B. LE CHOIX DU PARLEMENT : LA TERRITORIALISATION DE L'ASSIETTE

1. Les modalités de répartition de droit commun

Considérant que la réforme initialement proposée conduisait à affaiblir le lien entre la collectivité territoriale et l'activité économique qui y est implantée, le Parlement a souhaité :

- attribuer le produit de la CVAE aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) - et non plus seulement aux départements et aux régions ;

- « territorialiser » l'assiette de la cotisation - c'est-à-dire la valeur ajoutée.

Séance publique de l'Assemblée nationale du 22 octobre 2009

M. Gilles Carrez, rapporteur général . En ce qui concerne les collectivités territoriales, bien que nous ayons trouvé un large accord sur la rédaction du texte, j'ai été le premier à découvrir avec stupéfaction, je dois le dire, début août, dans la première version vraiment rédigée du projet, que la cotisation complémentaire était réservée aux échelons départemental et régional - le lien fiscal avec le maire était donc très affaibli -...

M. Michel Piron. Grave erreur !

M. Gilles Carrez, rapporteur général . ...et que, surtout, elle était transformée en dotation.

M. Pierre-Alain Muet. Absolument.

M. Gilles Carrez, rapporteur général . En effet, l'ensemble des valeurs ajoutées des entreprises localisées était fondu dans une sorte de super-dotation globale, à l'image de la DGF, pour être ensuite répartie en fonction de critères qui, selon les simulations, s'éloignaient de plus en plus de la réalité de l'entreprise et des territoires .

M. Jean-Pierre Brard. Très juste !

M. Gilles Carrez, rapporteur général . Tout le travail de la commission a donc consisté à « reterritorialiser » la cotisation que paient les entreprises et à retisser le lien fiscal territorial.

Nous l'avons fait de deux manières. D'une part, nous avons redéfini les modalités de la répartition. (...) Il nous a semblé nécessaire de transférer 20 % de la cotisation complémentaire sur la valeur ajoutée au niveau intercommunal, ou communal là où les communes ne sont pas encore regroupées en intercommunalités. Nous proposons donc de passer d'un partage attribuant 75 % de la cotisation au département et 25 % à la région, à une répartition donnant 55 % de la cotisation au département, 25 %, toujours, à la région et, donc, 20 % à la commune ou à l'intercommunalité.

Ensuite, dès lors que l'on estime que la cotisation complémentaire sur la valeur ajoutée concerne toutes les collectivités, y compris la collectivité de base - commune ou intercommunalité -, elle doit être appréhendée entreprise par entreprise . C'est ce que l'on appelle la territorialisation. Nous aurons l'occasion de rappeler que nous avons très exactement repris les dispositions du code général des impôts ou du code général des collectivités territoriales, qui localisent la taxe d'habitation, l'impôt foncier et la taxe professionnelle. La logique de la commission est donc complètement différente de celle du Gouvernement : au lieu d'une dotation, nous reconstruisons un impôt local .

La territorialisation de l'assiette, qui, selon Philippe Marini, « présente l'avantage incontestable d'intéresser les élus au développement économique de leur territoire » 20 ( * ) , consiste à imposer la valeur ajoutée dans la commune « où le contribuable la produisant dispose de locaux ou emploie des salariés exerçant leur activité plus de trois mois » 21 ( * ) .

Aussi le produit perçu par les collectivités bénéficiaires de la CVAE est-il déterminé en fonction de la valeur ajoutée produite par les entreprises implantées sur leur territoire.

Il convient alors de distinguer deux cas :

- dans le cas d'une entreprise mono-établissement, toute la valeur ajoutée revient au territoire d'implantation de l'entreprise ;

- dans le cas d'une entreprise multi-établissement, la valeur ajoutée « est imposée dans chacune de ces communes et répartie entre elles au prorata, pour le tiers, des valeurs locatives (...), et, pour les deux tiers, de l'effectif qui est employé » 22 ( * ) . En effet, dans ce cas, il est impossible de déterminer la valeur ajoutée produite par chacun des établissements, dans la mesure où cet agrégat économique ne s'apprécie qu'au niveau de la comptabilité de l'entreprise.

2. Le traitement spécifique des territoires accueillant des établissements industriels

La suppression de la taxe professionnelle visait notamment à réduire la pression fiscale pesant sur les entreprises les plus exposées à la concurrence internationale, dont l'industrie. Dès lors, la nouvelle assiette d'imposition risquait de ne pas inciter les collectivités territoriales à accueillir des activités industrielles - et les nuisances qui peuvent les accompagner.

Aussi le Parlement a-t-il souhaité introduire, en 2009 puis en 2010, un dispositif spécifique de territorialisation de la valeur ajoutée des entreprises, favorable aux territoires qui accueillent des établissements industriels.

Plus précisément, en 2009, le Parlement a proposé qu'à compter de 2011, pour la répartition du produit de la CVAE des entreprises multi-établissements, les effectifs soient pondérés par un coefficient 2 lorsqu'ils se rapportent à un établissement industriel . En 2010, il a introduit un critère de superficie, également doublé dans le cas des établissements industriels.

Malgré ces mesures, la mission commune d'information créée par le Sénat en 2012, sur les conséquences de la réforme de la taxe professionnelle constatait « l'inquiétude des collectivités territoriales industrielles quant aux effets de la réforme de la taxe professionnelle.

« Le secteur industriel a été le principal gagnant de la réforme. Le corollaire de ce gain est que les collectivités accueillant de nombreuses entreprises industrielles ont vu le montant de leurs recettes fiscales fortement diminuer. Ces pertes sont, certes, compensées par le dispositif (...) de compensation à l'euro près des effets de la disparition de la taxe professionnelle [cf. infra] .

« Mais cette compensation est figée sur les ressources fiscales de l'année 2010 et ne prend donc pas en compte les nouvelles implantations à compter de l'année 2011. À l'avenir, le risque est donc grand que les collectivités territoriales soient réticentes à l'accueil des établissements porteurs des risques industriels les plus importants, puisque le retour fiscal de ces implantations sera considéré comme faible par rapport aux nuisances subies 23 ( * ) . »

Le rapport remis au Parlement en 2012 sur les conséquences de la réforme de la fiscalité directe locale induite par la suppression de la taxe professionnelle soulignait en effet une « baisse du poids relatif des EPCI industriels dans les bases de l'impôt économique local » : « 262 EPCI industriels, qui représentaient 23 % de l'ensemble des bases de TP 2009, ne représentent plus que 11 % des bases de CVAE 2011. La part de ces 262 EPCI dans les bases de CVAE est ainsi quatre fois inférieure à celle des 32 EPCI « urbains », alors qu'en 2009 leurs parts dans les bases de la taxe professionnelle étaient proches ».

La loi de finances pour 2014 24 ( * ) a augmenté le coefficient de pondération de la valeur locative et des effectifs des établissements industriels, utilisé dans la répartition territoriale de la CVAE dans le cas des entreprises multi-établissements : ce coefficient est ainsi passé de deux à cinq. Si cette mesure visait explicitement 25 ( * ) à encourager les collectivités territoriales à accueillir ce type d'activités, aucune justification du choix du coefficient cinq n'a été donnée.


* 20 Cf. page 90 du rapport n° 101 précité.

* 21 Selon le III de l'article 1586 octies du code général des impôts.

* 22 Ibid .

* 23 De la taxe professionnelle à la contribution économique territoriale : 25 propositions pour une transition , rapport n° 611 (2011-2012) de Charles Guené, 26 juin 2012.

* 24 Article 79 de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014.

* 25 En effet, selon l'exposé des motifs de l'article 59 du projet de loi de finances pour 2014, « afin d'encourager les collectivités territoriales à accueillir des établissements industriels qui peuvent être susceptibles de produire des nuisances (bruit, pollutions, risques chimiques, etc.), leurs effectifs et leur valeur locative sont affectés d'un coefficient de deux pour la répartition de l'assiette et, partant, du produit de CVAE ».

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