AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Au cours de la dernière législature, la commission des affaires sociales a fréquemment été confrontée, à l'occasion de ses différents travaux, au problème aigu que pose pour notre système de santé l'organisation de la prise en charge des situations d'urgence.

C'est que la problématique des urgences se trouve à l'interface de nombreux enjeux de notre politique de santé publique : l'évolution des modes d'exercice des médecins de ville et l'organisation de la permanence des soins, l'avenir des missions et des budgets hospitaliers, l'égalité d'accès aux soins sur notre territoire, la promotion du parcours de soins et de la meilleure pertinence des actes, la souffrance des soignants hospitaliers au travail, la métamorphose des besoins de santé de la population, ou encore et plus généralement la place du soin non programmé dans notre système de soins sont autant d'occasions de questionner le fonctionnement et les missions des services d'urgences. En ce sens, les urgences hospitalières offrent un reflet de l'ensemble des dysfonctionnements de notre système de santé.

Il s'agit par ailleurs d'une question qui touche nos concitoyens de près : plus de 10 millions de personnes se rendent aux urgences chaque année, soit près d'un Français sur six , pour certains d'entre eux à plusieurs reprises. Pour ces patients, les services d'urgences constituent la garantie d'une prise en charge sanitaire de haut niveau, mais également un filet de sécurité face à l'ensemble des situations de détresse, y compris, parfois, sur le plan social. De ce point de vue, le service public des urgences présente cette particularité de se trouver à l'interface de la médecine et des maux de la société , ce qui constitue à la fois son originalité et un facteur de sa vulnérabilité.

Si les services d'urgences sont donc un maillon-clé du système de soins, plusieurs cris d'alarme ont été poussés au cours des dernières années quant à leur avenir . La difficulté la plus visible, en ce qu'elle est à la fois ressentie par les Français et relayée par les médias, est celle de l'engorgement des services, notamment lors des pics épidémiques hivernaux.

Il s'agirait cependant de la partie la plus visible d'un mal plus profond , qui, notamment selon les organisations représentatives des professionnels des urgences, remettrait en cause à moyen terme la soutenabilité de notre modèle actuel de prise en charge des urgences 1 ( * ) . Si les services ont jusqu'ici fait la preuve d'une forte résilience face à l'accumulation des difficultés, il existerait aujourd'hui un vrai risque de remise en cause de leur fonctionnement, dont la multiplication des burn-out parmi les personnels et l'exacerbation des tensions au quotidien entre soignants et patients constitueraient des signaux alarmants.

• C'est dans ce contexte que votre commission des affaires sociales a résolu de conduire un travail spécifique et transpartisan sur la question des services d'urgences hospitaliers.

Une telle mission pourrait, à première vue, apparaître redondante avec les nombreux travaux réalisés au cours des dernières années sur le sujet. Depuis le rapport Steg de 1993 2 ( * ) , fondateur des services des urgences unifiés et médicalisés tels que nous les connaissons aujourd'hui, nombreux sont en effet les rapports produits sur cette question, soulevant bien souvent les mêmes interrogations, établissant des constats identiques, et avançant des propositions similaires . Se sont ainsi succédé au cours des dernières années, pour ne citer que ces travaux, une importante étude statistique 3 ( * ) de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) des ministères sociaux, qui a permis d'objectiver de manière quasi-exhaustive la situation des urgences hospitalières ; une étude de référence de la Cour des comptes en 2014 4 ( * ) , qui a relancé le débat autour de la pertinence des prises en charge aux urgences ; un rapport spécifiquement centré sur la question de la territorialisation des services d'urgences 5 ( * ) , remis à la ministre de la santé Marisol Touraine en 2015, dans le cadre des travaux entourant l'adoption de la loi « santé » 6 ( * ) ; un rapport de 2013 portant spécifiquement sur l'aval des urgences 7 ( * ) ; le livre blanc sur l'avenir des urgences de l'association Samu-Urgences de France précité, publié en 2015.

Vos rapporteurs ne prétendent pas effectuer un travail aussi exhaustif que la somme de ces différentes études, qui représentent un outil particulièrement précieux pour alimenter la réflexion. Afin de proposer une perspective nouvelle sur un sujet déjà largement rebattu, ils ont choisi de privilégier une approche de terrain, dans le but de proposer des solutions concrètes, ancrées dans l'exercice quotidien des personnels, et dont la mise en oeuvre est possible à court terme . Les nombreuses auditions conduites au Sénat ont ainsi notamment permis de rencontrer les responsables des principaux services d'urgences parisiens, ainsi que les directeurs de plusieurs établissements. Plusieurs déplacements ont également été effectués dans des établissements de santé de toute taille, au cours desquels vos rapporteurs ont veillé à donner la parole à l'ensemble des personnels soignants comme administratifs.

• Au terme de ces quelques mois de travaux, ils souhaitent avant tout souligner la grande qualité du service public des urgences français, qui fait face à des défis colossaux tout en continuant à assurer une prise en charge de pointe . La qualité et la sécurité des soins, telles que le rapport Steg de 1993 les appelait de ses voeux, sont aujourd'hui bel et bien une réalité.

L'on oublie trop souvent que les services d'urgences tels que nous les connaissons aujourd'hui n'ont pas toujours existé dans nos hôpitaux, et ne sont d'ailleurs pas si anciens. Jusqu'en 1995, il n'existait pas d'activité individualisée d'accueil et de traitement des urgences dans les établissements ; les médecins assurant ces fonctions étaient des internes de médecine ou de chirurgie effectuant un semestre dans un service clinique de l'établissement, et qui assuraient à tour de rôle une garde pour l'accueil des soins non programmés.

Les services d'accueil des urgences n'ont été véritablement structurés qu'en 1995 8 ( * ) , sous le format d'un service individualisé bénéficiant de la présence continue d'équipes dédiées, au sein de locaux permettant des premiers soins, dont ceux dits de « déchocage ». Ils ont depuis lors connu plusieurs évolutions, notamment dans le cadre du plan Urgences mis en oeuvre entre 2004 et 2008, leur organisation et leur unification actuelles résultant de deux décrets intervenus en 2006 9 ( * ) .

Ils constituent depuis lors, en application de l'article R. 6123-1 du code de la santé publique, des unités trifonctionnelles assurant à la fois la régulation des appels adressés au service d'aide médicale urgente (Samu), la prise en charge in situ des détresses médicales et la réalisation de soins d'urgence avant et durant le transport du patient, dans le cadre des services mobiles d'urgence et de réanimation (Smur) régulés par le Samu, ainsi que l'accueil continu et sans sélection des personnes se présentant en situation d'urgence dans les établissements de santé.

Il s'agit aujourd'hui, le plus souvent, de services structurants pour les établissements de santé , une large partie des admissions hospitalières se faisant par le biais des urgences.

Les missions assurées par les services d'urgences ont également fortement évolué depuis leur apparition . Il ne s'agit plus seulement aujourd'hui d'assurer la prise en charge des urgences vitales et de la traumatologie grave résultant, en majeure partie, des accidents de la route. Si cet aspect continue de constituer un élément important de la vie des services, les accueils effectués semblent progressivement se décentrer vers la prise en charge des complications liées à des pathologies chroniques ou multiples, vers la confrontation à des problématiques socio-sanitaires, tandis que se pose la question de la réponse à apporter aux nouvelles habitudes de consommation de soins, qui tendent à valoriser l'immédiateté.

Le constat d'un bon fonctionnement global du service rendu à la population par cette organisation est objectivé par les résultats de ces structures dans la procédure de certification des établissements de santé conduite par la Haute Autorité de santé (HAS). En effet, si le fonctionnement des urgences et la prise en charge des soins non programmés constituent l'un des vingt critères prioritaires pour la certification des établissements, ce ne sont pas ces services qui concentrent la majorité des réserves émises : 22 % des services font l'objet de recommandations, 6 % d'une obligation d'amélioration, et 1 % de réserves. Le plus souvent, ces dernières sont formulées en raison de problèmes de disponibilité des ressources humaines ou de conformité des locaux. Le triage effectué à l'entrée des services constitue également un point d'amélioration, tandis que le lien et la coopération entre services d'urgences et avec les Smur sont relevés par la Haute Autorité comme fonctionnant notablement bien.

Vos rapporteurs soulignent que ces bons résultats sont avant tout rendus possibles par l'investissement exceptionnel des équipes exerçant au sein des urgences hospitalières, qui réunissent des métiers très divers. C'est grâce à leur compétence, à leur dévouement, parfois même à leur abnégation que nos concitoyens continuent de disposer d'une prise en charge de pointe, en dépit des difficultés nombreuses auxquelles font face les services - devant lesquels ils réagissent avec adaptabilité, inventivité, ingéniosité, et un sens profond du service public.

• À l'issue de leurs travaux, vos rapporteurs ont acquis la conviction que les problèmes rencontrés ne pourront être résolus tant que les services d'urgences continueront d'être seulement considérés comme un point d'entrée défaillant dans le système de santé. Ils constituent au contraire l'aboutissement de trajectoires individuelles dans ou en dehors du système de soins, et sédimentent à ce titre l'ensemble des problématiques sanitaires et sociales accumulées au cours des différents parcours de santé .

En somme, les difficultés des services d'urgences doivent être regardées comme un miroir grossissant des dysfonctionnements de l'ensemble de notre système de santé, en amont comme en aval des urgences - et peut-être même, plus largement, de notre système d'accompagnement social.

Ce constat, qui a fondé l'ensemble de la réflexion de vos rapporteurs, explique qu'il n'existe pas de solution miracle pour refonder notre système d'accueil des urgences. Tout comme les problèmes rencontrés par les équipes, les solutions qui peuvent y être apportées sont multifactorielles, et dépendent bien souvent également des structures, des organisations et des personnes . En tout état de cause, elles doivent prendre en compte à la fois l'amont et l'aval des services - ce qui supposerait d'étendre potentiellement la réflexion à l'ensemble de notre système de soins, en ville comme à l'hôpital.

Sur ce point, vos rapporteurs n'ignorent pas que la question de la réforme des urgences renvoie in fine aux choix majeurs d'organisation et de structuration de notre système de santé qui devront être effectués au cours des prochaines années, s'agissant notamment de la prise en charge des soins non programmés. Cet aspect crucial excède cependant le champ du présent rapport, qui entend avant tout mettre en avant des évolutions pragmatiques, approuvées par les professionnels de terrain, et dont la mise en oeuvre sera possible à court terme.

Il s'agit au total de permettre à la médecine d'urgence de continuer à assurer sa mission, ainsi décrite avec élégance par le rapport Steg de 1993 : « Elle vient au secours de l'homme dans toutes les dimensions de sa brutale épreuve, souffrance physique, détresse morale et souvent misère sociale. Elle vaut que tout soit fait pour en assurer la qualité. Elle vaut que la collectivité concentre ses efforts et consente des sacrifices afin que chacun soit assuré qu'en cas de malheur, tout sera entrepris au plus vite par les meilleurs, dans les meilleures conditions de sécurité ».


* 1 Le livre blanc de l'association Samu-Urgences de France (« Organisation de la médecine d'urgence en France : un défi pour l'avenir »), publié en 2015, l'exprime en ces termes : « L'organisation actuelle de la médecine d'urgence ne permet plus, et ne permettra pas demain, de faire face aux inéluctables évolutions des besoins de soins et de notre système de santé. »

* 2 Commission nationale de restructuration des urgences placée sous l'autorité du Pr Adolphe Steg, Rapport sur la médicalisation des urgences, 1993.

* 3 Drees, Enquête nationale sur les structures des urgences hospitalières, juin 2013. Cette enquête a donné lieu à de nombreuses publications qui seront citées tout au long du présent rapport.

* 4 Cour des comptes, « Les urgences hospitalières : une fréquentation croissante, une articulation avec la médecine de ville à repenser », chapitre XII du Rapport annuel sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, septembre 2014.

* 5 Dr Jean-Yves Grall (directeur de l'agence régionale de santé du Nord-Pas-de-Calais), Rapport sur la territorialisation des activités d'urgence, juillet 2015.

* 6 Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

* 7 Pr Pierre Carli (président du conseil national de l'urgence hospitalière), Propositions de recommandations de bonne pratique facilitant l'hospitalisation des patients en provenance des services d'urgences, septembre 2013.

* 8 Décret n° 95-648 du 9 mai 1995 relatif aux conditions techniques de fonctionnement auxquelles doivent satisfaire les établissements de santé pour être autorisés à mettre en oeuvre l'activité de soins Accueil et traitement des urgences et modifiant le code de la santé publique.

* 9 Décret n° 2006-576 du 22 mai 2006 relatif à la médecine d'urgence et modifiant le code de la santé publique (dispositions réglementaires) ; décret n° 2006-577 du 22 mai 2006 relatif aux conditions techniques de fonctionnement applicables aux structures de médecine d'urgence et modifiant le code de la santé publique (dispositions réglementaires).

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