C. UNE RÉFORME CONSTITUTIONNELLE CONTESTÉE

1. Une volonté ancienne du président Erdogan

Depuis son accession au pouvoir en 2003 en tant que Premier ministre, M. Erdogan a souhaité la mise en place d'un régime institutionnel accordant une place prépondérante au Président de la République. En 2007, la révision constitutionnelle devant permettre l'élection du Président de la République au suffrage universel direct a été adoptée par référendum. En 2014, M. Erdogan a été le premier Président de la République élu au suffrage universel direct.

Pour M. Erdogan, le Président de la République bénéficie désormais d'une légitimité populaire que n'a pas son Premier ministre. En outre, la Turquie a dû faire face à une tentative de coup d'État et est toujours en proie au terrorisme, ce qui nécessite de renforcer la stabilité du régime. C'est dans ce contexte que M. Erdogan a proposé une nouvelle réforme constitutionnelle renforçant les pouvoirs du Président de la République.

Le 21 janvier 2017, le projet de loi constitutionnelle a été adopté par la Grande Assemblée nationale de Turquie. La majorité des trois cinquièmes au sein de cette assemblée, nécessaire pour l'adoption du texte, a pu être réunie grâce à une alliance de l'AKP avec le MHP (parti de droite nationaliste).

2. La présidentialisation du régime

Cette réforme va accroître de manière considérable les pouvoirs du Président de la République. En effet, le poste de Premier ministre est supprimé conférant au seul Président le pouvoir exécutif. Il signera les décrets et procèdera à de nombreuses nominations au sein de l'administration, dont les ministres.

La concomitance des élections législatives et présidentielles, ainsi que la possibilité de cumuler les fonctions de Président de la République et de chef de parti politique lui donneront une influence certaine sur le Parlement.

Enfin, le Président de la République désignera 6 des 13 membres nommés du Conseil des juges et des procureurs de la République. En outre, il nommera également le ministre de la justice et son sous-secrétaire d'État, membres de droit de cette institution.

Ainsi, il exerce une forte influence sur l'ensemble des autres organes constitutionnels.

3. Les critiques de la Commission de Venise

La Commission de Venise a pointé le risque d'une dérive autoritaire dénonçant l'absence de contre-pouvoirs. Elle a qualifié cette réforme de « régression dangereuse » pour la démocratie en Turquie.

En effet, les contre-pouvoirs sont affaiblis. Les moyens de contrôle du Parlement ne sont pas renforcés et si le Parlement décide de destituer le Président de la République, cela entraîne automatiquement une dissolution de celui-ci. En outre, l'influence du Président de la République sur le Conseil des juges et des procureurs de la République est prépondérante alors qu'il nomme déjà 14 des 17 membres de la Cour constitutionnelle.

Les comparaisons établies par le régime turc avec les régimes présidentiels aux États-Unis ou en France ne sont pas fondées. Par exemple, aux États-Unis, les nominations du Président et ses décisions en matière de politique étrangère sont soumises à l'approbation du Congrès. En France, le Sénat et le Conseil constitutionnel apparaissent comme des contre-pouvoirs efficaces pour limiter les pouvoirs du Président de la République lorsque celui-ci et son Premier ministre sont soutenus par une majorité à l'Assemblée nationale. En outre, lorsque le Président de la République perd la confiance de l'Assemblée nationale, il perd l'essentiel de ses prérogatives.

4. Un référendum aux résultats contestés

La réforme constitutionnelle a été adoptée avec 51,3 % des voix et un taux de participation de 87 %, lors du référendum du 16 avril 2017. Toutefois, le « non » l'a emporté dans plusieurs grandes villes dont Ankara, Istanbul et Izmir.

La Commission de Venise avait, dans son avis du 10 mars 2017 sur cette réforme constitutionnelle, regretté les conditions dans lesquelles le scrutin allait se dérouler. En effet, elle estimait que les conditions n'étaient pas équitables puisque, dans le cadre de l'état d'urgence, le pouvoir en place peut interdire certaines réunions et faire pression sur les médias. De plus, la situation dans le Sud-Est reste compliquée avec 500 000 personnes déplacées. Ces difficultés ont été confirmées par les observateurs du Conseil de l'Europe et de l'OSCE. Ceux-ci ont dénoncé le manque d'information impartiale des électeurs sur la réforme.

Le résultat du référendum a également été contesté. L'opposition a dénoncé de nombreuses irrégularités, reprochant notamment au Haut conseil électoral d'avoir accepté des bulletins de vote qui ne portaient pas le sceau officiel. Lors de notre déplacement, l'opposition n'a pas hésité à parler de fraudes.


Le vote de la diaspora turque

La diaspora turque en Europe est évaluée à environ 5 millions de personnes. 2 700 000 vivent en Allemagne, 750 000 en Bulgarie, 420 000 aux Pays-Bas, 400 000 en France et 300 000 au Royaume-Uni.

Cette diaspora constitue un enjeu important pour les autorités turques. Sur le plan électoral, il s'agit d'un réservoir de voix non négligeable et sur le plan économique, les investissements réalisés par la diaspora en Turquie représentent une manne importante. Elle reste étroitement liée à la Turquie. Des organisations étatiques, religieuses ou politiques continuent d'encadrer cette diaspora en Europe.

65 % des turcs vivant en France ont voté « oui » au référendum du 16 avril 2017, 63 % en Allemagne et 70 % aux Pays-Bas, contre seulement 21 % au Royaume-Uni.

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