OBSERVATIONS

La directive (UE) n° 2016/943 du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulguées contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites vise à favoriser le développement de l'innovation et le maintien des avantages concurrentiels des entreprises européennes au sein du marché intérieur.

Plus particulièrement, elle définit :

- la nature des informations protégées au titre des secrets d'affaires ;

- les conditions dans lesquelles des secrets d'affaires peuvent être légitimement obtenus ;

- les comportements illicites d'obtention, d'utilisation ou de divulgation de secrets d'affaires ;

- les cas dans lesquels la protection des secrets d'affaires n'est pas opposable ;

- enfin, les mesures susceptibles d'être prises par le juge civil pour empêcher, faire cesser ou réparer une atteinte à des secrets d'affaires ;

Vu les articles 288 et 114 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,

Vu l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne,

Vu l'accord de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) sur les aspects de droit de propriété intellectuelle touchant au commerce dit ADPIC, annexé au traité de Marrakech du 14 avril 1994,

Vu le règlement (CE) n° 2271/96 du Conseil du 22 novembre 1996 portant protection contre les effets de l'application extraterritoriale d'une législation adoptée par un pays tiers ainsi que des actions fondées sur elle ou en découlant,

Vu la directive (UE) n° 2016/943 du Parlement et du Conseil du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulguées (secrets d'affaires) contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites,

Vu la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l'environnement,

Vu la résolution européenne du Sénat n° 154 (2013-2014) sur la proposition de directive relative à la protection des secrets d'affaires,

Vu la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, portant transposition de la directive du Parlement et du Conseil du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulguées contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation,

la commission des affaires européennes fait les observations suivantes :

Sur la nature du secret d'affaires et de la procédure qui en assure la protection :

Elle constate que la proposition de loi s'inscrit effectivement dans la logique de la directive qu'elle transpose en n'insérant pas les dispositions relatives au secret d'affaires dans le code de la propriété intellectuelle, marquant ainsi que le secret d'affaires, auquel ne sont pas attachés des droits exclusifs, relève d'un dispositif de protection spécifique ;

Elle observe que, conformément au souhait du Sénat, la directive n'exige pas qu'un régime spécifique de responsabilité civile soit mis en place, au fond comme en matière procédurale ;

Elle relève que, sauf dispositions spécifiques prévues par la directive, la proposition de loi renvoie en conséquence implicitement au droit commun de la procédure civile, par exemple en matière de prescription ;

Sur l'étendue et l'opposabilité du secret d'affaires :

Elle constate avec satisfaction que, conformément à la résolution du Sénat, la directive reprend la définition des secrets d'affaires figurant dans l'accord ADPIC ;

Elle observe toutefois que le texte adopté par l'Assemblée nationale a réduit les modes d'acquisition licites de secrets d'affaires en ne reprenant pas toute pratique « conforme aux usages honnêtes en matière commerciale » qu'elle aurait pu transcrire, comme elle l'a fait à l'article suivant comme toute pratique « conforme aux usages en matière commerciale » ;

Elle constate en revanche que la proposition de loi précise la portée du critère de la valeur commerciale de l'information, qui est l'un des trois éléments constitutifs de la définition du secret d'affaires, en reprenant l'indication figurant au considérant 14 de la directive selon laquelle la valeur commerciale peut être effective ou potentielle ;

Elle relève toutefois que le texte adopté indique qu'une mesure de protection raisonnable consiste notamment en la mention explicite que l'information est confidentielle, ce qui pourrait laisser à penser, alors que la directive n'exige pas une telle mesure de protection de ce secret, que l'absence d'une telle mention pourrait être considérée comme excluant la qualification de secret d'affaires ;

Elle observe en outre que l'exigence d'une violation des mesures de protection mises en place par le détenteur légitime d'un secret d'affaires, prévue par la proposition de loi, n'est pas un élément nécessaire pour que l'atteinte au secret d'affaires soit constituée au titre de la directive et réduit dès lors la portée de la protection que prévoit la directive ;

Elle constate également que la constitution de l'atteinte au secret d'affaires en cas de production, d'offre ou de mise sur le marché, d'importation, d'exportation ou de stockage de produits résultant de l'exploitation d'un secret d'affaires est subordonnée par la proposition de loi à une condition de significativité, ce qui a pour effet de réduire la portée de la protection prévue par la directive ;

Sur la portée des exceptions destinées à garantir la liberté d'expression et le droit à l'information :

Elle constate que le texte adopté fait opportunément référence à la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, que mentionne la directive et qui garantit la liberté d'information ;

Elle relève en outre que, conformément à la charte de l'environnement qui fait partie du bloc de constitutionnalité depuis 2004, la portée de la dérogation au secret d'affaires au nom de la protection de l'ordre public a été complétée pour ajouter la protection de l'environnement au nombre des intérêts légitimes reconnus par le droit de l'Union ou le droit national qui peuvent justifier une atteinte au secret d'affaires et dont la directive donne une liste non limitative ;

Elle observe par ailleurs qu'alors que l'article 5 de la directive prévoit que les entreprises ne pourront pas obtenir en justice des mesures conservatoires, en particulier d'interdiction de publication ou de réparation en cas de révélation au public, par un lanceur d'alerte ou un journaliste exerçant son droit à la liberté d'expression, d'informations couvertes par le secret d'affaires, le texte de transposition prévoit qu'en pareil cas le secret d'affaires n'est pas protégé ;

Sur la réparation du dommage causé par une atteinte au secret d'affaires :

Elle relève que la proposition de loi précise utilement que la perte de chance est l'un des critères d'évaluation non limitatifs du préjudice subi du fait d'une atteinte au secret d'affaires, en cohérence avec la précision apportée au critère de la valeur commerciale, effective ou potentielle, de l'information ainsi protégée  ;

Elle constate que, comme l'y autorise la directive, la proposition de loi permet au juge d'ordonner d'office la publicité de la décision sur l'obtention, l'utilisation ou la divulgation illicites d'un secret d'affaires ;

Elle observe que la proposition de loi prévoit un régime autonome d'amende civile, sans préjudice de la réparation du dommage causé à la victime, non prévu par la directive mais que celle-ci n'exclut pas, en cas d'utilisation abusive des mesures de protection du secret d'affaires ;

Sur le respect du contradictoire au cours de la procédure :

Elle constate que l'équilibre trouvé par la directive entre la nécessité de protéger le secret d'affaires et le respect des droits de la défense et du contradictoire répond à la préoccupation formulée par le Sénat dans sa résolution ;

Sur les travaux complémentaires à envisager au niveau européen :

Elle précise qu'elle suivra avec attention les discussions sur la proposition de directive annoncée par la Commission européenne sur les lanceurs d'alerte et en proposera une analyse dans un délai qui permettrait au Sénat d'adopter une proposition de résolution européenne puis qu'elle assurera le suivi des discussions au niveau européen ;

Elle estime qu'il est indispensable d'approfondir la question du cantonnement de l'application extraterritoriale des lois étrangères qui a des conséquences financières directes et des effets anticoncurrentiels sur les entreprises européennes, notamment en relançant l'actualisation du règlement (CE) n°2271/96 du Conseil du 22 novembre 1996 portant protection contre les effets de l'application extraterritoriale d'une législation adoptée par un pays tiers, engagée par la Commission européenne le 25 février 2015 mais qui n'a pas connu de suites à ce jour.

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