B. LA SATURATION DU DISPOSITIF DE MISE À L'ABRI

1. Évaluation et mise à l'abri : un conflit d'intérêts ?

À titre liminaire, vos rapporteurs ont été alertés sur le possible conflit d'intérêts qui consistait pour les conseils départementaux à confier aux mêmes délégataires du service public, très souvent des acteurs associatifs, les deux missions d'évaluation et de mise à l'abri . En effet, il peut être difficile d'évaluer objectivement la minorité de personnes dont on gère également l'hébergement, qui devra prendre fin en cas d'évaluation négative. Plusieurs témoignages de ces situations ont été recueillis par l'auteure d'un ouvrage sur la question 51 ( * ) , que vos rapporteurs ont pu rencontrer.

Le seul exemple de séparation organique de ces deux missions recensé par votre rapporteur est, pour l'heure, celui de Paris où deux acteurs associatifs distincts se partagent l'évaluation (La Croix-Rouge) et la mise à l'abri (France Terre d'asile). Concernant un des départements recueillant le plus de jeunes migrants en attente d'évaluation, ce choix semble judicieux et devrait être étendu. À ce titre, il paraîtrait pertinent que les conseils départementaux, dans la mesure du possible et chaque fois que la présence d'acteurs associatifs le permet, émettent des appels à projets distincts pour les deux missions d'évaluation et de mise à l'abri, avec impossibilité de cumul.

Proposition n° 5 : inciter les conseils départementaux à émettre, chaque fois que possible, des appels à projets distincts pour les deux missions d'évaluation et de mise à l'abri, avec impossibilité de cumul.

2. Les acteurs chargés de l'hébergement d'urgence
a) Des structures dédiées gérées par les acteurs associatifs

L'importante augmentation du flux de demandes de prise en charge par des MNA a mécaniquement placé sous tension les capacités d'hébergement disponibles des départements .

(1) L'inadaptation des structures classiques de l'aide sociale à l'enfance

Le premier constat posé par vos rapporteurs est celui d'une inadaptation des structures classiques de l'hébergement d'urgence pour enfants . En premier lieu, en raison de l'incertitude pesant sur la minorité des jeunes en attente d'évaluation, leur hébergement dans des structures exclusivement dédiées aux mineurs ne paraît pas souhaitable. En second lieu, les deux types d'établissements les plus fréquents, foyers départementaux de l'enfance (FDE) et maisons d'enfants à caractère social (Mecs), semblent en effet ne pas tout à fait convenir au public très spécifique de jeunes isolés étrangers ayant connu des parcours migratoires difficiles.

Les FDE et les Mecs sont avant tout destinés à des enfants ou jeunes majeurs dont les familles se trouvent en difficulté momentanée ou durable les empêchant d'en assumer la charge et l'éducation. Au vu des problèmes auxquels elles ont à faire face, ces structures ont une mission traditionnelle d'accueil long de publics dont la situation familiale présente un danger .

Or, la situation particulière ainsi que les besoins des MNA sont tout autres. La plasticité de la notion de danger et la compétence du juge des enfants en matière de MNA ont pu engendrer une assimilation contreproductive de ces mineurs et des publics plus « classiques » de l'aide sociale à l'enfance. La quasi-intégralité des personnes auditionnées par vos rapporteurs ont pourtant mis l'accent sur la distinction nécessaire à opérer entre ces deux publics . Le danger qui menace les MNA est avant tout lié à leur isolement sur le territoire français, et non aux carences de leur cadre familial. De ce fait, leur exposition à des structures peu équipées pour répondre à leurs besoins et où les phénomènes de délinquance sont courants serait de nature à aggraver leur situation plus qu'à l'améliorer. De plus, la phase d'évaluation de la minorité n'ayant normalement pas vocation à s'étendre dans le temps, il paraît inadéquat d'offrir aux MNA un hébergement d'urgence dans des structures spécialisées dans l'accueil long.

Vos rapporteurs ont relevé au cours de leurs travaux que cinq départements métropolitains ont chargé des structures d'aide sociale à l'enfance de droit commun de la mise à l'abri d'urgence des jeunes en attente d'évaluation. Trois de ces cinq départements ayant connu en 2015 un nombre de demandes d'évaluation supérieur à 100, on ne peut qu'inciter les départements concernés par un afflux important à s'équiper de dispositifs dédiés.

(2) Un modèle d'hébergement d'urgence spécifique

Les conseils départementaux recourent, dans leur majorité, à un modèle d'hébergement spécifique pour les jeunes en attente d'évaluation. Ils font souvent intervenir un acteur associatif recruté sur la base d'un appel à projet, délégataire du conseil départemental pour la mise à l'abri du jeune, gestionnaire d'une structure d'accueil dont le bâti est mis à sa disposition par le conseil départemental et rémunéré sous la forme d'un prix de journée individuel . Ces prix de journée doivent pouvoir financer l'hébergement du jeune ainsi que son encadrement par des éducateurs-évaluateurs spécialisés.

Ces appels à projet donnent lieu à des réalisations de nature très diverse. Chaque conseil départemental doit dans les faits rendre un arbitrage entre la capacité du service d'accueil qu'il organise et le niveau du prix de journée qu'il lui attribue. Alors que les prises en charge dans le cadre de l'aide sociale à l'enfance donnent lieu au versement d'un prix de journée moyen de 150 euros 52 ( * ) , certains responsables associatifs estiment le niveau minimal du prix de journée de l'hébergement d'urgence des jeunes migrants non-accompagnés à 90 euros . Plusieurs départements parviennent à construire des appels à projet à des niveaux de prix de journée proches, dont sont signataires plusieurs grandes associations particulièrement présentes en la matière.

Le département du Pas-de-Calais a prévu que son établissement d'accueil et d'accompagnement vers l'autonomie pour mineurs isolés étrangers de Saint-Omer, géré par France Terre d'asile, soit pourvu d'un dispositif de maraude et de mise à l'abri d'urgence financé au prix de journée de 85 euros et d'une capacité de 45 places. Le département du Val-d'Oise a équipé le lieu d'accueil et d'orientation (LAO) de Taverny, géré par la Croix-Rouge, d'un service d'accueil d'urgence financé au prix de journée de 80 euros et d'une capacité de 40 places. Le département du Morbihan a fait de même en instaurant une plateforme d'urgence, gérée par la fondation des Apprentis d'Auteuil, financée au prix de journée de 83 euros et d'une capacité de 30 places.

On constate dans les trois cas que la capacité permise par un prix de journée de ce niveau ne permet d'absorber pour les trois départements respectifs que 18 %, 15 % et 26 % des jeunes en attente d'évaluation 53 ( * ) .

D'autres départements ont préféré assurer l'accueil d'urgence de l'intégralité des jeunes isolés étrangers de leur territoire en équipant leur service d'accueil d'une capacité étendue. Ils furent néanmoins contraints, en conséquence, de financer ces structures à des niveaux de prix de journée dont les acteurs associatifs s'accordent à dire qu'ils sont insuffisants.

Quel que soit l'arbitrage rendu par le conseil départemental, il se trouve donc confronté au dilemme suivant : offrir un accueil d'urgence décent à une seule fraction des demandeurs de prise en charge ou sacrifier la qualité de l'accueil à son extension à l'ensemble des demandeurs.

(3) Le partenariat avec d'autres structures existantes : les FJT

Afin de contourner cet obstacle, plusieurs départements ont tenté, en plus de l'ouverture de services d'accueil d'urgence, de construire des partenariats avec des structures existantes qui paraissent plus adaptées que les FDE ou les Mecs, comme par exemple les foyers de jeunes travailleurs (FJT) . Ces structures sont des résidences louant des chambres à de jeunes travailleurs vivant seuls, âgés de 16 à 25 ans, exerçant une activité professionnelle, en stage ou en apprentissage. Ce type d'hébergement paraît plus adapté aux jeunes isolés étrangers, dans la mesure où il les expose à une cohabitation de profils similaires.

L'option du partenariat avec les FJT a notamment été exploitée par le département de la Manche, qui est parvenu à y réserver 10 places pour les jeunes en attente d'évaluation. C'est aussi le cas de la Mayenne, de la Drôme, de l'Isère et du Nord notamment. Cette solution, dont vos rapporteurs sentent bien qu'elle est difficilement généralisable en raison du faible maillage de FJT sur le territoire, mérite pourtant d'être davantage exploitée. Les services offerts par les FJT, qui cumulent une fonction de logement et d'accompagnement socio-éducatif, semblent bien plus adaptés au profil spécifique des jeunes migrants en attente d'évaluation que les structures d'hébergement classiques de l'aide sociale à l'enfance. Ces hébergements pourront, selon les cas, être prolongés en cas de minorité .

Par ailleurs, les prix de journée versés aux FJT, autour de 70 à 80 euros, sont potentiellement sources d'économies pour les conseils départementaux dans la mise à l'abri .

Proposition n° 6 : inciter les conseils départementaux, là où cela leur est possible, à développer des hébergements d'urgence dans les foyers de jeunes travailleurs.

b) Le recours aux établissements hôteliers

Dans l'écrasante majorité des cas, les gestionnaires de structures d'accueil sont dans l'incapacité d'héberger la totalité des jeunes demandeurs de prise en charge et les partenariats avec les structures existantes ne permettent pas d'absorber le reliquat. La règle du « premier arrivé, premier hébergé » mène à la saturation rapide des locaux de l'association et contraint, d'après le témoignage de certains responsables associatifs, le jeune à trouver un abri de fortune le temps de son évaluation 54 ( * ) . Il leur est en effet impossible, du fait de leur minorité supposée et pourtant en cours de probation, de solliciter les services d'hébergement du 115, réservés aux majeurs.

En conséquence, le recours à l'accueil hôtelier , d'abord sporadique, a connu un essor important sous la poussée des arrivées de jeunes et la difficulté éprouvée par les conseils départementaux à faire évoluer leur offre de logements 55 ( * ) . L'hébergement hôtelier est aujourd'hui la principale forme d'hébergement d'urgence . Il peut prendre plusieurs aspects : la mise à disposition de quelques chambres dans des hôtels standardisés ou la spécialisation d'établissements entiers. Dans les deux cas, l'hôtelier est directement rémunéré par le conseil départemental.

Au cours de leurs déplacements, vos rapporteurs ont pu prendre la mesure de ce phénomène, dont les conseils départementaux assurent qu'il n'intervient que de façon subsidiaire. Malgré le caractère inadéquat de ce type d'hébergement, certaines associations délégataires de la mise à l'abri prennent des mesures organisationnelles destinées à limiter l'isolement des jeunes concernés.

L'exemple du LAO de Taverny

Le LAO de Taverny prend en charge l'évaluation et la mise à l'abri d'urgence des jeunes isolés étrangers du département du Val d'Oise, sur délégation du conseil départemental. En mars 2017, 90 jeunes sont pris en charge par le LAO, dont 60 à 70 sont hébergés en établissement hôtelier. Le critère d'hébergement est alors celui de la vulnérabilité apparente, évaluée par un salarié de l'association. À ce titre, toutes les jeunes filles qui se présentent comme MNA au LAO sont hébergées sur place.

L'hébergement à l'hôtel est réparti sur quatre à cinq établissements, qui ne sont pas entièrement consacrés à ce type d'accueil. Le même salarié de l'association, qui a le statut d'aide de vie, y assure un passage quotidien ainsi qu'un portage de repas tous les deux jours. L'attribution de ces tâches à un agent unique complique de façon importante une mission pourtant essentielle et d'autant plus cruciale que la phase d'évaluation et de mise à l'abri peut s'étendre dans le Val d'Oise sur plusieurs semaines. De toute évidence, le prix de journée accordée par le conseil départemental (180 euros) ne permet pas l'embauche d'un autre aide de vie dans l'immédiat, même si des négociations sont en cours.

Malgré l'hébergement à l'hôtel, le LAO organise plusieurs moments de regroupement dans ses locaux pour la réalisation de bilans de soins ou d'éducation.

Vos rapporteurs se sont montrés très intéressés par le modèle proposé par le LAO de Taverny. Contraints au recours à l'hébergement hôtelier en raison de l'exposition particulière du département du Val d'Oise aux flux de jeunes isolés étrangers, les gestionnaires du LAO ont pris le parti de ne pas aggraver l'isolement de ces jeunes en attente d'évaluation en organisant plusieurs moments de réunion dans les locaux de l'association. En prodiguant des bilans de soins ou des temps de scolarité supplémentaires, le LAO prend certes le risque d'une anticipation sur les résultats de l'évaluation de minorité, mais vos rapporteurs se montrent favorables à ce genre d'initiative, qui privilégie la souplesse à l'accentuation de l'isolement des jeunes non évalués.

Dans la mesure où le phénomène de l'hébergement à l'hôtel ne connaîtra vraisemblablement pas d'endiguement à court terme, vos rapporteurs s'étonnent que la pratique de contrôles de salubrité des établissements par les équipes départementales soit aussi peu fréquente . La presse, de même que de nombreux responsables associatifs, se sont faits l'écho de conditions d'hébergement souvent sommaires, suscitant fort peu de réaction des pouvoirs publics. C'est pourquoi vos rapporteurs préconisent que les hébergements à l'hôtel se fassent dans le cadre d'une convention passée entre le conseil départemental et l'établissement , comprenant une liste minimale d'engagements d'hygiène et de sécurité ainsi qu'un rythme minimal de contrôle des lieux.

Proposition n° 7 : encadrer les mises à l'abri d'urgence en établissement hôtelier par une convention définissant les conditions minimales d'hygiène et de sécurité, passée entre l'établissement et le conseil départemental.

c) L'accueil bénévole : une option à limiter

Plusieurs responsables associatifs ont mis en garde vos rapporteurs contre le développement des initiatives citoyennes spontanées visant à héberger des jeunes isolés étrangers en attente d'évaluation 56 ( * ) . Pour louable que soit l'intention, elle présente des risques importants qui conduisent vos rapporteurs à exprimer de grandes réserves à son endroit. Vos rapporteurs souhaitent avant tout rappeler que l'accueil d'un jeune isolé étranger par une famille bénévole ne peut se faire qu' après l'émission par le parquet d'une ordonnance de placement provisoire (OPP) . Tout hébergement offert sans décision judiciaire engage la responsabilité personnelle de l'accueillant.

Outre cette étape indispensable, d'autres risques relatifs à la mise à l'abri concernent autant la personne hébergée que la famille bénévole. Cette dernière, en assurant l'accueil d'une personne dont la minorité n'est pas confirmée, peut s'exposer à des poursuites pour hébergement d'une personne en situation d'irrégularité sur le territoire français. De plus, l'accueil d'un jeune arrivé au terme ou à l'étape d'un parcours migratoire souvent long et éprouvant suppose des qualifications indispensables qui ne peuvent dispenser les familles d'accueil d'un agrément délivré par les services de l'aide sociale à l'enfance .

Vos rapporteurs ne peuvent donc qu'encourager les conseils départementaux à limiter, dans le cadre de leurs appels à projet, la possibilité pour leurs délégataires de recourir à cette forme d'hébergement d'urgence.

3. Les cas d'ineffectivité de mise à l'abri

De très nombreux acteurs publics et associatifs rencontrés par vos rapporteurs ont déploré qu'une double saturation des structures d'accueil et des établissements hôteliers conduise de nombreux jeunes à ne bénéficier d'aucune mise à l'abri dans le délai d'attente de leur évaluation .

Le premier grief dont se font l'écho plusieurs associations ainsi que le Défenseur des droits, concerne l' absence totale de prise en charge dont seraient victimes plusieurs demandeurs à l'entrée du dispositif d'évaluation des mineurs isolés étrangers (Démie) de Paris. Des « refus-guichet » seraient constatés en Seine-Saint-Denis, l'autre grand département concerné par les flux d'arrivée. Ces pratiques ont été notamment rapportées par le collectif « Accompagnement et défense des jeunes isolés étrangers » (Adjie), qui soutient que, depuis septembre 2016, plus d'une cinquantaine de jeunes se sont vus refuser une prise en charge sans qu'aucune décision administrative ne leur soit notifiée.

Une décision du Défenseur des droits semble confirmer ce fait : il lui a en effet été signalé des « refus de guichet » qui « ne semblent s'expliquer que par le physique du jeune qui se présente, et seraient plus nombreux en période de particulière affluence ». Il a tenu à cette occasion à rappeler que « tous les jeunes qui se présentent comme mineurs non-accompagnés doivent impérativement faire l'objet d'une évaluation socio-éducative conforme aux missions qui leur sont dévolues ». Auditionnée, la Ville de Paris a au contraire affirmé que tout jeune se présentant au Démie faisait l'objet d'une mise à l'abri.

La mise à l'abri et l'évaluation
des jeunes isolés étrangers arrivant à Paris

L'agglomération parisienne est un des territoires français les plus touchés par l'élévation récente des arrivées de jeunes isolés étrangers. Passé de 1 300 en 2015 à près de 2 000 en 2016, le nombre des jeunes isolés étrangers évalués mineurs représente aujourd'hui environ un tiers des effectifs de la prise en charge de l'aide sociale à l'enfance de Paris.

Le rythme d'accroissement de ces arrivées a nécessité que l'autorité départementale repense son dispositif de mise à l'abri et d'évaluation. Auparavant uniquement géré par l'association France Terre d'asile, le dispositif de primo-accueil est depuis avril 2015 structuré autour de deux piliers :

- le dispositif de mise à l'abri en urgence (DMAU), toujours géré par France Terre d'asile, assurant la mise à l'abri hôtelière des jeunes migrants en attente d'évaluation. La capacité de cette mise à l'abri s'élève en décembre 2016 à 216 places, réparties sur 10 établissements hôteliers ayant autorisation d'exploitation ;

- le dispositif d'évaluation des mineurs isolés étrangers (Démie), géré par la Croix Rouge, est ouvert depuis le 18 janvier 2016, pour assurer le premier accueil, l'évaluation et l'orientation des jeunes migrants.

Afin de remédier aux lacunes d'une mise à l'abri essentiellement hôtelière (dont le budget pour 2016 représente 3,9 millions d'euros), la régie immobilière de la ville de Paris (RIVP) a mené plusieurs projets en partenariat avec l'association France Terre d'asile (Maison du jeune réfugié, Dispositif de mise à l'abri Stendhal) qui furent progressivement abandonnés. La RIVP a récemment acquis un bâtiment de 600 m² pour l'hébergement d'urgence de « jeunes migrants autonomes en attente d'évaluation de minorité », que le département de Paris a cette fois choisi de déléguer à l'association Coallia 57 ( * ) . Ce bâtiment, d'une capacité de 31 places , sera financé par le département à hauteur de 1 161 730 euros, soit un prix de journée d'environ 105 euros.

Le deuxième cas d'ineffectivité de mise à l'abri concerne les jeunes dont l'évaluation est prévue, mais à qui aucune solution d'hébergement, même hôtelière, n'est proposée dans le délai , parfois long, qui la précède. Ces cas-là sont notamment détectés au gré de maraudes menées par les associations. Vos rapporteurs souhaitent rappeler, à la suite du Défenseur des droits, que l'obligation de mise à l'abri des jeunes en attente de l'évaluation de leur minorité, est une obligation légale incombant aux autorités publiques.

Plusieurs acteurs associatifs ont par ailleurs informé vos rapporteurs d'autres cas d'absence de prise en charge, qui s'expliquent quant à eux par un éloignement volontaire de certains mineurs isolés étrangers des circuits de la mise à l'abri. L'actualité a apporté l'exemple particulièrement frappant d'un groupe d'une centaine de jeunes Marocains, repérés par la mairie de Paris dans le 18 e arrondissement de la capitale.

L'appréhension de ce phénomène semble appeler des pouvoirs publics une réponse différente de celle habituellement déployée. Les acteurs publics de la prise en charge fondent leur action sur le postulat d'une présentation spontanée des jeunes isolés étrangers aux services chargés de l'évaluation. Or, c'est à une situation inédite d'isolement volontaire de ces jeunes qu'on se trouve ici confronté. D'après vos rapporteurs, le dispositif tel qu'il est actuellement pensé s'applique mal de ces situations spécifiques : la place des acteurs associatifs est insuffisamment définie et le délai de cinq jours est beaucoup trop limité.

Juridiquement, le droit de la mise à l'abri d'urgence d'une personne dont la minorité n'est pas avérée n'est pas clairement défini par la loi . Aux termes de la circulaire de 2016, la responsabilité en incombe au département, mais l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles limite les cas d'intervention du conseil départemental aux mineurs qui ne peuvent demeurer provisoirement dans leur milieu de vie habituel, aux femmes enceintes et aux mères isolées.

Pour tous les autres publics, l'article L. 121-7 du même code dispose que « les mesures d'aide sociale en matière de logement, d'hébergement et de réinsertion » sont « à la charge de l'État ». Certains départements ont pu se prévaloir de cette ambiguïté juridique pour justifier de l'ineffectivité de la mise à l'abri, jusqu'à ce qu'un arrêt du Conseil d'État 58 ( * ) précise que le conseil départemental ne peut refuser la mise à l'abri « au seul motif qu'il incombe en principe à l'État d'assurer [l'] hébergement », tout en précisant que lui reste ouverte la faculté de « rechercher la responsabilité de l'État en cas de carence avérée et prolongée ».

4. L'appel aux dispositifs préfectoraux dans les départements particulièrement touchés

Le déplacement de vos rapporteurs dans le département du Nord, particulièrement concerné en raison du phénomène de concentration de populations migrantes dans le Calaisis débouchant sur des arrivées massives de MNA à Lille et à Morbecque , leur a permis de poser la question du recours aux dispositifs préfectoraux.

La situation particulière du Nord

La question des MNA est particulièrement prégnante dans le Nord avec le développement du campement de Linière à Grande-Synthe et le développement de campements sauvages autour du Jardin des Olieux à Lille.

Le campement de Grande-Synthe rassemble 1 500 personnes dont 108 enfants qui ne sont pas tous isolés. La plupart expriment un refus de prise en charge en France et souhaitent passer au Royaume-Uni. Les modalités de la prise en charge doivent donc prendre en compte les particularités de ces parcours migratoires.

Dans le cas spécifique du Nord, la collectivité territoriale et la préfecture se sont associées pour mettre en place une structure temporaire dédiée, le Caomie , dont deux sont situés à Morbecque et Lille. S'y ajoutent des centres de répit pour 80 jeunes en attente d'évaluation et d'orientation, qui sont censés prendre la suite des Caomie.

La mise à l'abri des jeunes isolés étrangers installés dans les campements de fortune au sein de la ville a été globalement assurée par les services de la préfecture . Les jeunes isolés ont tous été accueillis dans les locaux d'un ancien centre d'accueil pour demandeurs d'asile (Cada) sis à Cassel reconverti par la préfecture en centre de répit temporaire et collectif (CRTC) dans l'attente de leur évaluation. Cet accueil s'est fait par délégation des services préfectoraux à l'Association des Flandres pour l'éducation, la formation des jeunes et l'insertion sociale et professionnelle (Afeji). Il a donné lieu au versement d'un prix de journée de 163 euros . La fermeture du CRTC était prévue pour le 31 mars 2017.

Sur les 46 personnes mises à l'abri, une quinzaine a introduit une demande d'asile et s'est vu offrir des places d'hébergement pour demandeurs d'asile. Une dizaine de jeunes a demandé l'examen de leur situation par le juge des enfants : ils ont été reconnus mineurs et placés sous la protection du conseil départemental du Nord. Une vingtaine de jeunes ayant été évalués majeurs sont encore au 31 mars en attente de la décision du juge des enfants qu'ils ont saisi. En accord avec le conseil départemental, l'État a fait le choix de les maintenir sous sa protection , dans l'attente de la décision du juge. Ainsi, le CRTC de Cassel a fermé ses portes le 31 mars, conformément aux dispositions qui régissent la veille hivernale, 21 jeunes bénéficiant de la protection de l'État jusqu'au jugement de leur affaire.

La question de l'accueil des mineurs non-accompagnés étant étroitement liée dans le département aux conséquences de la crise migratoire, l'implication de la préfecture dans la mise à l'abri des jeunes en attente d'évaluation fut commandée par l'urgence (occupation de lieux publics) et s'est faite en quelque sorte en marge des dispositions expresses des textes.

Une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Lille rendue le 20 octobre 2016 59 ( * ) semble aller dans le sens d'un partage plus pragmatique des compétences . L'ordonnance considère « qu'il appartient aux autorités de l'État [...] de mettre en oeuvre le droit à l'hébergement d'urgence reconnu par la loi à toute personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, psychique ou sociale », et limite expressément les autorités du département à « prendre en charge l'hébergement et [à] pourvoir aux besoins des mineurs confiés au service de l'aide sociale à l'enfance ».

Vos rapporteurs saluent le choix fait dans le département du Nord d' associer les autorités de l'État à la mise à l'abri des jeunes en attente d'évaluation . Ils y voient plusieurs avantages :

- dans les départements particulièrement concernés par la crise migratoire, l'accueil d'urgence des jeunes migrants semble aller naturellement dans le prolongement de la compétence régalienne en matière migratoire ;

- les autorités préfectorales disposent de la compétence générale de mise à l'abri des migrants majeurs, mais également des familles de migrants avec enfants. La césure de compétence avec le conseil départemental pour ce qui concerne les mineurs migrants isolés paraît peu justifiée au regard de l'expertise préfectorale en la matière et d'autant plus que la notion d'isolement ne fait pas toujours l'objet d'une appréciation claire ;

- par ailleurs, les autorités préfectorales semblent mieux outillées et mieux dotées pour assurer une mission que les conseils départementaux, tant humainement que financièrement, peuvent peiner à remplir. Ainsi, dans les Alpes-Maritimes, la préfecture, responsable opérationnel de programme, attribue des crédits du programme budgétaire 177 pour aider à l'hébergement d'urgence des MNA (600 000 euros en 2016), normalement couvert par les crédits du programme 304.

Proposition n° 8 : développer, pour la phase d'évaluation et de mise à l'abri, des partenariats entre conseil départemental et autorités de l'État, notamment sur le volet de l'hébergement d'urgence.


* 51 R. Le Berre, De rêves et de papiers, Paris, La Découverte, 2017.

* 52 Le coût annuel d'une prise en charge par l'aide sociale à l'enfance étant évalué à environ 50 000 euros.

* 53 D'après les données de l'ADF.

* 54 Le livre de Mme R. Le Berre (idem p. 45) livre une illustration poignante de ces situations, qui ont toutes été vécues par l'auteur.

* 55 La problématique de l'hébergement hôtelier concerne également les sans-abris majeurs.

* 56 Cette pratique semble s'être particulièrement développée dans l'Isère, où l'association délégataire du dispositif d'accueil d'urgence des mineurs isolés étrangers fait appel au bénévolat pour l'hébergement d'urgence.

* 57 Délibération du Conseil de Paris, séance des 27, 28 et 29 mars 2017, 2017 DASES 157 G.

* 58 Conseil d'État, 30 mars 2016, Département de Seine-Saint-Denis, n° 382437.

* 59 N° 1607652.

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