est en revanche certain que les variations d'une année à l'autre seront moins importantes. Cela mérite d'être étudié : c'est ce que nous proposons.

J'en viens à la question de Thierry Carcenac. Nous n'avons pas, à ce jour, obtenu de réponses de la part de l'administration. Il faut dire que la décision du Conseil constitutionnel est récente. L'optimisation n'était pas possible, jusqu'ici, pour les groupes fiscalement intégrés. La décision du Conseil constitutionnel ouvre désormais cette possibilité. Le Gouvernement devrait nous proposer des solutions.

Par ailleurs, la révision des valeurs locatives va avoir un effet puissant, jusqu'alors non anticipé, qu'il faudra prendre en compte en vue d'une réforme éventuelle.

- Présidence de M. Vincent Delahaye, vice-président -

M. Charles Guené , rapporteur spécial. - Je voudrais d'abord répondre au rapporteur général. La modification introduite par le projet de loi de finances rectificative était un peu cavalière. On peut s'inquiéter de l'avoir vue apparaître de la sorte. Il faut néanmoins reconnaître que la question de la valeur ajoutée, le coeur de l'impôt économique pour les collectivités territoriales, alimentait nos débats depuis cinq ou six ans. Cet amendement a au moins eu le mérite d'obliger le Gouvernement à nous fournir un rapport et de nous forcer à entrer dans le détail du sujet. Il était temps de se pencher sur le problème, rendu plus pressant par la volatilité de la CVAE et la récente décision du Conseil constitutionnel.

Ensuite, faut-il tout réformer ou ne pas réformer du tout ? À titre personnel, je suis pour le grand soir - en la matière seulement ! Or il est toujours reporté : il faut donc se pencher sur ce qui ne fonctionne pas. C'est ce que nous avons voulu faire.

Il faut reconnaître qu'en matière de fiscalité locale, pour ce qui est de l'impôt économique, le lien avec le territoire peut conduire à concentrer excessivement le produit sur certains territoires. Il impose d'ailleurs des péréquations sans cesse accrues, qui sont refusées par ceux qui doivent les consentir. Une modification de la répartition de la CVAE nous obligerait à reconsidérer la péréquation telle que réalisée actuellement.

Si la réforme de la taxe d'habitation annoncée a vraiment lieu, il faudra nous pencher sur l'éventualité d'une réforme d'ensemble, qui concerne les recettes comme les charges des collectivités, car il faut bien reconnaître que ces dernières ne sont pas évaluées correctement, ce qui crée de l'inéquité.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Je souscris au constat de l'imperfection du système, comme au report d'un an préconisé dans la première recommandation.

En revanche, je ne peux pas souscrire à la dernière. D'abord parce qu'elle n'est étayée d'aucune simulation ; ensuite parce qu'il est indispensable de maintenir le lien entre le territoire et l'impôt ; enfin parce que le problème naît de la volonté de mêler la péréquation à la perception des ressources. Vouloir un mécanisme de ressources réparties en fonction du territoire en plus de la péréquation aboutit à un système illisible. À mon sens, les collectivités doivent percevoir leurs ressources, et profiter ensuite seulement des mécanismes de péréquation horizontaux et verticaux.

Avec la réforme de la taxe d'habitation, qui sera complexe à mettre en oeuvre, et la réforme des valeurs locatives, nous serons peut-être contraints d'arriver au grand soir voulu par Charles Guené !

Je ne souscris donc pas à toutes les recommandations. Restons prudents.

M. Charles Guené , rapporteur spécial. - Nous aussi, monsieur le rapporteur général, nous demandons à voir ! Nous ne préconisons pas l'instauration du système présenté dans la dernière recommandation. Comme nous l'avons indiqué, nous demandons seulement de l'étudier, car c'est le seul que nous ayons trouvé pour résoudre la question des effets du périmètre des groupes sur la territorialisation de la valeur ajoutée.

M. Vincent Delahaye , président . - La commission autorise-t-elle la publication de cette communication, avec les réserves formulées par le rapporteur général ?

M. Charles Guené , rapporteur spécial . - Elles sont satisfaites, puisque nous parlons seulement d'« étudier l'hypothèse d'une répartition de l'intégralité du produit de CVAE ».

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général. - Ainsi formulé, cela me convient.

La commission a donné acte de sa communication à MM. Charles Guené et Claude Raynal, rapporteurs spéciaux, et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.

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