II. EXAMEN EN COMMISSION

__________

Réunie le mercredi 4 juillet 2018, sous la présidence de M. Alain Milon, président, la commission entend la présentation du rapport d'information de M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général, sur la situation des finances sociales.

M. Alain Milon , président . - Nous passons à l'examen du rapport de notre rapporteur général, Jean-Marie Vanlerenberghe sur la situation des finances sociales dans la perspective du débat d'orientation des finances publiques du 12 juillet prochain. Je vous indique que l'horaire du débat a changé, il aura lieu à 15 h 30.

Il s'agit d'un travail réalisé dans le cadre du programme de travail annuel de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, la Mecss, dont je salue le président, Jean-Noël Cardoux.

Je rappelle que la publication des rapports de la Mecss doit être autorisée par la commission dans son ensemble.

Notre commission examine ce rapport pour la quatrième année consécutive dans le contexte particulier du débat sur la révision constitutionnelle.

Je rappelle que ce travail est né d'une triple insatisfaction : l'examen de l'application de la loi de financement échappe largement au contrôle parlementaire, car il est tardif, expéditif et partiel.

Ce contrôle est tardif : le compte rendu de l'application de la loi de financement au mois de juin s'effectue en dehors du Parlement, dans le cadre de la commission des comptes de la sécurité sociale créée en 1979, soit bien avant la création du PLFSS ;

Il faut attendre la fin du mois de septembre avec la publication du rapport de la Cour des comptes sur l'application de la loi de financement de la sécurité sociale pour disposer d'une analyse plus fine.

Ce contrôle est expéditif : l'examen de la première partie de la loi de financement ne prend le plus souvent que quelques secondes en séance publique.

Ce contrôle est partiel : le périmètre est celui du régime général de sécurité sociale qui ne correspond pas à celui du PLFSS alors que notre commission examine plus largement le périmètre des ASSO, qui fait l'objet de la loi de programmation des finances publiques

Pour toutes ces raisons, nous avons demandé au rapporteur général de faire ce travail et de le restituer au moment où nous en avons besoin, c'est-à-dire avant l'été.

J'ajoute que nous n'avons pas jugé nécessaire que nos collègues députés en inscrivent le principe dans la Constitution pour entendre les ministres chargés du budget sur les comptes sociaux, ce que nous faisons chaque année au printemps depuis 4 ans.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général . - Comme ces dernières années, la MECSS m'a invité à dresser devant notre commission le tableau de la situation des finances sociales à l'approche du débat d'orientation des finances publiques (DOFP) en séance publique. C'est avec plaisir que je vous en livre les éléments les plus saillants, étant entendu que vous trouverez des informations plus détaillées dans le rapport écrit que vous m'autoriserez peut-être à publier à l'issue de nos échanges.

Comme le veut cet exercice, il convient de distinguer deux périmètres d'examen des comptes sociaux :

- d'une part, en comptabilité générale, le périmètre de la « sécurité sociale », qui correspond au périmètre actuel des lois de financement de la sécurité sociale (LFSS) sur lesquelles nous nous prononçons chaque automne ;

- d'autre part, en comptabilité nationale, l'ensemble des administrations de sécurité sociale (ASSO), qui est le périmètre de nos engagements européens, celui à partir duquel sont appréciés le solde des administrations publiques et la dette publique au sens du Traité de Maastricht. En plus de la sécurité sociale, il inclut les retraites complémentaires obligatoires, l'assurance chômage ou encore la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES). C'est par ce dernier périmètre que je débuterai mon propos.

Comme vous l'avez entendu ces dernières semaines, en prenant en compte l'ensemble des ASSO, les comptes sociaux sont enfin à l'équilibre en 2017 pour la première fois depuis une décennie : + 5,1 milliards d'euros, soit 0,2 % du produit intérieur brut (PIB).

Il s'agit d'une bonne nouvelle, dont nous ne pouvons que nous féliciter.

Pour autant, nous ne pouvons éluder les fragilités qui demeurent au-delà de cette bonne performance.

Tout d'abord, ce résultat positif intègre les 14,3 milliards d'euros amortis par la Cades l'année dernière. Cette intégration n'est pas contestable d'un point de vue comptable. Mais en dehors du résultat de cette structure provisoire en grande partie financée par une ressource - la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) - destinée à s'éteindre en 2024, les administrations de sécurité sociale ont enregistré, en 2017, un besoin de financement de 9,2 milliards d'euros. La notion d'équilibre retrouvé est donc à relativiser.

En outre, le bon résultat de l'année dernière est très largement le fait du dynamisme des recettes. Poussées par la très bonne conjoncture économique, à laquelle elles sont intimement liées du fait de l'assiette salariale de la majorité d'entre elles, les recettes de l'ensemble des ASSO sont en effet passées de 580,7 milliards d'euros en 2016 à 604 milliards en 2017, soit une hausse de près de 4 % en un an. Les prélèvements obligatoires, impôts et cotisations, sont prépondérants : avec 553,1 milliards d'euros l'an dernier, ils ont représenté 53,3 % de l'ensemble des prélèvements obligatoires, et 24,1 % du PIB.

Dans son rapport sur les comptes publics, en prenant un peu de recul, la Cour des comptes souligne que, depuis 10 ans, les administrations de sécurité sociale ont bénéficié d'une hausse de leurs recettes de 2,3 points de PIB, dont :

- 1,2 point d'évolution « spontanée », avec un fort effet de l'année 2009 au cours de laquelle la masse salariale s'est globalement maintenue malgré une nette baisse du PIB ;

- et 0,9 point dû à des mesures de hausse des prélèvements en faveur des ASSO, en distinguant deux périodes contrastées, une période 2010-2014 au cours de laquelle les mesures ont abouti à une hausse de 1,2 point et une période depuis 2014 qui voit ce mouvement quelque peu refluer (- 0,3 point dû aux mesures prises depuis lors).

En allant un peu plus dans le détail, les comptes de l'Unédic ont affiché un déficit de 3,6 milliards d'euros en 2017, en repli par rapport aux 4,3 milliards de 2016. Là encore, c'est l'augmentation des recettes qui explique cette amélioration, les dépenses de l'assurance chômage ayant légèrement augmenté, de quelque 300 millions d'euros pour atteindre 39,9 milliards d'euros l'année dernière. On relèvera, à cet égard, que les effets de la nouvelle convention conclue par les partenaires sociaux en 2017 n'ont guère pu se faire sentir sur l'exercice précédent, ce texte étant entré en vigueur au mois de novembre. C'est donc l'année 2018 qui permettra d'en faire un premier bilan. En tout cas, au 31 décembre, la dette de l'Unédic représentait un montant de 33,5 milliards d'euros ; sans anticiper sur la suite, vous vous souvenez sans doute que les responsables de l'organisation que nous avons entendus en commission prévoient un « pic » de dette de l'ordre de 35 milliards d'euros en 2019 avant que la décrue ne s'amorce à compter de 2020.

S'agissant des régimes complémentaires obligatoires de retraite, l'Agirc-Arrco a enregistré un déficit technique de 2,9 milliards d'euros en 2017, en repli par rapport aux 4,2 milliards de 2016 mais surtout en « avance » d'environ 2 milliards d'euros par rapport à la prévision d'un déficit de 5 milliards en 2017 qui figurait dans l'accord du 30 octobre 2015. Après prise en compte des résultats financiers, ce déficit est ramené à 569 millions d'euros, prélevés sur les réserves puisque les régimes complémentaires ne peuvent avoir recours à l'endettement. La réserve de financement de l'Agirc-Arcco s'établissait à 62,5 milliards d'euros à fin 2017.

J'en arrive à présent au périmètre de la LFSS. Le résultat 2017, quoique poursuivant son amélioration de ces dernières années, reste déficitaire de 5,1 milliards d'euros :

- 2,2 milliards d'euros pour le régime général ;

- et 2,9 milliards d'euros pour le fonds de solidarité vieillesse (FSV).

Il est permis de relever que ce chiffre est moins bon que la prévision que nous avons votée dans le cadre du PLFSS 2017, c'est-à-dire un déficit de 4,2 milliards d'euros. Il est en revanche, en ligne avec la prévision rectifiée du PLFSS 2018.

En allant au niveau des branches, la branche maladie affiche un déficit de 4,9 milliards d'euros, quasiment stable par rapport à 2016. Les recettes comme les dépenses ont augmenté de 3,5 %. Cela correspond pour l'essentiel à l'augmentation des cotisations en ce qui concerne les recettes. Quant à la hausse des dépenses, elle correspond, d'une part, à l'Ondam, tenu comme prévu à 2,2 %, et d'autre part à des changements de périmètre, notamment le transfert (compensé) de l'État à l'assurance maladie du financement des établissements et services d'aide par le travail (ESAT).

De manière un peu moins marquée que lors des exercices précédents, mais de manière réelle, on relèvera (sans surprise) que la tenue de l'Ondam ne signifie pas que chacun de ses sous-objectifs a respecté son enveloppe prévisionnelle. Comme l'indique le comité d'alerte, par rapport aux objectifs initiaux, les dépenses de soins de ville sont supérieures de 0,6 milliard d'euros, tandis que les versements de l'assurance maladie aux établissements, notamment hospitaliers, sont en retrait du même montant par rapport à la prévision.

La ministre semble consciente du fait qu'avec la fragilisation financière croissante des hôpitaux, nous avons sans doute atteint les limites de ce type de régulation. Il est en tout cas indispensable que l'effort de tenue de l'Ondam soit mieux partagé à l'avenir et inclue donc une meilleure maîtrise des dépenses de ville, notamment des indemnités journalières et des frais de transport médicalisé.

L'excédent de la branche AT-MP a fortement augmenté en 2017 pour s'établir à 1,1 milliard d'euros. Les recettes ont presque connu le même dynamisme que dans les autres branches (+ 2,4 %) malgré une baisse du taux de cotisation, tandis que les dépenses de la branche ont diminué de 0,6 %.

La branche retraites est également restée excédentaire en 2017, à + 1,1 milliard d'euros. Là encore, du côté des recettes, les cotisations ont été relativement dynamiques (+ 2,5 %). En revanche, la branche a subi les effets du transfert de la fraction de la taxe sur les salaires dont elle bénéficiait en contrepartie de l'affectation intégrale de la CSSS, qui n'a pas compensé cette perte. Du côté des charges, les prestations servies ont connu une progression maîtrisée (+ 1,9 % contre 2,2 % en 2016) ; comme le souligne la commission des comptes de la sécurité sociale, les effets modérateurs des mesures de report d'âge ont été forts en 2017.

La branche famille a considérablement réduit son déficit l'année dernière, celui-ci étant passé de 1 milliard d'euros à 200 millions d'euros. On relèvera une croissance très modérée des charges (+ 0,7 %) avec, pour la troisième année consécutive, une baisse des prestations légales (- 0,2 %), en particulier des dépenses liées à la petite enfance (- 3,8 %). Dans le même temps, comme pour l'ensemble des branches, la croissance économique a stimulé les recettes (+ 2,4 %).

Le solde du FSV a été de - 2,9 milliards d'euros en 2017, après un déficit de 3,7 milliards en 2016. Cette amélioration s'explique essentiellement par l'évolution des dépenses, en assez nette diminution du fait de la réforme du financement du minimum contributif décidée dans le cadre de la LFSS 2017.

Pour conclure ce regard sur l'année 2017, observons qu'en raison de conditions d'emprunt atypiques, l'Acoss a paradoxalement affiché un résultat positif de 125 millions d'euros de gestion de trésorerie malgré une situation de trésorerie défavorable : - 23,4 milliards d'euros au 31 décembre, soit une dégradation de 6,1 milliards d'euros par rapport à l'année précédente. Le point bas de l'année s'est établi à - 32,7 milliards d'euros en septembre, soit un niveau proche de l'autorisation de découvert de 33 milliards d'euros que le Parlement avait octroyé à l'agence en LFSS 2017.

En résumé, l'exercice 2017 s'est donc traduit par une amélioration du solde de l'ensemble des régimes, hors assurance maladie, pour aboutir à une situation d'équilibre, du fait de l'inclusion (certes logique) de la Cades dans le périmètre des ASSO. Pour le reste, l'Agirc-Arrco, l'assurance chômage, le régime général et le FSV ont en fait connu une situation de moindre déficit par rapport à 2016 sans avoir encore équilibré leurs comptes (à l'exception des branches retraites et AT-MP).

Mais, vous le savez, notre exercice ne consiste pas seulement à regarder dans le rétroviseur mais aussi à tracer des perspectives d'avenir, pour l'exercice 2018 en cours et à plus long terme.

Pour 2018, vous avez sans doute lu la presse, l'optimisme semble de mise. La contribution des ASSO au solde des administrations publiques bondirait à + 0,7 % de PIB. Par la suite, nous y reviendrons, il atteindrait un plafond de 0,8 point de PIB.

Les évolutions les plus significatives de 2018 seraient les suivantes :

- l'Unédic prévoit un net repli de son déficit pour l'année en cours ; celui-ci passerait de 3,5 milliards à 1,3 milliard, avec, toujours, un dynamisme des recettes et, en parallèle, une diminution des dépenses allocataires ;

- et, de façon encore plus spectaculaire pour l'opinion publique, les dernières prévisions de la commission des comptes de la sécurité sociale font état d'un quasi équilibre de l'ensemble régime général + FSV, avec un déficit ramené à quelque 300 millions d'euros, toujours sous l'effet d'une forte croissance de la masse salariale. Le régime général stricto sensu serait même en excédent de 2,5 milliards d'euros. Comme l'ont titré certains journaux, le « trou » de la sécurité sociale serait-il donc en passe d'être comblé ?

Sans vouloir jouer les oiseaux de mauvais augure, je dois vous livrer quelques éléments qui tempèrent quelque peu cet enthousiasme. Si équilibre des comptes sociaux il y a, disons qu'il s'agit d'un équilibre instable...

En premier lieu, sans remettre en cause tous les équilibres, la prévision pour 2018 de la commission des comptes inclut une compensation de l'État aux organismes de sécurité sociale de 600 millions d'euros au titre du crédit d'impôt sur la taxe sur les salaires (CITS) dont il y a tout lieu de penser qu'elle sera supprimée dans le cadre de la LFSS 2019. Un déficit de 900 millions d'euros pour le régime général et le FSV est donc sans doute plus réaliste que les 300 millions affichés.

Ensuite, la prévision de 2018 repose sur une croissance une nouvelle fois très forte de la masse salariale, de l'ordre de 4 %. Cet objectif n'est pas inatteignable. Il est néanmoins ambitieux, d'autant que la croissance du PIB a nettement marqué le pas au premier trimestre de l'année selon l'Insee.

Ce relatif optimisme du Gouvernement sur la croissance à venir est encore plus net pour les années suivantes puisque le scénario retenu est celui d'une croissance de 1,9 % du PIB en 2019 puis 1,7 % chaque année de 2020 à 2022. Comme le relève la Cour des comptes, ce scénario repose sur l'hypothèse d'un écart entre croissance effective et croissance potentielle qui resterait durablement positif pendant six années consécutives, ce qui ne s'est jamais produit au cours des 40 dernières années.

Les hypothèses économiques sur lesquelles se fonde le redressement des comptes sociaux méritent donc d'être vérifiées, dès cette année et plus encore à moyen terme.

S'agissant des dépenses, nous avons déjà évoqué l'Ondam, pour lequel l'enjeu des années à venir est davantage celui du rééquilibrage entre sous-objectifs que sa tenue globale.

Mais des évolutions notables sont susceptibles de survenir dès 2019, année durant laquelle le traitement du financement de la dépendance et la réforme des retraites peuvent remettre en cause les équilibres connus aujourd'hui. Nous devrons alors, mes chers collègues, nous montrer très attentifs à ce que les décisions que nous prendrons ne recréent pas une situation de déficit structurel des comptes sociaux.

Enfin, vous le savez, le principal facteur de déséquilibre à moyen terme réside peut-être dans la révision annoncée des relations financières entre l'État et la sécurité sociale. Je vous rappelle qu'aux termes de l'article 27 de la dernière loi de programmation des finances publiques, « Avant la fin du premier trimestre 2018, le Gouvernement présente au Parlement un rapport sur la rénovation des relations financières entre l'État et la sécurité sociale. Ce rapport détaille l'ensemble des compensations par type de mesure, en précisant s'il s'agit de compensation totale ou partielle. » Nous sommes à présent le 4 juillet, nous abordons le débat d'orientation des finances publiques et le Parlement ne dispose toujours pas de ce fameux rapport. Je considère cela comme difficilement acceptable et je ne manquerai de le faire savoir aux ministres lors de la séance publique.

Réviser périodiquement les relations financières entre l'État et la sécurité sociale n'est évidemment pas malsain. Nous le savons, celles-ci sont pour le moins complexes, pour ne pas dire illisibles.

De plus, d'un point de vue financier, reconnaissons qu'il serait étrange que, dans un scénario « rose », les organismes de sécurité sociale, ou de protection sociale au sens large, accumulent les excédents tandis que l'État continuerait, lui, d'accumuler des déficits tout en transférant des ressources financières importantes aux organismes sociaux.

Néanmoins, il nous revient, me semble-t-il, de rappeler quelques principes qui semblent ne plus être tout à fait des évidences aux yeux de tous :

- d'une part, le financement des différents régimes de protection sociale ne saurait s'aborder à des considérations uniquement budgétaires puisqu'ils correspondent chacun à des logiques différentes (assurantielles et solidaires, pour faire bref) qui devraient correspondre à des modes de financement différents (cotisations ou impôts). Les débats actuels sur le financement de l'assurance chômage illustrent d'ailleurs la confusion qui règne parfois de ce point de vue ;

- d'autre part, tant que subsiste une dette de la sécurité sociale, qu'elle soit portée par l'Acoss ou par la Cades, mais cela vaut aussi pour la dette de l'Unédic, la priorité doit être de la rembourser. Ce n'est pas parce que, depuis quelques décennies, les Français se sont habitués à ce que puisse exister un « trou » de la sécurité sociale que cette situation n'est pas profondément anormale. Au vu de la nature de ces dépenses, toute dette sociale correspond, par définition, à un transfert de nos charges aux générations à venir, ce qui ne serait pas responsable. La révision des relations financières entre l'État et la sécurité sociale ne saurait donc être acceptée que si elle permet le remboursement intégral et à l'échéance de la dette sociale, sauf à conduire la « politique des Shadoks », où on comble un trou en en creusant un autre ;

- enfin, pour les mêmes raisons, cette révision ne doit pas conduire à ce que les comptes sociaux soient tout juste à l'équilibre les années économiques fastes et en déficit les mauvaises années, ce qui conduirait inéluctablement à recreuser un « trou de la sécu » avant même d'avoir comblé le précédent. Une situation de déficit structurel de moyen terme serait tout aussi peu satisfaisante qu'une situation d'excédent structurel.

Ce n'est qu'à ces conditions, mes chers collègues, que les comptes sociaux, enfin revenus à l'équilibre, pourront passer d'un équilibre instable à l'équilibre stable que nous souhaitons tous. Il nous reviendra d'y veiller ensemble lors des débats à venir.

Je vous remercie de votre attention.

M. Jean-Noël Cardoux . - Je remercie beaucoup le rapporteur général de cette intervention, notamment des tempéraments qu'elle a su apporter au vent d'optimisme ambiant qui me paraît excessif à bien des égards.

Si l'on s'en tient aux strictes données macroéconomiques, je ne suis pas sûr que le Gouvernement ait entièrement intégré la tendance actuelle baissière de la croissance, ainsi que le renchérissement du coût de l'énergie. Maîtrise-t-il bien l'impact à venir, à mon sens décisif, du prélèvement à la source sur la consommation des ménages ? Je formule la même question pour les mouvements de grève dont on nous annonce une relance pour septembre, et dont on mesure rarement l'effet sur les comportements économiques.

Concernant l'équilibre des comptes, en tant que président de la Mecss, je suis intervenu à ce sujet au conseil d'administration de la Cades. Cette dernière se montre pour l'heure très optimiste quant à sa capacité de remboursement de ses emprunts d'ici 2024, notamment grâce à l'engagement de plusieurs souscriptions aux États-Unis. Fort bien. Mais cette assurance ne prend pas en compte les déficits persistants et non transférés de l'Acoss, qui demeurent un problème structurel. Je rappelle qu'il est impossible à l'Acoss de les transférer à la Cades sans autorisation expresse du Parlement. Je serais pour ma part d'avis de rediriger une fraction de la CRDS vers le remboursement de ces déficits non transférés.

Mme Catherine Deroche . - Je partage entièrement l'avis de notre rapporteur général quant à l'effet d'optique qu'induit une observation du rythme du seul Ondam, sans prise en compte de ses sous-objectifs. J'exprime à cet égard mon inquiétude quant à la volonté affichée du Gouvernement, à des fins de protection de l'Ondam hospitalier, de faire peser l'essentiel de l'effort de dépenses sur l'Ondam soins de ville. Le développement de la prise en charge ambulatoire et la chronicisation de certaines pathologies ont au contraire vocation à accompagner le patient hors les murs de l'hôpital et à le faire relever de la médecine de ville. C'est par ailleurs une vision de très court terme, qui ne tient absolument pas compte du retour sur investissement potentiel de certains médicaments innovants dont les prix, au cours de la première phase de leur cycle de vie, seront nécessairement élevés et que l'assurance maladie se doit d'absorber.

M. Yves Daudigny . - Je rejoins totalement le rapporteur général sur tous les points de son exposé, et particulièrement sur celui où il souligne à quel point la protection sociale ne saurait être réductible à des considérations budgétaires. Je tenais néanmoins à rappeler que, bien que les objectifs annoncés n'aient pas tous été atteints, c'est au Gouvernement précédent qu'il revient d'avoir impulsé en premier la dynamique d'effort dont on recueille les fruits aujourd'hui.

Ayons par ailleurs toujours à l'esprit que les dépenses de protection sociale, parce qu'elles visent l'humain, ne sont pas qu'un coût mais également un investissement. Il y a certaines économies dont il n'est pas de bon ton de se réjouir. Nos hôpitaux sont soumis à des pressions budgétaires difficilement tolérables - il me suffit à ce titre d'évoquer le souvenir de la tentative de suicide d'un médecin de renom il y a seulement quelques jours. La grande réforme de la santé promise par la ministre des solidarités est reportée à septembre prochain.

Enfin, les données économiques sur lesquelles reposent les scénarios les plus optimistes sont pour le moins sujettes à caution. Une croissance qui se ralentit, une consommation qui stagne, un pouvoir d'achat qui recule de 0,6 % au premier trimestre sont autant d'indicateurs qui, malgré la reprise, fragilisent considérablement le redressement de nos comptes sociaux.

Mme Laurence Cohen . - Je souscris absolument aux propos de mes collègues qui ont rappelé que l'on ne doit pas traiter la protection sociale sous l'unique angle budgétaire, mais également intégrer la dimension humaine sous-jacente. Une baisse des dépenses de protection sociale se traduit toujours par une baisse de la qualité des soins.

Ainsi, plutôt que de se réjouir d'une trajectoire budgétaire maîtrisée en raison d'économies importantes, mon groupe propose une réforme ambitieuse du financement de la protection sociale, que j'aurai ultérieurement l'occasion de vous exposer.

Mme Deroche a parfaitement raison d'évoquer le trompe-l'oeil du montant général de l'Ondam, lorsque l'on sait que l'essentiel se joue au niveau de ses sous-objectifs. Le niveau de l'Ondam hospitalier fait certes peser un risque indéniable d'asphyxie financière sur les établissements hospitaliers publics, mais la solution qui consiste à faire du seul Ondam soins de ville la variable d'ajustement n'est pas plus viable. Les deux milieux de soins sont complémentaires et ne peuvent pas être financièrement montés l'un contre l'autre : comment répondra-t-on au problème des déserts médicaux si les efforts doivent tous être supportés par la médecine de ville ?

J'exprime enfin une inquiétude relative à l'article 7 du projet de loi constitutionnelle actuellement examiné par nos collègues de l'Assemblée nationale. Ces derniers ont récemment adopté en commission des lois un amendement substituant le terme de « protection sociale » à celui de « sécurité sociale ». Mon groupe reste pour sa part farouchement attaché au système assurantiel, qui garantit au salarié une couverture contre les risques sociaux indépendamment de son revenu. Or nous savons fort bien que le terme « protection sociale », qui renvoie au champ de la solidarité nationale, conditionne le versement des prestations aux ressources du bénéficiaire, ce que nous ne pouvons tolérer.

M. Michel Amiel . - En écho aux propos qu'ont tenu jusqu'à présent mes collègues, je me permettrais cette incise de René Char : « les mots savent de nous ce que nous ignorons d'eux ». Il est tout à fait vrai que derrière les chiffres, se cachent des réalités humaines et médicales de plus en plus difficilement supportables. Comme médecin, je ne me prononcerai que sur les dépenses d'assurance maladie. Malgré les espoirs suscités par les réformes impulsées dans chacun des deux principaux secteurs financés par les sous-objectifs de l'Ondam - tarification à l'activité (T2A) pour les hôpitaux et télémédecine pour la médecine de ville - le poids de certaines structures nous expose à ce que les choses mettent au moins une vingtaine d'années à profondément se modifier. D'ici là, il nous faut à mon sens nous résoudre à ce que ces secteurs souffrent de pénuries financières importantes.

Permettez-moi d'émettre trois réserves sur les économies de près de 2 milliards d'euros qui nous sont annoncées par le directeur général de la caisse nationale d'assurance maladie. Le virage ambulatoire, dont on espère beaucoup, ne pourra pas être étendu aux patients du 3 e ou du 4 e âge, qui représenteront tout de même une partie importante de la patientèle à venir ; l'économie sur les indemnités journalières ne me paraît pas non plus compatible avec l'allongement de la durée du travail et l'exposition plus sensible des travailleurs âgés aux arrêts-maladie ; enfin, les médicaments innovants demeureront diffusés sur le marché à des prix de départ exorbitants - j'en veux pour preuve l'exemple des médicaments pour le traitement de l'hépatite.

J'ajoute qu'à ces stricts problèmes budgétaires viendra s'ajouter la question de plus en plus prégnante de la démographie médicale, que ne règleront ni les mesures d'incitation, ni les mesures de sanction.

M. René-Paul Savary . - Ce rapport est d'une qualité incontestable, bien que le sujet dont il traite me pose de nombreux problèmes. Notre système de protection sociale présente tout de même d'importantes incohérences de fond auxquelles il me paraît urgent d'apporter une réponse systémique. Je suis tout de même très surpris que ne soit jamais remis en question son caractère profondément contra-cyclique : les dépenses ne sont jamais aussi fortes que lorsque les recettes sont les moins dynamiques !

Par ailleurs, rien n'est jamais dit de la nécessité de mener une politique de natalité, qui seule présente la garantie de la pérennité de notre système de retraite. On doit effectivement à tout prix sortir de ces raisonnements et de ces approches dichotomiques entre budgétaire et humain, entre chacune des branches de la sécurité sociale, entre les sous-objectifs de l'Ondam, qui, réduisant excessivement l'échelle de nos analyses, nous font passer à côté de l'essentiel.

Je souscris enfin aux propos de ma collègue sur l'article 7 du projet de loi constitutionnelle.

M. Olivier Henno . - Ne pourrait-on justement profiter de ce moment d'équilibre - bien que celui-ci soit discutable - pour aborder le sujet plus structurel du financement de notre protection sociale ? La demande de clarification est forte de la part de nos citoyens, et la conjoncture est peut-être propice à ce que nous nous y adonnions.

M. Jean-Louis Tourenne . - Je souhaiterais pour ma part revenir sur l'évocation par le rapporteur général d'un scénario « rose » aux termes duquel les organismes de sécurité sociale accumuleraient les excédents tandis que l'État continuerait, lui, d'accumuler des déficits. Je trouve cette hypothèse fort dangereuse, non pas, comme l'entend le rapporteur général, parce qu'elle entretiendrait le déficit de l'État qui continuerait de transférer des recettes à la sécurité sociale, mais parce qu'au contraire elle induit la tentation pour l'État d'aller puiser dans les caisses de la sécurité sociale pour combler son propre déficit. Je suis persuadé qu'il nous faut aller plus loin dans l'autonomie de gestion du système de sécurité sociale, qu'il faut protéger des ponctions injustifiées que pourrait y faire un État en déficit structurel. Il faut vraiment laisser à la sécurité sociale le soin d'adapter son budget et ses prestations.

M. Daniel Chasseing . - Les soins ambulatoires ont été fréquemment mentionnés comme sources d'économies, mais permettez-moi de signaler qu'une personne prise en charge en ambulatoire et soignée à domicile, surtout quand elle est âgée, requerra de toute façon un niveau important de soins infirmiers. Je ne suis absolument pas sûr de l'économie !

Les hôpitaux présentent certes un déficit important en fonctionnement, mais également en investissement.

Enfin, le vieillissement de la population appelle selon moi une médicalisation accrue des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ainsi qu'un renforcement de leurs effectifs, ce qui, là encore, n'engendrera certainement pas les économies souhaitées. Si j'ajoute à tout cela la croissance en berne, je suis contraint d'émettre les plus grandes réserves sur l'atteinte de l'équilibre de nos comptes sociaux.

M. Alain Milon , président . - Je souhaiterais pour ma part que nous prêtions une plus forte attention aux organismes de protection complémentaire, qui participent au financement de la protection sociale mais qui se distinguent par les gains financiers qu'ils en retirent.

Par ailleurs, je ne parviens pas à comprendre pourquoi les établissements hospitaliers publics sont tenus au remboursement de leurs dépenses d'investissement immobilier. Il me semble que les établissements scolaires ne sont pas soumis aux mêmes exigences, sans que cette différence de traitement ne se justifie.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général . - Sur cette dernière question, c'est effectivement le souhait réitéré de la commission des affaires sociales que l'investissement immobilier ne soit pas intégré au budget des hôpitaux publics, mais soient supporté par un fonds distinct. Je partage également les préconisations du président concernant les organismes de protection complémentaire, d'autant que plusieurs études ont chiffré leur contribution potentielle à près de 6 milliards d'euros.

Je prends acte des inquiétudes manifestées par nos collègues. Je tiens à les assurer du maintien de notre vigilance sur toutes les questions abordées, notamment sur la tendance à plafonner les excédents des organismes de sécurité sociale au profit de l'État et sur la résorption de la dette non transférée de l'Acoss.

La gouvernance et le pilotage de l'Ondam doivent être intégralement revus. Il est exact que les soins de ville et les soins hospitaliers sont beaucoup trop interdépendants pour être financés de façon aussi cloisonnée. Nous ne pourrons pas nous satisfaire en septembre prochain d'un simple « Plan Hôpital », là où un plan général de la santé est nécessaire. J'ai également bien pris en compte les avertissements que vous avez émis sur la nature relative des excédents à venir, en regard des dépenses non anticipées et non couvertes. Notre collègue a évoqué à ce titre les dépenses de médicalisation des Ehpad, qui sont pour l'heure fort modestes, mais dont l'augmentation annoncée n'est pas chiffrée.

Je tempérerais toutefois l'alarmisme de certaines interventions en mentionnant la dimension de prévention, censée endiguer les dépenses de soins, dont ce Gouvernement a fait une composante importante des mesures de santé, et qu'on peine à faire apparaître d'un strict point de vue comptable. Elle ne doit pas pour autant être négligée.

Enfin, la remise, que nous espérons, du fameux rapport sur la rénovation des relations financières entre l'État et la sécurité sociale pourra servir de base à la grande réforme structurelle de la protection sociale que plusieurs d'entre vous avez évoquée.

La commission autorise la publication du rapport d'information.

Page mise à jour le

Partager cette page