CHAPITRE III : LE RENSEIGNEMENT D'INTÉRET ÉCONOMIQUE, UN ENJEU DE PUISSANCE

Après avoir, pendant plusieurs années, concentré ses travaux sur le dispositif de lutte contre le terrorisme, la délégation parlementaire au renseignement s'est penchée, en 2017, sur un autre volet essentiel de la politique publique du renseignement : le renseignement d'intérêt économique.

Comme rappelé en avant-propos, les échéances électorales de l'année passée ayant toutefois décalé le début de ses travaux à l'automne 2017, la délégation a choisi de poursuivre sa réflexion sur cette question au cours des prochains mois, eu égard à l'ampleur et à l'importance du sujet.

Compte tenu des travaux engagés par le Gouvernement en vue d'une réorganisation des structures concourant à la production et au traitement du renseignement d'intérêt économique, elle a toutefois estimé utile de présenter, dès à présent, un premier état de ses constats (I) ainsi que de formuler quelques propositions susceptibles d'orienter les choix de l'exécutif (II).

I. LE RENSEIGNEMENT D'INTÉRÊT ÉCONOMIQUE, UN INSTRUMENT EN COURS DE RÉNOVATION

Dans un contexte de compétition économique accrue, parfois même agressive, l'intervention des pouvoirs publics au soutien de nos entreprises constitue une priorité pour assurer le maintien de la France au rang des grandes puissances.

S'il s'inscrit nécessairement dans un panel d'outils et d'actions plus large, le renseignement d'intérêt économique a fait l'objet d'une redéfinition récente et d'un investissement intellectuel plus important, au profit d'une politique ambitieuse de protection et de promotion des intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la Nation. Sa production et son traitement pâtissent toutefois de circuits encore complexes, qui nécessitent de conduire une réflexion sur une meilleure articulation des acteurs.

A. UN INSTRUMENT RÉCEMMENT REVALORISÉ POUR FAIRE FACE À L'INTENSIFICATION DE LA « PRÉDATION ÉCONOMIQUE »

1. Des entreprises confrontées à des risques croissants de prédation

Comme le constatait déjà le président Jean-Jacques Urvoas dans le rapport d'activité de la délégation parlementaire au renseignement de 2014, la prédation économique n'a jamais été aussi prégnante au niveau international. Dans un contexte de compétition économique mondiale exacerbée, nos entreprises sont en effet confrontées à des menaces de plus en plus nombreuses qui, au-delà du risque individuel, mettent en péril la pérennité du patrimoine économique national.

L'ensemble des acteurs entendus par la délégation au cours de ses travaux s'accordent sur la persistance, voire l'intensification, d'un espionnage économique agressif, orienté vers la captation d'informations et de données stratégiques .

Au-delà des méthodes d'ingérence plus anciennes (intrusion, vol, corruption, etc.), la menace cybercriminelle tend à devenir, compte tenu de la numérisation croissante de notre économie, la voie privilégiée d'ingérence économique. La multiplication des attaques informatiques, qu'elles soient conduites à des fins de captation d'une technologie ou de savoir-faire, de sabotage ou encore de chantage, constitue un risque majeur de déstabilisation de notre tissu économique, qui pâtît encore d'une culture de sécurité, notamment informatique, très largement déficitaire.

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Au-delà de ces atteintes illégales, la compétition économique se traduit également par le développement de stratégies économiques agressives qui, bien que parées des vertus de la légalité, n'en présentent pas moins un risque économique majeur .

Si elles s'exercent dans un cadre légal, les tentatives de prise de contrôle capitalistiques par des investisseurs étrangers, notamment lorsqu'elles concernent des entreprises stratégiques, peuvent ainsi être à l'origine de risques importants en matière de fuite de technologies ou d'approvisionnements.

De nombreux pays tendent par ailleurs à faire de la législation une véritable arme d'ingérence économique . Si l'exemple de la législation américaine, notamment en matière d'anticorruption, demeure le plus illustratif, de nombreux autres Etats adoptent des législations de portée extraterritoriale qui affectent l'ensemble des entreprises au niveau mondial.

La législation anticorruption américaine : un impact majeur pour nos entreprises

Depuis l'adoption du Foreign Corrupt Practices Act en 1977, les Etats Unis ont développé une politique extraterritoriale de lutte contre la corruption permettant aux juridictions américaines de poursuivre toute entreprise qui ne respecterait pas leur législation, dès lors qu'existe un rattachement avec le territoire américain (transaction libellée en dollars, serveur internet basé aux Etats-Unis, filiale sur le territoire américain, etc.).

Au-delà des lourdes amendes susceptibles d'être infligées aux entreprises, cette législation permet au Department of Justice américain de négocier une transaction avec l'entreprise concernée, selon la procédure dite du deal of justice : en contrepartie d'un abandon des poursuites et d'un abaissement significatif des peines encourues, l'entreprise s'engage à faire preuve d'un comportement exemplaire et, pour prouver sa bonne foi, accepte la mise en place d'un moniteur en son sein, autorisé à accéder à l'intégralité des informations de l'entreprise en vue de la rédaction d'un rapport annuel. Bien que laissé à l'appréciation de l'entreprise, le choix du moniteur est soumis à l'approbation du gouvernement américain, dès lors en mesure d'imposer un moniteur américain.

Or, le Foreign Intelligence Surveillance Act autorise les services de renseignement américain à accéder à toute information qu'ils estiment nécessaires, y compris les rapports de monitorats, leur donnant donc un accès complet potentiel aux informations confidentielles d'entreprises étrangères.

Enfin, et sans porter une atteinte directe aux intérêts d'une entreprise spécifique, l'engagement à peine dissimulé de certains Etats en soutien à leurs entreprises, notamment dans le cadre de grands contrats civils et militaires internationaux, contribue à exacerber la concurrence économique au niveau international et à menacer les positions de nos entreprises sur les marchés mondiaux, voire leur pérennité lorsqu'elles sont fortement dépendantes de l'exportation.

Sur ce point encore, les Etats-Unis se distinguent par un investissement massif de l'appareil étatique en appui aux grandes entreprises américaines. En 1993 a ainsi été créé, au sein du Département du Commerce, l' Advocacy Center, dont la mission est de centraliser l'ensemble des informations, y compris produites par les services de renseignement, en vue de soutenir les projets américains dans le cadre des grands contrats internationaux.

2. Un cadre légal et doctrinal du renseignement d'intérêt économique rénové

Face à l'intensification des menaces et à l'augmentation des risques de déstabilisation pesant sur nos entreprises, la maîtrise de l'information et du renseignement est devenue un enjeu de puissance et un facteur essentiel de la protection des intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la Nation.

Fort de ce constat, l'Etat paraît avoir pris conscience, depuis quelques années, de l'importance de l'information stratégique en matière économique et a engagé une réorientation de son appareil de renseignement afin qu'il appuie le plus efficacement possible la conduite de la politique économique publique non seulement en matière de sécurité économique, mais également en matière de promotion économique.

Alors qu'elle déplorait, en 2014, la trop faible prise en compte du renseignement économique dans la politique publique du renseignement et, plus globalement, comme outil de la politique économique, la délégation a ainsi pu constater, avec satisfaction, les engagements pris par les autorités pour revaloriser et mieux orienter le renseignement d'intérêt économique , et ce malgré la prégnance de la menace terroriste sur le territoire national qui mobilise des moyens de renseignement très importants.

Cette évolution, qui ne peut qu'être saluée, a été engagée dans un contexte plus global de réorganisation de la politique publique d'intelligence économique, qui, malgré plusieurs réformes de structures, n'avait jusqu'alors pas apporté de résultats probants.

Les tentatives de mise en oeuvre d'une politique d'intelligence économique en France

Entre 1995 et 1997, à la suite de la publication du rapport Martre 3 ( * ) , une première tentative de lancement d'une politique publique d'intelligence économique voit le jour, dont la mise en oeuvre est confiée au secrétariat général de la défense nationale (SGDN).

Comme le relevait le rapport de Bernard Carayon rendu au Premier ministre en 2003 4 ( * ) , cette première tentative portait en elle, dès sa conception, les raisons de son échec, en confiant à une administration, certes interministérielle mais faiblement reliée au monde des entreprises, la mission d'engager une politique d'intelligence économique. Ce rapport proposait la création d'une structure interministérielle ad hoc , chargée de lancer une réflexion en vue de la définition et de la mise en oeuvre d'une véritable politique publique de compétitivité et de sécurité économique.

En 2003 est nommé un haut responsable à l'intelligence économique, autorité à vocation ministérielle mais qui demeurait rattachée au Secrétariat général de la défense nationale (SGDN) 5 ( * ) . En parallèle, différentes structures sont créées au sein des ministères afin de décliner, au sein de chaque ministère, la politique publique d'intelligence économique.

En 2009, une nouvelle évolution des structures administratives chargées de la politique publique d'intelligence économique est conduite : le haut responsable à l'intelligence économique est remplacé par un délégué interministériel à l'intelligence économique (D2IE), rattaché non plus au SGDN mais directement au Premier ministre.

En 2016, cette dernière structure a été supprimée, ses moyens étant transférés au nouveau commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économique, rattaché au ministre de l'économie et des finances, et chargé, en collaboration avec le SGDSN et les autres ministères concernés, de piloter la politique de protection et de promotion des intérêts économiques, industriels et scientifiques de la Nation. Le commissaire s'appuie sur un service à compétence nationale, le service de l'information stratégique et de la sécurité économique (SISSE), placé auprès de la direction générale des entreprises du ministère de l'économie et des finances.

La loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement a marqué une première étape majeure en inscrivant le renseignement économique parmi les finalités de la politique publique de renseignement mentionnées à l'article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure. Ainsi est désormais consacrée la possibilité pour les services spécialisés de renseignement de recourir aux techniques de renseignement pour le recueil de renseignements relatifs à la défense et à la promotion des « intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France ».

Adopté par le conseil national du renseignement en 2017, le dernier plan national d'orientation du renseignement (PNOR) , qui décline, sur une base pluriannuelle, les orientations de la stratégie nationale du renseignement et fixe des priorités assignées aux services de renseignement, a, dans la même logique, rénové en profondeur l'approche en matière de renseignement d'intérêt économique, pour lui accorder une place beaucoup plus centrale que dans le cadre des plans précédents et mieux orienter les services .

La double finalité du renseignement d'intérêt économique, défensive d'une part, offensive d'autre part, est désormais sanctuarisée et déclinée en axes opérationnels afin de mieux orienter l'activité des services de renseignement.

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La déclinaison et le suivi, sur le plan opérationnel, du PNOR relève de la coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT), qui veille au respect, par les services de renseignement, du cadre stratégique et opérationnel qui leur est fixé.

B. UN CYCLE DU RENSEIGNEMENT ECONOMIQUE QUI PÂTIT DE LA DÉSORGANISATION DES STRUCTURES ADMINISTRATIVES

Malgré les réformes engagées, force est de constater que l'ambition consistant à faire du renseignement d'intérêt économique un véritable instrument de la politique économique pâtit encore, dans notre pays, d'une désorganisation administrative qui nuit à l'orientation et à la rationalisation des demandes adressées aux services de renseignement ainsi qu'au traitement des renseignements recueillis.

1. Le dispositif de sécurité économique : un millefeuille administratif encore insuffisamment coordonné

a) Une coordination défaillante au niveau central

Le réinvestissement du champ du renseignement d'intérêt économique par les pouvoirs publics s'est accompagné d'une réforme des structures administratives pilotant le dispositif de sécurité économique .

Créé par le décret n° 2016-66 du 29 janvier 2016, dans le but de rationnaliser une politique qui relevait jusqu'alors de plusieurs acteurs, le Commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économique (CISSE) s'est ainsi vu confier un rôle de pilote en matière de sécurité économique. Alors que la délégation interministérielle à l'intelligence économique, dont il a hérité des moyens, était placée auprès du Premier ministre, le CISSE a été rattaché directement au ministre de l'économie , mettant ainsi le dispositif en conformité avec le code de la défense, qui confie la conduite de la politique de sécurité économique à ce ministre.

Aux termes du décret précité, le CISSE est chargé d'assurer la coordination de l'ensemble des ministères et des administrations, hors secteur de la défense, et d'identifier les secteurs, technologies et entreprises stratégiques à protéger . Il s'appuie, pour l'exercice de ses missions, sur le service à l'information stratégique et de la sécurité économique (SISSE), qui dépend de la direction générale des entreprises du ministère de l'économie et des finances.

Si sa mission s'étend à d'autres composantes de la politique économique, le CISSE joue un rôle majeur pour orienter le travail des services de renseignement en matière de sécurité économique . *****

D'autres acteurs continuent toutefois de participer, en parallèle du CISSE, à l'animation de la politique publique de sécurité économique.

S'il a perdu, depuis 2009, son rôle de coordination et d'animation en matière de sécurité économique , le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) contribue activement à la politique de sécurité économique, notamment au titre de son rôle en matière de protection des opérateurs d'importance vitale, de protection du potentiel scientifique et technologique de la Nation et de protection des approvisionnements stratégiques et de contrôle des exportations d'armements et des biens à double usage.

La direction générale de l'armement du ministère des armées, qui dispose d'un service des affaires industrielles et de l'intelligence économique, exerce également une compétence en matière de sécurité économique, notamment dans le cadre de sa mission de développement et de protection de la base industrielle et technologique de défense. Elle exerce, à cette fin, un rôle de veille s'agissant des risques industriels et des situations difficiles en matière de défense.

Enfin, la direction générale du Trésor est impliquée dans la politique de sécurité économique, notamment dans le cadre du contrôle des investissements étrangers en France et aux fins de préservation des intérêts patrimoniaux de l'Etat.

Ces administrations contribuent, en parallèle du CISSE, au recensement des secteurs, technologies et entreprises stratégiques et, par conséquent, à l'orientation de l'activité des services de renseignement, avec lesquels ils entretiennent des relations directes et nourries.

Ainsi, si elle exploite de multiples sources d'information ouverte, la direction générale de l'armement s'appuie également sur le renseignement, que lui fournit principalement la direction du renseignement et de la sécurité de la Défense (mouvements capitalistiques concernant des industries de défense, informations pour contrer les transferts de savoir-faire à l'étranger, etc.).

De la même manière, la direction générale du Trésor entretient des relations étroites et directes avec les services de renseignement, notamment la DGSI et la DGSE : elle fournit, chaque année, une contribution aux services définissant des priorités en matière de renseignement d'intérêt économique, complétée, si nécessaire, par des sollicitations ponctuelles pour des besoins d'informations complémentaires.

Si la coexistence de plusieurs acteurs ne soulève pas, en soi, de difficulté, la délégation a pu constater, au cours de ses auditions, que, faute de coordination suffisante, le dispositif mis en oeuvre était encore loin d'avoir démontré son efficacité.

Les personnalités et institutions entendues, y compris le commissaire lui-même 6 ( * ) , s'accordent en effet unanimement à constater que le CISSE n'a pas su, à ce jour, trouver sa place. Malgré sa vocation interministérielle, il paraît en effet avoir éprouvé des difficultés à affirmer son autorité et à assurer la coordination entre les différents ministères concernés par la mise en oeuvre de la politique de sécurité économique, notamment à l'occasion du recensement des secteurs, technologies et entreprises stratégiques.

Ainsi, si certains ministères ont activement participé à ce recensement, d'autres ont fait preuve d'une certaine réticence ou d'un manque d'intérêt 7 ( * ) à adresser au commissaire les informations requises. Au demeurant, le CISSE, qui s'appuie sur un service rattaché à la direction générale des entreprises, n'a pas su affermir sa place de coordonnateur au sein même des ministères économiques et financiers, notamment à l'égard de la direction générale du Trésor, qui a gardé la main sur un volet important de la politique de sécurité économique.

Une telle situation n'est pas sans conséquence pour la cohérence de la politique de sécurité économique. *****

Force est par ailleurs de constater qu'un déficit notable de coordination existe également entre le CISSE et les autres grands donneurs d'ordre, en particulier le SGDSN. *****

b) Un dispositif territorial en cours de structuration

Conformément aux orientations initialement fixées par une circulaire du Premier ministre du 15 septembre 2011, le dispositif de sécurité économique se décline également au niveau territorial.

Le préfet de région, préfet responsable de la zone de défense et de sécurité, assure l'exécution, au niveau local, de la politique de sécurité nationale, qui inclut la politique de sécurité économique. Il est chargé, à travers son secrétariat général pour les affaires régionales, de la coordination de l'ensemble des acteurs impliqués en matière de sécurité économique sur le territoire, à savoir le délégué à l'information stratégique et à la sécurité économique de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, les référents intelligence économique des autres services déconcentrés de l'Etat ainsi que les représentants territoriaux des services de renseignement 8 ( * ) . Le secrétariat général pour les affaires régionales s'appuie, dans la mise en oeuvre de la politique de sécurité économique, sur un réseau de sous-préfets à l'intelligence économique, désignés dans chaque département, chargés de décliner cette politique au sein des territoires.

La création du CISSE en 2016 s'est accompagnée de la rénovation des dispositifs de gouvernance de la politique d'intelligence économique au niveau territorial.

Selon les instructions données aux préfets de région, le pilotage du dispositif d'intelligence économique territoriale et de sécurité économique devrait désormais reposer sur deux structures :

- un comité régional à l'intelligence économique territoriale (CRIET) : présidé par le préfet de région, il se réunit une fois par an pour définir les orientations de la politique d'intelligence économique territoriale et en fixer la déclinaison au moyen d'une feuille de route. Il regroupe sous l'autorité du préfet délégué à la sécurité, la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, la direction régionale des douanes, la chambre de commerce et d'industrie de région et les représentants régionaux de la gendarmerie nationale et de la direction générale de la sécurité intérieure ;

- un comité régional de sécurité et d'information stratégique (CRSIS) : pilotée par le secrétaire général adjoint pour les affaires régionales, il s'agit d'une structure plus opérationnelle, qui se réunit au moins trois fois par an. Elle est chargée d'identifier des entreprises de quelques secteurs ou filières, caractérisés par leur développement, leur attractivité ou leur capacité d'innovation, qui doivent faire l'objet d'une vigilance particulière des services. Ce comité peut se réunir en formation restreinte de manière à traiter d'informations réservées.

Dans la plupart des régions, la mise en place de cette nouvelle gouvernance a débuté à la fin de l'année 2016. Selon les informations communiquées à la délégation, des comités régionaux sont désormais opérationnels et permettent de faciliter la coordination entre les services déconcentrés de l'Etat et les services de renseignement.

Une forte déconnexion entre le niveau central et les services déconcentrés de l'Etat peut en revanche être déplorée dans la mise en oeuvre de la politique publique de sécurité économique . Dans la pratique, en effet, les préfectures de région n'ont été ni impliquées dans le recensement des secteurs, technologies et entreprises stratégiques, ni *****, interrogeant la cohérence de l'ensemble du dispositif.

2. Un dispositif fluctuant de promotion des intérêts économiques de la France

De même qu'en matière de sécurité économique, la politique de promotion économique repose sur plusieurs acteurs, qui contribuent, chacun, à alimenter les services de renseignement de demandes d'informations et d'interventions.

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C. UN ENGAGEMENT DES SERVICES SUR LE RENSEIGNEMENT D'INTÉRÊT ECONOMIQUE QUI SE HEURTE A PLUSIEURS OBSTACLES

1. Une augmentation et une structuration des moyens consacrés à la production du renseignement d'intérêt économique

Malgré l'accent mis, au cours des dernières années, sur la lutte contre le terrorisme, la production du renseignement d'intérêt économique représente aujourd'hui une part significative de l'activité des services de renseignement.

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Face à l'importance récente donnée à la finalité économique du renseignement, les services ont engagé un renforcement et une réorganisation des moyens alloués à la production du renseignement d'intérêt économique.

a) La DGSE et la DGSI, principaux producteurs du renseignement d'intérêt économique

Principaux contributeurs historiques au renseignement d'intérêt économique, la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ont investi sur cette finalité au cours des dernières années, afin d'augmenter leurs capacités de veille et de réponse.

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Chef de file en matière de sécurité économique pour les entités de la sphère civile, notamment au titre de sa compétence en matière de contre-ingérence et de contre-espionnage, la DGSI dispose, au sein de sa direction du renseignement et des opérations, d'une sous-direction dédiée.

Outre un rôle de sensibilisation des entreprises sur les enjeux liés à la protection de l'information stratégique et à l'ingérence économique étrangère, elle assure une mission de veille en matière d'atteintes aux entreprises et de suivi attentif des entités, publiques ou privées, relevant de secteurs identifiés comme stratégiques au regard des intérêts économiques nationaux.

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Alors même que la délégation au renseignement appelait de ses voeux, en 2014, un engagement massif de la DGSI en matière économique, force est de constater que le service a fortement investi dans ce domaine. La délégation se félicite notamment de l'augmentation conséquente des moyens alloués à cette finalité, malgré l'engagement massif du service en matière de contre-terrorisme au cours des dernières : *****

b) La DRSD, service de contre-ingérence du secteur de la défense

Service de renseignement du premier cercle rattaché au ministère des armées, la direction du renseignement de la sécurité et de la défense a pour principale mission d'assurer la protection du personnel militaire, des informations, du matériel et des installations sensibles.

Elle assure, à cet égard, un rôle central en matière de contre-ingérence économique, constituant le pendant de la DGSI pour les entreprises relevant du secteur de la défense. A ce titre, elle est en relation avec la DGSE s'agissant des menaces et enjeux du secteur.

Ses missions sont principalement au nombre de trois. Elle entretient, en premier lieu, un contact direct avec les acteurs privés du secteur de la défense pour sensibiliser, conseiller et entraver les menaces.

Elle possède, par ailleurs, un rôle majeur en matière de détection des tentatives d'ingérence ou d'intrusion.

Enfin, elle intervient pour assurer la protection des entreprises sensibles, à deux niveaux. Responsable de la protection du secret de la défense nationale, elle est chargée de l'instruction des dossiers d'habilitation et veille au respect des procédures, par les ***** entreprises habilitées au secret de la défense nationale. Par ailleurs, la DRSD est chargée d'animer et de mettre en oeuvre, auprès des entreprises, le dispositif de protection du patrimoine scientifique et technique, qui vise à protéger les accès aux savoirs, savoir-faire et technologies les plus sensibles des établissements publics et privés.

c) Une participation plus indirecte mais essentielle des autres services de renseignement

Bien qu'ils ne soient que rarement impliqués en première ligne dans la gestion d'un dossier, d'autres services de renseignement, du premier comme du second cercle, contribuent activement à la production de renseignement d'intérêt économique et assurent, à cet égard, une veille essentielle, notamment à des fins de sécurité économique.

• Il en est notamment ainsi de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) , qui, grâce au volume important de renseignements qu'elle collecte en matière économique et financière, contribue à informer tant les autorités que les autres services de renseignement des menaces pesant sur notre économie. Elle est notamment active dans les domaines de la lutte contre les violations des droits de propriété intellectuelle ainsi qu'en matière de préservation des intérêts patrimoniaux de l'Etat (détection des fraudes fiscales et financières, des fraudes sur les droits indirects, lutte contre l'ingérence étrangère, etc.).

Compte tenu de la priorité donnée au renseignement d'intérêt économique et de ses compétences de contrôle et d'audit auprès des entreprises ayant des activités de commerce international, la DNRED a engagé un processus de structuration de son action dans ce domaine, *****.

La délégation salue ces évolutions, qui contribueront à améliorer à la fois l'utilité et la qualité du renseignement produit.

• S'il ne fournit, à lui seul, que peu de notes aux hautes autorités relatives à des enjeux de protection ou de promotion des intérêts économiques de la Nation, Tracfin n'en est pas moins, en raison de sa spécialisation sur le renseignement financier, fortement sollicité par les autres services de renseignement, ***** dans le cadre de la production du renseignement d'intérêt économique. Afin de répondre à des demandes de plus en plus nombreuses des services, le service s'est, depuis juillet 2015, organisé afin d'améliorer son activité en matière de renseignement d'intérêt économique, *****.

Depuis le 1 er janvier 2017, Tracfin dispose en outre de la faculté, en application de l'article L. 561-31 du code monétaire et financier, de transmettre au CISSE des notes relatives à des déclarations de soupçons, prérogative utilisée, selon les informations transmises à la délégation, à reprises en 2017.

• Enfin, les services de renseignement territoriaux de la police et de la gendarmerie nationale, grâce à leur maillage territorial très dense, remplissent une fonction importante de veille en matière de sécurité économique.

Le service central du renseignement territorial (SCRT) , rattaché à la direction centrale de la sécurité publique (DCSP), bénéficie d'une compétence sur l'ensemble du territoire, y compris dans la zone de gendarmerie et appréhende le renseignement économique sous plusieurs angles. *****

La sous-direction de l'anticipation opérationnelle (SDAO) de la direction de la gendarmerie nationale (DGGN), s'est, depuis 2014, date de sa création, également structurée afin de mieux prévenir les atteintes à la sécurité économique et renseigner sur les menaces qui pèsent sur les entreprises.
*****

2. Une production du renseignement d'intérêt économique perfectible

a) Les services confrontés à un manque de hiérarchisation des demandes

Malgré le renforcement de leurs moyens, notamment humains, et les efforts réalisés pour améliorer les procédures de production du renseignement d'intérêt économique, certains services de renseignement paraissent se heurter à des difficultés de traitement et de hiérarchisation des demandes toujours plus nombreuses qui leur sont adressées par les autorités .

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La délégation souhaite attirer l'attention sur le fait qu'un telle situation, loin d'être satisfaisante, risque de nuire tant à l'efficience qu'à la pertinence du renseignement produit : d'une part, le manque de hiérarchisation des demandes fait courir le risque aux services de passer à côté des enjeux essentiels en matière économique ; d'autre part, il conduit à disperser les ressources sur des dossiers qui peuvent ne pas être les plus prioritaires pour les autorités.

En parallèle, plusieurs services de renseignement territorial ont regretté ne pas disposer d'orientations précises quant à leur activité en matière de sécurité économique. *****

Enfin, certains services de renseignement ont déploré ne pas disposer de retours suffisants, de la part des administrations destinataires du renseignement, sur la qualité et la pertinence des éléments transmis. Or, de tels retours d'expérience paraissent indispensables pour leur permettre de mieux orienter leurs capteurs et d'affiner leur stratégie de recherche du renseignement économique.

b) Un recours encore contesté aux techniques de renseignement

Comme rappelé précédemment, depuis la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement, les services de renseignement sont autorisés à recourir, en vertu de l'article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure, aux techniques de renseignement pour le recueil de renseignements relatifs à la défense et à la promotion des « intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France ».

L'ensemble des services de renseignement entendus par la délégation au cours de ses travaux a toutefois fortement regretté que les demandes de techniques de renseignement qu'ils formulent dans le cadre de cette finalité se heurtent, dans la pratique, à un nombre important d'avis défavorables de la part de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) .

Les statistiques dont dispose à ce jour la délégation semblent confirmer cette difficulté. *****

La délégation s'interroge sur le nombre conséquent d'avis défavorables formulés par la CNCTR par rapport aux demandes adressées au titre des autres finalités de la politique publique de renseignement. D'autant qu'en 2015, à l'occasion de l'examen du projet de loi relatif au renseignement, le législateur a fait le choix d'une définition large des intérêts économiques, industriels et scientifiques en préférant le qualificatif « majeurs » au qualificatif « essentiels », considéré comme plus restrictif.

Interrogé sur ce point par la délégation, le président de la CNCTR a indiqué que la CNCTR avait choisi, en la matière, de n'adopter aucune doctrine générale au profit d'une approche pragmatique, au cas par cas. Pour chaque demande dont elle est saisie, la CNCTR fonde son appréciation non pas sur ce que l'Etat aurait défini, *****, comme présentant un intérêt majeur, mais sur une appréciation « propre » de ce qu'elle estime comme tel.

La délégation s'étonne d'une telle approche, qui lui parait nuire à la cohérence et à l'efficacité du dispositif de production et de traitement du renseignement d'intérêt économique et appelle à une plus grande fluidité dans la communication à la CNCTR d'éléments d'appréciation sur le caractère stratégique des demandes.

II. ACHEVER LA REFONTE DU RENSEIGNEMENT D'INTÉRET ECONOMIQUE AU BENEFICE D'UNE POLITIQUE ECONOMIQUE AMBITIEUSE

Objet d'une nouvelle réflexion interministérielle, les politiques de sécurité économique et de promotion économique, qui s'appuient, en grande partie, sur le renseignement d'intérêt économique, devraient, au cours des prochains mois, faire l'objet d'évolutions significatives.

Aussi, bien qu'elle n'ait pas achevé ses travaux, la délégation a estimé utile, au regard des constats précédemment énoncés, de formuler dès à présent quelques propositions d'évolution des dispositifs mis en oeuvre.

A. DÉFINIR, AU PLUS HAUT NIVEAU DE L'ETAT, UNE DOCTRINE CLAIRE EN MATIÈRE DE RENSEIGNEMENT ÉCONOMIQUE

Les tâtonnements, au cours des vingt dernières années, de la politique publique d'intelligence économique, dont la dénomination a, depuis 2016, été abandonnée au profit d'une politique dite de protection et de promotion des intérêts économiques, industriels et scientifiques de la Nation, paraissent être le fruit d'une impulsion politique insuffisante.

Si politique ambitieuse il doit y avoir en matière de sécurité et de promotion économiques, elle ne saurait en effet s'appuyer sur les seules structures administratives, sans impulsion politique durable.

Entendu par la délégation, le directeur de cabinet du Premier ministre a précisé, à cet égard, qu'était à l'étude la proposition de réunir, sur une base semestrielle, un conseil de défense et de sécurité nationale consacré spécifiquement aux questions de sécurité économique.

Si, comme il lui a été indiqué, aucune décision définitive n'a été prise sur le sujet, la délégation approuve pleinement cette proposition , qui s'inscrit dans le droit fil des raisonnements précédemment énoncés. Elever la définition des grands axes de la politique de protection et de promotion des intérêts économiques au niveau de cette instance interministérielle, présidée par le Président de la République, lui paraît en effet de nature à maintenir, dans la durée, l'effort engagé en faveur du renseignement d'intérêt économique et à permettre une meilleure orientation du renseignement au service de la politique économique mise en oeuvre par le Gouvernement, et par conséquent à en améliorer à la fois la pertinence et l'utilité.

Sur le plan juridique, la délégation observe, d'ailleurs, que le décret n° 2009-1657 du 24 décembre 2009 relatif au conseil de défense et de sécurité nationale et au secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale fixe parmi les missions du conseil national de défense et de sécurité nationale, la définition des orientations en matière de sécurité économique. Elle estime dès lors qu'il serait pertinent d'adopter, pour les conseils de défense spécifiquement orientés sur les enjeux économiques, comme l'autorise le décret précité, un format élargi par rapport à la formation plénière , qui réunit, outre le Président de la République, le Premier ministre, le ministre de la défense, le ministre de l'intérieur, le ministre chargé de l'économie, le ministre chargé du budget et le ministre des affaires étrangères. Pourraient ainsi utilement être conviés à ces conseils le ministre chargé de la santé ainsi que le ministre chargé de l'énergie et des transports.

Proposition n° 11 : Réunir, sur une base semestrielle, un conseil de défense et de sécurité nationale consacré aux questions de sécurité économique.

S'ils méritent d'être relevés, les efforts récemment engagés pour réinvestir la finalité économique de la politique publique du renseignement ne pourront achever de produire des résultats s'ils ne sont accompagnés de l'affirmation, au plus haut niveau de l'Etat, d'une doctrine claire et précise pour le renseignement d'intérêt économique, clarifiant son rôle en appui de la politique économique.

La concrétisation des ambitions du dernier plan national d'orientation du renseignement nécessite en effet qu'une volonté politique soit impulsée de manière à assurer, d'une part, l'engagement de l'ensemble de l'appareil étatique de l'Etat, et, d'autre part, à fixer des orientations politiques claires pour les services de renseignement et à prioriser les enjeux. *****

En effet, le renseignement d'intérêt économique ne constitue qu'une source d'information parmi d'autres, sur lesquelles les grands donneurs d'ordre de la politique économique peuvent s'appuyer. Or, certains services ***** estiment être sollicités pour produire des informations qui pourrait être fournies sur la base d'autres sources. De l'avis de la délégation, il conviendrait donc que les finalités données à la production du renseignement économique soient mieux définies de manière à éviter de surcharger inutilement les services de renseignement de demandes susceptibles d'être traitées par d'autres moyens.

Au surplus, pour que les efforts déployés par les services pour produire du renseignement d'intérêt économique soient efficacement exploités, il est nécessaire, d'une part, d'impliquer l'ensemble de l'appareil étatique de l'Etat dans le traitement du renseignement, et, d'autre part, de fixer des procédures claires encadrant les relations entre les services de renseignement et les grands donneurs d'ordre de la politique économique.

Proposition n° 12 : Clarifier le rôle assigné au renseignement d'intérêt économique en appui de la politique économique en adoptant, au plus haut niveau de l'Etat, une doctrine du renseignement économique.

Enfin, la délégation tient à souligner que la définition d'une doctrine claire, au plus haut niveau de l'Etat, en matière de renseignement économique, devrait pouvoir être utilement exploitée par la CNCTR afin d'orienter sa pratique en matière de recours aux techniques de renseignement à des fins économiques . Dès lors que des procédures et des priorités claires seront définies, il lui apparaît en effet essentiel que l'ensemble des moyens prévus par le législateur puissent, dans le respect des conditions fixées par la loi, être exploités par les services de renseignement.


* 3 Rapport du Commissariat général du Plan, « Intelligence économique et stratégie des entreprises », 1994

* 4 Rapport de Bernard Carayon, « Intelligence économique, compétitivité et cohésion sociale », juin 2003.

* 5 Désormais devenu Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN).

* 6 M. Jean-Baptiste Carpentier, ancien commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économique, a été entendu par la délégation avant son départ, en décembre 2017.

* 7 Le niveau de sensibilité des ministères aux questions de sécurité économique est très hétérogène et parfois fonction de l'investissement personnel des hauts fonctionnaires de défense et de sécurité.

* 8 Sont notamment impliqués, au niveau local, la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), le service central du renseignement territorial (SCRT), le service de renseignement de la gendarmerie nationale ainsi que la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD).

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