EXAMEN EN COMMISSION

Le 19 juin 2017

M. Philippe Bas , président . - Comme chaque année à cette période, il me revient de vous présenter le bilan de l'application des lois relevant du champ de compétences de notre commission, à la demande de la Conférence des présidents, en lien avec notre collègue Claude Bérit-Débat, président de la délégation du Bureau chargée du travail parlementaire, du contrôle et des études.

La plupart des mesures d'application des lois sont prises.

Toutefois, les délais dans lesquels elles sont publiées sont parfois plus longs que les délais d'adoption des lois elles-mêmes. Le pouvoir exécutif se plaint quelques fois de la lenteur des travaux parlementaires, force est de reconnaître qu'il lui arrive d'être plus lent que nous !

L'inflation législative, qui est un mal bien connu et régulièrement dénoncé, s'est aggravée en fin de législature : le coefficient multiplicateur du nombre d'articles au cours de la navette parlementaire est ainsi passé de 1,83 entre 2007 et 2014 à 2,14 en 2015-2016.

Il est aussi possible de relever l'accélération sensible, à la toute fin du quinquennat, du rythme de parution des mesures d'application des lois promulguées au cours de la quatorzième législature, lorsque l'équipe gouvernementale sortante s'est efforcée de terminer son travail avant de laisser la place à une nouvelle équipe.

Ainsi, pour les lois relevant de la compétence de notre commission, 92 mesures d'application ont été prises aux mois d'avril et mai 2017, soit une moyenne de 46 par mois, contre une moyenne de 7 mesures d'application par mois entre le 26 juin 2012 et le 30 septembre 2016. Le rythme a donc été 6,5 fois plus élevé au cours des deux derniers mois qu'au cours des cinquante-et-un premiers mois du précédent quinquennat. C'est la preuve que lorsque le Gouvernement veut, il peut !

Si l'on peut s'en réjouir pour le traitement du stock et les délais de publication des mesures d'application des lois, il convient d'être attentifs à ce que leur qualité ne s'en trouve pas dégradée. Ce sera l'objet du bilan que nous ferons l'année prochaine, puisqu'un grand nombre de mesures publiées aux mois d'avril et mai concernent des lois promulguées au cours de l'année parlementaire 2016-2017.

Trente lois promulguées au cours de l'année parlementaire 2015-2016 ont été examinées au fond par notre commission, soit 55 % de l'ensemble des lois promulguées hors conventions internationales. Dix-huit étaient d'initiative parlementaire, dont dix issues de propositions de loi sénatoriales.

Au 31 mars 2017, 20 étaient entièrement applicables, dont 16 d'application directe. Le taux d'application de ces 30 lois s'élevait à 72 %, soit un taux sensiblement équivalent à celui de l'an passé (76 %). Les délais de publication des mesures réglementaires d'application se sont en revanche détériorés, puisqu'un peu moins d'un tiers de ces mesures ont été publiées dans un délai inférieur ou égal à six mois, contre 73,5 % en 2014-2015.

Au-delà de ces données chiffrées, je voudrais plus particulièrement évoquer la mise en oeuvre de trois réformes intervenues au cours de l'année parlementaire 2015-2016.

La première résulte de la loi organique du 25 avril 2016 relative au statut des autorités administratives indépendantes créées par la Nouvelle-Calédonie, que nous avons votée dans les délais les plus brefs, pour assouplir les conditions de nomination des membres des autorités administratives indépendantes créées par la Nouvelle-Calédonie afin de faciliter la constitution du collège de l'autorité locale de la concurrence, instituée par une loi du pays du 24 avril 2014, et lutter ainsi contre la hausse des prix. Malgré cet assouplissement, les membres de l'autorité locale de la concurrence n'ont toujours pas été nommés à ce jour et les compétences de cette autorité administrative indépendante restent pour le moment exercées par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie... J'imagine que vous le regrettez, Madame Tasca.

La deuxième réforme intervenue au cours de l'année parlementaire 2015-2016 que je voudrais évoquer résulte des trois lois du 1 er aout 2016 relatives aux « listes électorales ». Leurs dispositions entreront en vigueur selon des modalités fixées par décret en Conseil d'État et, au plus tard, le 31 décembre 2019. Ce chantier nécessitera du temps. C'est pourquoi, à l'initiative de notre rapporteur Pierre-Yves Collombat, le Sénat a prévu une entrée en vigueur différée et aucun décret d'application n'a encore été pris. Il est donc normal que ces lois ne soient formellement pas encore applicables.

La dernière réforme que je voudrais évoquer résulte de la loi du 25 avril 2016 de modernisation de diverses règles applicables aux élections. Elle porte sur les sondages électoraux diffusés en France, même depuis l'étranger, et sur les opérations de simulation de vote réalisées à partir de sondages. Nos collègues Jean-Pierre Sueur et Hugues Portelli ont sans doute été particulièrement attentifs à sa mise en oeuvre puisqu'elle s'inspire de recommandations qu'ils avaient formulées dans un rapport d'information d'octobre 2010 et d'une proposition de loi adoptée à l'unanimité par le Sénat le 14 février 2011 mais jamais inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Lors de la première publication ou diffusion en France d'un sondage électoral, plusieurs informations doivent désormais être communiquées à la commission des sondages et, pour certaines, mises en ligne sur le site de la commission. Il s'agit notamment des marges d'erreur et des critères de redressement. Ainsi, un nombre significatif de notices a été publié, avec un pic de 137 notices au mois de mars dernier en raison de la campagne électorale pour l'élection présidentielle. Ces informations complémentaires devraient également, en principe, être publiées par les organes de presse qui commandent les sondages. Dans la pratique toutefois, les organes de presse demandent aux instituts de sondage de les publier préalablement eux-mêmes sur leur site, l'obligation de publication d'informations complémentaires ne s'appliquant qu'à la « première publication ou diffusion » des résultats du sondage.

Le rôle de la commission des sondages a été renforcé. Elle est habilitée à contrôler la conformité du sondage à la loi et aux règlements. En cas de violation de leurs dispositions ou d'altération de la portée des résultats obtenus, elle peut adresser une mise au point à « toute personne qui publie ou diffuse [ou a] commandé, réalisé, publié ou diffusé » un sondage électoral. Enfin, les sanctions pénales en cas d'infraction ont été renforcées.

M. Jean-Pierre Sueur . - Avec Hugues Portelli, nous constatons qu'en dépit du renforcement, par la loi de modernisation de diverses règles applicables aux élections, des sanctions applicables en cas de non-respect de la loi de 1977 relative aux sondages électoraux, aucune sanction pénale n'a jamais été prononcée. L'esprit de la loi est souvent détourné. Il n'y a aucun sens à publier un sondage sans indiquer la marge d'erreur. C'est particulièrement vrai si les résultats sont serrés. C'est pourquoi nous avions prévu que la marge d'erreur devait figurer à côté du sondage lors de la première publication. Évidemment les sondeurs ont trouvé la parade : ils publient la marge d'erreur à part, sur un site internet, certes public mais confidentiel, et les sondages sont repris dans les journaux sans la mentionner. La commission des sondages constate elle-même un détournement de l'esprit de la réforme, mais elle est tenue par le texte de la loi. Peut-être pourrions-nous examiner ce point dans le cadre de ce bilan annuel. Enfin, si les notices adressées à la commission des sondages se sont étoffées, certaines formulations concernant les critères de redressement restent très elliptiques. Je propose de compléter le bilan d'application de cette loi par ces informations précises.

M. Philippe Bas , président . - Je suis d'accord.

M. René Vandierendonck . - Il serait utile de disposer d'éléments statistiques sur le pouvoir d'initiative parlementaire. Combien de propositions de loi ont achevé leur parcours parlementaire ? Combien restent en navette ?

M. Philippe Bas , président . - Dix-huit propositions de loi ont été définitivement adoptées au cours de l'année parlementaire 2015-2016, dont dix d'initiative sénatoriale.

M. René Vandierendonck . - Il y a aussi un stock important...

M. Philippe Bas , président . - En effet ! Mais beaucoup de propositions de loi très anciennes ont perdu leur raison d'être. Il conviendrait de faire un tri. Cette question devrait être évoquée lors de la réunion de la Conférence des Présidents du 29 juin.

M. Alain Vasselle . - Les élections récentes ont révélé une incohérence concernant les heures de clôture des scrutins. Afin d'éviter toute distorsion liée à la diffusion anticipée de sondages, on nous a expliqué qu'il fallait harmoniser l'heure de fermeture des bureaux de vote lors de l'élection présidentielle et celle-ci a été fixée à 19 heures, sauf dans les grandes villes. Mais, pour les élections législatives, les bureaux de vote dans la majorité des villes ont fermé à 18 heures. Beaucoup d'électeurs ne le savaient pas et sont arrivés après la fermeture...J'avais déposé un amendement maintenant l'heure de fermeture à 18 heures dans les petites communes. Je regrette qu'il n'ait pas été adopté. De même, je ne comprends pas pourquoi les résultats des élections législatives dans les circonscriptions des Français de l'étranger ont été connus une semaine avant les élections en métropole ! Plus personne n'y comprend rien...

M. Jean-Pierre Sueur . - Au Sénat, suivant nos rapporteurs, ainsi que les auteurs de la proposition de loi, nous avions voté en faveur d'une heure unique partout, fixée à 19 heures. Finalement nous avons été battus et les grandes villes peuvent toujours demander au préfet une dérogation pour fermer leurs bureaux à 20 heures.

M. Philippe Bas , président . - Ce serait évidemment plus simple si les bureaux fermaient à la même heure pour toutes les élections. Il est de tradition dans notre pays que les campagnes votent jusqu'à 18 heures et les grandes villes jusqu'à 20 heures. Le débat sur la loi d'avril 2016 sur l'élection présidentielle a été complexe. On nous a demandé de retarder d'une heure la fermeture des bureaux dans les campagnes, pour l'aligner à 19 heures sur tout le territoire, sauf dans les grandes villes. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel, instigateur de la réforme, souhaitait éviter que les électeurs des villes puissent être influencés par les résultats des campagnes dans une élection présidentielle où tout le monde doit se prononcer sur les mêmes candidats partout en France. La problématique est différente pour les autres scrutins locaux ou les élections législatives, car les candidats sont différents selon les circonscriptions et il est très difficile d'établir un sondage national fiable avant la fermeture des bureaux de vote. Donc la réforme avait des justifications.

De même, c'est pour des raisons pratiques que nous avons voté en 2011 un texte qui prévoit que l'élection des députés des Français de l'étranger a lieu une semaine avant les élections en métropole, car il faut tenir compte des contraintes matérielles, liées au vote par correspondance ou à l'acheminement du matériel électoral par exemple. Il est vrai que cela a des inconvénients. Toutes ces questions méritent d'être examinées, les solutions retenues ont leur raison d'être mais rien ne dit qu'elles ne soient pas perfectibles.

M. Alain Richard . - Lors de l'élection présidentielle, les sondeurs étaient dans la plus grande incertitude sur l'ordre d'arrivée des candidats, au moins pour les deuxième et troisième places. Si les bureaux de vote n'avaient pas tous fermé à la même heure, des rumeurs sur cette grande incertitude auraient nécessairement circulé. Voilà qui illustre la pertinence de l'harmonisation de l'heure de fermeture des bureaux de vote pour l'élection présidentielle. En revanche, j'ai toujours défendu le maintien de la possibilité de fermer les bureaux de vote à 20 heures dans les grandes villes, car les électeurs sont plus nombreux, souvent plus de 2 000 inscrits par bureau. Dans un bureau de vote performant, on arrive à faire voter jusqu'à 150 électeurs par heure. Il pourrait donc s'avérer difficile de permettre à tous les électeurs inscrits dans les grandes villes comme Paris ou Lyon de voter en fermant les bureaux de vote à 19 heures. Toutefois, si cela s'avérait possible, ce serait le signe que la fermeture à 20 heures ne serait plus justifiée sinon pour permettre à ceux qui rentrent de week-end de voter.

M. Michel Mercier . - L'harmonisation de l'heure de clôture du scrutin pour l'élection présidentielle est sans doute une idée séduisante. Pour les élections législatives, j'ai constaté des incohérences dans le Rhône, partagé entre le département du Rhône et la métropole de Lyon : comme les circonscriptions n'ont pas été redécoupées, certaines étaient à cheval sur les deux et les bureaux de vote n'ont pas fermé à la même heure ! La charte de 1814 évoque les députés élus dans le département. Le secrétaire général du gouvernement m'a indiqué que le département, visé par le code électoral, était le département comme circonscription d'action de l'État, et non le département comme collectivité territoriale. Pourtant la commune peut aussi être considérée comme une circonscription de l'État et on prend alors en compte la circonscription constituée par la collectivité territoriale... Conséquence de cette incohérence, les résultats de certains bureaux de vote étaient déjà remontés à la préfecture alors que l'on votait encore dans d'autres ! Il y a là une inégalité de traitement évidente entre les électeurs.

Mme Catherine Tasca . - La France est un pays où l'on a tendance à considérer que la règle particulière est meilleure que la règle générale. Cela n'est pas bon pour la République... Les règles devraient être les mêmes pour toutes les élections et sur tout le territoire ! Les citoyens s'habitueraient et ne se poseraient plus de questions. Les retours de week-end ne sont pas un argument pour fermer plus tard les bureaux de vote dans les grandes villes. Alors que l'on cherche toujours à améliorer l'information des citoyens, on fait ici le contraire. Arrêtons de marcher sur la tête ! La règle générale est, en général, meilleure que la règle particulière.

M. Philippe Bas , président . - Vous avez raison sur ce point, mais le débat nous a montré qu'en l'occurrence, les règles particulières avaient une certaine justification. Il est vrai toutefois que la différenciation s'est aggravée cette année : horaires différents pour l'élection présidentielle, dates différenciées pour certaines collectivités ultramarines ou les Français de l'étranger, etc. Les gens s'y perdent, les maires aussi !

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