B. LE RENFORCEMENT DES MOYENS POUR AFFRONTER LA MENACE TERRORISTE

La lutte antiterroriste a fait l'objet d'un renforcement sensible de ses moyens au cours des dernières années, à la fois en crédits et en effectifs, en dispositions législatives et réglementaires nouvelles et mieux adaptées et pour ce qui concerne le financement du terrorisme.

1. Une augmentation sensible et bienvenue des moyens budgétaires et humains

Dès 2014, un effort budgétaire et humain important a été fait afin de renforcer la lutte contre le terrorisme, notamment à travers le Plan de lutte contre le terrorisme (PLAT) de 2014, le Pacte de sécurité (PDS) de 2015 et le Plan d'action contre la radicalisation et le terrorisme (PRAT) de 2016. L'ensemble des services intervenant à toutes les étapes de la lutte contre le terrorisme - du renseignement, à la justice et l'administration pénitentiaire - ont été concernés.

a) Des moyens budgétaires en augmentation

Votre commission d'enquête déplore l'incapacité de l'administration de lui transmettre le montant annuel exhaustif consacré à la lutte contre le terrorisme depuis 2014 . Pire, les documents transmis, parcellaires, présentent un périmètre différent de celui transmis au Parlement dans le cadre des rapports annuels de performance, ne facilitant pas la comparaison entre ces derniers, ni d'une année sur l'autre. Aussi est-il indispensable que le Gouvernement soit en mesure de transmettre, à l'occasion du projet de loi de finances, un document de politique transversale relatif à la lutte contre le terrorisme et la prévention de la radicalisation.

Selon les informations transmises par la direction du budget, entre 2015 et 2017 , hors titre 2 44 ( * ) , 824 millions d'euros supplémentaires ont été consacrés aux forces de police et de gendarmerie, et 479 millions d'euros pour la justice (y compris l'administration pénitentiaire) .

• La communauté du renseignement

Entre 2013 et 2016, le budget consacré au financement des services de la communauté du renseignement a augmenté de 11,3 %. La direction générale de la sécurité intérieure et Tracfin ont été les principaux bénéficiaires de ces hausses. Ainsi, selon les informations transmises par les services de renseignement, le budget de la DGSI a doublé en autorisation d'engagement entre 2013 et 2017. L'augmentation du budget répond à la fois à une augmentation des effectifs, mais également des moyens logistiques mis à disposition.

DÉPENSES DES FONDS NORMAUX PAR SERVICE
DE LA COMMUNAUTÉ DU RENSEIGNEMENT

Exécuté 2013

Exécuté

2014

Exécuté 2015

Exécuté 2016

Dotation 2017

% progression

DGSE

641,24

654,81

672,50

711,63

669,82

4,46%

DGSI

***

***

***

***

***

***

Direction du renseignement militaire

156,27

160,06

168,82

172,65

191,75

22,7%

DRSD

Direction du renseignement et de la sécurité de la défense

96,48

95,06

98,32

105,61

119,08

23,42%

DNRED

Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières

65,09

64,42

65,02

68,76

6,16 (1)

5,63% (hors 2017)

Tracfin

7,14

7,44

10,26

13,66

14,90

108,68%

Total Services spécialisés

***

***

***

***

***

***

Académie du renseignement

1,08

1,30

1,20

1,25

1,41

30,55%

Communauté nationale du renseignement

0,57

0,71

0,65

0,65

0,67

17,54%

Total Communauté

***

***

***

***

***

11,3%

La dotation budgétaire de la DNRED pour l'exercice 2017 se lit hors crédits du titre 2.

Source : Auditions et rapport (n° 448 ; 2016-2017) de Mme Patricia Adam, députée, et M. Philippe Bas, sénateur, au nom de la délégation parlementaire au renseignement.

• La justice et l'administration pénitentiaire

Les différents plans de lutte contre le terrorisme ont donné des moyens supplémentaires à la justice et à l'administration pénitentiaire . Ainsi, sur la période 2015-2017, 495 millions d'euros supplémentaires ont été prévus par ces plans, profitant notamment à l'administration pénitentiaire, la protection judiciaire de la jeunesse et les services judiciaires.

En outre, au titre de l'année 2017, 287,6 millions d'euros supplémentaires d'autorisation d'engagement avaient été alloués à la mission « Justice » de la loi de finances, hors titre 2, pour le renforcement de la lutte contre le terrorisme. Pour l'ensemble de la mission « Justice », l'exécution de ces crédits s'établit, hors titre 2, à 157,7 millions d'euros en autorisation d'engagement, soit 54,8 % des crédits ouverts en loi de finances. L'utilisation de ces crédits est variée 45 ( * ) . Ils ont été utilisés comme suit :

- le renforcement des effectifs des magistrats chargés de la lutte anti-terroriste ;

- la sécurisation des sites judiciaires sensibles et exposés : ainsi, 19,9 millions d'euros ont été dépensés dans des mesures relatives à la sécurisation des sites sensibles et exposés ;

- l'augmentation des frais de justice et des moyens technologiques et informatiques mis à disposition des juridictions : la loi de finances pour 2017 prévoit notamment 4,84 millions d'euros pour le financement de matériels informatiques et téléphoniques sécurisés ;

- le renforcement des supports : 3,4 millions d'euros ont notamment été consommés par l'École nationale de magistrature afin de former davantage d'auditeurs de justice, d'adapter les locaux au surcroît d'activité, d'assurer la formation continue des magistrats à la prévention de la radicalisation, de développer un outil d' e-learning , d'initier des échanges internationaux pour sensibiliser à la lutte contre le terrorisme et d'améliorer la sécurisation des locaux. 1,4 million d'euros ont été dépensés par l'École nationale des greffes formant notamment les directeurs de service de greffe, les greffiers et les fonctionnaires des greffes ;

- le renforcement de la prévention et de la prise en charge des jeunes concernés par la radicalisation avec des équipes de psychologues et d'éducateurs étoffés : 8,1 millions d'euros ont ainsi été dépensés dans le cadre du programme budgétaire « PJJ » au titre de la lutte contre le terrorisme. Il s'agit à la fois de formations des agents, de la mise en oeuvre d'actions de citoyenneté et de laïcité, mais également de la création de postes « référents laïcité et citoyenneté » ou de psychologues ;

- le renforcement de la surveillance et la prise en charge par l'administration pénitentiair e des personnes radicalisées, le développement du renseignement pénitentiaire, ainsi que la poursuite du renforcement de la sécurisation des établissements pénitentiaires : 237,09 millions d'euros ont été dépensés par l'administration pénitentiaire dans le cadre du plan de lutte contre le terrorisme, dont 6 millions pour accompagner la montée en puissance technologique du renseignement pénitentiaire.

b) Des effectifs en forte hausse

• Les services de renseignement

Les effectifs des services de renseignement ont fortement augmenté ces dernières années, de 10,45 % entre 2013 et 2016 :

ÉVOLUTION DES EFFECTIFS DU PREMIER CERCLE DU RENSEIGNEMENT

2013

2014

2015

2016

2017

DGSE

5 094

5 154

5 257

5 376

DGSI

*

*

+100

+412

+313 prévus

DRM

1 579

1 574

1 640

1 715

DRSD

1 052

1 076

1 147

1 190

DNRED

739

726

737

760

TRACFIN

92

104

119

132

Total Services spécialisés

*

*

*

*

Académie du renseignement

9

9

12

12

CNR

20

19

17

17

Total Communauté

Sources : Rapport (n° 448 ; 2016-2017) de la délégation parlementaire au renseignement et Projet annuel de performance - mission sécurités, PLF 2017.

En outre, la communauté du renseignement a été renforcée par la création en 2017 du Bureau central du renseignement pénitentiaire à partir du bureau du renseignement pénitentiaire . Bénéficiant de crédits alloués dans le cadre du plan d'action contre la radicalisation et le terrorisme (PART), ses effectifs se sont fortement renforcés :

EFFECTIFS RÉELS ET THÉORIQUES DÉDIÉS AU RENSEIGNEMENT PÉNITENTIAIRE

2014

2015

2016

2017

Bureau central du renseignement pénitentiaire (BCRP)

13/13

11/15

13/17

39/39

Cellules interrégionales du renseignement pénitentiaire (CIRP)

14/14

34/42

37/42

128/128

Correspondants locaux SPIP

-

-

-

103

Délégués locaux du renseignement pénitentiaire

Temps plein

-

7/30

37/44

48/48

Temps partiel

177

170

140

152

Le tableau se lit comme suit : 11 postes sur les 15 prévus ont été pourvus en 2015 au BCRP.

Source : Avis budgétaire administration pénitentiaire - PLF 2018, (n° 114 ; 2017-2018) de M. Alain Marc au nom de la commission des lois.

La loi de finances pour 2018 prévoit la création de 35 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires pour ce service de renseignement.

En dehors du premier cercle du renseignement, le nombre d'agents a également fortement augmenté : + 17,4 % sur la période. Ainsi, en 2017, une augmentation de 165 ETP était prévue pour les effectifs du service central du renseignement territorial, après une augmentation de 315 personnes sur la période 2015-2016; la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris devait voir ses effectifs augmenter de 55 en 2017, après une augmentation de 105 en 2015-2016 ; enfin, la direction centrale de la police judiciaire devait connaître une augmentation de ses effectifs de 96 personnes en 2017, après une augmentation de 170 personnes en 2015-2016 46 ( * ) .

• La justice

Cette hausse des effectifs se retrouve au ministère de la justice. La loi de finances pour 2017 prévoyait la création de 1 406 emplois dans le cadre de la lutte contre le terrorisme . Au final, 1 256 ETPT ont été pourvus, « la sous-exécution du schéma d'emplois prov [enant] à titre principal d'un recrutement de personnels de surveillance moindre qu'escompté, même s'il est en forte progression en 2017 » 47 ( * ) .

D'ailleurs, selon les informations transmises par la direction du budget, sur les trois dernières années, le recrutement a été inférieur au schéma d'emplois : 668 recrutements en 2015 sur les 683 prévus, 1 546 en 2016 sur 1 575 prévus et 1 256 en 2017 sur 1 406 prévus, soit un écart de 5,2 % sur l'ensemble de la période (194 ETP).

Les effectifs de la section C1 traitant les dossiers de terrorisme au parquet de Paris est passé de 7 à 9 magistrats en 2015, puis à 13 en 2016. Aujourd'hui, 14 magistrats composent la section C1. Le pôle instruction antiterroriste du TGI de Paris a également été renforcé de 8 à 9 magistrats au cours de l'année 2015, puis à 11 magistrats depuis le début de l'année 2017.

Au sein de la protection judiciaire de la jeunesse, 223 emplois ont été créés en 2015 ; 138 emplois en 2016, et 145 en 2017. Parmi eux, on compte 30 psychologues dans les zones où apparaissent des risques de radicalisation et 115 éducateurs en complément du plan de lutte contre le terrorisme mis en oeuvre en 2016.

• Les forces de police et de gendarmerie

À la suite des attentats de Charlie Hebdo et de l'Hyper Casher en janvier 2015, le Premier ministre a annoncé, dans le cadre du plan de lutte anti-terroriste (PLAT), la création de 2 680 emplois supplémentaires . Se sont ajoutés 900 ETP dans le cadre du plan de lutte contre l'immigration clandestine (PLIC) annoncé à l'automne 2015, et 5 000 postes supplémentaires dans le cadre du pacte de sécurité (PDS) présenté par le Président de la République devant le Congrès, en novembre 2015.

Les effectifs, se répartissant comme indiqué dans les tableaux suivants, témoignent que ces plans bénéficient principalement aux services spécialisés (renseignement, police judiciaire, immigration, force d'intervention). En outre, les services de police et de gendarmerie se sont engagés dans un travail d'identification des fonctions support occupées par des personnes actives, permettant, le cas échéant une substitution 48 ( * ) .

Comme le souligne un rapport de l'Inspection générale des finances, ces plans reposent principalement sur la mutation d'agents actifs et expérimentés , remplacés dans leur précédent poste par des sorties d'écoles. Ainsi, en 2015, sur les 364 postes à pourvoir dans la police au titre de ces plans, seuls 6,8 % (25) ont été pourvus par une sortie d'école, tous à la direction centrale de la police aux frontières.

CRÉATIONS DE POSTES ISSUES DES PLANS DE RENFORT POUR LA POLICE

2015

2016

2017

Total

Part dans le total

Direction centrale de la sécurité publique (DCSP)

148

617

615

1 380

31 %

dont sécurisation

450

450

900

20%

dont Service central du renseignement territorial (SRCT)

148

167

165

480

11%

Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ)

62

108

96

266

6%

Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI)

100

313

313

726

16%

Service de protection de la population (SDLP)

30

83

73

186

4%

Unité de coordination de la lutte anti-terroriste (UCLAT)

4

5

9

0%

Direction centrale de la police aux frontières (DCPAF)

10

215

175

400

9%

Direction centrale des compagnies républicaines de sécurité (DCCRS)

369

68

437

10%

Préfecture de Police (PP)

50

507

316

873

20%

dont Direction du renseignement (DRPP)

48

48

1%

dont Direction régionale de la police judiciaire (DRPJ)

20

20

0%

dont Direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC)

117

117

3%

dont Direction de la sécurité de l'agglomération parisienne (DSPAP)

290

290

5%

dont Direction opérationnelle des services techniques et logistiques (DOSTL)

7

7

0%

Sous-total opérationnel

400

2 216

1 661

4 277

97%

Soutien opérationnel

70

70

140

3%

dont Direction des ressources et des compétences de la police nationale (DRCPN)/Sous-direction de la formation et du développement des compétences

23

23

1%

Total

400

2 286

1 731

4 417

Source : Rapport de l'Inspection générale des finances, Évolution des effectifs de la police et de la gendarmerie nationales, février 2017.

CRÉATIONS DE POSTES ISSUES DES PLANS DE RENFORT POUR LA GENDARMERIE

2015

2016

2017

Total

Part dans le total

Plan de lutte anti-terroriste

dont Direction des opérations et de l'emploi

1

5

6

0%

dont Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale

2

2

0%

dont Antennes de renseignement territorial

50

50

50

150

7%

dont Cellules de renseignement départementales

18

18

1%

dont Groupes d'observation et de surveillance

17

17

1%

dont Service central de renseignement criminel

5

5

0%

dont Service des technologies et des systèmes d'information de la sécurité intérieure

2

2

0%

dont Sous-direction de l'anticipation opérationnelle

5

5

0%

dont autres affectations en cours de validation

5

5

0%

Plan de lutte contre l'immigration clandestine

dont Escadron de gendarmerie mobile (EGM) de Rosny-sous-Bois

110

110

5%

dont Groupe d'intervention de la gendarmerie nationale

28

28

1%

dont Unités métropole et outre-mer

132

132

6%

Pacte de sécurité

dont Unités mobiles

484

484

22%

dont Cellules départementales d'observation et de surveillance

135

135

6%

dont Pelotons de surveillance et d'intervention

400

400

18%

dont Groupe d'intervention de la gendarmerie nationale

116

116

5%

dont Groupes d'observation et de surveillance

45

45

2%

dont Unités territoriales pour le contrôle des flux (Il s'agit des unités territoriales les mieux positionnées pour assurer le contrôle des flux (proximité des frontières et de« hub » des réseaux de communication)

583

583

26%

Total

100

2 188

55

2 343

Source : Rapport de l'Inspection générale des finances, Évolution des effectifs de la police et de la gendarmerie nationales, février 2017.

Ces recrutements massifs ont nécessité une adaptation forte de la procédure de recrutement . Ainsi, le nombre de places dans les écoles de police et de gendarmerie a fortement augmenté (+ 91 %), et la durée de scolarité a été réduite. En outre, un certain nombre de postes prévus par le PLAT ou le PDS n'ont pas été pourvus.

c) La loi de programmation militaire pour 2019-2025 prévoit une poursuite de l'augmentation des moyens

• Des effectifs en hausse sur 6 ans

La loi de programmation militaire pour 2019-2025 prévoit un renforcement des capacités de collecte, d'analyse et d'exploitation du renseignement du ministère des armées , qu'il s'agisse des services rattachés comme la direction générale de la sécurité extérieure, de la direction du renseignement et de la sécurité de la défense, de la direction du renseignement militaire, ou des moyens constituant la fonction interarmées du renseignement.

1 500 effectifs supplémentaires sur la période sont prévus - soit le quart de l'augmentation prévue pour l'ensemble des effectifs du ministère des armées - témoignant de la priorité que constitue le renseignement.

Comme le souligne la commission des affaires étrangères et des forces armées du Sénat 49 ( * ) , l'effort porte principalement sur les trois dernières années de la périod e. Ce cadencement doit permettre aux armées d'intégrer la croissance de leurs effectifs dans de bonnes conditions. En effet, l'expérience montre un accroissement des écarts entre le nombre d'emplois créés et le nombre d'emplois pourvus , en raison de l'impossibilité, dans un délai trop court, de procéder au recrutement.

40 % de ces effectifs complémentaires devraient être fléchés vers la direction du renseignement militaire, 15 % pour la direction du renseignement et de la sécurité de la défense et 35 % pour la direction générale de la sécurité extérieure.

• Une augmentation des moyens techniques

Les prochaines années vont voir se conjuguer une livraison des équipements commandés lors des lois de programmation antérieures et le lancement de nouveaux projets et équipements dans le domaine du renseignement, pour un montant de 4,6 milliards d'euros.

Ainsi, le système CERES permettant la recherche et l'interception des émissions électromagnétiques sera livré en 2020. De même, un certain nombre de drones et d'avions légers de surveillance doivent être prochainement livrés.

Surtout, un effort important va être engagé afin de développer des processus plus performants de traitements et d'analyse des données . En outre, pour faciliter la transmission des informations, un système optimisé du renseignement interarmées (SORIA) sera mis en place d'ici à 2025. Une réflexion est également en cours afin de mutualiser les capacités interministérielles des services.

d) Des difficultés de recrutement

Lors des auditions, les services de renseignement ont souligné qu'ils étaient confrontés à des difficultés de recrutement pour plusieurs raisons.

Pour des spécialités recherchées, comme les ingénieurs informatiques, ils se retrouvent en concurrence avec d'autres administrations de l'État , mais surtout avec les entreprises privées leur proposant des niveaux de rémunération plus élevés . Cet élément soulève la question de la fidélisation des personnes recrutées.

Le recrutement est particulièrement difficile pour des langues rares, d'autant plus que les personnes concernées peuvent également être approchées par d'autres pays.

La question de l'espionnage et de la sensibilité des informations ne peut être occultée. Dès lors, le processus de recrutement peut être significativement plus long que pour d'autres employeurs - plusieurs mois - notamment afin de s'assurer que la personne concernée ne présente pas un danger pour les intérêts de la France.

Dans ce cadre, il est à noter que l'article 16 du projet de loi de programmation militaire 2019-2026 prévoit, de façon expérimentale pendant quatre ans, un assouplissement des conditions de recours à des contractuels pour des postes connaissant, dans certaines régions, une vacance d'emploi depuis plus de six mois, dans quelques spécialités bien identifiées (renseignement, génie civil, systèmes d'information, communications, etc.). Seraient ainsi concernées les régions Bourgogne-Franche-Comté, Centre-Val-de-Loire, Grand-Est, Île-de-France, Haut-de-France et Provence-Alpes-Côte-D'azur.

2. Un arsenal de mesures administratives de lutte contre le terrorisme aujourd'hui très étendu

Depuis 2012, le Parlement a régulièrement adopté des dispositions visant à doter les pouvoirs publics des instruments permettant de faire face à la menace terroriste : pas moins de dix lois ont été adoptées par le législateur dans le but de renforcer les outils mis à disposition des autorités administratives et judiciaires pour prévenir la commission d'actes de terrorisme.

UN ARSENAL ADMINISTRATIF RÉGULIÈREMENT COMPLÉTÉ

Depuis 2012, au moins dix lois ont renforcé l'arsenal administratif de prévention du terrorisme :

- la loi n° 2012-1432 du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme ;

- la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale ;

- la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme ;

- la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement ;

- la loi n° 2015-1556 du 30 novembre 2015 relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales ;

- la loi n° 2016-339 du 22 mars 2016 relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs ;

- la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale ;

- la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste ;

- la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique ;

- la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.

Si la lutte contre le terrorisme relève, par nature, de l'autorité judiciaire, a émergé, avec la loi du 13 novembre 2014 (interdiction de sortie du territoire, interdiction, etc.), un droit administratif spécial de la prévention du risque terroriste , régulièrement complété depuis .

Plus récemment, afin d'assurer une « sortie maîtrisée » de l'état d'urgence, la loi du 30 octobre 2017 a doté l'État de nouveaux outils permanents de prévention du terrorisme , transposant, de fait, une partie des mesures exceptionnelles de l'état d'urgence dans le droit commun .

La lutte contre le terrorisme relève aujourd'hui à la fois des autorités administratives, qui « sanctionnent » certains comportements à titre préventif, et des autorités judiciaires, qui préviennent et répriment les actes de terrorisme. Ce caractère hybride de la lutte antiterroriste suppose une collaboration étroite entre les autorités judiciaires et administratives , et notamment avec la direction des libertés publiques et des affaires juridictions (DLPAJ) du ministère de l'intérieur, pilote de la plupart des mesures administratives de lutte antiterroriste.

a) Les mesures applicables aux étrangers

À titre préventif, tout étranger, même européen , peut faire l'objet d'une mesure d'interdiction administrative du territoire (IAT) lorsque sa présence en France constituerait, en raison de son comportement personnel, du point de vue de l'ordre ou de la sécurité publics, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société. Cette mesure, créée par la loi du 13 novembre 2014 afin d'empêcher les djihadistes étrangers d'entrer sur le territoire français, est en vigueur depuis le 1 er février 2015.

NOMBRE DE PERSONNES FAISANT L'OBJET
D'UNE MESURE D'INTERDICTION ADMINISTRATIVE DU TERRITOIRE (IAT)

Année

2015

2016

2017

2018

Total

UE/EEE/Suisse

31

7

35

2

75

États tiers

45

125

118

31

319

Total

76

132

153

33

394

Source : Direction des libertés publiques et des affaires juridiques.

De plus, tout étranger dont la présence constitue une menace pour l'ordre public peut faire l'objet d'un refus d'accès au territoire national (même en cas de visa). Ce refus est inscrit au fichier des personnes recherchées (FPR) (« fiche TE »). Ces refus peuvent se fonder sur des renseignements transmis par la DGSE (sur les activités internationales de l'étranger) ou par d'autres services européens.

Plusieurs possibilités d'éloignement existent pour les étrangers déjà présents sur le territoire. Outre la possibilité de les éloigner en raison de leur situation irrégulière sur le territoire par le prononcé d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF), les étrangers radicalisés sont susceptibles de faire l'objet de plusieurs mesures permettant leur éloignement :

- le refus ou le retrait d'un titre de séjour en raison de l'existence d'une menace pour l'ordre public (article L. 314-3 du code de l4entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le CESEDA) ;

- une mesure d'éloignement fondée sur l'existence d'une menace à l'ordre public pour les non-Européens (article L. 511-1 du CESEDA) ou d'une menace réelle, actuelle et grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société pour les Européens (article L. 511-3-1 du CESEDA) ;

- une procédure d'expulsion en raison de la menace grave pour l'ordre et la sécurité publique qu'ils présentent.

Depuis 2015, le nombre de procédures d'expulsions fondées en raison d'un comportement lié à des activités terroristes ou de provocation à la haine ou à la violence reste à un niveau élevé. Les décisions d'expulsion sont inscrites au fichier des personnes recherchées (FPR) et dans le système d'information Schengen (SIS), ce qui fait obstacle au retour des intéressés.

NOMBRE D'ARRÊTÉS MINISTÉRIELS (AME) ET PRÉFECTORAUX (APE)
prononcés pour l'expulsion d'étrangers au comportement de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'État, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence

Année

2014

2015

2016

2017

2018

Total

AME/APE prononcés

9

47

38

30

10

134

dont mesures prononcées sur le fondement de l'article L. 521-1 CESEDA (étrangers non protégés contre l'expulsion)

3

16

13

12

6

50

dont mesures prononcées sur le fondement de l'article L. 521-2 CESEDA (étrangers protégés de façon relative contre l'expulsion)

2

9

6

1

1

19

Dont mesures prononcées sur le fondement de l'article L. 521-3 CESEDA (étrangers protégés de façon quasi absolue contre l'expulsion)

4

22

19

17

3

65

Source : Direction des libertés publiques et des affaires juridiques.

Les services de renseignement sont incités à suggérer des mesures d'expulsion. Ainsi, depuis novembre 2015, 10 arrêtés ministériels et 2 préfectoraux d'expulsion ont été pris sur proposition du SCRT.

Plus de 89 % de ces mesures ont été exécutées, soit un taux particulièrement élevé en matière de mesures d'éloignement des étrangers.

EXÉCUTION DES AME ET APE

Année

2014

2015

2016

2017

2018

Total

AME/APE

exécutés par renvoi forcé dans le pays d'origine

5

9

19

20

7

60

Pourcentage d'AME/APE exécutés par renvoi dans le pays d'origine par rapport aux AME/APE prononcés

56%

19%

50%

67%

70%

45%

AME/APE

réputés exécutés (personne se trouvant à l'étranger lors du prononcé de la mesure)

4

34

15

6

0

59

Pourcentage d'AME/APE réputés exécutés par rapport aux AME/APE prononcés

44%

72%

39%

20%

0%

44%

Total AME/APE exécutés ou réputés exécutés

9

43

34

26

7

119

Pourcentage d'AME/APE exécutés par renvoi dans le pays d'origine OU réputés exécutés par rapport aux AME/APE prononcés

100%

91%

89%

87%

70%

89%

Source : Direction des libertés publiques et des affaires juridiques.

Au surplus, les étrangers condamnés à une interdiction judiciaire du territoire pour lesquels leur expulsion n'est pas réalisable 50 ( * ) peuvent faire l'objet d'une assignation à résidence, sans limitation de durée et assortie d'une obligation de pointages aux services de police et de gendarmerie, dans un lieu choisi par l'autorité administrative . Depuis 2014, l'autorité administrative est également autorisée à interdire aux étrangers assignés à résidence, condamnés à une peine d'interdiction du territoire pour des actes de terrorisme ou faisant l'objet d'un arrêté d'expulsion en raison d'un « comportement lié à des activités à caractère terroriste », d'être en relation avec certaines personnes nommément désignées. Au 1 er juin 2018, seules deux personnes font l'objet d'une telle mesure .

Votre rapporteure invite le Gouvernement à mettre davantage en oeuvre cet arsenal administratif afin d'expulser plus fréquemment des individus radicalisés fichés S de nationalité étrangère.

b) Les mesures d'entrave

Depuis 2014, plusieurs dispositifs ont été adoptés afin de contrer le phénomène de départs de jeunes Français vers la zone irako-syrienne, puis d'assurer un suivi étroit des « revenants ».

• L'interdiction de sortie du territoire (IST)

Depuis 2014, le ministre de l'intérieur peut ordonner, à l'égard de Français pour lesquels il existe des raisons sérieuses de penser qu'ils projettent des déplacements à l'étranger sur un théâtre d'opérations de groupements terroristes, une mesure d' interdiction de sortie du territoire (IST) ; cette mesure entraîne le retrait et l'invalidation du passeport et de la carte d'identité de la personne qui en fait l'objet. La soustraction à ces obligations administratives est passible d'une infraction pénale.

Depuis février 2015, 514 personnes ont fait l'objet d'une interdiction de sortie du territoire (IST) , dont 189 à l'initiative du SCRT . Seulement 4 personnes font l'objet d'une IST depuis plus de deux ans.

Les personnes faisant l'objet d'une IST sont inscrites au FPR et au SIS.

• Le contrôle administratif des retours sur le territoire (CART)

L'article 52 de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme, leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale a créé un régime administratif de contrôle des retours sur le territoire national (CART) visant à permettre le prononcé de plusieurs mesures de police administrative, prises par arrêté du ministre de l'intérieur.

En vertu de l'article L. 225-1 du code de la sécurité intérieure, peut faire l'objet de ce contrôle, dès son retour sur le territoire national, « toute personne qui a quitté le territoire national et dont il existe des raisons sérieuses de penser que ce déplacement a pour but de rejoindre un théâtre d'opérations de groupements terroristes dans des conditions susceptibles de la conduire à porter atteinte à la sécurité publique lors de son retour sur le territoire français ».

Pensé comme un dispositif subsidiaire et préparatoire aux poursuites pénales , ce contrôle administratif peut être composé de plusieurs obligations : l'assignation à résidence, l'obligation de résider dans un périmètre géographique donné, l'obligation de se présenter périodiquement aux services de police, l'interdiction de se trouver en relation avec certaines personnes pour lesquelles il existe des raisons sérieuses de penser que leur comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics.

Aucune décision de contrôle administratif n'a été prononcée depuis l'entrée en vigueur de cette disposition : cela n'a pas été nécessaire en raison de la judiciarisation systématique de tous les individus de retour d'un théâtre d'opérations terroristes.

• Les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS)

L'article 3 de la loi 30 octobre 2017 a créé plusieurs mesures de contrôle administratif et de surveillance, qui s'appliquent aux personnes dont le comportement constitue une menace pour l'ordre et la sécurité publics et qui soit entrent en relation avec des personnes incitant au terrorisme, soit diffusent ou adhèrent à des thèses terroristes.

Elle permet d'assigner ces personnes dans un périmètre, de les obliger à se présenter périodiquement aux services de police, l'obligation de déclarer son domicile, ou encore de leur interdire de se trouver en relation avec certaines personnes pour lesquelles il existe des raisons sérieuses de penser que leur comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics. Les personnes visées peuvent également faire l'objet d'un placement sous surveillance électronique mobile.

Entre le 1 er novembre 2017 et le 8 juin 2018, 54 mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance ont été prononcées . Au 8 juin 2018, 38 sont encore en vigueur .

RÉPARTITION GÉOGRAPHIQUES DES 38 MESURES INDIVIDUELLES DE CONTRÔLE ADMINISTRATIF ET DE SURVEILLANCE EN VIGUEUR AU 8 JUIN 2018

Source : Direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'intérieur.

c) Les mesures administratives d'enquêtes

Plusieurs mesures administratives peuvent être prononcées par l'autorité administrative à l'encontre de personnes susceptibles de constituer une menace pour le territoire français.

• Les enquêtes administratives

L'article L. 114-1 du code de la sécurité intérieure permet la réalisation d'une enquête administrative avant le recrutement de personnes à des emplois publics ou des activités privés stratégiques , mais également avant une nouvelle affectation, l'octroi d'une autorisation, d'un agrément ou d'une habilitation. Depuis la loi du 30 octobre 2017 51 ( * ) , il est également possible de réaliser des enquêtes administratives sur les personnes déjà en poste. En cas de comportement incompatible avec les fonctions exercées, les agents publics et les militaires peuvent être écartés immédiatement et, s'agissant des emplois privés, l'autorisation ou l'habilitation est retirée.

• La retenue administrative

Depuis 2016, a été créé un régime de retenue administrative , à l'article 78-3-1 du code de procédure pénale, lorsqu'il existe à l'égard d'une personne dont l'identité a été contrôlée ou vérifiée « des raisons de penser que son comportement est lié à des activités à caractère terroriste », distinct du régime judiciaire de la garde à vue. Ce régime permet de retenir la personne le temps de consulter certains fichiers ou d'attendre les instructions de la DGSI en cas de contrôle d'une personne faisant l'objet d'une fiche S au FPR pour laquelle la conduite précisait de retenir la personne.

• Les visites domiciliaires (ou les perquisitions administratives)

La loi du 30 octobre 2017 a introduit la possibilité pour l'autorité préfectorale de conduire des visites domiciliaires, y compris de nuit, dans les lieux fréquentés par des personnes dont le comportement constitue une menace pour l'ordre et la sécurité publics et qui soit entrent en relation avec des personnes incitant au terrorisme, soit diffusent ou adhèrent à des thèses terroristes. Depuis la censure du Conseil constitutionnel du 29 mars 2018, seules les données informatiques peuvent être saisies 52 ( * ) .

22 perquisitions administratives , dont 14 ont donné lieu à une saisie, ont eu lieu sur ce fondement entre le 1 er novembre 2017 et le 8 juin 2018.

d) La dissolution des groupements ou des lieux de culte

En application de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, peuvent être dissous toute association ou groupement de fait qui ont pour objectif d'attenter à la forme républicaine du Gouvernement, ou qui « provoquent à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, soit propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence ; ou qui se livrent, sur le territoire français ou à partir de ce territoire, à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l'étranger ».

La reconstitution de tels groupements est un délit passible de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende, en application de l'article 431-15 du code pénal.

La dissolution d'une association cultuelle assurant la gestion d'un lieu de culte peut également entraîner sa fermeture. Considérée par le ministère de l'intérieure comme une mesure attentatoire à la liberté de culte, la dissolution d'une association cultuelle reste peu utilisée : seule une association cultuelle a été dissoute en 2017 53 ( * ) et quatre l'ont été en 2016 54 ( * ) .

D'autres dispositions législatives autorisent, ou peuvent avoir pour conséquence, la fermeture d'un lieu de culte. Depuis 2012, environ 70 lieux de culte ont été concernés par une procédure de fermeture de lieux de culte .

En premier lieu, sur le fondement de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, le maire, chargé d'assurer « le maintien du bon ordre », peut interdire toute réunion ou manifestation, notamment cultuelle , à l'origine de troubles à l'ordre public dès lors que l'atteinte est nécessaire, adaptée et proportionnée.

L'article 25 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État 55 ( * ) place les « réunions pour la célébration d'un culte tenues dans les locaux appartenant à une association cultuelle ou mis à sa disposition » sous « la surveillance des autorités dans l'intérêt public », renvoyant ainsi aux pouvoirs de police générale du maire ou de substitution des services de l'État 56 ( * ) .

LA FERMETURE DES LIEUX DE CULTE MOTIVÉE
POUR DES RAISONS DE SÉCURITÉ PUBLIQUE

Les lieux de culte sont également soumis aux législations particulières relatives aux établissements recevant du public. En application de l'article L. 123-4 du code de la construction et de l'habitation, après avis de la commission de sécurité compétente, le maire ou le préfet peut ordonner la fermeture de tout établissement « en infraction avec les règles de sécurité propres à ce type d'établissement, jusqu'à la réalisation des travaux de mise en conformité ».

Entre 2012 et 2016, plus de 23 lieux de culte ont été fermés en raison d'une infraction à la réglementation en matière d'urbanisme ou de législation concernant les établissements recevant du public. D'autres dysfonctionnements ou signalements des services de renseignement ont permis la fermeture de 20 lieux de culte par la résiliation du bail ou une expulsion locative.

Source : Direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'intérieur.

Les lieux de culte peuvent également être fermés sur le fondement de l'article 8 de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence qui autorise, de manière générale, les fermetures de lieux de réunion de toute nature.

Depuis la loi du 30 octobre 2017, sur le fondement d'une nouvelle mesure administrative ad hoc (articles L. 227-1 et suivants du code de la sécurité intérieure), le préfet peut également fermer les lieux de culte « dans lesquels les propos qui sont tenus, les idées ou théories qui sont diffusées ou les activités qui se déroulent provoquent à la violence, à la haine ou à la discrimination, provoquent à la commission d'actes de terrorisme ou font l'apologie de tels actes ». 4 fermetures de lieux de culte ont eu lieu sur ce fondement entre le 1 er novembre 2017 et le 8 juin 2018.

3. Des moyens nouveaux pour la lutte contre le financement du terrorisme

La lutte contre le terrorisme requiert de s'attaquer à son financement , comme l'a fait observer M. Emmanuel Macron, Président de la République, en clôture de la conférence internationale de lutte contre le financement de Daech et d'Al-Qaïda, qui s'est tenue à Paris, les 25 et 26 avril derniers :  « Il nous faut assécher notre ennemi à la racine et donc l'assécher dans sa capacité à se financer lui-même ».

En effet, le financement du terrorisme poursuit plusieurs objectifs. Il permet tout d'abord de financer des actions terroristes à proprement parler . Ainsi, selon M. François Molins, procureur de Paris, Daech n'a eu besoin que de 25 000 euros pour organiser les attentats de janvier 2015 et de 80 000 euros pour ceux du 13 novembre 57 ( * ) . L'argent du terrorisme vise également à payer les combattants sur les théâtres d'opérations ou encore des opérations de propagande.

a) Tracfin, fer de lance de la lutte contre le financement du terrorisme

En France, le service de traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (Tracfin) est le fer de lance de la lutte contre le financement du terrorisme . Depuis 2013, mais surtout à la suite des attentats de 2015, l'État a renforcé les moyens budgétaires, humains et juridiques de la lutte contre le financement terroriste .

Tracfin a été créé en 1990 58 ( * ) , avec pour domaine de compétence les infractions à caractère économique, commercial et financier liées à la criminalité professionnelle ou organisée, notamment celles en relation avec le grand banditisme, le terrorisme ou le trafic de stupéfiants. Placé sous l'autorité directe du ministre chargé du budget et des finances depuis 2006 - devenu depuis ministre de l'action et des comptes publics -, il a pour mission de recueillir, d'analyser, d'enrichir et d'exploiter tout renseignement propre à établir l'origine ou la destination délictueuse d'une opération financière.

Depuis 2008, Tracfin est membre du conseil national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme. Au 1 er janvier 2013, une cellule spécialisée sur la lutte contre le financement du terrorisme a été constituée et composée de deux agents.

Une division dédiée à la lutte contre le financement du terrorisme, initialement composée de six agents et d'un chef de division a été créé en octobre 2015.

Parmi ses nombreuses compétences en matière de lutte contre le terrorisme, Tracfin recherche notamment des indices de départ ou de retour de personnes radicalisées vers les terrains de guerre , de collecte de fonds pour le soutien financier de combattants sur zone, d'actions prosélytes.

UN RENFORCEMENT IMPORTANT DES MOYENS BUDGÉTAIRES
ET HUMAINS DE TRACFIN

La division de lutte contre le financement du terrorisme créée en octobre 2015 a vu ses effectifs plus que doubler en deux ans et demi, pour atteindre 13 agents et un chef de division. Votre rapporteure note d'ailleurs que par comparaison avec nos voisins et les États-Unis, le service français est plutôt bien doté . Les effectifs des services partenaires à l'étranger sont ainsi de 4 au Luxembourg, 5 en Belgique, 6 au Royaume-Uni et de 20 aux États-Unis.

Cette division, bénéficiant d'une formation spécifique sur le financement terroriste, se caractérise par une grande diversité dans les profils de recrutement - police, douanes, direction générale des finances publiques, direction générale de la concurrence, du commerce et de la répression des fraudes, contractuels - permettant une synergie entre les expériences et un renforcement de la coopération entre les différents services. En outre, plus de la moitié des agents affectés à Tracfin sont là depuis moins de trois ans. Selon Tracfin, l'ensemble de ces éléments lui permet « une grande capacité d'adaptation à ses missions ».

Au total, ce sont 10 emplois sur trois ans qui ont été alloués à Tracfin dans le cadre du plan de lutte contre le financement du terrorisme adopté en 2015. Ce chiffre est très significatif au regard des 110 agents que comptait Tracfin en juillet 2015. De manière générale, les effectifs de Tracfin ont été multipliés par deux depuis 2010. Cette augmentation du personnel répond à la nécessité d'une plus grande exploitation du nombre de données . L'activité de Tracfin a en effet fortement augmenté : à titre d'exemple, le nombre de déclarations de soupçon, tous domaines confondus, est passé de 10 000 en 2010 à 65 000 en 2016.

Ses moyens budgétaires ont également fortement augmenté , passant d'un budget de 7,44 millions d'euros en 2014 à 17,22 millions d'euros dans la loi de finances pour 2018 - soit une augmentation de 131 % en quatre ans. Ils traduisent à la fois une augmentation du nombre de personnels , mais aussi une montée en gamme des outils informatiques utilisés par les services.

Source : Tracfin.

b) Une coopération efficace avec la section anti-terroriste du Parquet de Paris et les autres services de renseignement

La coopération entre Tracfin et les autres services de renseignement, ainsi qu'avec le procureur de Paris est très bonne. Cette dernière est indispensable à une efficience maximale du traitement des informations collectées. Ainsi le nombre de notes transmises par Tracfin à l'autorité judiciaire a-t-il plus que doublé en un an, passant de 125 notes en 2016 à 322 en 2017. L'intensification des échanges avec la section anti-terroriste du parquet de Paris est bien illustrée par la très forte augmentation du nombre de notes de renseignement dont elle a été destinataire en 2017 : 224 notes, contre 36 en 2016. Elle est le résultat de la définition, le 8 janvier 2016, d'un axe de travail commun entre Tracfin et la section C1 du parquet de Paris, à l'initiative du procureur de la République de Paris et du directeur de Tracfin.

C'est dans ce cadre qu'un substitut référent « financement du terrorisme » a été désigné, fluidifiant et dynamisant de manière significative les échanges entre les deux institutions. En outre, Tracfin a mis en place une permanence 24/7 lui permettant de réagir très rapidement à des sollicitations urgentes.

C es échanges ont lieu dans les deux sens, le parquet antiterroriste transmettant des informations de soupçon à Tracfin, sur le fondement de l'article L.561-27 du code monétaire et financier.

Il convient de noter la bonne collaboration entre ces services, que ce soit dans l'intégration des éléments transmis dans les procédures en cours ou en matière de soutien et d'assistance aux officiers de police judiciaire et de la DGSI : Tracfin réalise un travail complémentaire indispensable sur des axes qui ne pourraient sans doute pas être analysés autrement, faute de temps, de ressources et de technicité. Par ses analyses, ce service produit des cartographies financières et complètes permettant d'identifier les flux financiers.

Selon Tracfin, un quart des dossiers ouverts et en cours en 2018 au parquet de Paris sont impactés ou initiés par un de leurs signalements.

Votre rapporteure se félicite ainsi des bons résultats obtenus grâce à cette coopération. À la veille de la conférence internationale sur le financement du terrorisme, M. François Molins a ainsi annoncé l'identification de 320 collecteurs - majoritairement turcs ou libanais - ayant facilité le soutien de djihadistes français en leur permettant de recevoir des fonds sur place, et de 416 résidents français susceptibles de faire l'objet de poursuites pour financement du terrorisme 59 ( * ) .

Cette coopération pourrait encore être améliorée sur des points techniques, notamment en donnant un accès au parquet de Paris à la messagerie sécurisée ISIS 60 ( * ) . Cela serait de nature à faciliter les échanges entre Tracfin et la section anti-terroriste de parquet de Paris.

La coopération avec les autres services de renseignement est également très bonne. D'une part, Tracfin, appartenant au premier cercle du renseignement, participe aux réunions hebdomadaires avec les autres services, permettant un échange d'informations. D'autre part, il dispose d'agents de liaison provenant de ces services au sein de son pôle juridique et judiciaire, notamment avec la police, la gendarmerie et les douanes.

Une bonne coopération est essentielle, notamment pour des raisons juridiques. En effet, en application de l'article L. 221-1 du code de la sécurité intérieure, Tracfin est le service administratif juridiquement habilité auprès des prestataires de services financiers pour recueillir toutes les données financières utiles sur une personne physique ou morale pouvant être en lien avec le financement d'activités terroristes. Il est l'interlocuteur unique du professionnel assujetti à ces obligations de transmission en cas de soupçon 61 ( * ) . En outre, Tracfin ne peut directement transmettre d'informations aux services du deuxième cercle de renseignement . Cette transmission se fait alors via la DGSI.

Tracfin participe de manière permanente - et depuis sa création à l'été 2015 - à la cellule Allat située à la DGSI, par la présence continue d'un agent de la division de la lutte contre le financement terroriste. Témoin de l'adaptation de Tracfin à l'évolution du contexte, il a mis en place une procédure de transmission dite « flash » « permettant de diffuser spontanément une information importante concernant un individu suivi par cette cellule et d'apporter une information factuelle issue du renseignement financier ». Cette note alerte les destinataires, dont la cellule Allat, sur un risque imminent. Cette cellule inter-agences permet également de s'assurer qu'il n'y a pas une redondance , entre les services, sur les suivis opérés.

Dès lors, l'amélioration des outils de communication et notamment des liaisons informatiques rapides entre les différents services est essentielle. Il apparait nécessaire de déployer de manière urgente les besoins déjà exprimés dans ce domaine par les services.

c) Une forte augmentation de son activité

L'activité de Tracfin en matière de lutte contre le financement du terrorisme a très fortement augmenté en cinq ans . Ainsi, le nombre d'informations liées au financement du terrorisme analysées par Tracfin est passé de 280 en 2013 à 1 440 en 2017, soit une augmentation de 307 % . Sur la même période, le nombre de notes transmises par Tracfin à ses partenaires est passé de 40 à 684, soit une augmentation de 1 610 %.

Le graphique ci-après présente le bilan de la division de lutte contre le financement terroriste depuis sa création en 2015 :

Source : Contribution écrite de Tracfin ; DS : déclaration de soupçon ; IS : information de soupçon, TS : transmission spontanée, TSJ : transmission spontanée adressée à la justice ; TS ALLAT : transmission spontanée à la cellule Allat.

LES MODIFICATIONS JURIDIQUES INTRODUITES PAR L'ORDONNANCE N°2016-1635 DU 1 ER DÉCEMBRE 2016 RENFORÇANT LE DISPOSITIF FRANÇAIS DE LUTTE
CONTRE LE BLANCHIMENT ET LE FINANCEMENT DU TERRORISME

Un droit de communication étendu :

L'ordonnance a étendu le champ des personnes auxquelles Tracfin peut adresser des droits de communication. Sont désormais également concernées les caisses autonomes des règlements pécuniaires des avocats (CARPA) ; les entreprises de location de véhicules de transport terrestre, maritime ou aérien ; l'ensemble des plateformes de collecte de fonds en ligne.

De nouveaux professionnels assujettis :

Sont désormais également concernées les personnes acceptant des paiements en espèces ou au moyen de monnaie électronique d'un montant supérieur à un seuil fixé par décret et se livrant à un certain nombre de commerces dont pierres précieuses, métaux précieux, bijoux, etc. ; toute personne qui, à titre de profession habituelle, soit se porte elle-même contrepartie, soit agit en tant qu'intermédiaire, en vue de l'acquisition ou de la vente de monnaie virtuelle ; les intermédiaires en opérations de banque et en services de paiement agissant en vertu d'un mandat délivré par un client et qu'ils se voient confier des fonds en tant que mandataire des parties. En outre, les plateformes de financement participatif de don sont désormais assujetties.

Un droit d'opposition plus effectif :

En application de l'article L. 561-24 du code monétaire et financier, Tracfin peut s'opposer à l'exécution d'une opération pendant une durée qui a été étendue de 5 à 10 jours ouvrables par l'ordonnance de transposition.

Des mesures de vigilance confortées :

Sauf pour la monnaie électronique dans certaines conditions prévues par décret, les assujettis doivent systématiquement mettre en oeuvre les mesures de vigilance.

Des possibilités de communication accrues avec les autorités administratives : l'ordonnance a complété la liste des autorités administratives auxquelles Tracfin peut adresser des informations. Peut notamment désormais être destinataire le Service de l'information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE).

Un renforcement de la confidentialité des informations détenues et transmises par Tracfin :

Les services destinataires ne peuvent révéler l'existence ou le contenu d'informations transmises ou les transmettre à leur tour que dans la mesure où Tracfin leur aura donné son accord.

Introduction de la faculté d'appeler à une vigilance accrue concernant des opérations ou des personnes présentant un risque important de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme.

La loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale a introduit un nouveau dispositif qui autorise Tracfin à désigner aux entités déclarantes des opérations ou des personnes qui présentent un risque important de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme. Tel est notamment le cas de la famille et des proches de personnes ayant déjà fait l'objet d'un droit de communication de la part de Tracfin pour soupçon de départ en zone de djihad. Cela peut notamment permettre d'identifier le montage d'une opération de retour de zone de combat.

Source : Tracfin.

L'augmentation du nombre de transmissions, en raison à la fois de l'extension des personnes assujetties à la faire et de domaines, pose la question de la qualité de la donnée transmise afin de permettre son exploitation 62 ( * ) .

Face, d'une part, à l'explosion du flux déclaratif en 2016 et, d'autre part, à la dégradation de la qualité de l'information reçue, Tracfin, en lien avec l'autorité de contrôle prudentiel et de résolution, a actualisé ses lignes directrices afin de préciser leurs attentes. En outre, depuis 2017, ils organisent une réunion annuelle avec les principaux déclarants (établissements bancaires et de paiements), afin de réaliser un bilan, mettre en avant les bonnes pratiques, mais également de souligner les points perfectibles. Il en est de même avec le secteur non financier (professionnels des chiffres, immobilier, etc.).

Le rapport « Tendances et analyse des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme en 2016 » de Tracfin montre que ce service concentre ces efforts dans trois nouveaux domaines :

- La détection des signes faibles de radicalisation et des combattants sur le départ ou de retour de zone de conflit

Comme le souligne le rapport d'analyse de Tracfin, « la préparation d'actes terroristes s'effectue par le biais de micro-financements difficiles à tracer. Les flux caractéristiques d'un passage à l'acte ne se démarquent que très rarement des volumes de micro-transactions légitimes ».

Dans ce contexte, il est primordial de se focaliser sur la détection de signaux faibles qui, pris individuellement, n'ont que peu de signification, mais analysés globalement peuvent révéler une radicalisation violente ou un départ imminent .

EXEMPLE D'ANALYSE DE SIGNAUX FAIBLES PERMETTANT
DE DÉTECTER UN DÉPART IMMINENT TRÈS PROBABLE - EXTRAIT DU RAPPORT DE TRACFIN « TENDANCES ET ANALYSE DES RISQUES DE BLANCHIMENT DE CAPITAUX ET DE FINANCEMENT DU TERRORISME EN 2016 »

Un déclarant informe le Service de la volonté d'un individu né en 1995 de donner procuration à un parent sur son compte bancaire avant de le clôturer. Il explique qu'il part à l'étranger pour des raisons personnelles et une durée indé- terminée. Le parent de l'individu précise, lors de la clôture définitive du compte, que ce dernier ne reviendra pas en France.

L'analyse des comptes de l'individu révèle de nombreuses dépenses pour des équipements de vie en extérieur et de camping avant clôture des comptes épargne et courant.

Critères d'alerte : Fermeture soudaine de l'ensemble des comptes bancaires de l'individu ; départ pour une durée et une zone indéterminées ; achats de matériel de vie en extérieur ; Explications évasives sur les motifs et la destination finale du voyage ; âge de l'individu.

Les transmissions dites « flash » mises en place permettent dans ces cas de transmettre rapidement l'information aux services de renseignement ainsi qu'à l'autorité judiciaire.

- Les associations culturelles ou humanitaires soupçonnées de financer les filières terroristes

Les travaux de Tracfin à partir des déclarations de soupçon de financement du terrorisme ont révélé que plusieurs associations cultuelles, culturelles ou à vocation humanitaire, ont été le point de convergence de flux financiers destinés à des réseaux djihadistes. Si les dons forment la principale source de financement de ces associations, certaines peuvent bénéficier de subventions publiques. Or, l'étude de leurs comptes révèle une très forte opacité dans l'utilisation des fonds. Aussi, votre rapporteure juge indispensable de renforcer le contrôle sur les comptes des associations bénéficiant de subventions publiques.

Afin de pouvoir interroger de façon plus pertinente les établissements ayant eu à connaître des transferts financiers sur des cibles liés au financement du terrorisme, il semble opportun d'étendre aux comptes de paiement le fichier national des comptes bancaires (FICOBA) Cette mesure est prévue par la 5 èeme directive anti-blanchiment qui a été votée par le Parlement européen, le 19 avril 2018, et par le Conseil le 14 mai 63 ( * ) . Votre rapporteure souhaite que cette directive soit rapidement transposée en France.

d) Des moyens de lutte contre le financement du terrorisme encore perfectibles

Si des mesures ont été prises pour mieux contrôler le recours aux cagnottes en ligne, des faiblesses dans le système de lutte contre le financement du terrorisme demeurent. C'est notamment le cas de comptes de paiement européens totalement numériques, qui échappent à la législation française et ne peuvent faire l'objet d'un gel des avoirs.

Tracfin estime pour l'instant que les crypto-monnaies ne représentent pas un outil de financement du terrorisme , en raison de leur technicité. Toutefois, les perspectives d'une « matérialisation » de cette monnaie - à l'image de l'installation de distributeurs de billets en libre-service au Royaume-Uni ou dans des pays du Nord de l'Europe, permettant de « convertir » de la monnaie virtuelle en argent réel et inversement - ou la relocalisation de djihadistes en Asie du Sud-Est, où l'accès à ces monnaies est beaucoup plus répandu, peuvent faire évoluer cette appréciation.

Aussi est-il impératif de renforcer la traçabilité des flux financiers, en limitant l'usage des moyens de paiement permettant une anonymisation.

LES AVANCÉES DU DÉCRET DU DÉCRET N° 2016-1523 DU 10 NOVEMBRE 2016 RELATIF À LA LUTTE CONTRE LE FINANCEMENT DU TERRORISME

Les cartes prépayées : elles ne peuvent plus héberger plus de 250 euros. En outre, sur une période de trente jours, il n'est pas possible de virer plus de 250 euros dessus. Elles ne peuvent être utilisées que pour des paiements sur le territoire national. Ces cartes ne peuvent être rechargées au moyen d'espèces, sauf auprès d'un réseau limité de personnes. Toutes les opérations de retrait d'un montant supérieur à 100 euros sont soumises à des obligations de vigilance. Enfin, la carte prépayée ne peut être rechargée au moyen d'une monnaie électronique que si le détenteur s'est identifié. Avant ce décret, l'anonymat était assuré pour tout versement inférieur à 1 000 euros, ces derniers n'étant pas plafonnés.

Les crédits à la consommation : l'obligation de mesures de vigilance applicables aux crédits à la consommation s'applique désormais dès 1 000 euros, contre 4 000 euros auparavant.

Une surveillance des transferts d'argent : tout transfert des sommes, titres ou valeurs vers ou en provenance d'un État de l'Union européenne opérés par des personnes physiques elles-mêmes ou par des envois confiés à des services postaux d'un montant supérieur à 10 000 euros doit être déclaré, lorsqu'ils sont acheminés par voie routière, aérienne, maritime ou ferroviaire, par des sociétés de transport ou des entreprises de fret express.

Un accès au fichier des personnes recherchées : depuis le 10 novembre 2016, Tracfin a accès au fichier des personnes recherchées comprenant les personnes « fichées S ».

e) Faire de la lutte contre le financement du terrorisme un enjeu international

Une lutte contre le financement du terrorisme ambitieuse nécessite un engagement de l'ensemble des pays, l'argent ne connaissant pas de frontières.

Au niveau européen , la 5 e directive anti-blanchiment et financement du terrorisme vient d'être votée, le 18 avril dernier, par le Parlement européen. Elle doit généraliser en Europe les fichiers de comptes bancaires et des comptes de paiement , équivalents du FICOBA français, mais qui existent encore dans très peu de pays européens. Cette disposition répond à une demande forte de Tracfin d'une extension du FICOBA aux comptes de paiement. La Commission va travailler sur les aspects techniques afin de s'assurer d 'une interconnexion de ces registres.

En outre, les règles relatives aux transactions en monnaie électronique vont être durcies par un abaissement des seuils de vérification de l'identité du détenteur. Les garanties pour les transactions en provenance et à destination des pays à risque vont être renforcées. Enfin, les compétences des cellules de renseignement financier de l'Union européenne vont être renforcées via notamment l'instauration d'une plus grande transparence concernant l'identité des propriétaires effectifs des entreprises et des trusts.

Si votre rapporteure se félicite de ces avancées, elle note toutefois que huit États membres n'ont pas encore transposé la 4 e directive de 2015 , alors qu'ils devaient le faire avant le 26 juin 2017 64 ( * ) . En outre, la Commission a entamé une procédure d'infraction contre la Belgique et l'Espagne en décembre 2017, estimant que les transpositions de la loi anti-blanchiment sont insuffisantes.

Tracfin procède également à des échanges d'informations avec des services partenaires étrangers. Soumis au principe de réciprocité, le demandeur ne peut que solliciter des informations qu'il serait lui-même susceptible d'obtenir dans son pays. Ses services étrangers peuvent également adresser spontanément des informations à Tracfin, et inversement. En 2017, Tracfin a reçu plus de 1 300 informations relatives à 7 000 personnes morales ou physiques - un chiffre comparable à celui de l'année précédente. Il a adressé 910 réponses aux sollicitations étrangères, après avoir procédé à plus de 860 droits de communication auprès des assujettis. Il a transmis plus de 200 notes d'information spontanées afin que des éléments collectés en France puissent faire l'objet d'une exploitation à l'étranger. Enfin, il a adressé plus de 1 700 demandes à 93 services partenaires étrangers.

Au niveau international, à l'initiative de la France, une conférence de lutte contre le financement de Daech et d'Al-Qaïda regroupant 70 États et près de 20 organisations internationales, régionales et agences spécialisées s'est tenue à Paris, les 25 et 26 avril derniers.

LES DIX POINTS DE LA DÉCLARATION FINALE DE LA CONFÉRENCE INTERNATIONALE DE LUTTE CONTRE LE FINANCEMENT DE DAECH ET D'AL-QAÏDA :

1. Poursuivre le renforcement des cadres juridiques et opérationnels internes pour la collecte, l'analyse et le partage des informations par les autorités nationales ;

2. Lutter contre les transactions financières anonymes ;

3. Accroître la traçabilité et la transparence des fonds destinés aux organisations à but non lucratif et aux oeuvres caritatives ;

4. Anticiper et prévenir le risque de détournement des nouveaux instruments financiers ;

5. Travailler en collaboration avec le secteur privé, en particulier l'industrie du numérique, pour lutter contre le financement du terrorisme ;

6. Réaffirmer l'utilité des mécanismes nationaux et internationaux de gel et de saisie des avoirs ;

7. Renforcer l'efficacité de la coopération internationale ;

8. Soutenir la légitimité, la visibilité et les ressources du Groupe d'action financière (GAFI) et des organismes régionaux ;

9. Renforcer l'engagement collectif envers les États qui ne satisfont pas aux normes ou manquent de capacité ;

10. Maintenir une mobilisation commune contre le financement du terrorisme.


* 44 Dépenses de personnel (rémunérations d'activité, cotisations et contributions sociales, prestations sociales et allocations diverses).

* 45 Rapport annuel de performance pour 2017 - mission justice.

* 46 Projet annuel de performance - mission sécurités, PLF 2017.

* 47 Rapport annuel de performance - mission Justice, loi de finances 2017, présenté dans le cadre du projet de loi de règlement et d'approbation des comptes 2017.

* 48 Rapport de l'Inspection générale des finances, Évolution des effectifs de la police et de la gendarmerie nationales, février 2017.

* 49 Rapport (n° 476 ; 2017-2018) de M. Christian Cambon au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sur le projet de loi de programmation militaire pour les années 2019-2025, déposé le 16 mai 2018.

* 50 Par exemple, parce qu'aucun pays n'accepte leur entrée sur leur territoire.

* 51 Décret n° 2018-135 du 27 février 2018 portant application de l'article L. 4139-15-1 du code de la défense et décret n° 2018-141 du 27 février 2018 portant application de l'article L. 114-1 du code de la sécurité intérieure.

* 52 Décision n° 2017-695 QPC du 29 mars 2018.

* 53 Décret du 4 mai 2017 portant dissolution d'une association.

* 54 Décrets du 14 janvier 2016, du 6 mai 2016 et du 24 novembre 2016 portant dissolution d'une association.

* 55 Cette législation n'est pas applicable en Alsace et en Moselle.

* 56 Sur le fondement de l'article L. 2216-1 du code général des collectivités territoriales.

* 57 Interview du 26 avril 2018 sur France info.

* 58 Décret du 9 mai 1990 portant création d'une cellule de coordination chargée du traitement du renseignement et de l'action contre les circuits financiers clandestins.

* 59 Interview précitée.

* 60 L'Intranet Sécurisé Interministériel pour la Synergie gouvernementale (ISIS) est le premier système d'information sécurisé permettant l'échange et le partage de documents relevant du secret de la défense nationale entre acteurs gouvernementaux. Isis est l'outil de travail quotidien entre acteurs gouvernementaux (cabinets ministériels, grandes directions, préfectures, centres opérationnels) pour traiter de sujets sensibles jusqu'au niveau confidentiel défense. Il constitue également l'outil de conduite de l'action gouvernementale en situation d'urgence ou de crise. Chaque utilisateur accède à sa messagerie électronique sécurisée ainsi qu'à des espaces de travail collaboratifs (partage documentaire, gestion des mesures Vigipirate et des plans Pirate...). Il relie actuellement près de 2 500 autorités ou centres de crise.

* 61 En application de l'article L. 561-15 du code monétaire et financier, les professionnels assujettis ont l'obligation de déclarer à Tracfin les sommes dont ils savent, soupçonnent ou ont de bonnes raisons de soupçonner qu'elles proviennent d'une infraction passible d'une peine privative de liberté supérieure à un an ou qu'elles sont liées au financement du terrorisme.

* 62 Tracfin n'est pas autorisé à entreprendre des investigations sur le fondement d'autres signalements - notamment les dénonciations anonymes et celles effectuées par voie de presse.

* 63 Projet de directive amendant la directive (UE) 2015/849 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme et amendant les directives 2009/138/EC et 2013/36/EU.

* 64 Elle a été transposée en droit français par l'ordonnance n° 2016-1635 d  1 er décembre 2016.

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