EXAMEN EN DÉLÉGATION

M. Michel Magras, président . - Nous nous retrouvons après de nombreuses semaines de suspension des travaux, qui ne nous ont cependant pas laissés désoeuvrés... Nos rapporteurs sur les études en cours de la délégation, en particulier, n'ont pas chômé ! Mais avant d'aborder notre ordre du jour, je veux vous communiquer plusieurs informations.

Je signale à ceux qui ne l'auraient pas remarqué que notre délégation a changé de dénomination : en application de l'article 99 de la loi d'orientation sur l'égalité outre-mer, notre délégation « à l'outre-mer » est devenue la Délégation sénatoriale « aux outre-mer ». Le Bureau du Sénat a pris acte de cette évolution lors de sa réunion du 31 mai dernier ;

En vertu de ce même article 99 qui nous fait obligation de publier un bilan d'activité, je vous propose de nous réunir pour examiner cette rétrospective triennale... ce qui permettra à chacun de commencer à réfléchir à une nouvelle programmation pour la période à venir.

Enfin, un nouvel outil de communication a été lancé pour faire connaître nos travaux : il s'agit d'une lettre d'information qui a été adressée à plus de deux mille contacts. Les retours sont très positifs et n'hésitez pas à la diffuser largement car de nouvelles personnes intéressées peuvent s'abonner.

Voilà pour les principales nouveautés relatives à notre délégation ayant émaillé les quatre derniers mois.

Concernant nos travaux sur les normes, je dois vous faire part du succès de la première étude sur les normes agricoles. Notre collègue Catherine Procaccia a été sollicitée pour la présenter le 1 er mars dernier dans le cadre d'un colloque organisé par l'ODEADOM à l'occasion du Salon de l'agriculture, et j'ai moi-même pu présenter la résolution européenne votée au Sénat en novembre 2016 à l'occasion du Forum des RUP à Bruxelles le 30 mars 2017. La résolution regroupant nos préconisations sur les normes agricoles et la politique commerciale européenne avait, pour l'occasion, été traduite en anglais, en espagnol et en portugais, pour une plus large diffusion. Notre message a reçu le meilleur accueil ! Je regrette seulement que le temps nous ait fait défaut pour répondre aux nombreuses questions des participants à l'événement.

Passons maintenant à notre ordre du jour car une conférence de presse nous attend à 11 heures.

Nous parvenons aujourd'hui au terme du second volet de notre étude sur les normes dans les outre-mer dont Éric Doligé est le rapporteur coordonnateur et Karine Claireaux et Vivette Lopez les rapporteurs : leur travail porte sur les normes techniques applicables en matière de bâtiment et de travaux publics (BTP).

Je cède la parole à nos rapporteurs qui interviendront dans l'ordre suivant :

- Éric Doligé, pour un panorama général sur l'importance du secteur du BTP en outre-mer et la problématique normative relative à cette activité ;

- Karine Claireaux, pour l'adaptation du processus d'élaboration des normes aux contextes ultramarins, la promotion de modes de construction spécifiques ou innovants ainsi que le développement de capacités d'expertise et d'une meilleure insertion régionale ;

- et Vivette Lopez, pour la révision des réglementations pénalisantes, une vigilance accrue sur la qualité des constructions et la maîtrise des coûts assurantiels.

M. Éric Doligé, rapporteur coordonnateur . - Après les normes sanitaires et phytosanitaires applicables aux productions agricoles ultramarines, c'est le cadre normatif du secteur du BTP qui a retenu notre attention, car la construction est une autre activité primordiale pour la santé économique et sociale de nos outre-mer.

En effet, bien que les territoires soient confrontés à une grande diversité de situations, les besoins sont immenses, qu'il s'agisse du logement ou des infrastructures d'équipement, et les retards se sont accumulés.

De nombreux facteurs amplifient les besoins dans des contextes fortement contraints.

En premier lieu, les dynamiques démographiques sont à l'oeuvre dans nos outre-mer et, à cet égard, les territoires doivent relever des défis très différents : vieillissement et déclin démographique aux Antilles ; poursuite de la transition démographique à La Réunion qui doit affronter simultanément le vieillissement et la jeunesse de sa population (plus de 30 % de moins de 20 ans aujourd'hui) ; déséquilibre de peuplement avec une concentration de la population dans la ville-capitale, comme en Polynésie sur Tahiti ou en Nouvelle-Calédonie à Nouméa ; ou encore flux migratoires entrants non maîtrisés compromettant la mise en place d'un modèle de développement, comme en Guyane et, a fortiori , à Mayotte. À ce paramètre démographique déterminant s'ajoute la dimension culturelle avec, d'une part, la préférence généralisée pour l'habitat individuel, soit plus de 70 % des résidences principales en Guyane et à La Réunion, et d'autre part, une démultiplication des besoins de logement due au double phénomène de la décohabitation et de la dislocation de la cellule familiale. Rappelons qu'un quart des ménages correspond à des familles monoparentales en Guadeloupe et en Guyane contre 9 % dans l'Hexagone !

L'impératif de réhabilitation et de lutte contre l'habitat indigne caractérise également, à des degrés divers, la situation des territoires : l'Insee indique ainsi qu'en 2013, à Mayotte, 37 % des résidences principales sont des résidences individuelles en tôle et les deux tiers sont dépourvues d'un des trois éléments de confort de base (eau courante, douche, WC à l'intérieur de l'habitation).

Ces caractéristiques génèrent des besoins en logements et en infrastructures dont l'évolution excède systématiquement la programmation qui en est faite, si bien qu'en dépit d'une réelle prise de conscience les retards ont continué à s'accumuler.

En outre, l'activité de construction et d'équipement dans les outre-mer doit apprivoiser des contraintes spécifiques liées aux configurations géographiques :

- rareté du foncier disponible du fait de l'exiguïté et de l'éparpillement insulaire, d'une topographie accidentée ou bien de sols non stabilisés ;

- climats particulièrement corrosifs ;

- exposition forte aux risques naturels.

Enfin, si les grands chantiers d'équipement qui supposent des compétences techniques avancées et un outillage de pointe sont essentiellement la chasse gardée des grands groupes, les acteurs économiques locaux du bâtiment sont néanmoins souvent nombreux, formant un tissu entrepreneurial de petites entreprises. Tout en employant de 5 à 11 % des effectifs salariés selon les territoires et regroupant quelque 15 % des entreprises locales en moyenne, la construction est un secteur exposé et vulnérable, fortement dépendant de la commande publique qui, elle-même, connaît d'importantes fluctuations.

Dans ce contexte très contraint et face aux enjeux de développement et de préservation de l'équilibre social des territoires, est-il concevable qu'un cadre normatif inadapté constitue une cause de renchérissement et un frein supplémentaire à la production de logements et d'équipements structurants ?

La réponse est bien sûr négative et le rapport que nous vous présentons aujourd'hui s'attache à évaluer le cadre normatif actuel, à le confronter aux situations des territoires ultramarins et à inventorier les évolutions nécessaires à une réelle prise en compte de leurs spécificités.

Le constat que nous avons pu dresser à partir des informations collectées au plus près du terrain, à l'occasion de nos auditions réalisées grâce à la visioconférence ou lors de notre déplacement à La Réunion et à Maurice, montre clairement que la contrainte normative pèse lourd.

Au-delà des conflits de normes et de quelques cas de figure qui confinent à l'absurde, c'est, comme pour l'activité agricole, le défaut de prise en compte de la spécificité des contextes, climat, topographie ou encore modes de vie, qui est le plus pénalisant. Le cadre normatif applicable, qu'il s'agisse des matériaux ou des modalités de mise en oeuvre, est largement déconnecté des réalités locales. En revanche, contrairement à ce que nous avons pu observer en matière de normes phytosanitaires, une grande partie des normes applicables au bâtiment est d'origine professionnelle : ce sont des référentiels techniques. Les normes d'origine légale ou réglementaire portent principalement sur les questions de sécurité, de prise en compte du handicap ou de préservation de l'environnement et les normes européennes et nationales couvrent les produits de construction via le marquage CE ou NF. Mais les normes professionnelles s'imposent néanmoins et acquièrent une véritable valeur juridique obligatoire soit par le truchement de la règlementation des marchés - le code des marchés publics renvoie aux documents techniques unifiés (DTU) et il en est de même pour les marchés de travaux privés via les normes Afnor -, soit par le biais des exigences assurancielles.

Contrairement à la logique d'exigence de résultat et de niveaux de performance prévalant généralement ailleurs, et en particulier dans le monde anglo-saxon, comme nous avons pu le constater lors de notre séjour à Maurice, le dispositif normatif français applicable à l'activité de construction est extrêmement détaillé et obéit à une logique prescriptive qui multiplie les obligations de moyen. Ces deux logiques sont d'ailleurs difficilement conciliables : l'une impose a priori un niveau élevé de sécurité et de qualité ; l'autre obéit davantage à une logique de rentabilité économique et prévoit une gradation du niveau de prestation laissant une latitude de choix aux acteurs du bâtiment dont le corollaire est la prise de risque. Ce sont deux philosophies concurrentes et il n'est pas si aisé de passer de l'une à l'autre, encore moins de les combiner, nous l'avons constaté avec le témoignage de la Nouvelle-Calédonie à la recherche d'un dispositif qui lui permettrait une meilleure insertion dans son environnement régional, notamment pour l'importation et l'exportation de matériaux de construction.

Le processus de formation des normes est très différent de celui produisant les normes agricoles mais ses acteurs forment une nébuleuse tout aussi complexe, à la fois stratifiée et organisée en silos par domaines de compétence. Cette nébuleuse gravite autour de deux organismes pivots auxquels il faut ajouter les services centraux du ministère de l'équipement et du logement :

- le Bureau de normalisation des techniques et équipements de la construction du bâtiment (BNTEC) placé sous l'égide de l'Association française de normalisation (Afnor) et qui élabore l'essentiel des DTU,

- et le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), établissement industriel et commercial qui apporte une expertise technique dans l'élaboration des normes, rend les avis techniques sur les procédés innovants et exerce l'activité de certification.

Ce processus, qui concentre l'évaluation, la certification et la validation de l'innovation, souffre sans doute d'un excès de centralisation et d'une tendance à ignorer les besoins de la périphérie. En outre, la longueur, la complexité et le coût corrélatif des procédures les rendent inaccessibles aux acteurs économiques de taille modeste.

Si sur certaines questions particulières - je pense par exemple à la règlementation thermique, acoustique et aération pour les DOM (RTAA DOM) pour les Antilles et la Guyane - une démarche décentralisée et concertée a été mise en oeuvre pour une adaptation pertinente, cette approche reste marginale et les outre-mer ont beaucoup de mal à faire entendre leur voix, y compris au sein des instances professionnelles !

Toutefois, des évolutions semblent se dessiner et l'initiative prise par notre délégation aura sans doute un effet d'accélération : nous pouvons ainsi nous féliciter d'être à l'origine de la mobilisation des professionnels du BTP et de la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) de La Réunion qui, pour répondre à nos questions, ont mis en place un groupe de réflexion afin d'identifier les principales difficultés normatives.

Les nombreuses informations recueillies lors de nos auditions à Paris, notamment les visioconférences avec les acteurs locaux de la Guyane, de la Martinique et de Saint-Pierre-et-Miquelon, et de notre visite de terrain à La Réunion et à Maurice où nous avons tenu une quarantaine d'heures d'entretien, ont permis d'évaluer le dispositif normatif en vigueur. De la centaine de témoignages recueillis depuis octobre 2016, nous avons tiré 35 recommandations pour :

- rendre possibles des adaptations indispensables,

- faire cesser les anomalies paralysantes et génératrices de coûts démesurés,

- valoriser les ressources locales,

- faire prospérer les démarches innovantes,

- mais aussi promouvoir une meilleure mutualisation des solutions et bonnes pratiques entre les outre-mer, ainsi que le rayonnement des savoir-faire ultramarins dans leurs environnements régionaux.

Nos collègues Karine Claireaux et Vivette Lopez vont maintenant vous présenter nos préconisations qui forment un ensemble cohérent, regroupées sous six rubriques distinctes. Je cède tout d'abord la parole à Karine Claireaux.

Mme Karine Claireaux, rapporteur . - Comme vient de l'exposer notre collègue Éric Doligé et comme nous avons d'ailleurs déjà pu l'observer à l'occasion de la précédente étude concernant le secteur agricole, nos outre-mer éprouvent de grandes difficultés à voir reconnues et prises en compte leurs spécificités.

Leur éloignement, leur dispersion et la petite taille de leurs marchés locaux favorisent leur marginalisation, alors qu'en dépit de leur diversité ils éprouvent des difficultés souvent comparables. Toute avancée en la matière passe par une mutualisation de l'information et des retours d'expérience ainsi que par une représentation portant la voix des outre-mer au sein des instances nationales intervenant dans le processus normatif, qu'il s'agisse des administrations centrales ou des organisations professionnelles et d'expertise technique. Cela passe aussi par une moindre centralisation des procédures afin de faciliter la validation de modes constructifs adaptés aux contextes locaux, développer les capacités d'expertise locale et, dès lors, réduire les délais et les surcoûts.

Afin de stimuler le développement et la diffusion de l'expertise sur les modes de construction adaptés aux outre-mer, nous vous soumettons quatre recommandations reprises sous les propositions 1 à 4 de la fiche de synthèse :

Notre objectif nécessite, à notre avis, la création d'une structure dédiée, inter-outre-mer, sur financement étatique, pour mettre en réseau les ressources techniques locales des différents outre-mer qui étudient le vieillissement des matériaux et valident des techniques innovantes sur le bâti tropical. Ainsi, des laboratoires comme ceux placés auprès du Cirbat à La Réunion - l'Observatoire régional de lutte anti-termites (Orlat), le Laboratoire d'essais de menuiserie (LEM) et le Laboratoire de vieillissement des matériaux (LVM) - qui ont présenté leur activité lors du déplacement, pourraient faire bénéficier d'autres territoires de leur expérience et servir de modèle (proposition n° 1). En effet, il est nécessaire de stimuler l'expertise locale en soutenant le développement des laboratoires et des centres techniques dans les territoires, capables de mener des expérimentations, de produire de l'information sur le bâti tropical ou de valider des solutions innovantes (proposition n° 2), mais il ne faut pas oublier Saint-Pierre-et-Miquelon dont le contexte climatique est bien différent ! Nous avons compris que cette collectivité d'outre-mer, tout en étant compétente en matière de droit de l'urbanisme, se trouvait prise en tenaille entre, d'une part, le droit de la construction métropolitain, par le truchement du droit des marchés publics renvoyant aux DTU et par le renvoi aux normes NF et CE et, d'autre part, les matériaux et modes constructifs canadiens nécessairement mieux adaptés aux conditions climatiques de l'archipel et largement utilisés pour les constructions privées. L'absence de prise en compte par les normes actuelles de la rigueur du climat conduit à procéder par extrapolation, que ce soit pour la règlementation thermique ou pour les eurocodes relatifs à la résistance des bâtiments aux charges de neige ou à la force et à l'orientation des vents - je rappelle que souvent la pluie tombe à l'horizontale à Saint-Pierre-et-Miquelon ! Or, ces extrapolations aboutissent à des approximations préjudiciables et des surcoûts considérables. Aussi, nous proposons que soit créé un centre national chargé du paramétrage applicable aux constructions en zone subarctique (proposition n° 3).

Enfin, malgré quelques avancées récentes telles que la création, en 2013, d'une cellule outre-mer au sein du bureau de l'économie de la construction de la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), dont les moyens humains (2,5 ETP) restent cependant largement disproportionnés eu égard au champ de compétence, les outre-mer restent les grands oubliés des instances administratives centrales, des établissements techniques nationaux et des fédérations professionnelles nationales qui jouent pourtant un rôle majeur dans le fonctionnement des bureaux de normalisation. C'est pourquoi nous préconisons d'organiser et de diffuser la connaissance et l'attention portée aux outre-mer dans les instances nationales, publiques ou professionnelles, interférant dans le processus normatif (proposition n° 4).

Notre deuxième bloc de recommandations a pour objectif de faciliter la certification et l'approvisionnement en matériaux tout en favorisant la coopération avec les pays de l'environnement régional. Elles sont au nombre de sept, numérotées de 5 à 11 sur la fiche de synthèse.

Sur une gamme de produits de base tels que le ciment, les plaques de plâtre ou les charpentes métalliques ou en bois, il conviendrait d'établir, pour une série de pays fournisseurs de chaque zone régionale, des tableaux d'équivalence pour la performance technique et les caractéristiques de sécurité entre matériaux estampillés CE et matériaux régionaux (proposition n° 5). Le choix des produits comme des critères de référence seraient établis par la DEAL après concertation avec les entreprises de BTP, les bureaux de contrôle et les assureurs ; puis, les tableaux d'équivalence seraient publiés par arrêté du ministre en charge de l'équipement et du logement.

Notons qu'un travail de comparaison des normes en vigueur au Suriname et au Brésil avec les normes CE/NF a été engagé, sur proposition des services déconcentrés de Guyane, par la DHUP en coopération avec le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) ; il porte sur du ciment brésilien.

Afin que ces équivalences aboutissent à une utilisation effective sur les chantiers ultramarins de matériaux répondant à des normes étrangères de fournisseurs régionaux, doivent être prévues des dérogations ciblées à l'emploi de matériaux marqués CE. Toute baisse de qualité des constructions devant être évitée, le régime de responsabilité des différents acteurs resterait inchangé. Cette démarche étant très novatrice, il conviendrait de procéder dans un premier temps par expérimentation (proposition n° 6).

Sur la base des tableaux d'équivalence et des expérimentations réalisées, pourrait être établie, à moyen terme, une liste positive de pays fournisseurs et de produits bénéficiant d'une équivalence permettant leur emploi sur les chantiers ultramarins afin de minimiser les coûts (proposition n° 7).

Faciliter l'approvisionnement et le choix de matériaux adaptés aux contextes ultramarins implique également d'encourager l'émergence de filières locales de produits de construction par un soutien financier et un accompagnement technique (proposition n° 8). L'effort pourrait prioritairement porter sur des matériaux biosourcés pour lesquels des opérations pilotes sont déjà lancées en Guadeloupe pour des isolants de toiture, mais aussi sur le bois en Guyane pour huit essences différentes et à La Réunion sur une essence de résineux, le cryptoméria. L'effort devrait également bénéficier à la production de briques de terre crue, matériau traditionnel qui a fait ses preuves, à Mayotte et en Guyane.

L'émergence de nouveaux produits et de nouvelles filières dépend cependant de la possibilité d'obtenir des certifications. Or, les coûts et les délais actuels sont rédhibitoires. Aussi, il convient de rendre possible le recours à des certificateurs qualifiés hors de l'Hexagone en encourageant leur installation dans les outre-mer et en permettant la sollicitation de certificateurs étrangers, agréés comme maîtrisant les règlementations françaises et européennes (proposition n° 9).

Atteindre un tel objectif ne se fera pas sans développer la coopération avec les pays de l'environnement régional (proposition n° 10). Le développement de cette coopération devrait porter sur la mise en place de centres techniques communs, sur la standardisation des produits et des procédés de mise en oeuvre, sur la réalisation d'essais techniques ou encore la diffusion de l'expertise ultramarine en matière de prévention des risques naturels et sur l'architecture tropicale et bioclimatique. Mais la coopération régionale doit aussi se préoccuper d'économie circulaire : aussi faut-il envisager à une échelle régionale le recyclage des déchets de construction ainsi que la rentabilisation de l'outillage des grands chantiers (proposition n° 11). La problématique de recyclage des déchets est extrêmement complexe en milieu insulaire et respecter les exigences de la convention de Bâle n'est pas une mince affaire !

Le troisième bloc de propositions tend à organiser une décentralisation partielle de la production des normes de construction afin qu'elles soient adaptées aux contextes ultramarins. Trois propositions, numérotées de 12 à 14 dans le document de synthèse, visent cet objectif.

L'initiative de notre délégation de mener la présente étude a suscité la création à La Réunion, dès l'automne 2016, d'un groupe de travail rassemblant la FRNTP, la CAPEB, les assureurs, les architectes, les promoteurs, les bureaux d'étude et de contrôle ainsi que la DEAL. Ce groupe de travail doit formaliser des propositions concrètes d'adaptation des normes de construction et recenser les DTU posant problème, ce qui a conduit à une saisine du Bureau de normalisation des techniques et équipements de la construction du bâtiment (BNTEC). Ainsi s'est constituée une sorte d'antenne locale du bureau de normalisation, chargée de préparer les adaptations nécessaires en lien avec les commissions nationales compétentes du BNTEC. Les propositions 12 et 13 tendent, d'une part, à la pérennisation de l'expérimentation menée à La Réunion et, d'autre part, à sa généralisation en créant deux autres commissions techniques locales aux Antilles et en Guyane.

Afin d'éviter l'application de normes qui conduisent parfois à des aberrations coûteuses du fait de leur inadaptation au contexte ultramarin, il est proposé de prévoir dans les clauses-types de marchés publics ou de contrats d'assurance-construction la possibilité pour les entrepreneurs de s'en exonérer dès lors qu'il n'existe pas de déclinaison ultramarine (proposition n° 14).

Enfin, avant que je ne cède la parole à notre collègue Vivette Lopez, six nouvelles recommandations, numérotées de 15 à 20 dans le document de synthèse, forment un ensemble de mesures destinées à faciliter la diffusion de l'innovation en réformant les procédures nationales de validation. En effet, le processus de validation des innovations se distingue de la procédure applicable aux pratiques et savoir-faire traditionnels couverts par les DTU : les innovations font l'objet d'avis techniques instruits par le CSTB et délivrés par une commission regroupant quelque 400 experts, la Commission chargée de formuler les avis techniques (CCFAT), placée auprès du ministre chargé de la construction et de l'habitation.

Il est tout d'abord proposé de prévoir une représentation spécifique des outre-mer au sein de la Commission chargée de formuler les avis techniques et au conseil d'administration du CSTB (proposition n° 15). C'est une avancée nécessaire, et même indispensable, pour que les préoccupations des outre-mer soient intégrées au processus de production normative.

Mais il faut aussi réviser la procédure d'avis technique pour qu'elle intègre dorénavant la dimension ultramarine : pour ce faire, cinq directions peuvent être empruntées :

- faire en sorte que des avis techniques déjà délivrés pour l'Hexagone soient revus pour les adapter aux contextes ultramarins, sur la base d'une instruction par un groupe spécialisé dédié au sein de la CCFAT, mais avec une phase décentralisée et la réalisation des tests requis dans un centre technique implanté outre-mer (proposition n° 16). Des agréments bénéficiant à des produits similaires dans des pays voisins et des retours d'expérience relatifs à leur utilisation pourraient être pris en compte. Ces extensions à l'outre-mer bénéficieraient d'un soutien financier public car le coût de la procédure est aujourd'hui dissuasif pour les acteurs économiques de taille modeste ;

- sur la base des mêmes principes, permettre la délivrance d'avis techniques valables uniquement pour les DOM, sur des produits innovants destinés à un usage en milieu tropical (proposition n° 17) ;

- pour une liste de domaines prioritaires définis par l'État en concertation avec les professionnels, rendre obligatoire la couverture des contextes ultramarins pour toutes les nouvelles demandes d'avis techniques (proposition n° 18) ;

- encourager le dépôt de demandes collectives d'avis techniques, via des structures telles que des clusters ou des technopôles, afin de minimiser les coûts d'instruction pesant sur les entreprises (proposition n° 19) ;

- installer dans les outre-mer des relais régionaux du CSTB afin d'accompagner les entreprises ultramarines dans leurs démarches, et poursuivre l'accompagnement de la filière bois assuré par l'Institut technologique forêt cellulose bois-construction ameublement (FCBA), centre technique industriel (proposition n° 20).

L'ensemble de ces mesures, qui forment un tout cohérent et très complet, devrait permettre de progresser dans la prise en compte des spécificités des outre-mer !

Je cède la parole à notre collègue Vivette Lopez pour parachever la présentation

Mme Vivette Lopez, rapporteur . - Je veux tout d'abord dire ma satisfaction d'avoir été associée en qualité de rapporteur aux travaux de la délégation avec cette étude sur les normes applicables au secteur du BTP en outre-mer. Cela m'a permis de constater très concrètement combien les outre-mer sont un atout et une richesse pour notre pays et je me réjouis que nos propositions puissent contribuer à matérialiser le concept d'égalité réelle.

Il me revient de vous présenter les quinze dernières propositions complétant notre dispositif, regroupées en deux blocs : le premier, rassemblant les mesures destinées à faire cesser un certain nombre d'aberrations et de libérer la production de logements et d'équipements de contraintes injustifiées ; le second pour veiller à la qualité de la construction et pourvoir à une meilleure maîtrise des surcoûts d'assurance.

Le premier bloc est assez étoffé puisqu'il comprend onze propositions, numérotées de 21 à 31 dans notre synthèse.

Nous suggérons tout d'abord une révision de la procédure d'autorisation des biocides qui sont indispensables à la lutte anti-termites (proposition n° 21). En effet, les produits bénéficiant actuellement d'une autorisation de mise sur le marché délivrée par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) après homologation de la substance active par l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA) sont largement inopérants dans les outre-mer où les espèces de termites sont particulièrement résistantes. Nous retrouvons ici les écueils rencontrés lors de l'étude sur les produits phytosanitaires dont le spectre est inadapté aux ravageurs tropicaux. Il faut revoir et étoffer la liste des termites visés, de même que les conditions d'utilisation des produits pour intégrer les contraintes liées au climat tropical ou équatorial. Certes la procédure européenne favorise l'importation de produits communs mais aux performances insuffisantes. En outre, il est particulièrement difficile pour des fabricants de monter un dossier de tests et d'expérimentations pour des produits développés en partenariat avec des laboratoires ultramarins dont le marché potentiel est très étroit au sein de l'Union européenne.

Un autre sujet est la règlementation thermique, acoustique et d'aération pour les DOM (RTAA DOM). Elle a été révisée récemment, mais des insatisfactions demeurent : ainsi, à titre d'exemples, la généralisation de la ventilation traversante ne tient pas compte de la variété des micro-climats et de l'exposition à certains éléments extérieurs tels que les alizés ou les tourbillons cycloniques. Par ailleurs, les règles d'acoustique imposent des charges supplémentaires liées au renforcement des structures, alors que les logements outre-mer sont le plus souvent ouverts sur l'extérieur pour favoriser la ventilation naturelle. Enfin, les exigences de porosité des façades posent quant à elles des problèmes d'étanchéité des logements. Il faut donc engager une réflexion spécifique pour poursuivre l'adaptation de la RTAA DOM sur les questions en suspens (proposition n° 22) qui posent le plus de problèmes et génèrent d'importants surcoûts tout en bridant la production de logements sociaux, comme la pose obligatoire de chauffe-eau solaires pour la production d'eau chaude sanitaire en Guyane. Ce dernier investissement représente un coût important pour un gain modique de 4° C et n'est pas opérationnel pendant les périodes de pluie où il faut avoir recours à une résistance pour maintenir la température. Le coût d'un chauffe-eau électrique est de 250 euros contre 1 200 à 1 300 euros pour un chauffe-eau solaire, soit un surcoût pour un programme d'une centaine de logements de 100 à 150 000 euros, ce qui est considérable et en tous cas économiquement dissuasif.

Concernant encore la RTAA DOM, si le volet acoustique et aération est commun aux cinq DOM, le volet thermique ne concerne pas la Guadeloupe et la Martinique qui ont adopté, sur habilitation, des règlementations régionales en 2013. Ces règlementations régionales, bien distinctes, font l'objet de certaines critiques et nous préconisons leur évaluation (proposition n° 23). La règlementation martiniquaise en particulier est fondée sur le principe d'une généralisation de la climatisation impliquant un isolement des logements qui est incompatible avec les exigences de ventilation.

Venons-en aux règles d'accessibilité pour les personnes à mobilité réduite (PMR) : sans remettre bien sûr en cause l'impératif d'intégration de ces personnes dans la vie de la cité, les règles applicables aboutissent parfois à des situations ubuesques et à une nette élévation du taux de sinistres dans les contextes ultramarins ; en outre, les surcoûts engendrés menacent la viabilité d'opérations de construction de logements dans ces zones qui en manquent cruellement. Il faut prévoir des possibilités de dérogations pour tenir compte des contraintes spécifiques aux outre-mer que sont la topographie, l'exiguïté du foncier ou encore les fortes précipitations (proposition n° 24). Ainsi, le rapport vous propose une photo éloquente : une habitation guyanaise dotée d'une rampe d'accès très longue aboutissant sur une zone de terre qui doit être totalement impraticable pour un fauteuil roulant après la pluie en pleine forêt amazonienne, à supposer même que la personne concernée ait pu atteindre ce site !

Il faudrait ainsi, par exemple, introduire des tolérances dans le dimensionnement des rayons d'ouverture des portes dans les logements : fournir gratuitement des fauteuils roulants adaptés serait sans doute moins onéreux que de systématiser des rayons de braquage maximisés dans des contextes de rareté du foncier ! En effet, le rayon giratoire pour un fauteuil manuel est d'1,5 m, soit une différence de 20 cm en plus que pour un fauteuil électrique, donc plus de 2 m 2 d'emprise au sol, soit un surcoût de 6 000 euros par logement alors qu'un fauteuil électrique ne coûte que 3 000 euros !

Autre exemple : les faibles seuils pour les portes palières ne sont pas adaptés aux climats à fortes précipitations, si bien que les infiltrations contribuent à dégrader rapidement le cadre de vie et renchérit les primes d'assurance. La hauteur maximale prescrite est de 4 cm, ce qui est incompatible avec les critères d'étanchéité face à des pluies tropicales : écarter systématiquement les règles d'étanchéité au profit des exigences d'accessibilité est une cause importante de sinistres dans les outre-mer.

Pour desserrer les contraintes d'aménagement, il faut également autoriser des dérogations locales pour permettre l'installation de stations d'épuration à moins de 100 mètres des habitations hors agglomération afin de tenir compte de l'exiguïté du foncier disponible ; cela suppose de réviser l'arrêté du 21 juillet 2015 (proposition n° 25).

La richesse des outre-mer en biodiversité réserve par ailleurs souvent des surprises aux entrepreneurs car les chantiers peuvent être brutalement interrompus, voire remis en cause ! Aussi, afin d'accélérer, de fluidifier et de sécuriser les projets d'aménagement, il faut identifier en amont le patrimoine naturel dans les zones à aménager en achevant le recensement des espèces endémiques et protégées dans chaque territoire (proposition n° 26).

Concernant l'approvisionnement en matériaux, s'il n'est pas question d'exploiter sans discernement les ressources locales, il faut aussi valoriser la production locale en facilitant l'ouverture de carrières par la sanctuarisation de zones dans les schémas d'aménagement et les documents de planification, moyennant bien sûr des mesures de compensation environnementale et agricole (proposition n° 27).

Le risque sismique est encore une source de complexité normative et d'exigences supplémentaires. Aux dires des professionnels ultramarins de la construction, ce risque paraît surévalué par endroits et il conviendrait de revoir sa cartographie pour déclasser La Réunion en zone 1 et étudier la possibilité de déclasser la Martinique en zone 4 (proposition n° 28).

En matière de sécurité-incendie, la règlementation ne considère que des configurations d'immeubles avec des parties communes fermées, correspondant au climat tempéré et au mode de vie dans l'Hexagone. En outre-mer, les habitations sont à l'inverse le plus souvent largement ouvertes sur l'extérieur pour favoriser la ventilation naturelle et sont dotées de coursives à l'air libre. L'obligation d'installer des portes coupe-feu confine alors à l'absurdité ! Il faut donc poursuivre la révision de l'arrêté du 31 janvier 1986 sur la sécurité-incendie afin de corriger ces incohérences et de rendre compatible cette réglementation avec celle applicable en matière d'aération, sur la base des solutions techniques d'ores et déjà définies par des bureaux d'étude pour La Réunion (proposition n° 29).

Si certaines réglementations sont inadaptées « par excès » - nous venons d'en évoquer plusieurs - d'autres le sont « par défaut ». Ainsi, il n'existe pas de règlementation tenant suffisamment compte des vents violents et tourbillonnants qui peuvent souffler dans les zones tropicales lors des épisodes cycloniques. L'eurocode applicable et les scénarios qui servent de base de calcul sont pensés une nouvelle fois pour la seule Europe continentale, avec une force de vent considérée comme s'atténuant avec l'accroissement de la distance au rivage. Ceci n'est évidemment pas valable pour un environnement insulaire ! Il faut donc renforcer, pour les outre-mer, les normes de construction concernant le risque cyclonique et les vents violents (proposition n° 30).

Afin de faciliter l'adaptation des normes relatives à la construction en outre-mer et de réaliser leur contextualisation, une évolution législative récente doit être pleinement exploitée : il s'agit de l'article 88 de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création, à l'architecture et au patrimoine qui ouvre des possibilités d'expérimentation de règles dérogatoires en matière de construction. Un décret du 10 mai dernier vient d'ailleurs de définir le cadre de l'expérimentation en visant en particulier la possibilité de déroger à certaines prescriptions de sécurité-incendie et d'accessibilité sur demande du maître d'ouvrage adressée aux ministres chargés de l'architecture et de la construction. Il convient de mobiliser, au bénéfice de la construction en outre-mer, toutes les possibilités ainsi offertes (proposition n° 31) !

Le sixième et dernier bloc de recommandations en comprend quatre : leur finalité est de conforter la qualité des constructions en outre-mer et de contenir les surcoûts d'assurance qui, parfois, s'envolent.

En matière d'assurance, si l'existence de surprimes est largement liée à la prégnance des risques naturels dans les outre-mer, une évaluation claire du différentiel et une analyse précise de ses justifications n'ont pu être recueillis dans le cadre de nos investigations. Ainsi, il est préconisé :

- d'une part, d'étendre à l'ensemble des DOM l'étude sur la sinistralité et les pathologies du bâtiment réalisée à La Réunion par l'Agence qualité construction, afin de disposer d'une évaluation concrète et précise des risques (proposition n° 32) ;

- d'autre part, sur la base de ces enquêtes de sinistralité, de mener des concertations avec les assureurs pour une meilleure maîtrise des coûts assurantiels (proposition n°33).

Par ailleurs, si la réduction des aberrations normatives et les efforts d'adaptation aux contextes ultramarins doivent logiquement aboutir à rehausser la qualité des constructions, cet objectif suppose également de développer la formation continue et de simplifier l'accès aux documents techniques pour les professionnels ultramarins du BTP (proposition n° 34) dont on rappelle qu'ils évoluent le plus souvent dans de petites structures.

Les visites de chantier effectuées à La Réunion lors du déplacement début mars, en particulier les visites de programmes de logements, ont fait sourdre une dernière inquiétude : il faut prendre garde à ce que l'amélioration qualitative des bâtiments, qui passe en partie par la standardisation, ne conduise à une uniformisation esthétique de l'habitat. En effet, cela serait lourdement préjudiciable à un secteur d'activité crucial pour les outre-mer, le tourisme. Les styles architecturaux et les modes de construction traditionnels doivent continuer à être privilégiés (proposition n° 35) car, à défaut, nos territoires ultramarins y perdraient une partie de leur âme et de leur attractivité !

Nous voilà parvenus au terme d'une enquête captivante et d'une grande richesse dont les conclusions, nous l'espérons très vivement, permettront de réaliser rapidement des avancées afin de libérer l'activité du BTP en outre-mer de ses nombreuses entraves, tout en contribuant à réduire la sinistralité et à renforcer la qualité du bâti. Le rattrapage nécessaire des retards accumulés en outre-mer en matière de construction de logements et de réalisation d'équipements passe par une incontournable adaptation normative pour laquelle tous les acteurs doivent se mobiliser. J'ajouterai que le dispositif normatif actuel est fait pour des opérateurs capables d'assimiler l'évolution rapide et complexe des normes techniques, ce qui n'est pas le cas des petites entreprises. Les chantiers importants sont ainsi l'apanage des grands groupes alors que les TPE-PME, qui forment l'essentiel du tissu économique ultramarin, sont très pénalisées. Lors de notre déplacement dans l'océan Indien, nous avons pu constater que la grande latitude de choix techniques laissée aux entrepreneurs à Maurice ne générait pas nécessairement une sinistralité très supérieure, ce qui faisait aspirer les petits entrepreneurs réunionnais à davantage de liberté normative adossée à une logique de performance, alors même que les acteurs mauriciens réfléchissaient à introduire une dose de logique prescriptive dans leur propre organisation. Les normes ne doivent pas être conçues isolément, sauf à nuire à la qualité finale des constructions.

M. Michel Magras, président . - Je remercie les rapporteurs pour la qualité remarquable de leur travail qui montre bien le caractère extrêmement dommageable pour nos territoires de normes conçues pour d'autres latitudes.

M. Gilbert Roger . - La prise en compte des spécificités ultramarines me paraît tout à fait légitime à condition de ne pas déroger à certains principes fondamentaux, d'autant que certaines situations évoquées - je pense aux règles d'accessibilité pour les personnes à mobilité réduite - ainsi que la problématique de la raréfaction des terrains disponibles se rencontrent également dans l'Hexagone, notamment en Seine-Saint-Denis. Il ne faudrait pas que nos propositions suscitent l'incompréhension des associations représentant les personnes handicapées. Par ailleurs, il existe aujourd'hui des dispositifs innovants et vertueux du point de vue environnemental : j'ai personnellement connaissance d'une expérimentation de logements sociaux à énergie positive et de stations d'épuration dont la technologie a recours à l'utilisation de plantes tropicales. Certaines micro-stations d'épuration sont d'ailleurs plus efficaces que les systèmes traditionnels. Enfin, je souscris à la proposition de pouvoir déroger à la règle d'une distance minimale de 100 mètres entre la station d'épuration et les logements. Je partage également l'appel à préserver les styles architecturaux régionaux.

Mme Catherine Procaccia . - Ce rapport est fort intéressant et entérine les constats que nous avons effectués précédemment sur la problématique des normes agricoles. Il faut maintenant trouver les leviers pour qu'elles soient effectivement prises en compte. Comme un rapport de l'OPECST a pu le souligner il y a quelques temps, il faut que le CSTB évolue dans sa façon de fonctionner et j'approuve la recommandation tendant à introduire une représentation des outre-mer en son sein.

M. Michel Vergoz . - Le rapport propose opportunément la prise en compte de nos différences car on ne cesse de se heurter à l'évidence de l'inadaptation du système normatif à nos spécificités. Il faut non pas desserrer l'étau normatif, mais le casser. J'ai le sentiment d'un bégaiement perpétuel et que rien n'avance concrètement.

Mme Karine Claireaux, rapporteur . - Nos propositions ne préconisent en rien une baisse de la qualité de construction, bien au contraire. Elles sont frappées au coin du bon sens et du pragmatisme pour aboutir à une adaptation des normes aux contextes locaux.

Concernant les normes d'accessibilité pour les personnes à mobilité réduite, les outre-mer fournissent des exemples de situations où leur application aboutit à des résultats aberrants, que ce soit dans les Hauts à La Réunion, du fait des fortes pentes, ou en Guyane au coeur de la forêt amazonienne. Ceci justifie l'expérimentation de dérogations ou d'exonérations, par exemple dans les cas où le bâtiment, par sa localisation même, n'est pas accessible aux personnes handicapées. Il faut aussi savoir s'inspirer des dispositifs pertinents qui ont cours dans l'environnement régional. Concernant les stations d'épuration, il existe des solutions innovantes à mettre en oeuvre en les adaptant au contexte local.

Nos différences ultramarines doivent par ailleurs être considérées par les administrations centrales dont émane généralement un réel désintérêt pour ces problématiques et qui prennent prétexte du principe d'égalité pour justifier un traitement des outre-mer identique à celui de l'Hexagone.

Enfin, l'expression « casser l'étau normatif » ne me paraît pas pertinente car elle laisserait accroire que nous ne voulons pas des normes ; or, c'est tout à fait faux car elles seules offrent la sécurité nécessaire. Toutefois, leur opérabilité exige leur adaptation.

M. Éric Doligé , rapporteur coordonnateur. - Je comprends que notre collègue Michel Vergoz soit désabusé car les évolutions sont très lentes. Il va nous falloir désormais obtenir la prise en compte de nos recommandations. J'ai le sentiment que leur mise en oeuvre n'impliquerait pas des moyens supplémentaires considérables ; il faudrait pouvoir en évaluer le coût. Avancer dépend davantage de la volonté politique que des moyens à déployer. Il faudra effectuer un suivi.

M. Michel Vergoz. - Les problématiques ultramarines sont en effet insuffisamment portées politiquement, tant au niveau national qu'à Bruxelles.

M. Michel Magras, président . - En matière normative, nous avons constaté à maintes reprises des aberrations, dans nos travaux d'étude comme au quotidien dans nos territoires. C'est pourquoi nous proposons des adaptations et procédons de façon pragmatique, à partir des observations de terrain. Il faut une différenciation de traitement dans un cadre commun, une différenciation sur la base d'expérimentations dans les territoires. Je rappelle que plusieurs de nos propositions, notamment sur la problématique foncière, ont été reprises dans la loi. Nous devons poursuivre ce travail de longue haleine et procéder à un suivi du devenir de nos recommandations.

Mes chers collègues, le moment est arrivé de passer au vote.

La délégation sénatoriale aux outre-mer a adopté le rapport à l'unanimité des présents.

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