EXAMEN EN DÉLÉGATION

Annick Billon, présidente, co rapporteure . - Mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui pour adopter le rapport d'information de la délégation sur le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Il est assorti de vingt-deux recommandations, précédées de quelques constats d'ensemble.

Je rappelle que nous avons été officiellement saisis par la commission des lois et que ce texte sera examiné par la commission des lois la semaine prochaine, puis en séance les 4 et 5 juillet, en principe.

Je vous invite à être vigilants sur les délais limite en matière de dépôt d'amendement, si vous souhaitez tirer les conséquences de certaines de nos recommandations par des amendements qui seront présentés, je le rappelle, à titre individuel, le cas échéant co-signés.

Je rappelle aussi que nous sommes une équipe de six co-rapporteures, reflétant la diversité politique de notre assemblée. Nous avons voulu être plus forts, par ce consensus, pour porter les demandes de la délégation. La même démarche a guidé l'élaboration du rapport d'information que nous avons adopté mardi , Prévenir et combattre les violences faites aux femmes : un enjeu de société.

Nous allons passer sans plus tarder aux interventions des co-rapporteures. Noëlle Rauscent étant excusée, je vais prononcer en premier lieu son intervention en son nom.

« Mes chers collègues, dans cette présentation à six voix, il me revient de vous présenter les objectifs et les dispositions contenues dans le projet de loi initial, tel qu'il a été adopté en conseil des ministres et déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale. Il comporte cinq articles répartis en quatre titres :

- les articles 1 er et 2 (titre I) concernent le renforcement de la protection des mineurs contre les violences sexuelles ;

- l'article 3 (titre II) adapte la définition du délit de harcèlement au contexte spécifique du cyber-harcèlement ;

- l'article 4 (titre III) crée l'« outrage sexiste » ;

- enfin, l'article 5 (titre IV) porte sur l'application de ces dispositions aux Outre-mer.

Je vais donc présenter plus en détail les articles 1 er à 4 du projet de loi.

L'article 1 er vise la prescription des crimes de nature sexuelle ou violente sur mineurs : il prévoit que l'action publique de ces crimes se prescrit par trente ans (au lieu de vingt) à compter de la majorité des victimes. L'âge maximal d'engagement de l'action publique dans ces situations passerait donc de trente-huit ans à quarante-huit ans révolus. Cette disposition consensuelle est cohérente avec les conclusions de notre rapport sur les violences. La recommandation n° 6 préconise son maintien.

L'article 2 tire les conséquences du débat suscité par des décisions de justice récentes mettant en cause le consentement supposé d'un mineur à une atteinte sexuelle commise par un majeur. Il prévoit :

- de compléter l'article 222-22-1 du code pénal sur la « contrainte morale » exercée en cas d'agression sexuelle, pour prévoir que « lorsque les faits sont commis sur la personne d'un mineur de quinze ans, la contrainte morale ou la surprise peuvent résulter de l'abus de l'ignorance de la victime ne disposant pas de la maturité ou du discernement nécessaire pour consentir à ces actes ». Il importe de préciser que cette rédaction résulte de l'avis du Conseil d'État du 15 mars 2018, qui s'est inspiré de la formule retenue par le code pénal en matière d' « abus d'ignorance ou de faiblesse » (article 223-15-2).

En outre, l'article 2 prévoit d'aggraver les peines prévues par l'article 227-26 relatif à l'atteinte sexuelle commise sur un mineur de quinze ans. En cas de pénétration par une personne majeure, les peines passeraient de cinq à dix ans d'emprisonnement, et de 75 000 à 150 000 euros d'amende.

Enfin, l'article 2 prévoit, à l'article 351 du code de procédure pénale, que le président de la cour d'assises pose systématiquement la question subsidiaire de la qualification de l'atteinte sexuelle, lorsqu'un accusé majeur est poursuivi pour viol sur mineur de quinze ans, et que le viol n'est pas caractérisé. C'est une piste intéressante. Il s'agit de garantir que l'auteur des faits soit sanctionné sur la base de l'atteinte sexuelle, pour éviter l'absence de toute condamnation s'il est acquitté par la cour d'assises.

L'article 3 modifie les articles du code pénal définissant le harcèlement - sexuel et moral - pour l'étendre aux « propos ou comportements [...] imposés à une même victime de manière concertée par plusieurs personnes, alors même que chacune de ces personnes n'a pas agi de façon répétée ».

L'objectif est d'adapter la condition de la répétition, posée par la définition pénale du harcèlement, à des agissements qui, bien qu'uniques, ont en raison de leur concomitance - souvent concertée -les mêmes effets sur les victimes que des faits de harcèlements répétés, c'est-à-dire :

- porter « atteinte à leur dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant » (art. 222-33 du code pénal) ;

- « créer à [leur] encontre une situation intimidante, hostile ou offensante » (art. 222-33 du code pénal) ;

- causer une « dégradation de [leurs] conditions de vie par une altération de [leur] santé mentale » (art. 222-33-2-1 (harcèlement conjugal) et 222-33-2-2 (harcèlement moral)).

Le projet de loi adapte donc la définition du harcèlement sexuel aux « raids numériques », par lesquels plusieurs internautes décident d'adresser à une personne des courriels offensants ou menaçants. Le Haut conseil à l'égalité, dans son rapport sur les violences faites aux femmes en ligne, avait préconisé cette évolution. C'est une avancée incontestable. La recommandation n° 15 tire les conséquences de ce progrès.

Enfin, l'article 4 crée l'« outrage sexiste », lequel trouve son origine dans la prise de conscience du développement inacceptable de comportements insultants, qui sont aujourd'hui le quotidien de trop nombreuses femmes et qui affectent leur dignité.

La définition de cette infraction s'appuie sur celle du harcèlement sexuel, mais elle n'exige pas la répétition des faits que suppose le harcèlement dit « d'ambiance », tandis que le harcèlement assimilé au « chantage sexuel », pour sa part, n'a pas à être répété.

L'article 4 du projet de loi insère donc dans le code pénal un article 611-2 qui définit l'outrage sexiste :

- il doit être « imposé » ;

- il consiste en des propos ou comportements « à caractère sexuel » qui portent « atteinte à [la dignité des victimes] en raison de leur caractère dégradant ou humiliant » ou créent « à [leur] encontre une situation intimidante, hostile ou offensante » ;

- il est puni de l'amende prévue par les contraventions de 4ème classe, assortie le cas échéant de peines complémentaires telles que l'obligation d'effectuer un stage 177 ( * ) .

Enfin, le nouvel article du code pénal prévoit des circonstances aggravantes lorsque l'outrage sexiste est commis sur des personnes vulnérables, en réunion ou dans les transports.

Lors de son audition, le 11 juin 2018, Nicole Belloubet, garde des Sceaux, en réponse au président de la commission des lois qui faisait valoir le caractère réglementaire de ces mesures, a observé que le projet de loi créait une nouvelle peine, l'obligation de suivre un stage de lutte contre le sexisme, et qu'à ce titre l'intervention du législateur était nécessaire. »

Laurence Cohen, co-rapporteure . - Mes chers collègues, je vais vous présenter la démarche qui a guidé l'élaboration de notre rapport et rappeler la façon dont nous avons travaillé pour aboutir aux conclusions que nous vous présentons aujourd'hui.

Première remarque : il était nécessaire que la délégation soit saisie du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes par la commission des lois. C'est une étape particulièrement importante de cette session, car - c'est une évidence - les violences faites aux femmes constituent pour nous une préoccupation constante. Mais c'est encore plus vrai cette année.

Il faut en effet rappeler que, dès sa première réunion, le 9 novembre 2017, la délégation a souhaité apporter sa contribution au débat suscité par deux décisions de justice, très médiatisées, concernant des violences sexuelles dont avaient été victimes deux petites filles de onze ans.

Ce travail s'est inscrit dans un contexte international qui voyait une libération de la parole des femmes, avec le mouvement Metoo , portant au grand jour l'ampleur du sexisme et des violences sexuelles. Quand Geneviève Fraisse disait alors : « Les femmes ont pris la parole », elle établissait un parallèle éclairant avec la prise de la Bastille. Elle parlait d'une révolution !

Je rappelle que avons souhaité aborder les problématiques liées à ce débat sans limiter notre approche aux violences commises sur des mineures, qui était celle de la commission des lois, mais en étendant notre analyse à tout le spectre des violences faites aux femmes. Il nous semblait en effet que les violences sexuelles sur mineurs pouvaient difficilement être appréhendées de façon indépendante des autres violences faites aux femmes qui, faut-il le rappeler ici, ne sont pas des actes isolés, mais font partie d'un continuum inhérent au patriarcat...

Du mois de novembre au mois de mars, nous avons donc entendu un grand nombre d'expertes et d'experts sur les violences faites aux femmes : violences conjugales, sexuelles, intrafamiliales, harcèlement sexuel, violences en ligne...

Ce travail a abouti, mardi 12 juin, à l'adoption d'un rapport d'information sur les violences, intitulé Prévenir et combattre les violences faites aux femmes : un enjeu de société , émanant d'un groupe de travail pluripartisan représentant la diversité politique du Sénat. Vous le savez, cette approche transpartisane est un peu une « marque de fabrique » de notre délégation, car nous l'avons expérimentée pour de nombreux rapports. Elle permet de garantir que les conclusions de la délégation reflètent le consensus le plus large, sans jamais tirer vers le plus petit dénominateur commun, mais au contraire en élevant le débat.

Les auditions multiples auxquelles nous avons procédé depuis le mois de novembre dans ce cadre nous ont permis d'élaborer une position sur la question, particulièrement complexe, du traitement pénal des violences sexuelles commises sur des mineurs par des personnes majeures.

Je dois dire que nos positions ont évolué au fil des auditions et de nos échanges de vues, au cours d'une longue maturation de notre réflexion.

Nous avons voulu adopter la même approche pluraliste en ce qui concerne l'examen du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Nous avons ainsi désigné un groupe de travail composé de six co-rapporteures, pour valoriser le travail collectif de la délégation et renforcer ses positions lors de la discussion en séance publique. Ont donc été désignées Annick Billon pour le groupe centriste, Laure Darcos pour le groupe Les Républicains, Françoise Laborde pour le groupe RDSE, Laurence Rossignol pour le groupe socialiste, Noëlle Rauscent pour le groupe LaRem et moi-même pour le groupe CRCE.

De surcroît, dans le souci de valoriser au mieux les travaux du Sénat dans le cadre de la navette parlementaire, nous avons entendu, le 31 mai, Marie Mercier, rapporteur du rapport d'information du groupe de travail de la commission des lois sur les infractions sexuelles commises contre les mineurs, et rapporteur du projet de loi, qui nous a présenté les principales conclusions de son rapport Protéger les mineurs victimes d'infractions sexuelles , et la proposition de loi qui en a résulté.

Nous avons également entendu, le 11 juin, les deux ministres avec nos collègues de la commission des lois.

De plus, nous avons auditionné le 7 juin les représentants du Conseil français des Associations pour les droits de l'enfant (COFRADE), qui avaient des remarques sur l'article 2 du projet de loi, puis le 12 juin Danielle Bousquet, présidente du Haut conseil à l'égalité (HCE) - interlocutrice incontournable de notre délégation.

Enfin, nous entendrons la semaine prochaine Marie Pierre Rixain, présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale, qui nous présentera leur apport à la discussion du texte. Les positions des deux délégations sont, en principe, assez convergentes sur la question du seuil d'âge.

Pour conclure, je souligne que, même si le rapport d'information que nous avons adopté mardi et le rapport sur lequel nous allons nous prononcer ce matin sont deux exercices distincts, il y a indéniablement des correspondances et une cohérence d'ensemble entre eux.

Ainsi, plusieurs des recommandations que nous avons formulées dans le rapport d'information sur les violences trouvent un aboutissement dans le rapport sur le projet de loi, qui fait des propositions pour enrichir le texte issu des débats de l'Assemblée nationale. Celles-ci pourront être traduites sous forme d'amendements au projet de loi lors de la discussion de celui-ci.

Je pense en particulier à notre recommandation visant à la création, dans le code pénal, d'une infraction spécifique qui sanctionnerait toute relation sexuelle avec pénétration entre une personne majeure et un-e mineur-e de treize ans. Je pense aussi à notre proposition visant à proposer une nouvelle formulation des dispositions du code de l'éducation qui concernent l'éducation à la sexualité et l'information sur l'égalité femmes-hommes.

Laurence Rossignol et Françoise Laborde vous présenteront plus en détail nos propositions pour améliorer et enrichir le projet de loi.

Annick Billon, présidente, co-rapporteure . - Je vais vous présenter les convergences existant entre le rapport de la délégation sur les violences faites aux femmes et le rapport du groupe de travail de la commission des lois sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs, qui a débouché sur la proposition de loi dite « Bas-Mercier » adoptée le 27 mars dernier par le Sénat 178 ( * ) .

Ces points de convergence tiennent aussi bien aux objectifs de nos travaux qu'aux constats et recommandations qui en ont résulté.

Bien sûr, nous avons un objectif commun, celui de protéger au mieux les enfants et d'entendre la parole des victimes. Dans cet esprit, il faut noter une convergence importante en ce qui concerne l'allongement des délais de prescription pour les mineurs victimes d'infraction sexuelle, que nos collègues de la commission des lois sont d'avis de porter à trente ans à compter de l'âge de la majorité de la victime. Cette évolution avait émergé des travaux de la Mission de consensus co-présidée par Jacques Calmettes et Flavie Flament, dont notre collègue Laurence Rossignol avait pris l'initiative quand elle était ministre. Une telle disposition, qui n'était pas gagnée d'avance, paraît désormais recueillir un très large consensus. Elle permettra aux victimes de porter plainte jusqu'à l'âge de quarante-huit ans révolus au lieu de trente-huit ans.

De surcroît, nous avons adopté des démarches symétriques en analysant le continuum des violences et en soulignant l'importance de l'amélioration des connaissances statistiques, qu'il s'agisse des violences faites aux enfants ou de celles faites aux femmes. Il existe de nombreux chiffres dans ce domaine, qui émergent souvent de sondages et ne sont donc que des estimations. Or ce sujet mérite une approche scientifique, comme celle de l'enquête Virage .

En ce qui concerne les constats, le rapport de la commission des lois s'émeut de l'expansion des violences qui, facilitées par l'accès à Internet, menacent tout particulièrement les jeunes. Il souligne aussi le danger que constitue l'exposition des enfants et adolescents à des vidéos pornographiques. Cela rejoint largement les constats dressés par la délégation au moment de l'examen de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, qui s'était intéressée à cette question. Malheureusement, les constats établis par nos collègues il y a quatre ans restent d'actualité aujourd'hui.

En outre, nous sommes d'accord avec la commission des lois sur le caractère « perfectible » des procédures judiciaires pour les victimes (délais excessifs, correctionnalisation, engorgement des juridictions en lien avec le manque de moyens de la justice).

Au-delà de ces constats consensuels, nous avons relevé des pistes d'évolution communes à nos travaux :

- premièrement, s'agissant des actions à mener pour faciliter le dépôt de plainte et améliorer l'accompagnement des victimes, nous nous rejoignons sur le fait de permettre aux victimes de réaliser des prélèvements indépendamment du dépôt de plainte, sur l'aménagement de salles dédiées pour l'audition des victimes (inspirées des salles Mélanie ) ; sur l'importance de la formation des professionnels ; sur une meilleure information concernant les procédures de réparation financière ; ou encore sur la nécessité de renforcer l'offre de soins dans le domaine du psycho-trauma, car l'accompagnement psychologique est crucial pour la reconstruction des victimes ;

- deuxièmement, en ce qui concerne la prévention des violences par l'éducation, dès le plus jeune âge : nos collègues des lois, comme la délégation, attachent une grande importance au respect de l'obligation légale d'éducation à la sexualité. Comme nous, ils recommandent une application effective du code de l'éducation à cet égard, qui prévoit au moins trois séances par an, dans toutes les classes, comme le fait notre recommandation n° 21.

Au-delà de ces propositions convergentes, le groupe de travail des lois a suggéré des pistes d'évolution qui nous paraissent dignes d'être soutenues, même si elles ne figurent pas en tant que telles dans nos recommandations. Je pense à l'élargissement de la surqualification pénale d'inceste aux actes commis entre personnes majeures (actuellement, la surqualification ne concerne que les faits commis par une personne majeure sur un mineur), aux recommandations relatives au renforcement des peines encourues par les auteurs d'infractions sexuelles, à leur souci de renforcer les moyens de la justice et de la police.

Pour conclure, il nous paraît important de souligner que la proposition de loi de nos collègues Philippe Bas et Marie Mercier, qui traduit les recommandations formulées dans leur rapport, fait preuve d'une plus grande ambition que le texte du Gouvernement. En effet, elle ne se limite pas au volet répressif, mais comporte également un volet entier réservé à la prévention et à la formation, car il s'agit d'une loi d'orientation et de programmation.

Ce volet constitue à notre avis une plus-value indéniable de ce texte par rapport au projet de loi du Gouvernement. Il nous paraît important que ces apports du Sénat soient valorisés dans le cadre de l'examen du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. C'est l'objet de la recommandation n° 20.

Je cède la parole à Laure Darcos.

Laure Darcos, co-rapporteure . - Je vais vous présenter les principaux apports de l'Assemblée nationale au projet de loi. Il s'agit de dispositions dont notre délégation peut demander le maintien dans le cadre de la discussion au Sénat.

Je voudrais rappeler que nos collègues députés ont parfois repris à leur compte certaines initiatives sénatoriales. On peut s'en féliciter, tout en regrettant qu'ils n'en mentionnent pas l'origine...

Un point fait consensus, comme l'a souligné notre présidente, c'est l'allongement du délai de prescription à trente ans au lieu de vingt ans, prévu par l'article premier. Je n'y reviens pas ; c'est la recommandation n° 6.

En ce qui concerne l'article 2 sur la répression du viol et des atteintes sexuelles, tel qu'adopté par l'Assemblée nationale, cet article étend la définition du viol incestueux aux victimes majeures, comme le préconisait très opportunément la proposition de loi de nos collègues Philippe Bas et Marie Mercier. Il s'agit là d'un vrai progrès. Notre recommandation n° 11 le soutient.

Toujours à l'article 2, l'Assemblée nationale a modifié la définition du viol prévue par le code pénal (« Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol ») pour permettre de réprimer des actes dans lesquels la pénétration est commise non pas seulement « sur » la personne d'autrui, mais aussi « avec » celle-ci. Il s'agit de prendre en compte dans la définition du viol le cas, par exemple, de fellations imposées. C'est une amélioration, car ces actes, dont les conséquences sur les victimes sont comparables à celles d'un viol, ne relèvent aujourd'hui, au sens du code pénal, que de l'agression sexuelle car la définition du viol implique la pénétration de la victime. Notre recommandation n° 9 préconise de conserver cette disposition.

S'agissant de l'article 2, Laurence Rossignol reviendra tout à l'heure sur ce qui concerne plus précisément la protection des enfants et je m'en tiendrai donc là pour cet article.

En ce qui concerne l'article 3 sur le cyber-harcèlement, un amendement clarifie le champ d'application de la nouvelle disposition proposée en matière de répression des « raids » numériques. Il s'agit de prévoir que, outre les cas dans lesquels le raid sera concerté, l'infraction pourra aussi être reconnue en cas de concertation « tacite ». C'est une précision importante qui étendra le champ d'application de cette nouvelle infraction.

Un autre amendement adopté à l'article 3 complète les circonstances aggravantes associées aux délits de harcèlement sexuel et moral, pour y intégrer l'utilisation de moyens de communication en ligne. La recommandation n° 15 soutient ces mesures.

J'en viens aux articles additionnels introduits par les députés, nouvelles dispositions dont nous pourrions préconiser le maintien dans le texte adopté par le Sénat.

L'article 3 bis étend les circonstances aggravantes dont sont assorties certaines infractions.

Il crée ainsi une circonstance aggravante pour violences commises au sein des couples dits « non-cohabitants ». Ce point répond à une préoccupation exprimée dans notre rapport Prévenir et combattre les violences faites aux femmes : un enjeu de société , et l'on ne peut que s'en féliciter. En effet, cette disposition doit permettre de mieux réprimer les violences commises contre de très jeunes femmes qui ne se sentent pas concernées par la notion de « violence au sein des couples », mais qui n'en subissent pas moins des comportements violents de la part de leur « petit ami ». Il s'agit là d'une évolution préoccupante de notre société, relayée par notre rapport. Notre recommandation n° 12 soutient cette avancée.

L'article 3 bis prévoit également des circonstances aggravantes pour des faits de violences commis en présence d'enfants. Cette disposition rejoint les positions exprimées dans notre rapport en ce qui concerne la protection des enfants exposés aux violences intrafamiliales. Comme l'a dit de manière très frappante l'un des experts que nous avons entendus au cours de cette session, « un enfant témoin est un enfant victime ». Il faut donc que ce point soit conservé par le Sénat : c'est la recommandation n° 4.

Cet article 3 bis prévoit aussi les circonstances aggravantes lorsque le harcèlement sexuel est imputable à un ascendant ou à une personne ayant autorité de droit ou de fait sur la victime et lorsqu'il est dû au conjoint ou partenaire de celle-ci. La recommandation n° 14 soutient cet ajout.

Les articles 2 bis A et 2 bis B proposent des mesures en vue de renforcer la prévention des violences faites aux femmes en situation de handicap. On peut également s'en féliciter. Je rappelle que nous avons identifié les violences faites aux femmes handicapées comme un sujet de travail possible. Ce projet n'a malheureusement pas pu aboutir, en raison du décès de la regrettée présidente et fondatrice de l'association Femmes pour le dire, Femmes pour agir (FDFA). Néanmoins, je pense pouvoir affirmer, sous le contrôle de notre présidente, que nous gardons ce sujet en mémoire pour une date ultérieure. Notre recommandation n° 18 soutient bien évidemment ces deux articles.

L'article 2 bis C reprend en des termes identiques (sans en mentionner la source) l'article 6 bis de la proposition de loi « Bas-Mercier », adopté à mon initiative... Il crée des circonstances aggravantes aux peines encourues pour les délits de non-assistance à personne en danger et de non-dénonciation des agressions et mauvais traitements infligés aux mineurs, si la victime a moins de quinze ans. Notre recommandation n° 3 préconise de façon cohérente de conserver cette disposition qui me tient particulièrement à coeur !

On note également plusieurs demandes de rapports. L'article 2 bis E concerne les dispositifs locaux d'aides aux victimes d'agressions sexuelles, avec l'objectif d'analyser la pertinence d'une généralisation d'un dispositif comme la Cellule d'accueil d'urgences des victimes d'agressions (CAUVA) de Bordeaux, qui permet aux victimes de viol et d'agression sexuelle de réaliser des prélèvements indépendamment d'un dépôt de plainte, dans le cadre d'une convention conclue entre le parquet et le CHU.

Cette demande de rapport va dans le sens de la recommandation n° 6 de notre rapport Prévenir et combattre les violences faites aux femmes : un enjeu de société , appelant à la généralisation, après expérimentation, du recueil des preuves indépendamment du dépôt de plainte par les victimes, dans des structures adaptées sur l'ensemble du territoire. Nous sommes donc favorables à son maintien dans le projet de loi au cours de son examen par le Sénat.

L'article 2 bis prévoit pour sa part un rapport du Gouvernement au Parlement sur les dispositifs locaux d'aide à la mobilité des victimes de violences sexuelles. Il rejoint une préoccupation de la délégation sur la situation des femmes victimes de violences dans des territoires isolés, et qui peuvent être confrontées à des difficultés pour effectuer des démarches ou subir des soins, compte tenu de l'éloignement de leur domicile. Le rapport de la délégation sur les agricultrices, adopté en juillet 2017, s'était fait l'écho de ces difficultés. Notre recommandation n° 16 soutient les motivations de ces demandes de rapport.

Je cède la parole à Laurence Rossignol.

Laurence Rossignol, co-rapporteure . - Il me revient de vous présenter nos propositions sur la protection des enfants et la défense des victimes de violences.

À l'article 2, un amendement de l'Assemblée nationale a augmenté les peines encourues pour le délit d'atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans (sept ans de prison au lieu de cinq). Il reprend en des termes strictement identiques l'article 5 de la proposition de loi « Bas-Mercier » (sans en mentionner l'origine).

Le III de l'article 2 concerne la question subsidiaire d'atteinte sexuelle qui doit être posée par le président du tribunal lors du procès d'une personne majeure accusée de viol sur mineur de moins de quinze ans. Ce point est destiné à éviter que l'agresseur puisse être acquitté quand le viol ne peut être prouvé. Il s'agit là, évidemment, d'un moindre mal pour éviter l'impunité des prédateurs sexuels. Je pense que nous pouvons être d'accord avec le fait que cette question subsidiaire peut, cumulée avec l'augmentation des peines pour atteinte sexuelle, qui passeraient à sept ans d'emprisonnement, mieux réprimer les agressions sexuelles commises sur mineurs.

Cette position, exprimée à la recommandation n° 2, ne nous empêche pas de continuer à être opposés à la correctionnalisation du viol et à demander que celui-ci soit puni en tant que crime.

S'agissant de l'atteinte sexuelle avec pénétration, créée par le projet de loi, elle suscite des interrogations de notre part et nous paraît passer à côté de l'objectif. En effet, nous estimons qu'elle risque de renforcer une tendance déjà préoccupante à la correctionnalisation des viols. Les victimes seront incitées à privilégier la correctionnalisation pour éviter les risques de la cour d'assises. D'ailleurs, la notion même d'atteinte sexuelle avec pénétration, sorte de substitut du viol, est en soi contestable. C'est un viol qui n'ose pas dire son nom et qui n'est pas condamné comme un viol. Or en matière de violences faites aux femmes et aux enfants, il faut nommer les choses !

J'en viens tout naturellement à la présentation de notre proposition principale, qui concerne l'introduction d'un seuil d'âge dans la loi (recommandation n° 1) : notre objectif est de mieux réprimer les viols sur les jeunes mineurs en évitant toute subjectivité dans l'appréciation du viol. Notre priorité est d'empêcher que des précédents comme l'affaire de Pontoise se reproduisent. L'idée serait de poser un interdit absolu sur les relations sexuelles avec pénétration entre un adulte et un enfant.

C'est bien aux adultes de protéger les enfants et non aux enfants de se garder des agressions dont les menacent certains prédateurs...

De surcroît, il nous paraît inacceptable que, en raison de la subjectivité inhérente à la définition du viol, son traitement judiciaire soit marqué par la contingence, pouvant aller de l'acquittement à une peine d'emprisonnement. Nous proposons donc une formule qui garantisse une réponse cohérente sur l'ensemble du territoire et non un traitement hétérogène selon les juridictions, et qui permette d'éviter tout débat sur la violence, menace, contrainte ou surprise.

Ces deux exigences supposent de définir un seuil d'âge en dessous duquel un acte sexuel avec pénétration, commis par une personne majeure sur celle d'un mineur, serait sanctionné comme un viol, autant qu'un viol. Nous avons estimé que le seuil de treize ans était le plus pertinent, parce qu'il marque la « limite indiscutable de l'enfance », pour reprendre les mots de nos collègues de la Délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale. De plus, le seuil de treize ans est cohérent avec le droit pénal, qui fixe à cet âge le discernement et la responsabilité pénale des mineurs. Enfin, il permet de prendre en compte les relations sexuelles qui peuvent exister sans contrainte entre des adolescentes d'une quinzaine d'années et de jeunes majeurs. Il ne faudrait pas que ces derniers se retrouvent condamnés pour viol parce que les parents de leur « petit-e ami-e » auraient porté plainte.

Il s'agit donc de fixer dans la loi l'interdiction absolue d'un rapport sexuel entre un adulte et un enfant, et de poser le principe selon lequel braver cet interdit est un crime.

Tels sont les principes qui guident notre réflexion.

D'autres pays ont tiré les conséquences de cet impératif. On oppose un risque d'inconstitutionnalité à la mise en oeuvre de ce principe dans notre droit pénal, au nom des droits de la défense. Pour autant, nous avons observé que plusieurs pays européens ont introduit ces seuils d'âge, notamment le Royaume-Uni. Que je sache, ce pays n'est pas connu pour mettre en péril les droits de la défense...

Plus généralement, l'argument de l'inconstitutionnalité de la solution que nous proposons, que l'on entend régulièrement opposer à celle-ci, ne me semble pas pertinent. Pour moi, il s'agit d'une simple rumeur qui a prospéré. Tant que le Conseil constitutionnel ne s'est pas prononcé, on ne peut savoir comment il réagirait par rapport à sa traduction législative ! La seule façon de savoir si ce que nous proposons est inconstitutionnel est d'aller au bout de notre démarche.

Comment atteindre cet objectif ? Nous avons eu ce débat à la suite de l'audition de Danielle Bousquet.

Il s'agit donc avant tout de se prononcer sur un principe : quand un acte de pénétration sexuelle est commis par un adulte sur un enfant de moins de treize ans, il n'y a pas à s'interroger sur le consentement de l'enfant, ni même sur l'existence de la « contrainte, de la menace, de la violence ou de la surprise ». Il s'agit d'un crime qui doit être puni à hauteur de vingt ans de réclusion.

L'intentionnalité des faits, exigence du code pénal, résulterait de l'acte lui-même, car personne ne prétendrait qu'on pénètre quelqu'un par accident ou inadvertance... Elle résulterait aussi du fait de connaître l'âge de la victime.

Pour conclure sur ce sujet, je tiens à relever que le Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE) n'a pas été consulté sur ce projet de loi. Il a donc émis un avis pour faire connaître sa position sur le texte du Gouvernement.

J'en viens à nos autres propositions visant à la protection des enfants et à la défense des victimes de violences, que je vais présenter plus brièvement.

En ce qui concerne la protection des enfants, nous proposons également d'étendre les missions des services de l'Aide sociale à l'enfance (ASE), définies par l'article L. 221-2 du code de l'action sociale et des familles, au repérage et à l'orientation des mineures victimes ou menacées d'excision. Il s'agit là de la reprise d'une recommandation formulée dans le rapport de Maryvonne Blondin et Marta de Cidrac sur les mutilations sexuelles féminines. C'est la recommandation n° 5.

S'agissant de la défense des victimes de violences sexuelles, nous formulons cinq propositions.

Premièrement, nous plaidons pour que l'amnésie traumatique soit reconnue comme obstacle insurmontable à la mise en mouvement de l'action publique, au sens de la loi portant réforme de la prescription en matière pénale (recommandation n° 8). Cette proposition reprend l'article 2 bis de la proposition de loi dite « Bas-Mercier », adopté à l'initiative de notre collègue François-Noël Buffet. Nous pensons qu'une telle mesure faciliterait la reconnaissance en justice des troubles psycho-traumatiques qui affectent la mémoire des victimes et peuvent, de ce fait, constituer un réel obstacle insurmontable.

Deuxièmement, nous souhaitons offrir la possibilité au procureur de la République de diligenter une enquête, même en cas de prescription. Tant notre rapport sur les violences que celui du groupe de travail de la commission des lois ont souligné l'intérêt de cette pratique, aussi bien du point de vue de la reconstruction des victimes, qui se sentent alors plus facilement reconnues comme victimes par l'institution judiciaire et peuvent même être confrontées à leur agresseur, que du point de vue de la prévention de la récidive. En effet, nous savons que les violeurs sont souvent des récidivistes. L'ouverture d'une enquête, même en cas de prescription, permettrait ainsi de s'assurer que l'auteur présumé des infractions dénoncées n'a pas commis d'autres infractions dont le délai de prescription ne serait pas écoulé (recommandation n° 7).

Troisièmement, nous suggérons une amélioration formelle de la définition de la contrainte morale à l'article 222-22-1 du code pénal, pour lever une ambiguïté inhérente à la rédaction actuelle. Il s'agit de prévoir que la contrainte morale peut résulter de la différence d'âge entre la victime et son agresseur ou de l'autorité de droit ou de fait que celui-ci peut exercer sur elle, et non pas du cumul de ces deux critères (recommandation n° 10).

Quatrièmement, nous proposons la création d'une circonstance aggravante en cas de violences sexuelles occasionnant une incapacité totale de travail (ITT) supérieure à huit jours. Je vous renvoie au rapport pour plus de précision (recommandation n° 13).

Enfin, notre cinquième proposition consiste à mieux indemniser les personnes licenciées après avoir été victimes de harcèlement sexuel, en instaurant une indemnité plancher de douze mois au lieu des six mois actuellement prévus par le code du travail. L'enjeu est de garantir aux victimes une meilleure prise en charge de leur préjudice, tout en incitant les employeurs à respecter leurs obligations de prévention (recommandation n° 17).

Je cède la parole à Françoise Laborde.

Françoise Laborde, co-rapporteure . - Je vais vous présenter pour ma part nos recommandations qui concernent la prévention des violences et ce que le projet de loi appelle « l'outrage sexiste ».

En ce qui concerne la prévention des violences, nous formulons trois propositions.

La première vise à enrichir le projet de loi d'un volet préventif. Comme l'a déjà souligné la présidente, cette dimension est totalement absente du projet de loi présenté par le Gouvernement, qui se limite au volet répressif de la protection des victimes de violences, contrairement à la proposition de loi adoptée par le Sénat le 27 mars dernier, à l'initiative de Philippe Bas et Marie Mercier (recommandation n° 20).

Notre rapport sur les violences faites aux femmes a montré l'importance cruciale de la prévention dans la politique de lutte contre ces violences. Nous jugeons donc particulièrement important de voir figurer un volet préventif dans le projet de loi sur les violences sexuelles et sexistes, évoquant aussi la question des moyens. C'est pourquoi nous recommandons d'inscrire dans le projet de loi une dimension préventive, en y annexant le rapport sur les orientations de la protection de protection des mineurs contre les violences sexuelles, joint à la proposition de loi dite « Bas-Mercier ».

Notre deuxième proposition en matière de prévention consiste à revoir les dispositions du code de l'éducation sur l'éducation à la sexualité, pour y intégrer l'information sur l'égalité femmes-hommes (recommandation n° 21, déjà mentionnée par notre présidente).

Nous avons pu le constater au fil de plusieurs rapports, toute réflexion sur les violences faites aux femmes et sur la persistance de ce fléau social ne peut que conduire à plaider pour le renforcement de leur prévention à travers l'éducation, dès le plus jeune âge. Ce constat est partagé par le rapport d'information de la commission des lois sur la protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles, mais aussi par le Défenseur des Droits.

Des séances d'éducation à la sexualité en milieu scolaire sont prévues depuis la loi du 4 juillet 2001 179 ( * ) . Malheureusement, cette obligation légale est inégalement mise en oeuvre. Je vous renvoie sur ce point à notre rapport Prévenir et combattre les violences faites aux femmes : un enjeu de société .

Il nous paraît nécessaire que les séances d'éducation à la sexualité intègrent la dimension essentielle de l'égalité et qu'elles concernent les élèves pendant toute leur scolarité, alors que c'est trop souvent aujourd'hui la pornographie qui, avec les réseaux sociaux, accompagne les jeunes dans les débuts de leur vie amoureuse.

Or, comme nous l'avons relevé dans notre rapport d'information sur les violences faites aux femmes, le cadre légal de l'éducation à la sexualité est confus et difficile à comprendre, car il regroupe un ensemble de séances d'information dédiées à des sujets variés, allant de l'éducation à la sexualité jusqu'à la législation relative aux dons d'organes (je vous renvoie sur ce point au rapport).

Pour plus de cohérence, nous proposons donc que les articles du code de l'éducation qui rendent obligatoires les séances d'éducation à la sexualité soient reformulés, de manière à lier éducation à la sexualité prévue par l'article L. 312-16 du code de l'éducation, et l'information sur l'égalité prévue par l'article L. 312-17-1 de ce code. Cette proposition reprend une recommandation de notre rapport sur les violences faites aux femmes.

Enfin, en matière de prévention, nous recommandons une modification du code de la sécurité intérieure pour étendre à l'appel à la haine à raison du sexe les motifs de dissolution des associations (recommandation n° 22).

Il s'agit là de la reprise d'une recommandation formulée dans le rapport La laïcité garantit elle l'égalité femmes-hommes ? , qui s'étonnait que ne figure pas parmi les motifs de dissolution des associations l'incitation à la discrimination, à la haine ou à la violence à raison du sexe d'une personne ou d'un groupe de personnes. Or l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure prévoit la dissolution appelant à la haine, à la discrimination ou à la violence, à raison de l'origine ou de la religion.

Nous soutenons une telle mesure, car la plupart des lois réprimant l'injure, la menace ou l'appel à la haine ont déjà intégré le sexe à leurs critères, aux côtés de l'origine et de la religion. Il s'agit là d'une mise à jour dont on peut penser qu'elle est essentiellement préventive. Mais on ne peut pas exclure aujourd'hui, malheureusement, que des associations diffusent un message de haine à l'égard des femmes, comme cela se passe sur les réseaux sociaux en matière de cyber harcèlement. Il est donc important de marquer la réprobation de la société pour ce type de propos ou de comportements et de combler une lacune étonnante de notre législation.

J'en viens maintenant à notre position sur l'outrage sexiste et à notre proposition de créer un délit autonome d'agissement sexiste (recommandation n° 19).

Nous estimons que l'outrage sexiste prévu par l'article 4 du projet de loi n'est pas pleinement convaincant. La définition de l'outrage sexiste, en se référant « au fait d'imposer à une personne tout propos ou comportement à connotation sexuelle ou sexiste... » renvoie implicitement à la notion de consentement de la victime.

De fait, cette définition risque d'altérer l'efficacité de la nouvelle mesure en faisant porter le débat sur le comportement de la victime et sur l'hypothèse d'une attitude aguicheuse supposée qui exonérerait de responsabilité l'auteur de l'infraction, alors que sa définition doit être centrée sur le comportement de l'auteur des faits.

On peut également avoir des doutes sur l'efficacité réelle de l'outrage sexiste du point de vue de son application, car l'infraction devra être constatée en flagrant délit pour être verbalisée. Pour être efficace, cette mesure impliquera des moyens considérables...

Enfin, le niveau des amendes - 135 ou 1 500 euros en cas de circonstances aggravantes, soit des contraventions de 4 ème ou 5 ème classe - nous semble inadapté à des comportements qui gâchent au quotidien la vie des femmes et qui menacent nos valeurs.

Pour ces différentes raisons, nous proposons plutôt la création, dans le code pénal, d'un délit autonome d'agissement sexiste, recommandation là encore formulée dans le cadre du rapport La laïcité garantit-elle l'égalité femmes-hommes ? , publié en novembre 2016.

La définition de ce délit s'inspirait de l'agissement sexiste défini par l'article L. 1142-2-1 du code du travail et par le statut des fonctionnaires, l'objectif étant de compléter le code pénal en cohérence avec le code du travail, de même que le harcèlement sexuel est traité à la fois par le code pénal et par le code du travail.

Ce délit pourrait sanctionner des comportements tels que le refus de serrer la main d'une femme parce qu'elle est une femme, le fait de récuser un soignant en raison de son sexe... De telles attitudes ne se limitent pas aux relations entre collègues ou au sein d'une hiérarchie, mais affectent potentiellement tous les aspects de la vie des femmes qui en font les frais. Je vous invite à lire le rapport pour avoir des éléments intéressants de droit comparé sur la création d'un délit spécifique destiné à réprimer ces comportements.

Selon nous, le délit d'agissement sexiste dont je viens de vous esquisser les contours présente l'avantage de poser comme critère, non seulement l'objet des comportements sanctionnés, mais aussi l'effet de ces comportements sur la victime.

Nous sommes également attachés à l'existence d'une circonstance aggravante liée au préjudice exercé sur une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public.

Pour autant, nous estimons que diverses mesures prévues par l'article 4 du projet de loi pourraient utilement compléter la définition de l'agissement sexiste. Il s'agit plus particulièrement de l'introduction de plusieurs circonstances aggravantes. Enfin, il nous paraît important de ne pas limiter la sanction de ce nouveau délit au champ contraventionnel. Des peines d'emprisonnement sont nécessaires dans certains cas, au regard de la gravité des comportements qu'il a vocation à sanctionner. L'agissement sexiste ne se limiterait pas aux comportements ou propos déplorés dans les transports ou dans la rue.

Je cède la parole à Mme Billon pour notre débat sur ces recommandations.

Annick Billon, présidente, co-rapporteure . - Nous passons au débat sur les recommandations qui viennent de vous être présentées.

Avant d'aborder le vote de ce rapport, j'aimerais que tout le monde puisse s'exprimer sur la recommandation qui faisait consensus mardi dernier concernant l'article 2 du projet de loi, c'est à dire la proposition de poser un interdit sur toute relation sexuelle avec pénétration entre un adulte et un enfant de moins de treize ans. Cette recommandation vise à faire de cet acte un crime. Un tel interdit existe au Royaume-Uni, qui n'est pas un pays connu pour bafouer les droits de la défense. Il s'agit de la recommandation n° 1.

Je remercie chacun d'entre vous d'être concis lors de ce tour de table.

Maryvonne Blondin . - Je maintiens ma position de mardi et confirme qu'il est interdit de toucher à un enfant de moins de treize ans ; je suis d'autant plus confortée dans ma décision que le Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE) n'a, semble-t-il, pas été consulté en vue de l'élaboration du projet de loi. De plus, je regrette que celui-ci nous soit soumis dans la précipitation, selon la procédure accélérée, sans réflexion préalable suffisante à mon sens.

Sur ces sujets, notre délégation est là pour poser des principes : cet interdit en fait partie.

Françoise Laborde, co-rapporteure . - Je reste, moi aussi, sur le seuil d'âge de treize ans, qui correspond encore à l'enfance. À quinze ans, c'est moins indiscutable. Ce seuil d'âge permet de rendre compte de la différence d'âge, importante, entre un enfant de moins de treize ans et un jeune majeur. Chaque cas est différent, bien sûr, mais il faut poser un âge où la personne appartient encore au monde de l'enfance, quel que soit son sexe. Je vous rappelle en effet qu'il peut y avoir des relations non consenties entre de jeunes garçons...

Je reste sur cette position et je la défendrai par amendement.

Marta de Cidrac . - Merci, madame la présidente. Chers collègues, le sujet qui nous réunit nous touche de près, puisque nous débattons de l'humain. Nous ne sommes pas en train de parler de normes ou d'autres sujets qui, bien qu'importants aussi, ont une incidence humaine sans doute moindre...

Sur le sujet de l'âge, c'est vrai que nous en avons beaucoup parlé entre nous. Au début, rappelez-vous, nous n'étions pas d'accord. Pour ma part, je n'étais pas tout à fait favorable initialement à ce seuil de treize ans. Par la suite, au fil des discussions et des auditions, j'ai été beaucoup plus partagée. Ce seuil de treize ans me semble finalement pertinent.

Mais une fois que l'on a affirmé cela, je pense que l'on n'a peut-être pas tout dit. Nous savons que la traduction juridique ne doit pas être négligée, car il ne faudrait pas que la décision que nous prendrons, aussi légitime qu'elle soit, et bien qu'elle s'appuie sur de bonnes intentions, créée une faille dans la législation.

Donc je pense qu'il faut que nous soyons vigilants. Mais je pense aussi - c'est un sujet très personnel - qu'il est nécessaire que nous fassions quelque chose pour tous ces enfants qui subissent des agressions sexuelles.

Toute agression d'un enfant, garçon ou fille, est quelque chose de très grave. Quant au viol, il me semble que nous, à la délégation, pouvons situer à l'âge de treize ans cette limite. Puis au cours du débat sur le projet de loi, les juristes auront toute latitude pour donner leur avis.

Après tout, nous sommes dans notre rôle pour exprimer nos convictions. Je ne doute pas que toutes les personnes qui s'intéressent à ces sujets soient de bonne foi et aient pour préoccupation commune de bien faire. C'est un débat que nous avons eu entre collègues du même groupe politique.

Je pense que la délégation porte un message fort en demandant que le seuil d'âge soit fixé à treize ans. Si nous sommes d'accord, nous essaierons ensemble de défendre ce principe et, peut-être, de faire évoluer les choses.

Annick Billon, présidente, co-rapporteure . - La volonté de protéger les enfants nous guide depuis le début de nos auditions sur les violences, en novembre 2017. Mais il s'agit de questions dont la complexité a pu susciter des interrogations et conduire certains d'entre nous à faire évoluer leurs conclusions.

Je pense qu'il y a de fortes attentes à l'égard de notre délégation, par exemple s'agissant de la défense de propositions qui n'ont pas pu prospérer à l'Assemblée nationale. Nos collègues de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale, que nous entendrons mardi 19 juin, nous confirmeront sans aucun doute que nous partageons tous une conviction : la nécessité de protéger les enfants.

Martine Filleul . - Je suis convaincue de la nécessité de criminaliser les actes sexuels commis sur les enfants de moins de treize ans. La responsabilité de l'agression doit revenir au seul auteur. Le consentement de l'enfant ne doit être questionné en aucun cas. Ce n'est pas à l'enfant de prouver qu'il n'a pas consenti à cette agression sexuelle.

Laurence Rossignol, co-rapporteure . - Nous devons en avoir conscience : dans l'histoire, ni le code pénal ni le code civil n'ont pris en charge de manière naturelle la protection des femmes et des enfants contre les violences sexuelles. Je dirai même qu'ils ont longtemps pris acte, voire organisé, l'impunité de leurs auteurs, traduisant ainsi la tolérance et la complaisance de notre société.

Rappelons que le viol n'a été criminalisé qu'il y a quarante ans, après une bataille politique, associative et juridique très difficile. Il a fallu convaincre un Parlement qui, à l'époque, était encore majoritairement masculin...

Les avancées dans ces domaines ne se sont jamais faites dans le consensus. Le sujet de la protection des victimes de violences sexuelles se heurte à une sorte de solidarité passive, à l'égard des hommes qui franchissent la ligne blanche, la délinquance sexuelle étant relativisée comme faisant « partie de la vie », liée au caractère irrépressible de la sexualité masculine.

La frontière de la reconnaissance de l'enfance n'est pas si simple, et c'est un progrès de civilisation que de reconnaître aux enfants ce statut d'enfant et d'assurer la protection qui l'accompagne, notamment contre la prédation sexuelle.

Si nos prédécesseurs au Parlement n'avaient pas bousculé les règles existantes, nous n'aurions rien, sur le plan législatif, en matière de protection des femmes et des enfants contre les violences sexuelles. Ces progrès ont dû être acquis, ils ne se sont pas faits de manière spontanée.

Le moment est historique pour notre délégation, qui doit montrer qu'en protégeant les droits des femmes, on protège aussi les droits des enfants, et que c'est à nous de les porter. À cet égard, il est révélateur que le Parlement n'ait pas de délégation à la protection de l'enfance. Je vous invite à faire preuve d'audace, en affirmant que c'est à nous de défendre les droits des enfants contre les prédateurs adultes.

Dominique Vérien . - Je suis favorable à l'idée qu'en dessous d'un certain âge, un enfant ne peut aucunement consentir à une relation sexuelle avec un adulte, et n'a de toute façon pas le discernement nécessaire pour cela. En dessous d'un certain âge, un « oui » ne peut refléter la volonté de la personne. Je suis persuadée que le seuil d'âge de treize ans constituerait sur ce point une avancée.

La proposition consistant à créer un nouveau crime, qui concernerait tout acte de pénétration sexuelle commis par un adulte sur un enfant de moins de treize ans, devrait permettre d'éviter l'écueil d'une supposée inconstitutionnalité.

On entend parler de risque de vide juridique qui résulterait d'une éventuelle question prioritaire de constitutionnalité (QPC) abrogeant par la suite les dispositions relatives à ce nouveau crime. Or celui-ci n'abrogerait pas les autres dispositions du code pénal sur les violences sexuelles. Je suis d'accord avec Laurence Rossignol : c'est au Conseil constitutionnel de dire si la solution que nous préconisons est inconstitutionnelle.

Enfin, nous sommes là pour faire évoluer la loi par de tels débats. D'autres pays européens ont fixé des seuils d'âge pour le consentement des mineurs : nous pouvons nous en inspirer.

Laurence Cohen, co-rapporteure . - Notre préoccupation première doit être de protéger les enfants. J'ai déposé une proposition de loi fixant ce seuil d'âge à quinze ans. Je n'ai pas évolué sur ce point, mais je me rallierai au seuil de treize ans, car je considère que le problème ne réside pas uniquement dans le choix de l'âge.

Je voudrais être certaine qu'avec cette mesure, la loi protège aussi les enfants entre treize et quinze ans. Il est préférable d'avoir ce débat aujourd'hui qu'en séance.

Sur ces questions, il nous faudra être en mesure de répondre aux arguments d'autorité de la commission des lois. C'est certes une difficulté... Lors de la discussion en séance, le débat sera plus complexe qu'aujourd'hui, entre nous.

Annick Billon, présidente, co-rapporteure . - Notre conviction est que tous les mineurs doivent être protégés ; la question est de fixer un interdit. À cet égard, le choix d'un seuil d'âge de treize ans renvoie à un écart d'âge par rapport à l'auteur des faits qui serait majeur. L'avantage de ce seuil est de fixer un interdit clair.

Laure Darcos, co-rapporteure . - À cette étape, je me pose beaucoup de questions. Ce débat est complexe et je craindrais que nous préconisions une mesure inappropriée. De mes derniers échanges avec notre collègue Marie Mercier, rapporteur du projet de loi pour la commission des lois, je retiens que de nombreux magistrats semblent penser que fixer un seuil à treize ans serait une erreur.

Quoi qu'il en soit, le travail que nous avons réalisé pendant cette session est formidable ; il nous aura unis en nous faisant entendre des témoignages qui nous ont fait vivre des moments forts...

J'ai une préoccupation : qu'adviendrait-il de la nouvelle loi si une QPC, à l'occasion d'un procès, conduisait à l'abrogation, pour inconstitutionnalité, de la disposition que nous soutenons sur le seuil d'âge de treize ans ?

Laurence Rossignol, co-rapporteure . - Le cas s'est posé en 2012, à propos du harcèlement sexuel, à la suite d'une QPC favorable au plaignant. Cela a abouti à l'abrogation des dispositions législatives relatives au harcèlement sexuel. Mais en quelques mois, nous avons travaillé à l'élaboration d'un nouveau texte qui a été, quant à lui, jugé conforme à la Constitution.

Laure Darcos, co-rapporteure . - Oui, mais je m'inquiète précisément du vide juridique qu'il pourrait y avoir en attendant le vote du nouveau texte...

Nous parlons du précédent de Pontoise et du problème de la correctionnalisation du viol : certes, mais il est vrai qu'en la matière, un jury populaire n'est pas nécessairement plus sévère que certaines cours d'assises... On ne peut jamais savoir comment réagira un jury populaire face à un viol...

Je trouvais que le seuil de treize ans était clair auprès de l'opinion publique et des associations, mais qu'en est-il de la majorité sexuelle ? Qu'en est-il de la cohérence du texte ?

De ce fait, je suis tout-à-fait d'accord pour le principe consistant à poser un seuil d'âge de treize ans, par cohérence avec notre travail. Mais je ne suis pas certaine, dans l'hémicycle, de voter l'amendement qui tirera les conséquences sur le projet de loi en discussion du seuil d'âge de treize ans. Je me prononcerai en fonction des arguments qui seront alors exposés. Encore une fois, mon inquiétude vient d'un risque de vide juridique en raison d'une éventuelle QPC.

Laurence Rossignol, co-rapporteure . - Le procureur de la République de Paris et la procureure en charge des mineurs, auditionnés en novembre 2017 par le groupe de travail de Marie Mercier, ont défendu cet âge de treize ans ! Que dire de plus ? Je choisis pour ma part de suivre leur avis !

Dominique Vérien . - Créer un nouveau crime n'empêcherait pas les dispositions relatives au viol, actuellement en vigueur, de continuer à s'appliquer. Je ne vois pas où serait le vide juridique.

Max Brisson . - Je partage ce qu'a dit Laurence Rossignol, mais j'espère qu'au Parlement français, la délégation aux droits des femmes n'est pas le seul endroit où l'on réfléchit aux droits de l'enfant...

L'histoire nous apprend que notre vieux pays a su faire des révolutions, mais qu'il est aussi conservateur, et que le droit y a souvent été un refuge de la conservation, voire de la réaction. C'est souvent par des ruptures politiques que l'on a fait avancer les choses en France.

Je suis assez d'accord avec ce qu'a dit Laurence Rossignol, mais je dois tenir compte du débat au sein de notre groupe politique, comme l'ont indiqué Marta de Cidrac et Laure Darcos, d'autant plus que des objections viennent de collègues que j'estime et dont on ne peut prendre les remarques à la légère.

Certes, la politique, au sens noble du terme, bouscule parfois le droit : c'est bien pour ça que nous sommes là. Mais nous devons aussi être conscients que nous sommes entrés dans un cycle de judiciarisation de notre société, à l'anglo-saxonne, ce qui doit nous inciter à la prudence. Il nous faut prendre en considération ce que nous disent nos collègues afin d'éviter d'aboutir à un résultat qui ne serait pas conforme à ce que nous souhaitons.

La délégation a conduit sa réflexion et a émis un point de vue. Il ne serait pas pertinent, à ce stade, de changer de braquet. La délégation est dans son rôle en proposant ce seuil d'âge de treize ans. Les arguments qui seront développés dans l'hémicycle guideront nos votes respectifs. Le débat aura lieu et la délégation y contribuera en portant ses convictions.

Annick Billon, présidente, co-rapporteure . - Je suis d'accord : à l'issue du cycle d'auditions auquel nous avons procédé, la délégation se doit d'afficher ses convictions. C'est un débat qui doit avoir lieu. Nous sommes conscients des arguments qui peuvent nous être opposés et nous savons à quel point ils peuvent être déstabilisants.

Par ailleurs, des associations ont attiré notre attention sur la difficulté de protéger les enfants, malgré les dispositifs qui existent dans ce domaine.

Chantal Deseyne . - Je constate que nous partageons tous les mêmes objectifs, et c'est cela qu'il faut rappeler : la volonté de protéger les enfants et d'affirmer que l'on ne peut pas toucher un enfant, que c'est un interdit absolu, que le viol est un crime.

Pour ma part, comme Laurence Cohen, je suis plus favorable à un seuil d'âge de quinze ans, qui selon moi appartient encore au monde de l'enfance.

Bien sûr, des débats animent mon groupe sur ce sujet ; chacun se positionnera en fonction des arguments qui seront exposés dans l'hémicycle.

Annick Billon, présidente, co-rapporteure . - Comme je le disais, j'ai retenu le seuil de treize ans parce qu'il pose une différence d'âge importante par rapport à des relations sexuelles avec un jeune majeur. Il peut y avoir des collégiens ou lycéens qui entament une relation sexuelle avant leur majorité. Ma préoccupation est : que se passera-t-il quand l'un deux deviendra majeur ? Cela vaut aussi pour les relations homosexuelles. Des parents, jusqu'à la majorité de leur enfant, pourraient initier une procédure judiciaire au nom de celui-ci parce qu'ils s'opposent à ces relations. Qu'adviendrait-il de celui qui est devenu majeur ?

Physiquement et psychologiquement, l'enfant évolue considérablement entre douze et quatorze-quinze ans. Tous ces arguments ont contribué à me faire pencher vers le seuil d'âge de treize ans.

Claudine Kauffmann . - Ces débats sont passionnants, mais pour ma part je suis d'une autre génération... Je comprends que le seuil d'âge de treize ans puisse être considéré comme adapté à la société de 2018, mais je partage aussi les propos de Laurence Cohen sur le choix de quinze ans. Je m'associerai toutefois à la décision de la délégation.

Annick Billon, présidente, co-rapporteure . -Nous devons nous garder de tout jugement moral. Or fixer le seuil d'âge à quinze ans revient à porter un jugement moral sur la sexualité des jeunes et à considérer qu'ils ne devraient pas avoir de relations sexuelles avant quinze ans.

Marc Laménie . - Tous les drames touchant des fillettes, des enfants très jeunes, abusés par des prédateurs sexuels qui les attirent parfois sur les réseaux sociaux me marquent profondément.

Doit-on fixer le curseur à treize ou à quinze ans ? Je m'interroge. Mais je ne m'opposerai pas au choix du seuil de treize ans que préconise le projet de rapport d'information de la délégation. Nous verrons ensuite pendant la discussion du texte en séance.

Annick Billon, présidente, co-rapporteure . - Souhaitez-vous vous abstenir, cher collègue ?

Marc Laménie . - J'adopterai le rapport qui nous a été présenté.

Laurence Cohen, co-rapporteure . - Je voudrais lever une ambiguïté et compléter ce que j'ai dit tout à l'heure : l'alinéa 15 de l'article 2 crée une infraction délictuelle que la délégation ne souhaite pas. Je confirme que je suis opposée à cette disposition qui crée un délit d'atteinte sexuelle avec pénétration sur mineur de moins de quinze ans. Cela suscite une regrettable confusion par rapport au viol. En fixant le seuil d'âge à treize ans, une relation sexuelle avec pénétration commise par une personne majeure est un crime, les choses sont claires, je confirme que cela permet de mieux protéger les enfants.

Laurence Rossignol, co-rapporteure . - J'avais tout d'abord retenu l'âge de quinze ans, mais j'en suis revenue en considérant que les parents pourraient alors intervenir dans la vie sexuelle de leur enfant mineur, et porter plainte au nom de leur enfant.

Notre seule divergence avec la commission des lois, finalement, porte sur cette disposition. Nous retenons le principe de criminalisation, alors que la commission des lois privilégie, me semble-t-il, une infraction délictuelle qui relève du tribunal correctionnel et non des assises.

Par ailleurs, je voudrais revenir sur les représentations associées aux comportements que nous dénonçons. D'aucuns avancent que certains hommes se font séduire par des jeunes filles, trompés par une apparence physique qui les fait paraître plus âgées. Ce n'est pas le problème : un homme n'a pas à profiter sexuellement d'une gamine de douze ans, au motif qu'il existerait des « lolitas » prétendument aguicheuses. Du reste, on parle des « lolitas », mais jamais des jeunes garçons. Ne peut-on pas penser qu'en atténuant la responsabilité de celui qui profite sexuellement d'un jeune mineur, on protège moins bien les garçons ?

Marta de Cidrac . - Nous devons être clairs sur notre motivation relative au seuil d'âge de treize ans, même si celui de quinze ans avait été retenu dans un premier temps par certains d'entre nous.

Il est en effet important que nous jouions pleinement notre rôle pour que le débat puisse avoir lieu lorsque nous serons dans l'hémicycle je ne parle pas de l'accord que nous avons ce matin à l'égard du projet de rapport.

Je rejoins ce qui a été dit sur le seuil d'âge de treize ans. À treize ans, nous avons affaire à de petites filles, quelle que soit leur apparence physique. C'est à la personne majeure, à l'agresseur, de faire preuve de discernement ! Nous devons porter ce message.

Françoise Laborde, co-rapporteure . - Danielle Bousquet, présidente du Haut conseil à l'égalité, a précisé lors de son audition que l'intentionnalité des faits était nécessairement manifeste dès lors qu'il y a pénétration. Une pénétration n'est jamais malencontreuse, même si l'auteur des faits peut arguer qu'elle a eu lieu sans violences.

Dominique Vérien . - Ce que l'on nous oppose, c'est le problème de la présomption irréfragable liée à l'âge de la victime, qui ne permettrait pas à l'auteur des faits de se défendre.

Annick Billon, présidente, co-rapporteure . - Venons-en aux recommandations.

Marta de Cidrac . - L'une de vous a présenté une recommandation qui tire les conséquences d'actes dans lesquels la pénétration est commise sur la personne de l'auteur. Pouvons-nous y revenir ?

Annick Billon, présidente, co-rapporteure . - Il s'agit de la recommandation n° 9, qui vise à retenir une modification de la définition pénale du viol adoptée à l'Assemblée nationale.

Certaines recommandations qui vous sont soumises aujourd'hui reprennent des recommandations qui concluaient le rapport d'information que nous avons adopté mardi à l'unanimité.

C'est le cas de la recommandation n° 1, relative au seuil d'âge. Je vous propose d'assurer la cohérence entre celle-ci et le projet de rapport que nous examinons ce matin, en alignant la rédaction qui vous est proposée ce matin, s'agissant du seuil d'âge, sur celle, plus précise, qui a été retenue il y a deux jours.

Laurence Cohen, co-rapporteure . - Le texte que nous avons adopté mardi est effectivement plus précis.

Annick Billon, présidente, co-rapporteure . - Nous pensons en effet que lorsque la victime a moins de treize ans, les critères de menace, contrainte, violence et surprise n'ont pas à entrer en ligne de compte, et que la question du consentement de la victime ne se pose pas. Nous conservons donc la formulation adoptée mardi dernier.

La recommandation n° 1, amendée pour être identique au texte adopté dans le cadre des conclusions du rapport d'information Prévenir et combattre les violences faites aux femmes : un enjeu de société , est adoptée ainsi modifiée.

Qu'en est-il des recommandations qui concluent le projet de rapport d'information qui vous a été adressé et qui se trouvent dans vos dossiers ?

Je ne vois pas d'opposition.

Les recommandations n os 2 à 22 sont adoptées.

Le rapport est donc adopté.

Venons-en maintenant au titre. Je rappelle que nous avons adopté il y a deux jours un rapport d'information abordant les violences faites aux femmes dans leur globalité, intitulé Prévenir et combattre les violences faites aux femmes : un enjeu de société .

Pour le présent rapport d'information, qui concerne spécifiquement un projet de loi, je vous suggère, tout simplement : Projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes : contribution au débat .

Qu'en pensez-vous ? Je constate que nous sommes d'accord.

Le rapport d'information, intitulé Projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes : contribution au débat , est donc adopté à l'unanimité.

Je rappelle que la commission des lois se réunit la semaine prochaine pour examiner ce texte. Êtes-vous d'accord pour que Laurence Rossignol et moi-même allions y présenter les conclusions de la délégation ?

Il n'y a pas d'objection. Nous allons donc procéder ainsi.

S'agissant de la séance publique, nous disposons d'un temps de parole au cours de la discussion générale de cinq minutes, comme pour les commissions saisies pour avis. Je vous propose d'intervenir au nom de la délégation, chacune des autres co-rapporteures prenant la parole au nom de son groupe. Je vois qu'il n'y a pas d'opposition.

Avant de nous séparer, je vous propose de mandater notre secrétariat pour effectuer les corrections formelles qui pourraient être nécessaires pour assurer la cohérence entre nos deux rapports d'information, adoptés sur des sujets voisins à deux jours d'intervalle.

Nous avons donc épuisé l'ordre du jour. Je vous remercie pour vos contributions à ce riche débat.


* 177 À cet égard, diverses possibilités sont prévues en fonction des circonstances : un stage de lutte contre le sexisme et de sensibilisation à l'égalité entre les femmes et les hommes ; un stage de citoyenneté ; un stage de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple et sexistes ; un stage de sensibilisation à la lutte contre l'achat d'actes sexuels.

* 178 Proposition de loi d'orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles.

* 179 Loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception.

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