Rapport d'information n° 326 (2017-2018) de M. André GATTOLIN et Mme Colette MÉLOT , fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 21 février 2018

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N° 326

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2017-2018

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 février 2018

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la protection des consommateurs dans le marché unique numérique ,

Par M. André GATTOLIN et Mme Colette MÉLOT,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet, président ; MM. Philippe Bonnecarrère, André Gattolin, Mmes Véronique Guillotin, Fabienne Keller, M. Didier Marie, Mme Colette Mélot, MM. Pierre Ouzoulias, Cyril Pellevat, André Reichardt, Simon Sutour, vice-présidents ; M. Benoît Huré, Mme Gisèle Jourda, MM. Pierre Médevielle, Jean-François Rapin, secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Jacques Bigot, Yannick Botrel, Pierre Cuypers, René Danesi, Mme Nicole Duranton, MM. Thierry Foucaud, Christophe-André Frassa, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Daniel Gremillet, Mme Pascale Gruny, Laurence Harribey, M. Claude Haut, Mmes Christine Herzog, Sophie Joissains, MM. Guy-Dominique Kennel, Claude Kern, Jean-Yves Leconte, Jean-Pierre Leleux, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Franck Menonville, Jean-Marie Mizzon, Georges Patient, Michel Raison, Claude Raynal, Mme Sylvie Robert.

AVANT-PROPOS

Dans le cadre de sa stratégie pour un marché unique numérique, la Commission européenne a présenté deux propositions visant à faciliter le commerce transfrontière dans l'Union européenne. La première proposition concerne la fourniture de contenu numérique et la seconde la vente en ligne et à distance de biens tangibles.

L'objectif de ces réformes est de tirer pleinement parti des possibilités offertes par internet pour stimuler l'activité économique, offrir un choix plus large aux consommateurs européens et plus de débouchés pour les entreprises européennes. D'une manière générale, il s'agit de trouver un équilibre entre les intérêts de ces dernières et les droits des consommateurs, dont le niveau général de protection serait élevé par des règles harmonisées.

Les contenus numériques sont désormais consommés à grande échelle et avec une très grande facilité offerte par les nouvelles technologies. Il est donc souhaitable que ce secteur fasse l'objet d'un encadrement juridique et que les acheteurs, parfois inconscients du prix qu'ils paient (les données personnelles), bénéficient de nouvelles protections.

Les ventes de biens tangibles sont déjà encadrées par une directive de 1999 et la prise en compte des achats en ligne et à distance constitue un apport bienvenu. En outre, on peut espérer l'élévation du niveau moyen de protection des consommateurs dans l'Union européenne où il existe des disparités.

Pour la France, dont le niveau de protection des consommateurs est parmi les plus élevés, la réforme comporte toutefois le risque d'un recul.

Le présent rapport analyse les avantages et les défauts des propositions de la Commission européenne et en tire les conséquences quant à l'appréciation que le Sénat peut porter.

MODERNISER ET RENFORCER LA PROTECTION DES CONSOMMATEURS DANS L'UNION EUROPÉENNE

UNE UNION DE DROITS DANS LE MARCHÉ UNIQUE EUROPÉEN

La protection des consommateurs dans l'Union européenne se fonde sur les articles 114 et 169 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). Elle part de l'idée que dans une économie européenne intégrée - le marché unique -, les consommateurs doivent pouvoir acheter des biens et des services dans n'importe quel pays de l'Union en ayant l'assurance que leurs droits seront respectés en cas de problème.

Bien que le consommateur n'était pas, aux origines de la construction européenne, pris en compte dans les politiques de l'Union, au sommet de Paris de 1972, les chefs d'État et de gouvernement ont exprimé pour la première fois la volonté de mettre en place une politique en faveur des consommateurs. La Commission a alors présenté un programme d'action énonçant les droits qui constituent, encore aujourd'hui, les fondements de la législation de l'Union : le droit à la protection de la santé et de la sécurité ; le droit à la protection des intérêts économiques ; le droit à la réparation des dommages ; le droit à l'information et à l'éducation ; le droit à la représentation.

C'est le traité de Maastricht qui en fera une politique à part entière avec ce qui est aujourd'hui l'article 169 du TFUE, qui stipule en son paragraphe 1 que « afin de promouvoir les intérêts des consommateurs et d'assurer un niveau élevé de protection des consommateurs, l'Union contribue à la protection de la santé, de la sécurité et des intérêts économiques des consommateurs ainsi qu'à la promotion de leur droit à l'information, à l'éducation et à s'organiser afin de préserver leurs intérêts » .

DES AVANCÉES POUR LES CONSOMMATEURS EUROPÉENS DANS DES SECTEURS PARTICULIERS

Au fil des années, l'Union européenne a développé un corpus juridique visant notamment à assurer la sécurité des consommateurs et à protéger leur santé. Ainsi, les jouets, les appareils électriques, les produits cosmétiques et pharmaceutiques, les denrées alimentaires, les briquets, les équipements de protection individuelle, les machines et les bateaux de plaisance sont soumis à des conditions de sécurité rigoureuses. En outre, des règles strictes garantissent le retrait du marché des produits défectueux, fondé sur le principe de la responsabilité sans faute au producteur, dans les cas où le dommage a été causé par un produit défectueux.

La directive 2001/95/CE sur la sécurité générale des produits vise à prévenir la mise sur le marché de produits défectueux. Elle s'applique à tous les produits qui ne sont pas couverts par une législation sectorielle spécifique et impose aux producteurs de ne mettre sur le marché que des produits « sûrs » et d'informer les consommateurs sur les dangers liés au produit fourni. Son champ d'application a été étendu à tous les produits susceptibles d'être utilisés par des consommateurs (y compris les prestations de service), qu'ils soient neufs ou d'occasion, et même si ces derniers sont transmis à titre gratuit.

Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne

Article 114

1. Sauf si les traités en disposent autrement, les dispositions suivantes s'appliquent pour la réalisation des objectifs énoncés à l'article 26. Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire et après consultation du Comité économique et social, arrêtent les mesures relatives au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui ont pour objet l'établissement et le fonctionnement du marché intérieur.

2. Le paragraphe 1 ne s'applique pas aux dispositions fiscales, aux dispositions relatives à la libre circulation des personnes et à celles relatives aux droits et intérêts des travailleurs salariés.

3. La Commission, dans ses propositions prévues au paragraphe 1 en matière de santé, de sécurité, de protection de l'environnement et de protection des consommateurs, prend pour base un niveau de protection élevé en tenant compte notamment de toute nouvelle évolution basée sur des faits scientifiques. Dans le cadre de leurs compétences respectives, le Parlement européen et le Conseil s'efforcent également d'atteindre cet objectif.

4. Si, après l'adoption d'une mesure d'harmonisation par le Parlement européen et le Conseil, par le Conseil ou par la Commission, un État membre estime nécessaire de maintenir des dispositions nationales justifiées par des exigences importantes visées à l'article 36 ou relatives à la protection de l'environnement ou du milieu de travail, il les notifie à la Commission, en indiquant les raisons de leur maintien.

5. En outre, sans préjudice du paragraphe 4, si, après l'adoption d'une mesure d'harmonisation par le Parlement européen et le Conseil, par le Conseil ou par la Commission, un État membre estime nécessaire d'introduire des dispositions nationales basées sur des preuves scientifiques nouvelles relatives à la protection de l'environnement ou du milieu de travail en raison d'un problème spécifique de cet État membre, qui surgit après l'adoption de la mesure d'harmonisation, il notifie à la Commission les mesures envisagées ainsi que les raisons de leur adoption.

6. Dans un délai de six mois après les notifications visées aux paragraphes 4 et 5, la Commission approuve ou rejette les dispositions nationales en cause après avoir vérifié si elles sont ou non un moyen de discrimination arbitraire ou une restriction déguisée dans le commerce entre États membres et si elles constituent ou non une entrave au fonctionnement du marché intérieur.

En l'absence de décision de la Commission dans ce délai, les dispositions nationales visées aux paragraphes 4 et 5 sont réputées approuvées.

Lorsque cela est justifié par la complexité de la question et en l'absence de danger pour la santé humaine, la Commission peut notifier à l'État membre en question que la période visée dans le présent paragraphe peut être prorogée d'une nouvelle période pouvant aller jusqu'à six mois.

7. Lorsque, en application du paragraphe 6, un État membre est autorisé à maintenir ou à introduire des dispositions nationales dérogeant à une mesure d'harmonisation, la Commission examine immédiatement s'il est opportun de proposer une adaptation de cette mesure.

8. Lorsqu'un État membre soulève un problème particulier de santé publique dans un domaine qui a fait préalablement l'objet de mesures d'harmonisation, il en informe la Commission, qui examine immédiatement s'il y a lieu de proposer des mesures appropriées au Conseil.

9. Par dérogation à la procédure prévue aux articles 258 et 259, la Commission et tout État membre peuvent saisir directement la Cour de justice de l'Union européenne s'ils estiment qu'un autre État membre fait un usage abusif des pouvoirs prévus par le présent article.

10. Les mesures d'harmonisation visées ci-dessus comportent, dans les cas appropriés, une clause de sauvegarde autorisant les États membres à prendre, pour une ou plusieurs des raisons non économiques visées à l'article 36, des mesures provisoires soumises à une procédure de contrôle de l'Union.

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Article 169

1. Afin de promouvoir les intérêts des consommateurs et d'assurer un niveau élevé de protection des consommateurs, l'Union contribue à la protection de la santé, de la sécurité et des intérêts économiques des consommateurs ainsi qu'à la promotion de leur droit à l'information, à l'éducation et à s'organiser afin de préserver leurs intérêts.

2. L'Union contribue à la réalisation des objectifs visés au paragraphe 1 par :

a) des mesures qu'elle adopte en application de l'article 114 dans le cadre de la réalisation du marché intérieur;

b) des mesures qui appuient et complètent la politique menée par les États membres, et en assurent le suivi.

3. Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire et après consultation du Comité économique et social, arrêtent les mesures visées au paragraphe 2, point b).

4. Les mesures arrêtées en application du paragraphe 3 ne peuvent empêcher un État membre de maintenir ou d'établir des mesures de protection plus strictes. Ces mesures doivent être compatibles avec les traités. Elles sont notifiées à la Commission.

On peut également citer la directive sur le commerce électronique (directive 2000/31/CE) qui couvre la responsabilité des prestataires de services établis dans l'Union pour ce qui concerne les services en ligne (services entre entreprises, services entre entreprises et consommateurs et services fournis gratuitement au bénéficiaire qui sont par exemple financés par les recettes de publicité ou de parrainage), les transactions électroniques en ligne et autres activités en ligne telles que les activités journalistiques, les bases de données, les services financiers, les services professionnels (par exemple des avocats, médecins, comptables, agents immobiliers), les services de divertissement (le marketing et la publicité directs et les services d'accès à l'internet).

LA DIFFICULTÉ D'ÉTABLIR UN DROIT GÉNÉRAL DE LA CONSOMMATION DANS L'UNION EUROPÉENNE

À côté de ces législations propres à certains secteurs, il n'existe pas de droit européen unique de la vente ou des contrats à proprement parler.

Dans les années 90, deux textes ont constitué un apport certain : la directive 93/13/CEE sur les clauses contractuelles abusives, et la directive 1999/44/CE sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation qui harmonise les règles qui ont trait à la garantie légale de conformité pour les biens et, dans une moindre mesure, aux garanties commerciales.

Depuis une dizaine d'années, une approche plus globale a été favorisée et s'est concrétisée dans deux textes :

- la directive 2005/29/CE sur les pratiques commerciales déloyales crée, au niveau de l'Union, un cadre réglementaire unique harmonisant entièrement les législations des États membres visant à combattre les publicités trompeuses ou les méthodes agressives de vente. Une trentaine de pratiques commerciales trompeuses ou agressives sont ainsi interdites en toutes circonstances ;

- la directive 2011/83/UE relative aux droits des consommateurs procède, quant à elle, à une harmonisation complète de plusieurs règles concernant l'information précontractuelle, le droit de rétractation en cas de vente à distance et de vente « hors établissement », la livraison et le transfert du risque. Les principaux droits ouverts par cette directive sont les suivants :

• les informations précontractuelles (coordonnées du vendeur, objet du contrat, droit de rétractation, garanties, recours) sont renforcées ;

• le droit de rétractation est porté de sept à quatorze jours ;

• les professionnels doivent rembourser le prix du produit au consommateur dans les quatorze jours suivant la rétractation et ce remboursement doit couvrir les frais de livraison ;

• en cas de démarchage téléphonique, seule la signature du contrat sur un support durable engage le consommateur ;

• les retards de livraison excessifs permettent d'obtenir la résolution du contrat ;

• les cases « pré-cochées » sont interdites sur les sites internet ;

• les appels surtaxés au consommateur qui appelle son vendeur par téléphone concernant un contrat conclu avec ce dernier sont interdits (à l'exception des opérateurs de téléphonie).

Souhaitant un cadre unique pour un droit commun de la vente en Europe, la Commission Barroso avait présenté une proposition de règlement visant à instaurer un régime optionnel de droit des contrats régissant les relations entreprises-consommateurs et les relations entre entreprises. Or, cette initiative s'est heurtée à l'opposition du Conseil qui l'a rejetée. Elle souffrait de deux défauts : fondée uniquement sur l'article 114 du TFUE qui vise l'établissement et le fonctionnement du marché intérieur, elle ne s'appuyait pas sur l'article 169 du même traité qui vise la protection des consommateurs ; et, de ce fait, elle ne laissait pas ouverte la possibilité pour les États membres de proposer des garanties plus importantes à leurs consommateurs s'ils estimaient le droit européen en la matière insuffisant.

Forte de cette expérience manquée, la Commission Juncker s'est montrée plus pragmatique en présentant deux propositions sur le commerce en ligne qui se concentrent sur un nombre restreint de dispositions considérées comme essentielles pour assurer une garantie effective des droits des consommateurs dans leur acte d'achat.

CONSTRUIRE DE NOUVEAUX DROITS POUR LES CONSOMMATEURS À L'ÈRE NUMÉRIQUE : LA STRATÉGIE POUR UN MARCHÉ UNIQUE NUMÉRIQUE

LA STRATÉGIE POUR UN MARCHÉ UNIQUE NUMÉRIQUE VEUT FACILITER LE COMMERCE EN LIGNE

Lancée le 6 mai 2015 par Jean-Claude Juncker pour poser « les bases de l'avenir numérique de l'Europe » , la stratégie de la Commission européenne pour un marché unique numérique en Europe comprenait initialement seize initiatives réunies en trois piliers :

- améliorer l'accès aux biens et services numériques dans toute l'Europe pour les consommateurs et les entreprises ;

- créer un environnement propice et des conditions de concurrence équitables pour le développement des réseaux et services numériques innovants ;

- maximiser le potentiel de croissance de l'économie numérique.

C'est dans le cadre du premier pilier que la Commission a présenté, en décembre 2015, deux propositions visant à favoriser le commerce en ligne transfrontière dans le marché unique européen : l'une sur l'achat de biens tangibles en ligne, l'autre sur la fourniture de contenus numériques.

Le constat fait par la Commission européenne à l'époque est que l'Union ne profite pas assez des opportunités offertes par la croissance des achats en ligne parce que le marché unique européen n'est pas suffisamment adapté à ce nouveau mode de consommation. Tandis que le commerce de détail croît beaucoup plus vite en ligne qu'hors ligne, la part du commerce électronique dans l'ensemble du commerce de détail reste nettement plus faible en Europe qu'aux États-Unis. En 2014, elle était de 7,2 % dans l'Union européenne contre 11,6 % aux États-Unis. Or, toujours en 2014, si 55 % des consommateurs ont fait des achats en ligne dans leur propre pays, seuls 18 % l'ont fait dans un autre pays de l'Union.

Les obstacles à la facilitation du commerce transfrontalier sont de deux ordres. Pour les entreprises, il s'agit principalement de l'absence d'une sécurité juridique favorable due à la fragmentation des législations et du surcoût engendré par les différences entre les droits nationaux des contrats. Pour leur part, les consommateurs pointent l'incertitude concernant leurs droits et leurs garanties contractuels. Pour la Commission, la levée de ces obstacles devrait favoriser les échanges, la participation accrue d'entreprises et de consommateurs au commerce transfrontalier, une baisse des prix et, au total, une progression du PIB de l'Union européenne d'environ 4 milliards d'euros par an.

Les deux propositions cherchent à prévenir l'écueil d'une volonté d'harmonisation trop large en ne visant que les relations entre les consommateurs et les entreprises. Elles se concentrent sur un nombre limité de dispositions considérées comme essentielles et suivent une même architecture :

- définition du bien couvert ou du contenu numérique ;

- modalités de fourniture ;

- critères de conformité ;

- cas de responsabilité du fournisseur et détermination de la charge de la preuve en l'absence de défaut de conformité ;

- mode de dédommagement ;

- cas dans lesquels le consommateur peut résilier le contrat ;

- droit de recours du fournisseur.

Dans un souci d'efficacité, le Conseil a décidé qu'il valait mieux commencer par travailler sur la proposition concernant la fourniture de contenus numériques, car elle était plus facile à aborder. En effet, au-delà de leurs spécificités, les contenus numériques sont encore peu encadrés juridiquement. Ainsi, des règles européennes ne viendraient pas se superposer ou s'opposer à des règles prescrites par les États membres.

LA RÉGLEMENTATION DES CONTRATS DE FOURNITURE DE CONTENUS NUMÉRIQUES : DE NOUVELLES GARANTIES POUR LES CONSOMMATEURS EUROPÉENS

La proposition de directive concernant certains aspects des contrats de fourniture de contenu numérique a été présentée par la Commission européenne le 9 décembre 2015. Elle n'a fait l'objet d'une orientation générale par le Conseil que le 8 juin 2017, soit un an et demi après. Le travail de négociation, juridique et technique, a été long et complexe, et le compromis n'a été adopté par le Conseil « Justice et affaires intérieures » qu'à l'issue d'une cinquième présentation. Pour sa part, le Parlement européen a adopté sa position en novembre 2017 et des discussions en trilogue sont actuellement en cours.

Le projet de directive couvre les transactions entre entreprises et particuliers qui ont pour objet la fourniture de contenus numériques contre le paiement et/ou l'échange de données fournies par le consommateur. Il vise l'ensemble des contenus numériques par une définition volontairement vaste qui englobe les films téléchargés ou diffusés en continu sur internet, le stockage en nuage, les réseaux sociaux ou les fichiers de modélisation pour l'impression 3D. Le contenu doit être conforme au contrat et libre de tout droit de tiers, y compris celui fondé sur la propriété intellectuelle. Le texte vise donc tout autant la fourniture de contenus, comme l'achat d'un film, que des services numériques, comme le partage de vidéos et les solutions d'informatique en nuage.

Les règles qu'il édicte concernent la conformité du contenu numérique, les modes de dédommagement à la disposition des consommateurs en cas de défaut de conformité du contenu numérique au contrat, ainsi que certains aspects concernant le droit de résilier un contrat à long terme, et la modification du contenu numérique.

La France disposant d'un niveau de protection des consommateurs des plus élevés, le Gouvernement français a pu jouer un rôle moteur dans les négociations. Il a apporté son soutien au compromis adopté sous présidence maltaise, qui reprend un certain nombre de ses propositions, qui sont autant de garanties pour les consommateurs, sans que cela ne fasse peser une charge excessive sur les fournisseurs.

On peut notamment relever que le texte initial ne considérait le prix à payer pour la fourniture d'un contenu numérique que comme une somme d'argent. Or, on sait très bien que l'économie numérique est fondée sur la donnée et que la fourniture de données à caractère personnel constitue parfois le seul prix à payer. Alors que la version initiale du texte excluait expressément la fourniture de données à caractère personnel de son champ d'application, elle a été justement réintroduite par le compromis adopté au Conseil, et la directive devrait s'appliquer lorsque le consommateur fournit uniquement des données à caractère personnel. Des négociations sont encore en cours pour qu'une référence expresse au règlement général sur la protection des données personnelles (RGPD) soit introduite dans la directive.

À l'inverse, on peut se réjouir qu'un certain nombre de services soient exclus du champ d'application de la directive. C'est le cas de services professionnels fournis sous forme numérique comme les actes notariés. C'est également le cas pour les informations du secteur public, dans la mesure où le droit d'accès aux documents administratifs répond à des obligations spécifiques en matière de réutilisation et de tarification.

Corrélativement, il est bienvenu que l'article 14 relatif aux dommages et intérêts ait été supprimé. Cette question relève de la compétence des États membres et elle doit le demeurer, dans le respect du principe de subsidiarité.

Un autre enjeu concernait les droits de propriété intellectuelle afin qu'ils ne soient pas visés comme un frein à la jouissance du contenu numérique tout en permettant de conserver la qualification prévue en droit national en cas de violation de ces droits, c'est-à-dire la nullité du contrat et non un défaut de conformité. Le texte et le droit gagneront en clarté avec cette distinction.

Un consensus s'est également dégagé en ce qui concerne les critères objectifs et subjectifs de conformité prévus à l'article 6 de la proposition de directive. Les critères objectifs sont ceux prévus dans le contrat et les critères subjectifs sont les critères légaux. Alors que la proposition initiale faisait passer les premiers avant les seconds, il ressort du compromis adopté au Conseil qu'il n'y a pas de hiérarchie entre eux.

On peut toutefois se demander si la question de l'interopérabilité des contenus numériques ne devrait pas être un critère objectif de conformité. Cela pourrait lui donner un caractère impératif et garantir une plus grande effectivité du droit, par exemple lorsqu'on achète un livre pour une liseuse. On devrait pouvoir garder ce livre si l'on change de liseuse.

Par ailleurs, conformément à la tradition juridique française, le compromis au Conseil ne consacre pas de hiérarchie des modes de dédommagement en cas de non-conformité du contenu numérique. C'est-à-dire qu'il laisse le choix au consommateur entre la résiliation ou une réduction du prix. En outre, en cas de défaut de fourniture, une seconde chance est proposée au fournisseur. Si à l'issue, le contenu numérique n'est toujours pas fourni, le consommateur dispose d'un droit de résiliation immédiate.

Si ces garanties nouvelles devraient renforcer la protection des consommateurs européens, des améliorations peuvent encore être apportées à la proposition. C'est particulièrement le cas lorsque la responsabilité du fournisseur est engagée et que la charge de la preuve incombe au consommateur.

Cette dernière question est celle sur laquelle le compromis entre les États membres a été le plus difficile à obtenir, en raison « des grandes différences entre les droits nationaux des États membres en ce qui concerne les notions de périodes de garantie et de délais de prescription » . Et la solution retenue, même si elle ménage la possibilité pour les États qui le souhaitent d'offrir une garantie renforcée à leurs ressortissants, reste bancale et mêle harmonisation maximale et minimale.

En ce qui concerne la garantie légale, c'est-à-dire l'engagement de la responsabilité du fournisseur en cas de défaut de conformité, le compromis prévoit qu'elle ne peut être inférieure à deux ans. Cette durée a été retenue, car c'est la plus communément partagée par les États membres en ce qui concerne les ventes de biens (seuls quatre d'entre eux vont plus loin). En outre, alors que le niveau d'harmonisation est maximal pour le reste du texte, cette clause fait l'objet d'une harmonisation minimale.

Cette exception est bienvenue car elle préserve la capacité des États membres à assurer un niveau plus élevé de protection s'ils le souhaitent. Or, il n'en est pas de même pour le renversement de la charge de la preuve, alors que les deux garanties sont liées.

Selon la position arrêtée au Conseil, le texte prévoit en son article 10 que le renversement de la charge de la preuve intervient au bout d'un an et n'est donc pas aligné sur le délai de garantie légale. En France, ces deux délais sont alignés sur une durée de deux ans. En outre, cette disposition reste d'harmonisation maximale et ne permet pas aux États membres de proposer un délai plus long.

Concrètement, il serait peu compréhensible que le délai de renversement de la preuve soit plus court pour la fourniture d'un contenu numérique que pour l'achat d'un bien tangible. En effet, il sera plus difficile pour un consommateur d'apporter la preuve de non-conformité de la fourniture d'un contenu numérique et ce, d'autant plus au bout d'un an. C'est la raison pour laquelle un alignement des deux délais est préférable. Le droit européen y gagnera en clarté et en simplicité. Et ce d'autant plus si le même alignement s'appliquait aux ventes de biens.

L'UNIFICATION DES RÈGLES CONCERNANT LES VENTES DE BIENS : UNE BONNE IDÉE SOUS RÉSERVE DE NE PAS AFFAIBLIR LA PROTECTION DES CONSOMMATEURS

Parallèlement à sa proposition sur la fourniture de contenu numérique, la Commission européenne a également présenté une proposition de directive concernant certains aspects des contrats de vente en ligne et de toute autre vente à distance de biens. Ce texte venait à la fois compléter le premier pour couvrir l'ensemble des achats en ligne et la directive de 99/44/CE sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation en ce qui concerne les achats en magasin.

LES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION EUROPÉENNE

UNE APPROCHE CIBLÉE SUR CERTAINS ASPECTS DES CONTRATS

Comme la proposition concernant la fourniture de contenus numériques, la proposition de directive sur les contrats de vente en ligne et de toute autre vente à distance de biens avait pour objet d'harmoniser de manière complète certains aspects ciblés des contrats de vente en ligne et de toute autre vente à distance de biens conclus entre le vendeur et le consommateur. En particulier, elle visait des règles concernant la conformité des biens, les modes de dédommagement en cas de non-conformité, les modalités d'exercice correspondantes ainsi que les délais, de deux ans chacun, pour le renversement de la charge de la preuve et de la garantie légale de conformité.

Le texte proposait des critères de conformité auxquels les biens devraient satisfaire : des exigences objectives de conformité et une exigence supplémentaire en ce qui concerne les droits de tiers et ceux fondés sur la propriété intellectuelle. Il énumérait les modes de dédommagement et l'ordre dans lequel le consommateur pourrait y prétendre : d'abord la réparation ou le remplacement (au choix) dans un délai raisonnable, puis la réduction du prix ou la résiliation du contrat si le défaut de conformité ne peut être supprimé par la réparation ou le remplacement. Le consommateur aurait le droit de suspendre l'exécution de ses obligations jusqu'à la mise en conformité du bien, et le vendeur aurait l'obligation de récupérer à ses frais les biens remplacés. Il serait en outre soumis à un certain nombre d'obligations et notamment la charge de la preuve de l'absence de défaut de conformité pour une période de deux ans. Ce délai s'appliquerait aussi à la validité du droit à un dédommagement.

Enfin, un pas serait franchi pour mettre fin à la fragmentation du marché : contrairement à la directive de 1999 qui est d'harmonisation minimale, la proposition de directive serait, à l'image de celle concernant la fourniture de contenus numériques, d'harmonisation maximale. En conséquence, les États membres ne pourraient non seulement proposer à leurs consommateurs des garanties plus fortes, mais ils devraient en outre renoncer à des garanties existantes en ce sens. Enfin, la nouvelle directive abrogerait celle de 1999.

Face à cette évolution conséquente, le Conseil a estimé manquer d'éléments d'analyse. Aussi, alors que débutaient les discussions sur la proposition concernant la fourniture de contenus numériques, une évaluation était menée par la Commission européenne dans le cadre de l'exercice « Mieux légiférer » (REFIT dans son acronyme anglais), dont les résultats ont été publiés en mai 2017.

VERS UN RÉGIME UNIFIÉ DES VENTES DE BIENS : LA FIN DE LA DISTINCTION VENTE EN LIGNE/HORS LIGNE

Lors d'une réunion informelle du Conseil « Justice et affaires intérieures » le 7 juillet 2017, les représentants des États membres ont fait part de leurs réserves quant à la multiplication des règles concernant les ventes. La même réflexion a été faite au Parlement européen où une étude a conclu à la nécessité de disposer de règles cohérentes pour toutes les ventes.

De fait, si la réforme proposée par la Commission était adoptée en l'état, trois régimes juridiques différents se seraient appliqués en même temps avec un texte pour les ventes de biens en magasin, la directive de 1999, un texte couvrant les ventes de biens en ligne, et un texte réglementant la fourniture de contenu numérique.

C'est pourquoi la Commission européenne a présenté une nouvelle proposition visant, cette fois, certains aspects de l'ensemble des contrats de vente, texte enregistré à la Présidence du Sénat le 8 novembre 2017.

Cette simplification est nécessaire. L'un des objectifs des propositions de la Commission européenne est de simplifier la vie des entreprises dans le marché unique. Il convient de ne pas remplacer la fragmentation territoriale par une fragmentation par l'objet du contrat (bien ou contenu numérique) ou par le canal (en magasin ou en ligne) de vente. De même, il sera plus aisé pour le consommateur de connaître ses droits, quand bien même il faut tenir compte des spécificités de chaque objet et de chaque canal de vente.

À titre d'exemple, en cas de non-conformité du bien, la proposition révisée propose un alignement de la durée de la charge de la preuve pour le fournisseur sur la durée de la garantie légale, qui est de deux ans. Comme indiqué précédemment, en ce qui concerne la fourniture de contenu numérique, il est actuellement proposé un renversement de la charge de la preuve au bout d'un an. Si alignement des règles il doit y avoir, il serait bon qu'il se fasse sur la base de ce qui est le plus protecteur pour les consommateurs, c'est-à-dire un délai de deux ans.

À défaut, le consommateur français connaîtrait un véritable abaissement de sa protection, ce qui n'est pas acceptable. Or, cette menace existe du fait de la volonté de la Commission européenne d'introduire une harmonisation maximale des règles.

LA QUESTION CENTRALE DU NIVEAU D'HARMONISATION DES RÈGLES

D'UNE HARMONISATION MINIMALE À UNE HARMONISATION MAXIMALE : UN CHANGEMENT MAJEUR

La directive 99/44/CE, sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation, est une directive d'harmonisation minimale. C'est-à-dire que les règles européennes fixent un niveau plancher de protection des consommateurs en-dessous duquel les États ne peuvent légiférer. En revanche, il leur est possible de proposer une protection accrue pour leurs ressortissants. C'est la logique qui a présidé à la rédaction de l'article 169 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Longtemps, l'Union européenne a fonctionné selon ce principe, respectueux de la subsidiarité et des cultures juridiques nationales.

Or, c'est lui qui pose problème à la Commission européenne. Elle considère en effet que le principal obstacle au commerce transfrontière est la fragmentation juridique qui impose des frais supplémentaires rédhibitoires pour des entreprises qui souhaiteraient conquérir de nouveaux marchés. Pour les consommateurs, ce serait le fait qu'ils craindraient de ne pas voir leurs droits respectés dans un autre pays de l'Union européenne.

Or, d'une part, d'autres facteurs peuvent jouer, comme la barrière de la langue ou le fait qu'un consommateur choisira une enseigne qu'il connaît plutôt qu'un vendeur inconnu, quand bien même il proposerait un prix inférieur. D'autre part, la fragmentation est à relativiser.

En effet, l'analyse de l'application des quatre principales mesures prévues dans la directive 99/44/CE laisse apparaître une certaine homogénéité. En ce qui concerne la durée légale de garantie, seuls six pays proposent une durée supérieure à deux ans que tous les autres appliquent. Concernant l'obligation de notification aux consommateurs, seuls sept pays ne l'appliquent pas. La période de renversement de la charge de la preuve en cas de défaut de conformité excède six mois dans seulement trois pays. Concernant la hiérarchie des remèdes, seuls cinq pays l'excluent en laissant un libre choix.

États membres

Principales mesures de la directive 99/44/CE

Durée de la garantie légale
(en années)

Obligation de notification aux consommateurs

Période de renversement de la charge de la preuve

Hiérarchie des remèdes

Allemagne

2

Non

6 mois

Oui

Autriche

2

Non

6 mois

Oui

Belgique

2

Oui

6 mois

Oui

Bulgarie

2

Oui

6 mois

Oui

Chypre

2

Oui

6 mois

Oui

Croatie

2

Oui

6 mois

Libre choix

Danemark

2

Oui

6 mois

Oui

Espagne

2

Oui

6 mois

Oui

Estonie

2

Oui

6 mois

Oui

Finlande

Pas de limite de temps

Oui

6 mois

Oui

France

2

Non

2 ans

Oui

Grèce

2

Non

6 mois

Libre choix

Hongrie

2

Oui

6 mois

Oui

Irlande

6

Non

6 mois

Oui + droit de rejet au début

Italie

2

Oui

6 mois

Oui

Lettonie

2

Oui

6 mois

Oui

Lituanie

2

Oui

6 mois

Libre choix

Luxembourg

2

Oui

6 mois

Oui

Malte

2

Oui

6 mois

Oui

Pays-Bas

Pas de limite de temps

Oui

6 mois

Oui

Pologne

2

Non

1 an

Oui

Portugal

2

Oui

2 ans

Libre choix

République tchèque

2

Oui

6 mois

Oui

Roumanie

2

Oui

6 mois

Oui

Royaume-Uni

6 (5 en Écosse)

Non

6 mois

Oui + droit de rejet au début

Slovaquie

2

Oui

6 mois

Oui

Slovénie

2

Oui

6 mois

Libre choix

Suède

3

Oui

6 mois

Oui

En réaction, la Commission prévoit une harmonisation maximale qui interdirait d'adopter des mesures divergentes de la directive qu'elle propose. Cela pourrait constituer une amélioration pour la vie des citoyens-consommateurs européens, à la condition de s'aligner sur le niveau de protection le plus élevé. Or, le but recherché est un nivellement autour de la moyenne de ce qui se fait dans les pays européens. Pour la France qui dispose d'un niveau de protection des consommateurs parmi les plus élevés, un retour à la moyenne constituerait un recul.

UN AFFAIBLISSEMENT DE LA PROTECTION DES CONSOMMATEURS INACCEPTABLE

Dans une résolution du 7 mars 2016 adoptée à l'initiative de la commission des affaires européennes dans le cadre du contrôle de subsidiarité dévolu aux parlements nationaux, le Sénat estimait que des directives d'harmonisation maximale étaient contraires au principe de subsidiarité et que, dans le domaine de la protection du consommateur, chaque État membre devait pouvoir conserver la possibilité d'offrir un meilleur niveau de protection à ses citoyens.

Dans la réponse qu'elle a adressée au Sénat, la Commission européenne a estimé que la question du niveau d'harmonisation relevait plus du principe de proportionnalité que du principe de subsidiarité. Et de ce fait, elle n'était pas soumise au contrôle des parlements nationaux. Cette interprétation contestable du protocole 2 au Traité sur l'Union européenne fermait la porte à un dialogue avec les parlements nationaux sur la question de savoir quel échelon était le mieux à même d'assurer la protection des consommateurs.

Pourtant, les négociations sur la proposition de directive sur certains aspects des contrats de fourniture de contenu numérique ont montré que les États n'étaient pas prêts à accepter un recul de la protection de leurs consommateurs. En effet, l'introduction d'une clause d'harmonisation minimale concernant la limitation dans le temps de la responsabilité du fournisseur en est la preuve. Or, en ce domaine nouveau pour le droit, la législation était encore peu importante. Il en va autrement du droit de la vente des biens ; où il existe déjà un certain nombre de garanties pour les consommateurs.

Des gouvernements de pays où le niveau de protection des consommateurs est élevé ont d'ailleurs exprimé leur doute quant à l'intérêt d'une harmonisation maximale en ce qui concerne les ventes de bien. Outre la France, l'Allemagne, et la Belgique ont émis des fortes réserves quant à l'utilité même d'un nouveau texte sur les ventes de bien. D'une manière générale, les plus petits États membres ont intérêt à une harmonisation maximale pour que leurs entreprises puissent pénétrer plus facilement les marchés de leurs voisins européens. Ils sont aidés par les pays les plus libéraux et ceux où la protection du consommateur est peu développée.

Toutefois, afin que les négociations progressent sur les aspects juridiques et techniques, le Conseil a chosi d'avancer sur les différents articles et de décider pour chacun d'entre eux du niveau d'harmonisation applicable. Pour sa part, le gouvernement français dit qu'il n'acceptera aucune mesure qui affaiblirait la protection des consommateurs.

Au Parlement européen, deux commissions sont saisies : la commission IMCO (commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs) est saisie au fond, et la commission JURI (commission des affaires juridiques) est saisie pour avis. Or, lors d'un vote le 24 janvier dernier cette dernière a rejeté le principe d'une harmonisation minimale pourtant prôné par le rapporteur. La commission IMCO sera donc la seule à décider.

Selon Pascal Durand, député français membre de cette commission, il y a de grandes chances qu'elle se prononce, et avec elle le Parlement européen, pour une harmonisation maximale. En outre, c'est la commission IMCO qui représentera le Parlement européen dans les discussions en trilogue avec la Commission européenne et le Conseil. Il y a pour lui aujourd'hui un vrai risque de voir régresser les droits des consommateurs français.

Pour vos rapporteurs, il convient de refuser l'harmonisation maximale prônée par la Commission européenne. À l'heure ou la méfiance envers l'Union européenne grandit, le législateur national doit veiller à préserver sa capacité à défendre les droits des consommateurs s'il estime que la règle européenne n'est pas assez protectrice.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires européennes s'est réunie le mardi 20 février 2018 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par M. André Gattolin et Mme Colette Mélot, le débat suivant s'est engagé :

M. Jacques Bigot . - Merci pour ce rapport très technique. Le niveau de protection des consommateurs français est très élevé depuis des années, bien supérieur à celui qui est en vigueur en Allemagne. Mais les consommateurs sont de plus en plus sollicités par des entreprises qui viennent de toute l'Europe et ils ne savent pas toujours de quelles protections ils bénéficient, ce qui peut les inciter à ne consommer que français. Cela prendra des années pour harmoniser les niveaux de protection dans l'Union.

Il existe un organisme créé il y a fort longtemps par la chambre de consommation d'Alsace, le Centre européen des consommateurs, basé à Kiel, et soutenu par l'Union européenne, qui travaille sur l'information des consommateurs, mais aussi sur les règlements des litiges. Il serait sans doute utile d'entendre la directrice de cet établissement, qui pourrait nous dire quelles sont les difficultés rencontrées par les consommateurs.

Je souscris à votre proposition de résolution, mais prenons garde à ne pas freiner la consommation au niveau européen.

M. Jean-Pierre Leleux . - Vous nous proposez de repousser une directive d'harmonisation maximale alors que nous luttons contre la sur-transposition. En acceptant une harmonisation maximale, ne risque-t-on pas de mettre en péril le système concurrentiel entre les pays européens, surtout pour les ventes en ligne ?

M. Claude Kern . - Je souscris à cette proposition de résolution.

M. Jean-François Rapin . - Nous sommes en présence de quatre inconnues : l'habitude de consommation des États, l'intégration des données de surveillance dont les coûts vont augmenter, l'intégration fiscale des ventes et le rôle des autorités de contrôle. Ces dernières seront-elles européennes ou propres à chaque pays ?

M. Michel Raison . - En matière de délais de paiement, nous avons des règles strictes en France. Mais les entreprises ont plus de mal à se faire payer en temps et en heure lorsqu'elles exportent dans les pays de l'Union. À l'occasion de l'examen du projet de loi sur l'alimentation, nous devrons harmoniser les règles et mettre fin à des incohérences : les délais de paiement pour la charcuterie sont de 20 jours, contre 30 jours pour la filière viande. Ces délais de paiement difficiles à faire respecter entre pays européens ont des effets économiques majeurs sur la trésorerie des entreprises et provoquent des distorsions de concurrence. Notre commission pourrait se saisir de ce sujet.

M. André Gattolin . - Les deux derniers points qui ont été évoqués ne sont pas du ressort de ce projet de directive. Mais l'intégration fiscale et les délais de paiement n'en sont pas moins importants dans le cadre du marché unique.

La France est parvenue à un accord quasi total sur la question des contenus numériques. Les experts nous ont bien dit que les DVD étaient considérés comme des contenus numériques, alors que ces objets ont une apparence physique. Les problèmes surgissent lorsqu'il est question d'automobiles intelligentes : lors des ouragans en Floride, Tesla a accordé à toutes ses voitures 60 kilomètres d'autonomie supplémentaire. Aujourd'hui, cette entreprise est considérée non pas comme un constructeur automobile, mais ce qu'elle vend est en réalité un agrégat de logiciels. L'acheteur du véhicule s'engage à l'entretien du véhicule et de ses logiciels. Demain, s'il ne paye pas son crédit, la porte de la voiture ne s'ouvrira pas.

Il est important et bénéfique que les contenus numériques dématérialisés qui sont achetés d'un pays à l'autre soient soumis à un cadre global. Pour les biens physiques, il en va tout autrement, puisque 80 % d'entre eux sont distribués par quatre grandes centrales d'achat. Ce niveau de concentration est rare dans un pays démocratique. En contrepartie, les consommateurs ont bénéficié de droits spécifiques. Pourtant, en France, il est plus difficile d'obtenir la reprise d'un produit en magasin que dans les pays anglo-saxons.

Globalement, les pays entrants sont favorables à ce projet de directive qui renforce la protection de leurs consommateurs, mais ce sont surtout les petits pays qui y sont favorables, car ils auraient ainsi accès à un large marché européen aux normes peu contraignantes.

Mme Colette Mélot . - La Commission européenne souhaite harmoniser les règles pour ne pas freiner la consommation. En dépit de l'accroissement de la vente en ligne, les consommateurs hésitent encore à acheter dans un autre pays européen, car ils ignorent les garanties dont ils peuvent bénéficier. Pour notre part, nous souhaitons instaurer des garde-fous pour protéger les consommateurs français.

Nous vous proposons donc cette proposition de résolution, afin que la future directive soit d'harmonisation minimale.

M. André Gattolin . - Aux termes de l'article 169 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, l'Europe ne vient qu'en complément du droit national en ce qui concerne la protection des consommateurs. Ne confondons pas avec la sur-transposition qui, au moment du vote de la loi nationale, va au-delà de la directive en imposant plus d'obligations ou de normes.

La Commission invoque l'article 114 qui s'applique au fonctionnement du marché intérieur pour défendre son projet de directive, mais elle oublie de mentionner l'article 169. La protection des consommateurs français n'empêche nullement nos entreprises de développer leurs ventes sur le territoire national. En outre, n'oublions pas les spécificités de notre pays : la densité de la population y étant faible, nous devons éviter la disparition des commerces de centre-bourg. Une harmonisation globale ne créera pas les conditions du développement économique. Ainsi, le marché unique du numérique n'a pas créé d'industrie du numérique européenne. Pour y parvenir, il faudrait une politique d'investissements que l'Union ne privilégie guère.

M. Jean Bizet , président . - La référence à l'article 169 du traité est essentielle.

M. André Gattolin . - Certains, au Parlement européen, se félicitent de la position de la France, et il est probable que certains articles feront l'objet d'une harmonisation minimale. Mais le rapport de force n'en existe pas moins.

*

À l'issue de ce débat, la commission a autorisé, à l'unanimité, la publication du rapport d'information.

Puis la commission des affaires européennes a adopté, à l'unanimité, dans la rédaction suivante, la proposition de résolution européenne qui fera également l'objet d'un avis politique, rédigé dans les mêmes termes, qui sera adressé à la Commission européenne.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu les articles 114 et 169 du Traité sur le fonctionnement du l'Union européenne ;

Vu la directive 99/44/CE sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation ;

Vu la proposition de directive concernant certains aspects des contrats de fourniture numérique, COM(2015) 634 final ;

Vu la proposition de directive concernant certains aspects des contrats de vente en ligne et à distance de biens, COM(2015) 635 final ;

Vu la proposition modifiée de directive concernant certains aspects des contrats de vente de biens, modifiant le règlement (CE) n°2006/2004 Parlement européen et du Conseil et la directive 2009/22/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 1999/44/CE du Parlement européen et du Conseil, COM(2017) 637 final ;

Vu la résolution du Sénat du 30 juin 2015 pour une stratégie européenne du numérique globale, offensive et ambitieuse ;

Vu la résolution du Sénat 7 mars 2016 sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de directive concernant certains aspects des contrats de fourniture numérique, COM(2015) 634 final, et la proposition de directive concernant certains aspects des contrats de ventes en ligne et de toute autre vente à distance de biens, COM(2015) 635 final ;

Réaffirme son soutien à la stratégie pour un marché unique numérique de l'Union européenne ;

Appuie l'approche consistant à unifier le plus possible, dans le respect de la subsidiarité, certains aspects des contrats de vente, qu'ils concernent les biens tangibles ou les contenus numériques, qu'ils soient effectués en magasin ou sur internet ;

Considère que cette approche bénéficiera tout autant aux consommateurs qu'aux entreprises ;

Souligne que l'assurance d'un niveau de protection élevé est une condition de l'adhésion des consommateurs au marché unique numérique et une condition de réussite de la politique de l'Union européenne ;

Rappelle que l'article 169 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne énonce qu'en matière de protection des consommateurs, les mesures adoptées par l'Union européenne « ne peuvent empêcher un État membre de maintenir ou d'établir des mesures de protection plus strictes » ;

Considère, en conséquence, qu'une harmonisation maximale des règles concernant les contrats de vente, qui interdirait aux États membres d'adopter des dispositions plus protectrices pour les consommateurs est contraire à la lettre et à l'esprit du traité ;

Juge en outre que l'évaluation de la directive 99/44/CE sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation n'a pas fait la preuve que l'harmonisation minimale est un frein aux échanges transfrontières dans l'Union européenne ;

Estime que l'harmonisation maximale prévue par la Commission européenne à l'article 3 de la proposition de directive sur certains aspects des contrats de vente de biens serait défavorable aux consommateurs européens et ferait peser le risque d'un abaissement du niveau de protection des consommateurs français ;

Demande, en conséquence que la future directive concernant certains aspects des contrats de vente de biens soit une directive d'harmonisation minimale ;

Invite le Gouvernement à soutenir ces orientations et à les faire valoir dans les négociations en cours.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Jeudi 1 er février 2018

Secrétariat général des affaires européennes auprès du Premier ministre :

M. Renaud HALEM , chef du secteur JUD

Mme Lucile GERNOT , adjointe au chef de secteur

Lundi 5 février 2018

M. Pascal DURAND , député européen

Mercredi 14 février 2018

Ministère de la Justice :

Mme Aurélia SCHAFF , conseillère de la Garde des sceaux chargée de l'Europe et des relations internationales

Direction des Affaires civiles et du Sceau :

Mme Marie-Charlotte DREUX , cheffe du bureau du droit des obligations

Mme. Sophie CHAIGNEAUX , rédactrice.

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