TABLE RONDE N°1 , PRÉSIDÉE PAR PHILIPPE MOUILLER, SÉNATEUR DES DEUX-SÈVRES :
« DES RAPPORTS JURIDIQUES VERTICAUX : QUELLES MARGES DE MANoeUVRE POUR LES ACTEURS PUBLICS LOCAUX ? »

Participent à la table ronde :

Estelle BOMBERGER-RIVOT, maître de conférences à Sciences Po, chercheur au sein de la Chaire « Mutations de l'Action publique et du Droit Public » (Sciences Po) ;

Dominique BUSSEREAU, président de l'Assemblée des Départements de France (ADF), président du Conseil départemental de Charente-Maritime ;

Alain ANZIANI, France Urbaine, vice-président de Bordeaux Métropole ;

Michel CHANUT, Régions de France, délégué régional à la coordination territoriale de l'action publique en charge des CTEC, région Aquitaine ;

Philippe BLUTEAU, avocat, conseil auprès de l'Association des Petites Villes de France ;

La table ronde est présidée par Philippe MOUILLER, sénateur des Deux-Sèvres.

1. Introduction

Estelle BOMBERGER-RIVOT , maître de conférences à Sciences Po, chercheur au sein de la Chaire « Mutations de l'Action publique et du Droit Public » (Sciences Po)

Nous avons, tout au long de la recherche évoquée par le professeur Auby, identifié un certain nombre de mécanismes qui vont créer une verticalité dans les rapports juridiques des collectivités territoriales entre elles et avec leurs groupements.

Cette verticalité est strictement encadrée par les textes. Peut-être l'est-elle trop, dans la mesure où ces mécanismes sont utiles. Ils s'avèrent toutefois complexes à mettre en oeuvre, et ne sont pas toujours attractifs pour les acteurs locaux. Ceci doit nous conduire à constater les difficultés rencontrées par le législateur dans le domaine de l'action territoriale : il va hésiter entre la volonté de donner de la liberté aux acteurs locaux et celle d'encadrer le système local.

Les rapports juridiques que nous avons qualifiés de verticaux désignent quatre des six mécanismes que nous avons identifiés : le transfert de compétences, la délégation de compétences, le chef de filât et les schémas prescriptifs.

Le transfert de compétences permettra d'agir en lieu et place dela collectivité d'origine qui sera dessaisie de sa compétence et ne pourra plus l'exercer, sauf dans des cas de combinaison de mécanismes. C'est donc une forme de rapport de substitution qui va se mettre en place. Ce peut être le cas de manière ascendante, comme une commune avec son EPCI, ou de manière descendante - par exemple un département avec sa métropole.

La délégation de compétences va permettre d'agir au nom et pour le compte de : la collectivité délégataire, celle qui reçoit la compétence, doit agir au nom de la collectivité délégante. Le rapport ainsi constitué va s'approcher du « mandat pour agir ». On pourrait qualifier cette relation de rapport de remplacement. Dans certaines configurations, on pourrait même y voir un rapport de sujétion.

Le chef de filât permettra de désigner une collectivité chargée, au nom de plusieurs autres, d'organiser l'exercice de la compétence. La collectivité chef de file ne peut l'être que par rapport à d'autres collectivités qui auront accepté ce rapport. Elle va ainsi prendre la tête d'un groupe, s'agissant de l'organisation d'une compétence. Elle exerce un rôle de « meneur » ou de locomotive.

Enfin, le schéma prescriptif va permettre de planifier des actions et de lister des principes directeurs qui auront vocation à servir de cadre aux collectivités « infra », lesquelles devront tenir compte des prescriptions du schéma sans pour autant y être totalement soumises. C'est donc un rapport de compatibilité qui va s'instaurer. La verticalité qui en résulte sera strictement encadrée par les textes et parfois par la gouvernance. Chacun connaît l'article 72, alinéa 5, de la Constitution, qui interdit l'exercice de la tutelle. Il autorise, dans le même temps, l'organisation des modalités de l'action commune. Le défi du schéma prescriptif sera d'organiser la compatibilité, tout en restant dans les limites de cette tutelle.

Le transfert de compétences est soumis à l'autorisation du législateur, selon le principe général, en droit public, de l'indisponibilité des compétences : une collectivité ne peut se défaire d'une compétence, sauf si la loi ou la Constitution l'y autorise.

La délégation de compétences est soumise à l'établissement d'une convention délimitant son champ d'action et prévoyant le contrôle de cette action. Elle est strictement encadrée et ne peut être envisagée dans toutes les hypothèses.

Le chef de filât ne peut concerner que les quatre compétences partagées (tourisme, sport, culture, promotion des langues régionales) et celles listées dans l'article L. 1111-9 du Code des collectivités territoriales. Il doit s'exercer par le biais d'une convention territoriale d'exercice concerté de la compétence, à l'issue d'une procédure assez longue et assez complexe.

Nous voyons que le législateur va s'efforcer d'organiser une forme de hiérarchie, de verticalité, dans l'exercice des compétences, sans y parvenir totalement. Ces mécanismes vont tout de même permettre aux collectivités de s'organiser localement.

Prenons les deux cas de figure de rapports imposés par la loi, notamment le transfert de compétences et les schémas. Ces mécanismes sont souvent ressentis comme des procédures imposées, parfois brutales. Pour les uns, ils vont déposséder certaines collectivités de leurs compétences. Pour d'autres, ils vont imposer une forme de position hégémonique. Ces mécanismes ne sont donc pas toujours bien perçus. Lorsque la coopération entre collectivités est recherchée, chacun va s'efforcer de s'adapter au mieux afin de conserver, du moins en apparence, une forme d'égalité. Il existe néanmoins des situations dans lesquelles la coopération n'est pas recherchée : soit on va chercher à passer en force, soit la concertation est totalement absente. Entre ces deux attitudes extrêmes se font jour diverses formes de coopération et situations pouvant coexister.

Les deux formes de rapports plus volontaires (délégation de compétences et chef de filât) présentent une singularité dans leur mise en oeuvre : ces mécanismes peuvent être actionnés dans des matières très spécifiques. Pour autant, les acteurs locaux vont légèrement contourner les prescriptions du législateur, dans certaines limites. Ainsi, la délégation de compétences peut être utilisée dans un but distinct de celui défini initialement. Nous avons constaté que les collectivités l'utilisaient notamment pour faciliter une transition, par exemple dans l'hypothèse du transfert de compétences complexes. Nous l'avons remarqué à propos des compétences de transport scolaire et de transport interurbain.

Quant au chef de filât, force est de constater que certains arrangements locaux vont permettre aux collectivités de s'adapter à la nouvelle architecture imposée par le législateur. On sait que les départements sont chefs de file de la compétence « solidarité des territoires ». Cependant, ils doivent s'articuler avec la compétence « aménagement et égalité des territoires » attribuée à la région. Ils doivent également composer avec les compétences générales du bloc local.

La région Nouvelle-Aquitaine a par exemple élaboré avec certains de ses départements une convention pour cette compétence. Son contenu montre qu'elle a permis de définir juridiquement des modalités dérogatoires d'intervention en commun des départements et de la région. La convention indique ainsi qu'au-delà de la garantie de la continuité des aides octroyées par ces collectivités, celles-ci ont mis en place des modalités visant à instituer un instrument dérogatoire au principe d'intervention financière stricte (posé par la loi NOTRe) et un outil permettant dans le même temps d'adoucir, voire de contourner la spécialisation des compétences, en ouvrant une brèche en faveur d'une sorte de clause générale territorialement consentie. Nous espérons en apprendre davantage à l'occasion de cette table ronde.

L'existence de ces divers mécanismes et leur utilisation par les acteurs publics locaux démontre que des adaptations sont possibles en matière d'organisation locale. Le législateur oscille entre une volonté libérale de laisser les collectivités s'organiser entre elles et la volonté de structurer le système, malgré une hiérarchisation des rapports qui sera difficile, juridiquement, à mettre en place. Les collectivités peuvent s'emparer localement de ces mécanismes pour organiser leur coopération et une forme de leadership. Ne perdons pas de vue en effet que derrière ces instruments, il s'agit la plupart du temps d'organiser des rapports de force. Les exemples évoqués lors de cette table ronde permettront sans doute d'en savoir davantage.

2. Les transferts et délégations de compétences : comment utiliser les souplesses de la loi pour s'organiser localement ?

Philippe MOUILLER, sénateur des Deux-Sèvres, président de la table ronde

De nombreuses questions surgissent, à propos des transferts de compétences, notamment autour de la garantie du transfert et des moyens associés. Comment permettre la mise en oeuvre du principe de subsidiarité, s'agissant de transferts entre collectivités ? Comment fonctionne la concertation préalable ?

Ce sont des sujets d'actualité que vous portez souvent, Monsieur le ministre. Je propose que vous soyez le premier à traiter de ce sujet.

Dominique BUSSEREAU, président de l'Assemblée des Départements de France (ADF), président du Conseil départemental de Charente-Maritime

Merci Philippe. Merci à Jean-Marie Bockel et au Professeur Auby d'avoir ouvert cet échange, et à Estelle Bomberger d'avoir précisé les sujets dont il sera question.

La loi NOTRe constitue un compromis entre la majorité de gauche, à l'époque, à l'Assemblée nationale et celle de droite et du centre qui existait au Sénat. Ce compromis a abouti à une commission mixte paritaire, présidé par le président de la commission des lois du Sénat, Philippe Bas, qui présidait alors le département de la Manche. Il y a des choses assez amusantes dans ce compromis, et même des éléments qui n'auraient pas dû échapper à la sagacité du Conseil constitutionnel, dans la mesure où ils relèvent, pour certains, du domaine réglementaire et, pour d'autres, de la circulaire. Je pense au système un peu baroque mis en place à propos des ports. Cet aspect n'avait pas été soulevé dans les différents recours.

C'est un texte boiteux qui mérite d'être modifié. Jean-Marie Bockel évoquait la conférence des territoires. L'instance de dialogue qui s'est réunie cette semaine à Matignon sous l'égide du Premier ministre a évoqué non pas un « grand soir », mais la nécessité de corriger nombre de problèmes que pose la loi NOTRe, qui apparaissent aujourd'hui sur le terrain. Je le dis ici car un texte corrigeant ces anomalies de la loi NOTRe serait utile à l'ensemble des collectivités.

Si nous nous orientons vers une éventuelle révision constitutionnelle, en introduisant un article donnant de la liberté aux collectivités, en permettant que le département du Haut-Rhin ne fasse pas exactement la même chose que celui de Charente-Maritime, c'est-à-dire si l'on introduit de l'expérimentation permanente, notre débat n'aura peut-être pas d'objet : on pourra trouver des adaptations locales, sous la réserve que définiront le constitutionnaliste et les textes d'application.

À cet égard, les choses se déroulent de façon assez compliquée car nous ne sommes pas au point. En Nouvelle-Aquitaine, le préfet de région se trouve à Bordeaux, la Direction de l'environnement à Poitiers, la Direction de l'agriculture à Limoges. En conséquence, le préfet de région ne voit rien. Ses Directions rendent compte à leur administration centrale et au cabinet lorsqu'il s'agit de problèmes difficiles. Elles envoient un mail au préfet de temps à autre, peut-être le lendemain. L'organisation de l'État issue, dans les grandes régions, de la réforme affaiblit l'État dans sa manière d'agir et dans ses modes d'incitation.

Alors que Jean-Marie Bockel et moi étions au Gouvernement a été adoptée la réforme Guéant découlant de la RGPP, en conséquence de laquelle de nombreuses préfectures sont quasiment inexistantes. Le préfet a une toute petite équipe technique auprès de lui. Le contrôle de légalité est effectué de façon très différente suivant les départements. Nous voyons, remontant des collectivités, des contrôles de légalité opposés suivant les départements. Plutôt que de créer une agence nationale de cohésion territoriale, l'État aurait plutôt besoin de renforcer les équipes préfectorales dans les départements qui ne sont pas préfectures de région, car les préfets n'ont plus autour d'eux l'équipe leur permettant d'inciter, d'activer, voire d'effectuer un contrôle cohérent de légalité des actes émanant des collectivités territoriales.

La situation est assez proche en ce qui concerne les régions. Je suis très lié, depuis mes études à Sciences Po, où j'enseigne également, avec Alain Rousset. Nous ne sommes pas du même bord politique mais nous étions étudiants ensemble et avons conservé des liens d'amitié. J'évoque souvent ces questions avec lui. Nous voyons que l'organisation de la région est compliquée, compte tenu de la multiplicité de sites que j'évoquais. Le président de région vit dans sa voiture avec des parapheurs. Il est ravitaillé par d'autres voitures avec d'autres parapheurs en cours de semaine. Si vous prenez l'avion ou l'hélicoptère, ce qui s'est produit par le passé, vous gagnez du temps mais vous avez droit à un article dans Le Canard Enchaîné .

Ces grandes régions sont légitimes et ont atteint leur régime de croisière politique mais leur fonctionnement est compliqué. J'attendais beaucoup de la CTAP (Conférence Territorial de l'Action Publique). Lorsque nous y avons travaillé à la commission des lois de l'Assemblée nationale, sous la présidence de l'ancien Garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas, puis sur la loi NOTRe, nous attendions beaucoup de ces dispositifs. La CTAP constitue une énorme machine, que les élus s'y rendent ou non. Les grands patrons de départements ou de grandes collectivités ne s'y rendent pas. Les élus de plus petites collectivités y vont, espérant passer des dossiers au président de région. C'est une sorte de grand-messe, dont le nombre de participants - défini par la loi - est beaucoup trop élevé. Ce n'est pas une instance de travail, même si c'est une instance de concertation utile. Aucun vrai débat ne peut y avoir lieu. Si une révision de la loi NOTRe était engagée, je crois qu'il faudrait revoir la composition de cette conférence en prévoyant la possibilité de traiter des dossiers en amont, par exemple au sein d'un Bureau, afin d'obtenir un meilleur dialogue des collectivités, sous l'égide du président de la région.

Les départements n'ont pas beaucoup bougé. S'agissant des compétences que les régions ont transférées, cela fonctionne plus ou moins bien. Les régions Auvergne-Rhône-Alpes et Occitanie ont joué la carte du transfert des transports scolaires, ce qui concerne dix départements. Dans ma région, j'aurais souhaité qu'il en fût de même mais le vice-président de la région ne l'a pas voulu. Il faut reconnaître que certaines régions n'ont pas voulu assumer une éventuelle délégation. Nous sommes dans une situation qui n'est pas très bonne. Les grands opérateurs de transport nationaux et locaux partagent cet avis. J'espère que la loi sur la mobilité corrigera cela en donnant aux départements la possibilité d'organiser des transports de proximité avec les EPCI au titre de la solidarité territoriale.

Les conventions prévues par la loi NOTRe pour l'action en matière agricole (pêche et forêt) fonctionnent plutôt bien avec les régions, dans un bon état d'esprit. Globalement, la situation varie suivant les territoires. Elle dépend des équipes en place. Il faut aussi que l'administration départementale ou régionale n'essaie pas de faire l'inverse de ce qu'ont décidé les élus et le président - ce qui est souvent le cas. Cela mérite également une correction politique de la part des exécutifs, qui doivent donner des instructions très claires à leurs équipes.

Du point de vue du transfert de compétences avec les EPCI, certains EPCI ne sont pas au point. Comme le rappelait Jean-Marie Bockel, à deux reprises, l'État a refait la carte des EPCI de manière très autoritaire. Certains EPCI ont de très larges compétences (par exemple dans le domaine scolaire) mais n'ont que des moyens de fonctionnement et aucun moyen d'investissement. Dans de tels cas, ils ont beau couvrir parfois plus de cent communes, ils n'ont pas de moyens d'action. Lorsque les EPCI ont laissé les dépenses de fonctionnement et l'action locale aux communes, auquel cas ils ont des moyens pour investir, c'est utile et l'on peut monter des projets avec eux.

Seul le corps communal est stable dans tout cela. La loi Pélissard permet d'effectuer, posément, des fusions de communes qui ne sont pas imposées et qui fonctionnent. On est passé de 36 000 communes à 35 500. Chaque semaine, dans tous les départements, de nouvelles communes apparaissent, sans que cela ne fasse de bruit ni ne nécessite l'intervention du préfet.

En un mot, cela fonctionne lorsque les hommes le veulent bien. Les dispositifs légaux sont très compliqués et méritent quelques modifications. Un bon président de département est à mon avis celui qui réunit tous les ans ou tous les deux ans les maires de son département. Il doit réunir les EPCI très régulièrement et son directeur général des services doit également réunir les directeurs généraux des EPCI pour travailler sur les dossiers. Un président de région devrait rencontrer au moins tous les trois mois les présidents de départements. Cela a commencé en région Normandie. Puis, au bout de trois ou quatre mois, les présidents de département se voient de leur côté et ne voient plus le président de région. Ce n'est pas une bonne chose. Il faut des mécanismes politiques, de bon sens et de convivialité, qui ne sont pas prévus par la loi. S'ils fonctionnent bien, les mécanismes administratifs un peu complexes, qu'a décrits Mme Bomberger, fonctionneront mieux.

Philippe MOUILLER, sénateur des Deux-Sèvres, président de la table ronde

Je puis vous assurer que le Sénat est pleinement engagé dans la réflexion visant à faire évoluer la loi NOTRe. Différentes commissions travaillent notamment à des propositions de modification de ce texte. Ce sera un sujet d'actualité au cours des semaines qui viennent.

Monsieur Chanut, quel regard portez-vous sur cette question du transfert de compétences ? Comment fonctionne-t-il de votre point de vue ?

Michel CHANUT , Régions de France, délégué régional à la coordination territoriale de l'action publique en charge des CTEC, région Aquitaine

J'hésite à intervenir à propos de la CTAP, après le président Bussereau, qui a souligné à juste titre qu'il s'agissait d'une assemblée protéiforme. En Nouvelle-Aquitaine, elle compte un peu plus de 105 membres. L'idée de départ était noble : cette instance assure une représentation de l'ensemble des collectivités territoriales, puisque même les plus petites communes y sont représentées. Nous vivons l'expérience du fonctionnement de cette instance avec enthousiasme, intérêt mais aussi pragmatisme. Il manque une instance de pilotage, comme un bureau. Nous réfléchissons de façon volontaire à la création d'un Bureau au sein de la CTAP. Ce n'est pas simple puisqu'il faut respecter les différents types d'équilibres (politiques et géographiques).

Cette large assemblée a le mérite de porter des débats intéressants. L'un des premiers qui ont occupé notre CTAP, en Nouvelle-Aquitaine, durant au moins deux séances plénières, fut consacré à l'adoption du schéma régional de développement économique (SRDEII), qui fut soumis pour avis à la CTAP à deux reprises. Ce travail a permis d'adopter un certain nombre d'amendements et d'engager des concertations avec de nombreuses collectivités, notamment les départements. C'est un point positif à porter au crédit de la CTAP que d'avoir pu nourrir ce débat entre les collectivités sur les objectifs de ce schéma.

D'autres schémas seront bien sûr présentés à la CTAP, à commencer par le SRADDET. En Nouvelle-Aquitaine, le président Rousset a choisi de faire de la CTAP un lieu qui permette, au-delà de ses attributions réglementaires, de débattre d'un certain nombre de thèmes. Récemment, la CTAP s'est penchée sur le projet de loi de SRESRI (schéma régional d'enseignement supérieur, de recherche et d'innovation). Il existe un projet de convention territoriale d'exercice concerté de la compétence enseignement-recherche qui sera proposée pour débat à la CTAP, car la région souhaite prolonger l'adoption de son schéma régional d'enseignement supérieur et de recherche par une convention qui sera proposée aux collectivités concernées par les enjeux de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Nous allons créer des groupes de travail - notamment sur la question de l'enseignement supérieur et de la recherche - car on ne peut effectivement travailler sérieusement avec 105 membres. Deux autres groupes de travail seront créés sur des thématiques remontées de la concertation avec les collectivités territoriales, l'un sur la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs, l'autre sur l'économie alimentaire et les circuits courts.

Philippe MOUILLER, sénateur des Deux-Sèvres, président de la table ronde

Alain Anziani, quel est le premier bilan que vous tirez, du point de vue de Bordeaux Métropole, des évolutions de textes en matière de transfert de compétences ?

Alain ANZIANI, France Urbaine, vice-président de Bordeaux Métropole

Ce bilan naît de deux négociations. On ne peut l'apprécier sans y revenir un instant. Il s'agit d'abord de la négociation de la loi entre, d'un côté, l'État et les collectivités territoriales et entre celles-ci, avec un objectif de rationalisation et d'économies. Dans la pratique, une seconde négociation a lieu entre les acteurs sub-territoriaux, avec là aussi un objectif de réalisation d'économies et un autre visant à préserver la proximité et la réactivité. Une sorte de paradoxe se dessine alors dans la mesure où tout notre souci vise à donner davantage de souplesse, appliquer la loi sans perdre les nécessités de relations à l'usager. Cela représente un travail considérable. Nous avons essayé, avec le président Juppé, de trouver un certain nombre de solutions.

Ce fut le cas d'abord en ce qui concerne les transferts de compétences. En matière de propreté, les communes transfèrent leur compétence à la métropole. Nous avons inventé quelque chose en réalisant le transfert de compétences des communes vers la métropole tout en permettant une délégation de compétences. La moitié des communes de Bordeaux métropole (13 sur 28) ont souhaité conserver l'exercice de leur compétence en matière de propreté, avec les crédits qui accompagnent cette délégation.

Nous avons également opté pour une mutualisation « à la carte ». Ce n'est pas le cas dans d'autres métropoles, qui considèrent que nous nous sommes compliqué la vie. Ce n'est pas entièrement faux. Nous avons dressé une liste de 130 fonctions, dans laquelle chacun prend ce qu'il souhaite, à la condition de ne pas pouvoir revenir en arrière. 18 des 28 communes ont ainsi opté pour la mutualisation - certaines d'entre elles craignant de perdre en proximité si elles s'engagent dans cette voie. Les communes qui ont procédé à des mutualisations l'ont fait pour ce qu'elles souhaitent, à savoir, suivant les cas, des fonctions supports comme les finances (que neuf communes ont mutualisées) ou l'urbanisme. Presque toutes ont mutualisé le numérique, car elles y ont vu une condition pour que les choses avancent en la matière.

C'est donc une mutualisation à la carte qui a été mise en oeuvre, au moyen de conventions d'engagement : si je signe avec vous, je dois obtenir les mêmes résultats que ceux que j'obtenais tout seul. À titre d'illustration, si vous aviez le label « 4 fleurs », la métropole doit s'engager à ce que vous le conserviez. C'est évidemment plus compliqué pour la voirie ou le numérique. En pratique, on verse une attribution de compensation au moment de la mutualisation, c'est-à-dire que l'on transfère aussi des recettes. On souhaite, en contrepartie, une sorte de garantie de résultat.

Venons-en enfin à la territorialisation. Conçoit-on de tels dispositifs avec de grandes métropoles qui font figure de « grosses machines » anonymes ou allons-nous déconcentrer à notre tour ? La plupart des métropoles ont fait le choix de la déconcentration - certaines avant même les lois NOTRe et MAPTAM. Il existait déjà, dans nombre de communautés urbaines des pôles territoriaux. Nous avons créé de tels pôles. Il y en a quatre aujourd'hui au sein de la métropole de Bordeaux. Ce ne sont pas seulement des lieux distincts : c'est aussi un transfert de compétences ou une déconcentration entre la grande machine centrale et les pôles territoriaux.

À titre d'exemple, nous avons récemment permis à un pôle territorial de décider d'une embauche pour des contrats de durée courte, ce qui permet de réduire les délais et d'accentuer la proximité. Nous avons également couplé le dispositif à une instance de gouvernance au sein de chaque pôle territorial. Il s'agit des conférences territoriales, qui réunissent les maires, sous la présidence tournante d'un d'entre eux, l'ordre du jour étant défini par les maires de la conférence territoriale.

La métropole constitue une très belle aventure. Elle donne de premiers résultats. Le paradoxe réside dans le fait que les gagnants sont les communes, ce qui n'était pas l'intention du législateur. Celles qui ont mutualisé des compétences voient leurs dépenses de fonctionnement diminuer de 2 %, ce qui est très significatif dans la période actuelle. Pour autant, la métropole ne voit pas ses dépenses de fonctionnement s'alourdir, du fait du jeu des attributions de compensations et des efforts consentis. Nous estimons que la métropole commencera à réaliser des économies au cours des années qui viennent, à la faveur notamment des groupements de commandes. Il en existait un seul en 2015. Leur nombre est de 31 aujourd'hui.

Philippe MOUILLER, sénateur des Deux-Sèvres, président de la table ronde

Le juriste porte-t-il le même regard quant au bilan qui peut être dressé, à ce stade, des transferts de compétences ?

Philippe BLUTEAU, avocat, conseil auprès de l'Association des Petites Villes de France

Il faut d'abord se demander ce qui a justifié ces travaux relatifs aux rapports juridiques verticaux entre collectivités. La réflexion que mène l'APVF depuis plus de vingt ans fait écho au rapport provisoire présenté en introduction et aux déclarations du professeur Auby en ouverture de ces travaux. D'où vient la nécessaire inventivité de tous les acteurs locaux pour mener à bien les projets ? S'il n'y avait pas la prétention de fixer des blocs de compétences qui s'imposent aux acteurs locaux, ceux-ci n'auraient pas à rechercher des moyens de contourner cette obligation. Le professeur Auby soulignait en introduction que la prétention aux blocs de compétences était un fantasme. Cette idée doit être appuyée.

Je prendrai une métaphore pâtissière. Le millefeuille territorial est souvent critiqué, ou souhaité. Selon ce mythe, il y aurait une répartition possible et souhaitable des compétences entre les différents niveaux (crème pâtissière, pâte feuilletée, glaçage), ce qui conduirait à une superbe réalisation. Chacun sait que cela ne peut fonctionner ainsi. Lorsque la loi NOTRe a essayé de supprimer la clause de compétence générale des départements et des régions, ce fut immédiatement pour tolérer des mécanismes de délégation et de transfert de compétences laissés à la discrétion des acteurs locaux. Aujourd'hui, la crème pâtissière peut descendre, de même que la pâte feuilletée peut remonter. Le glaçage peut fondre. Le millefeuille est informe et introuvable. C'est plutôt un milkshake qu'un millefeuille que l'on obtient.

Il ne faut pas s'en offusquer, car quel est l'enjeu ? On peut considérer qu'il s'agit de la visibilité. Souvent, le mythe du millefeuille est de rendre le dispositif clair, lisible pour les porteurs de projet (qu'on sache « qui fait quoi »). Cet espoir me semble vain. Les travaux du rapport provisoire le montrent bien. Il existe des besoins locaux d'adaptation. Certains niveaux peuvent et veulent faire, et ne supportent pas d'être contraints dans leurs projets. Après tout, cette visibilité est-elle vraiment l'enjeu ? N'est-ce pas plutôt l'efficacité et la possibilité, pour les porteurs de projets, de trouver des interlocuteurs ayant les moyens juridiques et financiers de les aider à les mener à bien ?

Un troisième enjeu pourrait être jugé déterminant : la rationalité. Les membres du groupe de travail de l'APVF consacré à ce sujet abordent avec beaucoup de circonspection cette injonction à la rationalisation, qu'il s'agisse de paysages intercommunaux ou de transferts de compétences. Le terme de rationalisation implique toujours qu'il existe une raison supérieure aux décisions libres des acteurs. En cela, elle me paraît suspecte.

Le quatrième enjeu que l'on peut poursuivre est beaucoup plus concret, et intéresse au premier chef les petites villes : c'est le « ruissellement » métropolitain. Plus personne ne souhaite freiner les métropoles dans leur élan, leur inventivité ni leur recherche de compétitivité. Il existe néanmoins un enjeu d'aménagement du territoire, à la fois politique et juridique, visant la façon dont nous pourrons nous assurer que, dans vingt ans, ce dynamisme des métropoles aura profité à l'ensemble du territoire national.

Là apparaît une dimension juridique importante à prendre en compte. On commence à nous dire que la réponse juridique réside dans le contrat de réciprocité, cet outil par lequel les métropoles viendraient contractualiser avec les territoires environnants afin de se lier et prévoir « qui fait quoi » à quel endroit. Sur le papier, cet outil paraît très intéressant. Peut-on se permettre de faire le pari que la liberté contractuelle suffira en la matière ? Je suis loin d'en être convaincu.

Il suffit de se rendre compte que quatre contrats de ruralité étaient initialement prévus, comme le rappelle d'ailleurs votre rapport. Deux seulement sont signés (Bretagne et Occitanie). Dans les deux autres cas, on continue de voir fleurir des initiatives assez étranges. Dans l'un des deux territoires où était prévu un contrat de réciprocité, la grande agglomération a décidé d'une tarification différenciée pour le stationnement, au bénéfice de ses habitants, sur le parking de la gare TGV. Politiquement, cela dit des choses : cette agglomération souhaite profiter de la gare TGV pour attirer de la population et des entreprises. Mais elle incite aussi un peu plus les ménages et les entreprises à s'installer chez elle et non dans les ruralités environnantes. C'est le symptôme du fait que les grandes agglomérations ne vont pas spontanément, par philanthropie et souci d'aménagement du territoire, se saisir du contrat de réciprocité. Peut-être le législateur devra-t-il donc trouver des outils et instrument de contrainte. Contraindre au contrat n'a guère de sens. Mais si le contrat échoue, peut-être faudra-t-il en venir, comme le propose l'Association des Petites Villes de France, à des mécanismes plus contraignants comme ce « 1 % métropole » qui consisterait à prélever une partie des recettes fiscales pour les redistribuer.

Philippe MOUILLER, sénateur des Deux-Sèvres, président de la table ronde

C'est un point de vue. Merci pour cet éclairage.

J'aimerais que nous fassions maintenant un zoom sur la délégation de compétence. Dominique Bussereau, quel est, à vos yeux, l'intérêt de ce dispositif ? Est-ce par exemple un moyen de conserver de la proximité pour les communes ?

Dominique BUSSEREAU , président de l'Assemblée des Départements de France (ADF), président du Conseil départemental de Charente-Maritime

La délégation de compétence est une idée excellente sur le papier. J'ai cité tout à l'heure les régions qui ont agi en ce sens en matière de transports scolaires et interurbains (sachant qu'une ligne peut remplir ces deux fonctions). Souvenez-vous du terrible accident survenu dans mon département, à Rochefort, il y a plus d'un an, dans lequel six jeunes collégiens ont été tués. C'était un bus qui venait de l'île d'Oléron, qui se rendait dans le nord du département. À son bord se trouvaient des élèves mais aussi des travailleurs du port de Rochefort.

Ce passage à la région a été voulu par le législateur. Je n'y étais pas favorable mais ne suis pas partisan d'un « grand soir » législatif : je crois qu'il vaut mieux rechercher des améliorations au coup par coup.

Prenons l'exemple du domaine économique. Il est assez logique que le législateur ait prévu que la région dispose des compétences en matière économique et pour l'aide aux entreprises. En ce qui concerne l'aide économique, cette compétence est d'ailleurs partielle, puisque les départements ont conservé la compétence touristique. Dans de nombreux départements de France, le premier secteur économique est le tourisme. Lorsque les départements installent le très haut débit, améliorent les réseaux routiers ou interviennent à la place d'une communauté de communes ou d'une agglomération, par convention, dans une zone d'activité, ils font de l'économie. Le système est donc assez bâtard. Nous voyons aussi que les agences d'attractivité créées par certains départements ont une vocation plus large que le tourisme. Certains préfets l'acceptent, d'autres le refusent. Le cas des SEM (sociétés d'économie mixte) détenus par les départements en fournit un autre exemple. Dans mon département existe une SEM dédiée au transport. La région ne souhaite pas racheter les parts du département dans cette société. Le transporteur privé, qui détient la moitié des parts, ne souhaite pas non plus racheter l'autre partie du capital. Le préfet devrait me dire de les vendre, mais à quoi cela servirait-il s'il n'y a pas d'acheteur ? Il y a ainsi de nombreux cas particuliers mal couverts par la loi en ce qui concerne les délégations de compétences.

En matière de développement économique, je serais pour que, s'il était question de corriger certaines anomalies créées par la loi NOTRe, par exemple, l'on redonne au département la compétence d'agir pour le compte de la région pour l'aide immédiate aux entreprises. Auparavant, en Charente-Maritime, lorsqu'une entreprise en difficulté avait un problème de trésorerie, on le réglait avant la fin de la semaine. Aujourd'hui, il faut passer par l'administration régionale, ce qui demande un temps considérablement plus long, même si elle fait tout ce qui est en son pouvoir. La région pourrait déléguer cette compétence économique et de l'aide aux entreprises, pourvu que certains départements soient volontaires. Ce double volontariat, de la région et des départements est nécessaire. Avec davantage de souplesse, nous pourrions sans doute résoudre plus rapidement un certain nombre de difficultés sur le terrain.

C'est la raison pour laquelle je prône, non pas un changement des compétences telles que les lois NOTRe et MAPTAM les ont définies, mais la capacité à mettre en oeuvre des délégations de compétences de façon beaucoup plus rapide et plus souple. Ce principe se heurte moins aux élus (même si certains d'entre eux voient dans toute modification des contours de leur portefeuille une agression personnelle) qu'aux administrations des différentes collectivités, qui sont elles-mêmes à cheval sur leurs compétences. En réalité, comme l'a souligné Philippe Bluteau, le système est complexe mais est fait pour être contourné. Je pense que nous pouvons significativement améliorer les choses. Cela passe par un texte qui aurait l'accord du Gouvernement et qui introduirait un peu de souplesse dans la loi NOTRe.

Prenons enfin l'exemple de la compétence GEMAPI. Les évènements tels que la tempête Xynthia ont montré que, souvent, des ouvrages de défense n'étaient pas entretenus - par exemple une digue conçue pour poldériser un marais, que plus personne n'entretient, car nul ne sait qui en a la responsabilité. L'État a fait un énorme effort, après Xynthia, sur les plans de protection. Il favorise également, à travers une commission nationale d'habilitation, l'adoption de PAPI permettant, à la faveur de financements de l'État, parfois de l'Union européenne, souvent des régions, départements et des collectivités ou leurs groupements, de bâtir des ouvrages de défense. De nombreux départements se sont engagés dans ce type de démarche. Nous avons avec Alain Anziani un PAPI commun sur l'estuaire de la Gironde (plus grand estuaire d'Europe), plus difficile à défendre du fait de la présence d'intérêts divergents.

De nombreuses communautés de communes ont pris la compétence GEMAPI, que la loi leur confie depuis le 1 er janvier 2018 (conséquence de la loi MAPTAM). Certains se rendent compte qu'ils ne disposent pas des services requis pour monter des projets. Une petite communauté de communes qui reçoit les berges d'un fleuve estuarien n'a pas forcément les ingénieurs et techniciens permettant de le gérer. Nous avons obtenu la première modification de la loi NOTRe, passée relativement inaperçue. Ce fut une proposition de loi venue du groupe MODEM à l'Assemblée nationale, adoptée avec l'appui du Gouvernement (en la personne de Madame Gouraud) à l'Assemblée nationale et au Sénat. Elle permet à une intercommunalité qui le souhaite de redonner la compétence de maîtrise d'oeuvre aux départements si ceux-ci le souhaitent également. Cela permettra de poursuivre des programmes qui auraient été interrompus par manque de moyens.

Philippe MOUILLER, sénateur des Deux-Sèvres, président de la table ronde

Alain Anziani, partagez-vous cette analyse ?

Alain ANZIANI, France Urbaine, vice-président de Bordeaux Métropole

Tout à fait. Je me demande tout de même si cette délégation de compétence n'est pas le signe d'un échec. Elle est assez étrange, dans son principe. On donne une compétence à une collectivité, tout en permettant, à l'alinéa suivant, qu'elle la délègue à une autre collectivité. Pourquoi ne la confie-t-on pas directement à la collectivité qui sera délégataire ?

C'est un schéma assez particulier du point de vue de sa conception. En fait, la délégation de compétence constitue aussi un aveu de peur. On crée de « grandes machines » mais on se demande finalement si, dans la réalité, cela va vraiment se dérouler comme c'est écrit sur le papier. Le réalisme impose alors d'envisager que la collectivité de proximité exerce la compétence, car elle mettra peut-être une semaine au lieu d'un mois. Le législateur devrait tirer les conséquences de ce constat et faire confiance à des collectivités qui connaissent leur métier, plutôt que d'imaginer des dispositifs très complexes.

Philippe MOUILLER, sénateur des Deux-Sèvres, président de la table ronde

La délégation de compétence peut-elle être vue comme un moyen de contourner la loi, Philippe Bluteau ?

Philippe BLUTEAU, avocat, conseil auprès de l'Association des Petites Villes de France

Prenons l'exemple d'un département qui souhaitait placer des abribus sur des routes départementales mais aussi sur des voiries communales. Il a fallu trouver, dans ce millefeuille, sur quelle compétence il pouvait s'appuyer. Il n'avait plus la compétence de transport interurbain, transférée à la région. Ce n'était pas non plus la gestion de la voirie, s'agissant de routes communales. Il ne pouvait s'agir d'une simple subvention au titre de la solidarité interterritoriale, car ces subventions versées par les départements aux communes se limitent aux cas dans lesquels la commune est maître d'ouvrage. Or on ne voulait pas, par souci d'efficacité, que les trente communes accueillant un abribus soient toutes maîtres d'ouvrage et doivent se regrouper en groupement de commandes avant de trouver un prestataire commun.

On a ainsi créé une délégation de compétence, car la loi est très souple de ce point de vue. C'est aussi un instrument très puissant. La loi ne contraint même pas le périmètre de la compétence à déléguer. Chaque commune a signé avec le département une convention à la faveur de laquelle elle lui délègue la compétence de délivrer des autorisations d'occupation temporaire, sur le domaine public communal, en vue de l'installation d'un abribus, ainsi que la compétence pour percevoir la redevance d'occupation liée à ce domaine public. Il fallait en effet, avant de payer le prestataire chargé d'installer et de maintenir l'abribus, que le département y trouve, comme avant, quelques recettes.

Cet outil est si souple qu'il a permis de répartir les frais : au département les frais d'installation, d'entretien et de maintenance, aux communes les frais de nettoyage des abords, de fourniture de l'électricité et de nettoyage de la plateforme à l'intérieur de l'abribus.

Si nous avions conservé la clause de compétence générale, toute cette mobilisation technique à laquelle nous sommes contraints de recourir serait-elle nécessaire ? J'en viens à ma proposition : si une révision de la loi NOTRe devait être à l'ordre du jour, nous pourrions revenir à la loi MAPTAM, qui rétablissait la clause de compétence générale des départements et régions que la loi RCT du 16 décembre 2010 avait pour projet de supprimer.

Cette clause de compétence générale ne signifie pas l'anarchie : elle est entourée de nombreuses limites, à commencer par celle de la responsabilité politique de ceux qui l'activent. Elle est également circonscrite par des limites juridiques : elle ne peut permettre d'empiéter sur les compétences de l'État. Sa mise en oeuvre est également contrainte par l'intérêt public local. Elle est enfin conditionnée par l'état des finances. Celui-ci ne constitue-t-il pas, aujourd'hui, une contrainte suffisante pour obliger les acteurs locaux à s'organiser, dans le cadre d'une clause de compétence générale, pour ne pas s'en imposer d'autres qui ne soient que de papier ?

3. Le chef de filat et le schéma prescriptif

Philippe MOUILLER, sénateur des Deux-Sèvres, président de la table ronde

Michel Chanut, pouvez-vous nous faire part de votre expérience et de votre vision quant à l'impact du chef de filât et de cette notion de leadership sur les relations entre collectivités ?

Michel CHANUT, Régions de France, délégué régional à la coordination territoriale de l'action publique en charge des CTEC, région Aquitaine

Nous n'avons, en la matière, que l'expérience de quelques mois de mise en oeuvre. J'ai évoqué tout à l'heure un projet de CTEC (convention territoriale d'exercice concerté de la compétence) sur le chef de filât « région » concernant l'enseignement supérieur et la recherche. Nous voyons là une façon de donner du sens et d'agir en faveur de l'équité territoriale (à travers l'implantation des sites universitaires, de leurs antennes, des établissements de recherche) et de mobiliser les établissements d'enseignement supérieur et de recherche, qui ont un intérêt partagé avec la région du point de vue de l'implantation de ces équipements. Nous allons nous appuyer sur le cadre juridique offert par la CTEC afin de contractualiser les interventions de la région (désignée chef de file) et des collectivités qui souhaiteront s'organiser sur cette priorité. Les départements et la métropole seront certainement signataires de cette convention.

Dans le domaine de la solidarité des territoires, où le chef de filât revient aux départements, nous avons développé en Nouvelle-Aquitaine un certain nombre de CTEC. Sur douze départements, neuf départements, à ce jour, ont ou sont en train de signer avec la région une CTEC, dont le département de Charente-Maritime.

En pratique, le département de la Gironde avait souhaité mener une réflexion sur ce champ de la solidarité territoriale. Il a initié une réflexion, rapidement suivi en cela par les autres départements de la région. Le rapport voit là un moyen pragmatique de réintroduire la clause de compétence générale territoriale non consentie. C'est en effet de cela qu'il s'agit. Tous les débats de ce matin le montrent. C'est l'occasion de redonner du sens à l'articulation des politiques des différentes collectivités, dans un champ où la région, au titre de la politique d'aménagement du territoire et de soutien au développement des projets qui la composent, et les départements ont un intérêt évident à collaborer et à se concerter pour articuler leurs politiques dans ce champ. La CTEC constitue l'outil juridique qui nous est proposé. Nous nous en sommes emparés. Il présente une certaine complexité dans sa mise en oeuvre.

Il a en tout cas existé une volonté politique partagée par la région et par les départements de définir des modalités dérogatoires d'intervention du département et de la région et d'assurer la complémentarité de leurs politiques d'intervention au profit des projets des territoires.

Il faut distinguer, à cet égard, deux acteurs majeurs : le département et la région. Le principe de réalité a consisté à développer les discussions - au cours de l'année 2017 - afin d'aboutir à un modèle de convention qui définit les objectifs, le cadre et les modalités d'intervention de la région, tout en permettant au département de définir ses priorités et les modalités de cofinancement. C'est un des avantages de la CTEC que de permettre le cofinancement par la région et le département de projets portés par une maître d'ouvrage publique et d'abaisser le seuil de cofinancement à 20 % (en dérogeant au seuil de 30 % qui avait été fixé).

Cette CTEC a été naturellement préparée avec une grande attention. Elle prévoit le cadre d'intervention mais aussi des dispositifs mutuels mis en oeuvre par la région et le département. Au titre des modalités de mise en oeuvre ont été insérés des articles prévoyant notamment les informations réciproques que doivent se fournir la région et le département, dès lors qu'un projet leur est proposé, ce qui va jusqu'à identifier l'ensemble des cofinancements mobilisés. Elle prévoit un dispositif de gouvernance, une sorte de comité de suivi et de pilotage qui va assurer le pilotage de la convention, en établissant au moins une fois par an un bilan des actions soutenues par les deux partenaires et en définissant le programme de l'année à venir. Nous manquons de recul pour juger de cette mise en oeuvre mais les objectifs sont en tout cas ambitieux : ils visent à s'assurer que ces dispositifs favorisent une meilleure articulation entre la région et les départements concernés, et une meilleure coordination des interventions, dans le souci de l'intérêt général.

Philippe MOUILLER, sénateur des Deux-Sèvres, président de la table ronde

Je vous propose d'ouvrir un échange avec la salle.

Échange avec la salle

Fabrice THURIOT, université de Reims

Il me semble que l'intercommunalité pourrait être davantage évoquée sur le plan des relations verticales, puisque son évolution conduit à des relations qui ne sont plus horizontales (sauf dans de petites intercommunalités), du fait de la taille qu'ont prise les intercommunalités, qui ont beaucoup grossi. À Reims, l'intercommunalité est passée de 16 à 144 communes, ce qui équivaut à l'ancien pays rémois. Les maires des petites communes se plaignent d'être mis de côté, car ils ne peuvent être représentés dans toutes les instances. Le pouvoir appartient clairement aux élus et à l'administration. Cela met en évidence un problème de déshabillage des petites communes et des petites intercommunalités qui existaient antérieurement.

Alain ANZIANI, France Urbaine, vice-président de Bordeaux Métropole

Nous n'avons pas ce cas de figure à Bordeaux, puisque la métropole a consisté en la transformation pure et simple de la communauté urbaine, sans élargissement du territoire. Une seule commune, en soixante ans, s'est ajoutée à la communauté urbaine et à la métropole. Le cas que vous évoquez existe aussi à Lille. Je crois que le consensus doit l'emporter. Les notions de contrat d'engagement, de mutualisation et de création de services communs, sous la double autorité du président de la métropole (ou de la communauté urbaine) et des maires, paraît une bonne solution.

Dans notre cas, le Bureau de la métropole est constitué par les 28 maires de la métropole, plus une représentation politique des groupes qui n'ont pas de maire. Avec un nombre aussi important que celui que vous évoquez pour Reims, il faut créer une conférence des maires qui entre vraisemblablement en concurrence avec le Bureau de la métropole, ce qui ne simplifie pas les choses. La solution n'est-elle pas le regroupement des communes (ce qui pose d'autres difficultés) ?

Je crois en tout cas qu'il faut garder une taille humaine à toute chose et que ces très grandes agglomérations génèrent peut-être davantage de difficultés qu'elles n'en résolvent.

Sébastien LEPIC, département du Puy-de-Dôme

La délégation de compétence prévue dans le code général des collectivités territoriales prévoit qu'une compétence peut être déléguée d'une collectivité territoriale à une autre et d'une collectivité territoriale à un EPCI, et non d'un EPCI à une collectivité territoriale. Est-ce sur ce fondement que la métropole évoquée tout à l'heure, en Nouvelle-Aquitaine, avait délégué certaines compétences aux communes ?

Ma deuxième question est liée à la commande publique. Tous ces mécanismes sont-ils compatibles avec les règles de la commande publique, en particulier lorsque les collectivités se comportent entre elles comme des prestataires de service ? Tel est le cas par exemple lorsqu'une collectivité territoriale assure une maîtrise d'oeuvre au bénéfice d'une autre collectivité. Elle est alors dans le champ concurrentiel.

Dominique BUSSEREAU, président de l'Assemblée des Départements de France (ADF), président du Conseil départemental de Charente-Maritime

Merci pour cette question, dont nous discutons souvent avec Jean-Yves Gouttebel, le président de votre département, sous réserve de la modification habituelle de l'article 72 de la Constitution. La mutualisation de la commande publique a déjà de beaux jours devant elle. Nombreux sont les départements qui se sont associés pour acheter du matériel informatique, du matériel de bureau, des véhicules automobiles, ou ceux qui effectuent des mutualisations avec leurs SDIS, bien qu'il s'agisse de deux entités juridiques distinctes, par exemple pour mutualiser leurs ressources humaines ou leurs fonctions financières. Nombreux sont les SDIS qui mutualisent entre eux, en matière d'achat de matériel, de formation ou de capacités d'intervention. En Nouvelle-Aquitaine, un grand nombre de SDIS ont mutualisé l'achat des véhicules de type VSAB ou VSAT (véhicules d'intervention de première urgence des pompiers). Les possibilités sont considérables. Elles existent aussi en matière de tourisme. Mon département a fusionné son comité départemental avec celui de la Charente. Ils ne forment plus qu'une seule entité, afin de vendre le vert de nos territoires de l'intérieur des terres et le bleu de notre littoral et de nos îles. Toutes les souplesses sont donc utilisées.

Nous pourrions néanmoins aller beaucoup plus loin en envisageant par exemple des fusions de SDIS pour créer des SDIS interdépartementaux. Des écoles de pompiers interdépartementales pourraient également voir le jour. Lorsque j'ai tenu ces propos lundi matin, à Matignon, lors de la conférence préparatoire de la CNT, Gérard Collomb m'a repris de volée positivement. La loi nous permet déjà de faire beaucoup de choses, par exemple des groupements d'intérêt économique. L'article 72 de la Constitution permet de fusionner des départements sans passer par le législateur. De nombreux départements travaillent en ce sens. Il existe un projet assez politique entre les Hauts-de-Seine et les Yvelines, de même qu'entre l'Isère et les Hautes-Alpes (qui appartiennent à deux régions différentes, ce qui complique les choses) et entre le Cher et l'Indre (le premier étant d'ailleurs plus demandeur que le second). J'attends de la modification de l'article 72 de la Constitution qu'elle lève un certain nombre de difficultés que nous puissions aller beaucoup plus loin dans la recherche d'économies et sur le plan de la gestion des ressources.

Philippe BLUTEAU, avocat, conseil auprès de l'Association des Petites Villes de France

Ce qui vient d'être rappelé est tout à fait exact. La loi ne prévoit pas la possibilité de déléguer des compétences depuis un EPCI vers des collectivités, car le législateur a souhaité qu'on ne voie pas là le moyen de détricoter les compétences obligatoires confiées aux EPCI. Nous avons officieusement les moyens d'associer les maires concernés, s'ils sont rétifs, à l'exercice au quotidien de telle ou telle compétence. Il est vrai que c'est une des limites, réelles et dommageables, de ce mécanisme.

S'agissant de la gouvernance, l'APVF porte, surtout depuis les derniers mouvements de rationalisation de la carte intercommunale, une proposition consistant à admettre la pertinence d'un modèle fédéral qui, partout, se caractérise par deux assemblées :

- le conseil communautaire, qui obéit aux contraintes démocratiques et d'égalité devant le suffrage ;

- les représentants des territoires composant la fédération et ceux des communes constituant le territoire intercommunal, c'est-à-dire un « Sénat des maires » qui, sans avoir des pouvoirs aussi importants que le Sénat, pourrait être obligatoirement consulté avant toute inscription à l'ordre du jour du conseil communautaire de délibérations importantes telles que le budget, le PLUI, etc.

Clément LAFORGE, doctorant à l'université de Rouen

Je prépare une thèse sur les rapports de domination entre collectivités territoriales et je suis élu local dans une commune de moins de 3 000 habitants dans l'Eure. Maître Bluteau a évoqué une situation possible de contentieux dans un contexte de différenciation de tarifs à l'initiative de la ville-centre. Les difficultés rencontrées, dans les rapports entre la ville-centre et les villes composant les métropoles ou les communes membres d'une agglomération ne viennent-elles pas, indirectement, du mode de suffrage pour l'élection des conseillers communautaires ? Ce scrutin est aujourd'hui basé sur le système de fléchage. Il calque la représentation des élus communaux sur celle des élus intercommunaux et empêche de créer la dynamique qui pourrait prévenir ces rapports conflictuels.

Philippe MOUILLER, sénateur des Deux-Sèvres, président de la table ronde

Cette question mériterait quasiment une table ronde à elle seule.

Philippe BLUTEAU, avocat, conseil auprès de l'Association des Petites Villes de France

Dans le cas que j'évoquais, c'est bien l'EPCI, c'est-à-dire l'agglomération, qui a adopté des tarifs préférentiels pour ses habitants pour le stationnement sur le parking de la gare TGV, créant une distorsion avec les territoires ruraux avoisinants. C'est donc un problème d'aménagement de territoire plus que de gouvernance interne.

Je me garderai bien d'entrer dans le débat que vous évoquez à propos du mode d'élection des conseillers communautaires. Néanmoins, le juriste rigoureux que je suis est, blessé chaque fois que j'entends parler de la nécessité d'ouvrir le mode de scrutin des intercommunalités au suffrage universel direct. Il s'agit bien, depuis l'origine, du suffrage universel. Celui-ci était indirect lorsque les conseillers municipaux élisaient leurs pairs en intercommunalité. Depuis la loi du 10 mai 2013, et pour la première fois sur le terrain depuis 2014, c'est un suffrage universel direct qui s'applique dans les communes de plus de 1 000 habitants. Le citoyen prend un bulletin sur lequel figure la liste des candidats, et met ce bulletin dans l'urne. Le débat porte en réalité sur la circonscription d'élection des conseillers communautaires : celle-ci doit-elle rester la commune (afin de ne pas couper le cordon ombilical avec le territoire d'origine) ou devra-t-elle devenir le périmètre intercommunal, voire, dans les cas les plus subtils, des circonscriptions infra-métropolitaines et supra-communales ? Le débat est ouvert. Il ne m'appartient pas de le trancher.

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