B. LE CHOIX DE TAXER LA VALEUR AJOUTÉE AFIN DE CONCILIER EFFICACITÉ ÉCONOMIQUE ET EFFICACITÉ FISCALE

Le choix de la valeur ajoutée comme assiette réunissait un certain consensus entre les différents acteurs 7 ( * ) . Il traduit la recherche d'un équilibre entre deux préoccupations 8 ( * ) :

- l'efficacité économique d'une part, afin de minimiser l'effet distorsif de la taxation des facteurs de production. La taxation s'opère ainsi en aval du processus de production et s'adapte en fonction de l'activité de l'entreprise. De plus, le choix de taxer la valeur ajoutée permet d'équilibrer la charge fiscale entre les secteurs économiques, mais aussi entre les facteurs de production - travail et capital ;

- l'efficacité fiscale d'autre part, afin de garantir aux collectivités territoriales une recette en croissance régulière. Ainsi que le relevait le Conseil des prélèvements obligatoires, la valeur ajoutée « évolue au même rythme que le produit intérieur brut, qui représente la somme des valeurs ajoutées des différents agents économiques » 9 ( * ) .

Certes, la valeur ajoutée se révèle sensible aux variations conjoncturelles de l'économie, mais elle est moins soumise aux aléas conjoncturels que l'impôt sur les sociétés, portant sur les bénéfices et pour lequel des règles de report des déficits sont prévues. Le choix de cette assiette permet d'ajuster l'imposition des entreprises à la conjoncture, tout en garantissant une dynamique de croissance sur l'ensemble du cycle économique.

C. LA MÉCANIQUE DE L'IMPÔT

La CVAE est due par les entreprises situées dans le champ d'application de la CFE et dont le chiffre d'affaires est supérieur à 152 500 euros. Elle a pour base la valeur ajoutée produite par l'entreprise, plafonnée à 80 % du chiffre d'affaires lorsque celui-ci est inférieur à 7,6 millions d'euros et à 85 % dans le cas inverse 10 ( * ) .

1. Taux théorique et taux effectif : le dégrèvement barémique

Son taux « théorique » est égal à 1,5 % ; il correspond au produit reversé aux collectivités territoriales. Le taux effectivement acquitté par les entreprises varie en revanche de 0 % à 1,5 %, en fonction de leur chiffre d'affaires. La différence entre le taux théorique et le taux effectif est prise en charge par l'État, à travers un dégrèvement « barémique » .

Taux d'imposition effectif à la CVAE en fonction du chiffre d'affaires

Part prise en charge par les entreprises

Part prise en charge par l'État

Taux théorique

Taux effectif

Chiffre d'affaires

Formule du taux effectif

< 500 000 €

0 %

500 000 € = CA = 3 000 000 €

0,5 % x [(montant du chiffre d'affaires - 500 000 €) / 2 500 000 €]

3 000 000 € < CA = 10 000 000 €

0,5 % + [0,9 % x (montant du chiffre d'affaires - 3 000 000 €) / 7 000 000 €]

10 000 000 € < CA = 50 000 000 €

1,4 % + [0,1 % x (montant du chiffre d'affaires - 10 000 000 €) / 40 000 000 €]

> 50 000 000 €

1,5 %

Source : commission des finances du Sénat

Par ailleurs, les entreprises dont le chiffre d'affaires est inférieur à 2 millions d'euros bénéficient d'un dégrèvement complémentaire de 1 000 euros et celles dont le chiffre d'affaires dépasse 500 000 euros acquittent obligatoirement une cotisation minimum de 250 euros. Enfin, une taxe additionnelle à la CVAE est perçue au profit des chambres de commerce et d'industrie des régions.

Évolution du montant du dégrèvement barémique

(en millions d'euros)

2011
(exécution)

2012
(exécution)

2013
(exécution)

2014
(exécution)

2015
(exécution)

2016 (prévision actualisée)

2017
(prévision)

3 375

3 696

3 687

3 962

3 953

4 143

4 225

Source : commission des finances du Sénat

2. Un traitement particulier des groupes fiscalement intégrés, remis en cause par une décision récente du Conseil constitutionnel

Les groupes fiscalement intégrés au sens de l'article 223 A du code général des impôts - c'est-à-dire la société mère et ses filiales détenues à 95 % au moins ayant opté pour ce régime fiscal - ne sont pas imposés au niveau du groupe , contrairement à leur imposition à l'impôt sur les sociétés (IS) : la CVAE est due par chaque société assujettie.

En revanche, le chiffre d'affaires utilisé pour le calcul du dégrèvement est consolidé au niveau du groupe . Il s'agit notamment d'éviter que les entreprises optimisent le montant du dégrèvement barémique dont elles bénéficient . En effet, en multipliant les filiales et en répartissant entre elles leur chiffre d'affaires, un groupe pourrait artificiellement augmenter le dégrèvement barémique dont il bénéficie.

En définitive, le taux théorique de CVAE étant unique au niveau national et la structure du groupe n'affectant pas le montant du dégrèvement barémique, les groupes ne sont pas incités à jouer sur la répartition de la valeur ajoutée entre leurs filiales à des fins d'optimisation fiscale .

Cependant, en mai 2017, le Conseil constitutionnel a déclaré 11 ( * ) contraires à la Constitution les dispositions 12 ( * ) prévoyant la consolidation du chiffre d'affaires des groupes ayant opté pour le régime de l'intégration fiscale pour le calcul du dégrèvement . Il a estimé que ces dispositions créaient une inégalité devant la loi pour les entreprises appartenant à un groupe fiscalement intégré par rapport à celles appartenant à un groupe non intégré fiscalement, dans la mesure où ces dernières sont moins lourdement taxées, à valeur ajoutée et chiffre d'affaires égaux et que cette inégalité ne pouvait être justifiée par l'objectif de la loi (empêcher l'optimisation fiscale), puisque les groupes non intégrés peuvent également avoir des comportements d'optimisation.

Il faut rappeler que le régime de l'intégration fiscale résulte d'une option librement souscrite par un groupe, lui permettant, pour le calcul de son impôt sur les bénéfices, de consolider les résultats de ses différentes entités.

La décision est d'application immédiate et aura des conséquences financières y compris sur des exercices antérieurs (cf. infra ), mais ne modifiera pas dans l'immédiat le montant mis en répartition au profit des collectivités territoriales , dans la mesure où le coût de ce dégrèvement est à la charge de l'État.

3. Le plafonnement en fonction de la valeur ajoutée (PVA)

L'article 1647 B sexies du code général des impôts prévoit que la contribution économique territoriale - c'est-à-dire la somme de la CFE et de la CVAE - acquittée par une entreprise ne peut dépasser 3 % de la valeur ajoutée qu'elle produit . Ce dispositif a pris la suite du plafonnement de la taxe professionnelle en fonction de la valeur ajoutée (fixé à 3,5 %), qui représentait 10,5 milliards d'euros en 2010.

Évolution du montant du plafonnement de la CET
en fonction de la valeur ajoutée

(en millions d'euros)

2011
(exécution)

2012
(exécution)

2013
(exécution)

2014
(exécution)

2015
(exécution)

2016 (prévision actualisée)

2017
(prévision)

432

937

868

1 068

1 041

1 112

1 158

Source : commission des finances du Sénat

Une hausse du montant du dégrèvement pouvant provenir d'une augmentation du taux de CFE fixé par les collectivités territoriales, le législateur a prévu que les collectivités territoriales puissent supporter une partie de son coût , reprenant ainsi un dispositif existant sous le régime de la taxe professionnelle 13 ( * ) .

Ce dispositif, prévu à l'article 1647-0 B septies du code général des impôts, devait s'appliquer à compter de 2013 mais ne fut pas mis en oeuvre, du fait de ses nombreuses imperfections. En effet, la méthode de calcul du montant mis à la charge des collectivités territoriales ne distinguait pas « l'effet taux » de « l'effet base » et une collectivité pouvait contribuer d'un montant supérieur aux recettes permises par la hausse de taux 14 ( * ) . L'article 52 de la loi de finances rectificative pour 2015 15 ( * ) a donc procédé à une réécriture de cet article du code général des impôts. La contribution d'une collectivité territoriale est désormais égale à la base fiscale des établissements bénéficiant du dégrèvement multipliée par la progression du taux de CFE depuis 2010.

Cette participation des collectivités territoriales au coût du plafonnement en fonction de la valeur ajoutée prendra effet en 2018. En 2015 son montant avait été estimé à plus de 100 millions d'euros par an .


* 7 L'Assemblée des communautés de France (AdCF) souligne en ce sens que « depuis la réforme de la taxe professionnelle, [elle] a toujours considéré que la valeur ajoutée était la meilleure mesure de la capacité contributive des entreprises ».

* 8 Une analyse plus détaillée est notamment développée dans le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, « La fiscalité locale », mai 2010.

* 9 « Fiscalité locale et entreprises », Conseil des prélèvements obligatoires, mai 2014, page 55.

* 10 Certains types d'entreprises ne bénéficient pas du plafonnement en application de l'article 1586 sexies du code général des impôts.

* 11 Décision n° 2017-629 QPC, Société FB Finance, Conseil constitutionnel, 19 mai 2017.

* 12 Premier alinéa du paragraphe I bis de l'article 1586 quater du code général des impôts dans sa rédaction résultant de la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011.

* 13 Article 85 de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006.

* 14 Pour plus de détails, voir le commentaire de l'article 23 du projet de loi de finances rectificative pour 2015, dans le tome I du rapport général n° 229 (2015-2016) de M. Albéric de Montgolfier, fait au nom de la commission des finances, déposé le 9 décembre 2015.

* 15 Loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015.

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