III. LA PÉRIODE D'ÉVALUATION ET DE MISE À L'ABRI CRISTALLISE UNE GRANDE PARTIE DES DIFFICULTÉS CONSTATÉES

La phase de mise à l'abri et d'évaluation, essentielle pour la prise en charge des MNA, cristallise un certain nombre de difficultés de différents ordres.

A. UN COÛT FINANCIER IMPORTANT POUR LES DÉPARTEMENTS ET UNE COUVERTURE PAR L'ÉTAT INSUFFISANTE

1. La période de mise à l'abri et d'évaluation représente une charge importante pour les départements

On ne dispose pas à ce jour de données chiffrées précises sur le coût total de la phase de mise à l'abri. L'ADF estime le coût annuel total de la prise en charge des jeunes migrants, depuis leur arrivée sur le territoire jusqu'à leur majorité , à environ un milliard d'euros pour 2016 . Afin d'isoler le coût spécifique de la phase de mise à l'abri, il convient d'en extraire le coût relatif au placement auprès de l'aide sociale à l'enfance, estimé à 695 millions d'euros (sur la base d'un coût moyen annuel de 50 000 euros pour 13 000 MNA 42 ( * ) ) et le coût relatif aux prolongements dus aux contrats « jeune majeur » estimé à 150 millions d'euros (sur la base d'un coût moyen annuel de 30 000 euros pour 5 000 jeunes majeurs isolés). Restent donc 155 millions d'euros consacrés à la phase de mise à l'abri .

Coût pour les départements de la prise en charge des MNA en 2016

Source : ADF

2. Une compensation forfaitaire par l'État qui ne tient pas compte de la réalité de la durée de l'évaluation

Le protocole d'accord 43 ( * ) du 31 mai 2013 prévoyait la prise en charge par l'État d'une partie des dépenses supportées par les départements au titre de la période d'évaluation, à hauteur de 250 euros par jour et dans la limite des cinq jours de recueil administratif provisoire prévus par le CASF. Cet accord a été consacré par le décret du 24 juin 2016 qui charge le comité de gestion du fonds national de financement de la protection de l'enfance (FNFPE) de définir les modalités de remboursement forfaitaire par l'État au département (art. R. 221-12 du CASF). Une décision du 5 septembre 2016 maintient les paramètres issus de l'accord de mai 2013.

Bien que le coût journalier de la prise en charge varie d'un département - et d'un mode d'hébergement - à l'autre, le montant forfaitaire de 250 euros par jour n'est pas disproportionné par rapport au coût réel.

A l'inverse, la durée de cinq jours apparaît largement inférieure à la durée réelle des évaluations. Il n'existe pas de statistiques nationales relatives à la durée réelle des évaluation mises à part celles de l'agence des services de paiement (ASP), chargée du remboursement, qui font apparaître une durée moyenne proche de quatre jours. Ces données souffrent néanmoins d'un important biais de construction dans la mesure où les départements ne déclarent que les jours d'évaluation éligibles à un remboursement, c'est-à-dire au maximum cinq jours par jeune évalué.

Vos rapporteurs n'ont en revanche pas pu disposer de chiffres consolidés sur la durée des évaluations menées par les départements excédant le délai de cinq jours. Plusieurs auditions ont fait remonter certaines données pour l'Ile-de-France (60 jours pour la Seine-Saint-Denis, 30 jours pour Paris, 20 jours pour le Val d'Oise), qui sont illustratives des départements les plus engorgés. De plusieurs jours à plusieurs mois, la longueur de ces délais, déplorée tant par l'ADF que par les conseils départementaux rencontrés par vos rapporteurs, semble essentiellement due aux périodes de vérification documentaire mais peut être réduite par une meilleure organisation 44 ( * ) .

Proposition n° 2 : organiser la collecte des durées réelles d'évaluation par les départements excédant le délai de cinq jours.

3. La prise en charge par l'État ne couvre qu'un dixième des coûts supportés par les départements

Les crédits alloués par l'État à la prise en charge des MNA ont pour vecteur le FNFPE, créé par la loi du 5 mars 2007 45 ( * ) et dont les statuts ont été précisés par un décret du 18 août 2015 46 ( * ) .

Une décision du 16 février 2016 fixe à 12 848 691 euros le montant des crédits affectés pour 2016 au remboursement des départements, montant augmenté de 3 651 309 euros par une décision du 15 novembre 2016, qui porte ainsi à 16 500 000 euros le total des crédits du FNFPE dédiés à l'hébergement et à l'évaluation des MNA sur l'exercice 2016 .

2013

2014

2015

2016

2017 (p)

Dotation du FNFPE
à la prise en charge
des MNA (en euros)

10 365 266

8 671 750

12 296 750

16 493 000

15 260 000 47 ( * )

Source : ASP

La participation du FNFPE couvre ainsi 10,6 % des 155 millions d'euros engagés par les départements au titre de la phase d'évaluation et de mise à l'abri.

Les termes du décret du 18 août 2015 visent plus spécifiquement l'une des deux enveloppes financières du fonds, dont une partie est explicitement consacrée au « remboursement des dépenses engagées par les départements dans le cadre du financement de la phase de mise à l'abri, d'évaluation et d'orientation des enfants sans représentant légal sur le territoire français », en laissant toutefois au comité de gestion du fonds la liberté de définir les modalités de ce remboursement.

Il est nécessaire d'apporter une précision sur l'origine des crédits qui abondent le FNFPE. La loi du 5 mars 2007 prévoit que ces derniers soient constitués par un versement de la caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) et par un versement annuel de l'État fixé en loi de finances (ils figurent plus spécifiquement à l'action 17 du programme 304 ). En 2016, le versement de l'État s'élevait à 14 000 000 euros 48 ( * ) . En conséquence de la fongibilité des crédits du FNFPE, on en déduit que la participation effective de la Cnaf à la prise en charge des MNA se chiffre à 2 500 000 euros. La loi de finances pour 2017 a prévu une élévation du montant annuel versé par l'État à 15 260 000 euros, soit une progression de 9 %, que le FNFPE abondera probablement en fin d'exercice .

La traçabilité des crédits de ce versement annuel n'est pas très aisée. Elle ne figure explicitement au projet annuel de performance du programme 304 que depuis le PLF 2017. Ce n'est qu'à l'occasion d'une question écrite de notre collègue Christian Namy que le Gouvernement a donné à son propos quelques précisions, plutôt lacunaires 49 ( * ) .

Proposition n° 3 : systématiser la traçabilité des crédits de l'État abondant le Fonds national de financement de la protection de l'enfance (FNFPE).

4. Une renégociation de la participation de l'État est donc nécessaire

L'évaluation des personnes se présentant comme MNA apparaît comme un corollaire de la mission de prise en charge des mineurs en danger, ainsi que l'a souligné le Conseil d'État dans sa décision du 14 juin 2017. Si vos rapporteurs ne considèrent donc pas que l'intégralité de la charge correspondant à cette évaluation devrait relever de l'État, il apparaît néanmoins souhaitable que la participation financière de ce dernier soit augmentée. En effet, la prise en charge des MNA constitue pour les départements une charge tout à fait exogène, sur laquelle ils n'ont aucune prise.

La proposition de loi Arthuis

Suite à l'adoption du protocole du 31 mai 2013, notre ancien collègue Jean Arthuis (UDI-UC - Mayenne) a déposé une proposition de loi 50 ( * ) ayant pour objet de remédier au partage insatisfaisant de la charge financière entre les départements et l'État, liée à la phase d'évaluation.

Ce texte prévoyait trois mesures :

- le transfert intégral des frais relatifs aux mineurs isolés étrangers à la charge de l'État . Le texte étendait ce transfert de financement non seulement à la phase d'évaluation mais également à toute prise en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance ;

- la mise en place d'un ou plusieurs centre d'hébergement régional ou interrégional ayant compétence pour accueillir et héberger les mineurs isolés étrangers. La mesure avait pour ambition de soulager les capacités d'hébergement des départements, mises en tension par l'afflux de jeunes migrants ;

- la construction d'un fichier informatique relevant les empreintes digitales et la photographie des mineurs isolés étrangers.

En raison de la création d'une charge nouvelle pour l'État, l'article 40 de la Constitution fut opposé aux deux premières séries de mesures. Les autres dispositions ne furent pas adoptées en séance publique.

Vos rapporteurs, sensibles à l'alarme portée par cette proposition de loi quant au défaut financier de l'État dans une phase de mise à l'abri relevant pourtant de sa compétence migratoire, souhaitent toutefois que soit maintenue la participation des conseils départementaux, qui ont vocation à poursuivre la prise en charge en cas de minorité avérée.

L'ADF a annoncé à vos rapporteurs qu'une négociation avec le cabinet du premier ministre avait pour l'heure abouti à l'engagement pris par l'État de renforcer sa participation financière. La proposition de l'État consisterait à prendre en charge une part de la mise à l'abri calculée comme suit : pour toute arrivée de jeune migrant au-delà du seuil de 13 000, l'État verserait 12 000 euros (30% du chiffre qu'il retient pour la prise en charge d'un MNA, soit 40 000 euros).

Proposition n° 4 : relancer la négociation entre l'État et l'assemblée des départements de France relative au financement par l'État de la phase de mise à l'abri.


* 42 Ces estimations sont fondées sur le nombre de prises en charge au titre de l'Ase en 2016, susceptibles d'augmenter en 2017.

* 43 Le rapport conjoint IGSJ/Igas/IGA de 2014 rappelait que la compensation par l'État des charges relatives aux MNA ne présentait aucun caractère obligatoire , l'évaluation de ces publics ne résultant pas d'un transfert de compétence mais de la compétence désignée du conseil départemental.

* 44 Cf infra.

* 45 Loi n° 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance, article 27.

* 46 Décret n° 2015-1013 du 18 août 2015 modifiant certaines dispositions du décret du 17 mai 2010 relatif au Fonds national de financement de la protection de l'enfance.

* 47 Ce chiffre est sans doute appelé à être accru en fin d'exercice 2017, le FNFPE ayant pris l'habitude d'un abondement de crédits supplémentaires.

* 48 D'après le projet annuel de performance du programme 304 du PLF 2017.

* 49 Question écrite n° 10454 de M. Christian Namy, réponse publiée dans le JO du Sénat du 15 janvier 2015.

* 50 Proposition de loi relative à l'accueil et à la prise en charge des mineurs isolés étrangers, session ordinaire de 2013-2014, déposée le 20 novembre 2013, n° 154.

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