DIFFICULTÉS ET PROPOSITIONS

Si elles ont permis d'accompagner les progrès de la décentralisation et d'améliorer les conditions d'exercice des mandats locaux, les évolutions législatives qui se sont succédé ces trente dernières années n'ont pas abouti pour autant à un régime indemnitaire pleinement satisfaisant.

La prévalence d'une culture de l' « amateurisme républicain » à rebours d'une « professionnalisation de la fonction élective » , la dégradation des comptes publics locaux, la sensibilité de l'opinion publique à l'égard des enjeux financiers et peut-être la répugnance de certains élus locaux à s'intéresser à ces considérations prosaïques, ont sans doute constitué un frein à toute évolution significative.

Selon l'analyse faite devant vos rapporteurs par Patrick Le Lidec, chargé de recherche au Centre national et de recherche scientifique (CNRS) et à Sciences-Po, il en a résulté un « bricolage républicain », la modicité des indemnités de fonction perçues par les élus locaux ayant pu pousser certains d'entre eux à cumuler plusieurs mandats.

Alors que l'interdiction du cumul vertical des mandats, introduite par la loi organique n° 2014-125 du 14 février 2014 interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur, et la loi n° 2014-126 du 14 février 2014 interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen, est pleinement effective, vos rapporteurs estiment que le moment est venu de se pencher sur les lacunes du régime indemnitaire des élus locaux.

Les griefs adressés à l'encontre de ce régime par les élus locaux sont les suivants :

- le niveau des indemnités de fonction et des remboursements de frais est bien souvent insuffisant pour couvrir effectivement les charges liées au mandat, en particulier pour les maires des plus petites communes dont les indemnités sont minimes au regard des responsabilités qu'ils exercent ;

- ces dispositifs sont parfois inadaptés aux nouvelles réalités locales : des collectivités plus grandes, des responsabilités plus lourdes, des profils plus divers ;

- enfin, leurs modalités de mise en oeuvre s'avèrent complexes, tant d'un point de vue juridique que budgétaire, une mutualisation du financement des indemnités de fonction à l'échelle communale et une simplification des conditions de remboursement de frais étant nécessaires pour que les droits formels ouverts aux élus locaux soient exercés en pratique.

Ce constat, ainsi rappelé par vos rapporteurs, est corroboré par les résultats apportés par les élus locaux à la consultation lancée par votre groupe de travail (voir encadré ci-dessous).

Sur ce point, il faut indiquer d'emblée que le régime indemnitaire est cité par moins de 10 % des répondants comme un facteur expliquant la « crise des vocations » pour les fonctions électives locales : il ne s'agit donc pas d'un sujet prioritaire pour les élus locaux, ce qui témoigne sans doute de la verdeur de la culture de l' « amateurisme républicain » où l'indemnisation joue - en théorie comme en pratique - un rôle marginal.

Pour autant, deux constats préoccupants méritent d'être relevés :

- d'une part, les élus locaux ne recourent pas toujours aux dispositifs existants : si plus de 8 répondants sur 10 indiquent disposer d'une indemnité de fonction... une même proportion affirme n'avoir jamais bénéficié de remboursements de frais ;

- d'autre part, ceux d'entre eux y recourant estiment leur montant insuffisant : il en est ainsi de la moitié des répondants s'agissant des indemnités de fonction, et de près des deux tiers en ce qui concerne les remboursements de frais.

Éléments de réponse à la consultation sur le régime indemnitaire

Pour les 17 500 élus locaux ayant participé à la consultation, la faiblesse des indemnités de fonction n'est qu'un facteur marginal pour expliquer la « crise des vocations ». Avec 8,57% des réponses , il s'agit de l'avant-dernière explication avancée, devant la protection sociale (7,99%) et loin derrière la difficile conciliation du mandat avec la vie professionnelle (13,64 %).

85,90 % des répondants déclarent percevoir une indemnité de fonction pour l'exercice de leur mandat. Pour eux, ce régime indemnitaire est insuffisant (57,27 % contre 35,16 % d'avis contraire) quoique lisible (48,75 % contre 36,35 % d'opinion inverse).

Par ailleurs, 35,03 % des participants indiquent cumuler plusieurs indemnités de fonction au titre de différents mandats locaux. Une faible majorité d'entre eux juge ces règles de cumul insuffisantes (45,63 % contre 43,34 % d'avis défavorable). Seuls 8,49 % des répondants précisent cumuler leur indemnité de fonction avec d'autres fonctions locales.

En outre, 12,95 % des participants affirment avoir déjà bénéficié d'un remboursement de frais dans l'exercice de leur mandat. Une large majorité d'entre eux (62,73 % contre 23,89 % d'opinion contraire) considère leur montant suffisant.

Enfin, en ce qui concerne les pistes d'évolution de ce régime indemnitaire, les avis des élus locaux sont partagés :

- une forte proportion souhaite que tous les élus locaux bénéficient d'une indemnité de fonction, quel que soit leur mandat (56,34 % contre 27,5 % d'avis opposé et 16,16 % sans opinion) ;

- à l'inverse, une part plus faible envisage de subordonner la perception de l'indemnité de fonction à l'exercice du mandat à temps plein (43,44 % contre 37,14 % d'avis divergent et 19,42 % sans opinion).

Une analyse plus poussée des commentaires adressés à votre groupe de travail par les élus locaux à l'occasion de la consultation fait apparaître un sentiment d'insatisfaction à l'égard du régime indemnitaire (voir encadré ci-dessous).

Ce dernier est dépeint, par certains répondants, comme :

- insuffisant pour compenser les frais et les sujétions liés à l'exercice du mandat ;

- inéquitable selon les mandats exercés, les élus locaux des plus petites communes se sentant bien souvent délaissés ;

- inadapté à certaines évolutions, à l'image de la hausse des frais de transport induite par l'élargissement des intercommunalités et des régions.

Commentaires recueillis lors de la consultation sur le régime indemnitaire

Les commentaires apportés par les élus locaux à la consultation sont révélateurs d'un relatif mécontentement.

En premier lieu, plusieurs élus locaux indiquent que leurs indemnités de fonction sont insuffisantes pour compenser la perte de salaire imputable à la réduction de leur activité professionnelle, les frais inhérents à l'exercice de leur mandat, ou encore au regard de la disponibilité, de la responsabilité et de la technicité requises . À titre d'illustration, un élu local affirme que « les indemnités [...] ne sont pas suffisantes pour compléter la perte de salaire liée à la réduction de [son] temps professionnel ». Dans le même esprit, un répondant indique que ces indemnités ne permettent pas « d'assurer complètement les missions et responsabilités d'une commune », tandis qu'un autre les juge faibles « au vu de la charge pesant au quotidien sur [ses] épaules » . Au total, le régime indemnitaire semble peu propice à la diversification des profils des élus locaux, un participant jugeant les « indemnités insuffisantes pour que le maire ne soit pas un retraité... ».

Ensuite, un certain nombre d'élus locaux considèrent que le critère démographique, sur lequel reposent principalement les barèmes indemnitaires, est peu favorable aux plus petites communes. Un élu local résume la situation en ces termes : « Concernant les élus des petites communes de la ruralité, bien qu'il s'agisse d'un engagement lié à un choix personnel, il y a lieu de reconnaître que les responsabilités et les charges de travail ne sont pas en adéquation avec les indemnités. »

Preuve des inégalités ressenties par les élus locaux, un répondant estime que le régime indemnitaire « favorise les élus urbains par rapport aux élus ruraux », tandis qu'un autre déplore « trop d'écart » entre les « indemnités de maires et d'adjoints » et celles des mandats « départementaux, régionaux, voire nationaux ».

S'agissant des remboursements de frais, ceux relatifs aux déplacements focalisent les critiques des élus locaux, qui les jugent inadaptés à des collectivités et des établissements de plus en plus grands. Un élu local estime ainsi que « les déplacements induits par la réforme territoriale sont trop lourds en termes de temps passé et de frais de déplacements » . Un autre indique qu' « étant donné l'éloignement, conséquence des réformes, et les augmentations du carburant, il faut des indemnités kilométriques pour travailler avec les intercommunalités et les régions » .

En ce qui concerne enfin les prélèvements fiscaux et sociaux pesant sur les indemnités de fonction, quelques élus locaux rappellent leur attachement à la fraction représentative des frais d'emploi et déplorent la suppression récente du prélèvement libératoire. Aussi un répondant indique-t-il que « l'imposition des indemnités d'élus selon le droit commun (suppression de la retenue à la source) pénalise fortement les élus (accroissement important de l'impôt) ».

Il faut reconnaître que le régime indemnitaire des élus locaux, tel qu'il existe en France est sur certains points en retrait par rapport à d'autres pays européens, ainsi que le relèvent les études de droit comparé réalisées à la demande de votre groupe de travail (voir encadré ci-dessous).

Certains pays européens ont opté pour une logique assumée de « professionnalisation » des fonctions électives locales , où les maires exerçant à temps plein perçoivent une indemnité de fonction souvent supérieure à celle de leurs homologues français (Allemagne, Portugal, Italie, Espagne, Pays-Bas).

Par ailleurs, certaines charges peuvent être l'objet d'une indemnisation spécifique, à l'instar des frais de garde d'enfants ou de personnes âgées (Angleterre, Danemark).

Si cette comparaison doit bien entendu être nuancée, elle a le mérite de rappeler que l'indemnisation des élus locaux n'est pas une spécificité française, et que son niveau en France est parfois en-deçà des pratiques constatées dans certains pays européens.

Éléments de droit comparé sur le régime indemnitaire

À la demande du groupe de travail, la division de la législation comparée a actualisé son étude de février 2009 sur le statut financier des élus locaux (Allemagne, Danemark, Espagne, Pays-Bas, Portugal, Angleterre) et a réalisé une étude complémentaire sur l'Italie.

Elles figurent in extenso dans le tome I du présent rapport d'information.

Seuls quelques éléments relatifs au régime indemnitaire seront ici rappelés.

Allemagne :

La rétribution des maires dépend de chaque Land. Elle varie notamment selon qu'ils exercent leur mandat à titre exclusif ou bénévole. Ainsi, dans le Land de Mecklemberg-Poméranie-Occidentale, le traitement d'un maire exerçant à titre exclusif est assimilé à celui d'un fonctionnaire : il débute entre 3 732,98 € et 5 238,18 € dans les communes de moins de 5 000 habitants, et atteint 9 332,32 € dans celles de plus de 150 000. Par ailleurs, le maire peut prétendre à une indemnité de représentation, allant de 90 € à 360 € entre les seuils de population précités. Lorsqu'un maire exerce ses fonctions à titre bénévole, son indemnité maximale va de 420 € dans les communes de moins de 500 habitants à 1 750 € dans celles de plus de 4 000. Enfin, les présidents des groupes politiques peuvent bénéficier d'une compensation.

Portugal :

Les indemnités des élus communaux sont fixées par référence au traitement du Président de la République et dépendent du nombre d'habitants. Le maire, réputé exercé son mandat à temps plein, dispose d'une indemnité représentant entre 40% de ce traitement, dans les communes de moins de 10 000 habitants, à 55% à Lisbonne et Porto. Les adjoints exerçant leur mandat à temps plein perçoivent une indemnité égale à 80% de celle du maire. Si les présidents de paroisse (subdivision de la commune) exercent leur mandat à temps plein, ils bénéficient d'une indemnité correspondant à 16% du traitement précité, dans les paroisses de moins de 5 000 électeurs, à 25% au-delà de 20 000. Ces élus disposent en outre d'une indemnité de représentation, qui s'élève à 30% de la rémunération du maire ou 20% de celle des adjoints ou des présidents.

Angleterre :

Chaque collectivité arrête le régime indemnitaire de ses membres, sur proposition d'un panel indépendant. À titre d'exemple, dans le comté de Kensington et Chelsea, l'allocation de base, à laquelle sont éligibles tous les conseillers, s'établit à 11 027 livres (12 610 €) par an. Le président de l'exécutif reçoit quant à lui une indemnité de 56 429 livres (64 533 €). Par ailleurs, une indemnité particulière de nature sociale, d'un montant ne pouvant excéder 9,40 £ (10,75 €) par heure, est accordée aux personnes ayant des enfants de moins de 15 ans ou des personnes dépendantes à charge.

Danemark :

Les indemnités des élus communaux sont calculées en fonction du traitement des fonctionnaires, et sont modulées en fonction de la population. La rémunération du maire va de 705 178 couronnes (94 697 €) par an pour les communes de moins de 12 500 habitants à 1 103 327 couronnes (148 184 €) pour celles de plus de 80 000, et celles des conseillers municipaux de 89 314 couronnes (11 996 €) pour les communes de moins de 80 000 habitants à 125 039 couronnes (16 794 €) à Copenhague.

Les conseillers municipaux peuvent choisir de bénéficier d'une allocation pour perte de revenus démontrée, qui diminue leur rémunération de 20 741 couronnes (2 785 €). Sur décision du conseil municipal, ils peuvent percevoir des indemnités journalières pour leur participation aux réunions, d'un montant de 420 couronnes par réunion (56 €). En outre, les conseillers municipaux ayant la charge d'un ou de plusieurs enfants de moins de 10 ans disposent d'une rémunération complémentaire de 13 819 couronnes (1 856 €). Lorsque des commissions existent, leurs présidents, vice-présidents et membres peuvent bénéficier d'une rémunération.

• Espagne :

Les indemnités des élus communaux sont encadrées par deux séries de plafonds nationaux : une limite maximale des rémunérations (indemnités et jetons de présence), fixée par référence au traitement d'un secrétaire d'État ; des plafonds des indemnités, allant de 40 000 € pour les communes de 1 000 à 5 000 habitants à 100 000 € pour celles de plus de 500 000. Les communes peuvent accorder entre un mandat à temps plein, pour celles comptant entre 1 001 et 2 000 habitants, et 45 à Madrid. Dans les communes de moins de 1 000 habitants, les élus locaux ne perçoivent une indemnité que pour un mandat partiel : elle s'établit entre 15 000 € pour un temps partiel de 25 % et 30 000 € pour un temps partiel de 75 %. Par ailleurs, les élus locaux ne bénéficiant pas d'une indemnité, ni à temps plein, ni à temps partiel, disposent de jetons de présence.

• Pays-Bas :

La rémunération des maires (non élus) et des échevins (adjoints élus) s'établit : pour les premiers, entre 6 126,69 € par mois dans les communes de moins de 8 000 habitants et 11 427,98 € à partir de 375 001 ; pour les seconds, entre 4 605,10 € et 9 818,34 €. Les échevins peuvent exercer leurs fonctions à temps partiel, leur rémunération étant calculée pro rata temporis . S'agissant des conseillers municipaux, ils perçoivent une indemnité d'activité, entre 239,11 € et 2 242,41 €, dont le versement de 20% peut être conditionné à la présence aux réunions du conseil. Enfin, tous les élus locaux bénéficient d'une indemnité pour frais de mandat (386,74 € pour les maires, 355,80 € pour les échevins et 170,17 € pour les conseillers).

Italie :

Les indemnités des élus communaux sont encadrées par des règles nationales et dépendent de la population. Le maire et les autres exécutifs communaux (vice-maire, assesseurs de la junte, président du conseil municipal) perçoivent une indemnité de fonction : pour les maires, son montant s'établit entre 1 162,03 € dans les communes de moins de 1 000 habitants à 7 018,65 € dans celles de plus de 500 000 habitants. Cette indemnité est diminuée de moitié pour les salariés n'étant pas placés en congé de leur employeur. En ce qui concerne les conseillers municipaux, ils disposent de jetons de présence, dont la valeur va de 18,08 € par réunion pour les communes de 1 001 à 10 000 habitants à 103,29 € par réunion pour celles de plus de 500 000, dans la limite de 25% de l'indemnité du maire.

I. LES INDEMNITÉS DE FONCTION

Représentant 1,6 Md d'euros en 2016 (voir encadré ci-dessous), les indemnités de fonction des élus locaux soulèvent plusieurs difficultés.

Tout d'abord, leur niveau est globalement insuffisant pour couvrir les frais engagés par les élus locaux dans l'exercice de leur mandat.

En outre, certaines modalités de calcul peuvent ponctuellement être inadaptées aux réalités locales.

Enfin, une marge de progrès existe pour rendre le régime indemnitaire davantage solidaire dans son financement, simple dans ses règles et transparent aux yeux des citoyens.

Éléments chiffrés sur les indemnités de fonction

Selon les chiffres adressés à vos rapporteurs par la DGCL, tous échelons confondus, le montant annuel des indemnités de fonction s'élevait à 1,6 Md d'euros en 2016 , dont 1,1 Md pour les communes.

La répartition de ce montant, selon la collectivité ou l'établissement, était la suivante :

Au sein de l'échelon communal, la ventilation de ce montant par strate démographique s'établissait ainsi :

Ainsi rappelés, ces montants appellent deux commentaires :

- tout d'abord, bien que les indemnités de fonction représentent un coût, par ailleurs maîtrisé, le principe de gratuité des fonctions électives locales correspond à une réalité ancrée : près des deux tiers des élus locaux - 360 000 sur 550 000 environ - exercent leurs fonctions à titre bénévole ;

- en outre, si les communes concentrent l'essentiel de ce coût, c'est parce qu'elle représentent l'essentiel ...des collectivités (36 000 environ) et des élus locaux (550 000 environ), le montant des indemnités de fonction effectivement attribuées aux élus communaux étant in fine souvent modique : ainsi, les 18 890 maires des communes de moins de 500 habitants et les 6 945 maires des communes de 500 à 1 000 habitants sont autorisés par la loi à percevoir une indemnité brute maximale de 658,01 € par mois pour les premiers, et de 1 199,90 € pour les seconds.

A. UN NIVEAU SOUVENT INSUFFISANT POUR COUVRIR LES FRAIS LIÉS À L'EXERCICE DU MANDAT

1. L'absence de réévaluation récente des indemnités de fonction des élus des communes de moins de 100 000 habitants

Les indemnités de fonction des élus locaux, et en particulier celles des maires des plus petites communes, n'ont pas été récemment réévaluées.

Tout d'abord, les taux plafonds inscrits dans la loi sont demeurés globalement inchangés depuis plusieurs années.

Ainsi que l'a indiqué à vos rapporteurs Stéphane Brunot, Sous-directeur de la DGCL en charge des élus locaux et de la formation, « les dernières revalorisations substantielles du barème des maires et adjoints datent de 2000 et de 2002 ».

Selon lui, en effet, les indemnités de fonction des maires ont été revalorisées de 45% par la loi n° 2000-295 du 5 avril 2000 relative à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions électives et à leurs conditions d'exercice, et celles des adjoints aux maires de 33% par la loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité.

Par ailleurs, si la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 a introduit la possibilité de majorer de 40% l'indemnité de fonction des maires des communes de plus de 100 000 habitants, cette faculté n'a concerné que 41 communes sur quelque 36 000 environ.

Il en résulte une incompréhension chez les autres élus communaux, comme en témoignent les éléments écrits communiqués à vos rapporteurs par l'AMF, pour qui « la possibilité de majorer de 40% les indemnités de fonctions des maires et des présidents d'EPCI à fiscalité propre de plus de 100 000 habitants n'aide pas à la décrispation de la situation ».

Dans le même temps, l'échelle indiciaire de la fonction publique, qui sert de référence au calcul des indemnités de fonction, a été peu modifiée.

Certes, l'indice brut terminal de la fonction publique utilisé pour le calcul des indemnités de fonction est passé de l'indice 1015 à 1022 au 1 er janvier 2017, et passera de l'indice 1022 à 1027 au 1 er janvier 2019, de même que la valeur du point d'indice salarial de la fonction publique a été majorée de 0,6% au 1 er juillet 2016 puis au 1 er février 2017.

Cependant, cette réévaluation ponctuelle est intervenue dans un contexte de « gel » du point d'indice, de 2010 à 2015 et depuis 2017.

2. Des barèmes indemnitaires, fondés sur un critère essentiellement démographique, suscitant des critiques

En l'état actuel du droit, les indemnités de fonction varient selon le type de collectivité ou d'établissement et, à l'intérieur de chaque échelon, proportionnellement à la population.

Ces barèmes sont l'objet de deux séries d'observations faites par des représentants d'associations d'élus locaux dans le premier cas, et des chercheurs dans le second.

a) Le point de vue des associations d'élus locaux : des barèmes peu favorables aux communes, a fortiori aux plus petites d'entre elles

Pour les représentants des associations d'élus locaux auditionnés par vos rapporteurs, le critère démographique sur lequel sont fondés les barèmes indemnitaires est défavorable aux plus petites communes.

Or, quelle que soit la taille de leur commune, les élus locaux, et singulièrement les maires, sont confrontés à des tâches qui nécessitent du temps et sont susceptibles d'engager leur responsabilité.

Par ailleurs, dans les communes rurales, ces derniers exercent leurs fonctions quasiment seuls, à tout le moins sans pouvoir bénéficier de l'appui de services administratifs développés.

Dans ce contexte, l'insuffisance des indemnités de fonction des élus des plus petites communes a été relevée devant vos rapporteurs.

François Zocchetto, Maire de Laval et représentant de l'AMF 20 ( * ) a ainsi affirmé que « l'indemnité prévue pour les communes rurales ... ne compense pas le temps passé par les élus », relevant que « la responsabilité - notamment sur le plan pénal - est la même pour une commune de petite taille que pour une grande ville ».

Dans le même ordre d'idées, Pascal Bluteau, avocat au Barreau de Paris et représentant de l'Association des petites villes de France (APVF) a indiqué que « le montant de l'indemnité est une préoccupation majeure chez les élus communaux urbains des petites villes - de 3 à 20 000 habitants. Les élus ruraux ont peu d'habitants à gérer et les maires des grandes villes sont correctement dotés. Ces élus des petites villes sont agacés car ils touchent moins qu'un conseiller départemental d'opposition - sans dénigrer leur travail. »

b) Le point de vue des chercheurs : des barèmes aveugles à la situation professionnelle des élus locaux

Une autre critique adressée à l'encontre des barèmes indemnitaires, en l'occurrence par des chercheurs, est l'absence de prise en compte de la situation professionnelle des élus locaux.

Par crainte, sans doute, d'une « professionnalisation » excessive des mandats locaux, le Législateur en France n'a pas souhaité s'engager dans cette voie, contrairement à certains pays européens.

En Allemagne, le traitement d'un maire exerçant à titre exclusif est ainsi assimilé à celui d'un fonctionnaire, tandis qu'en Espagne, au Portugal, en Italie ou aux Pays-Bas, l'indemnité de fonction varie selon qu'il exerce ou non son mandat à temps plein.

Au cours de son audition, Élodie Lavignotte, chercheure associée au CERA à l'ENA, a rappelé en ces termes les différences existant entre pays européens : « Les élus qui exercent à temps plein leur mandat sont des professionnels de la politique. Certains pays l'assument, d'autres pas. Ainsi, le droit à rémunération, pourtant consacré par la charte européenne de l'autonomie locale, fait encore l'objet de réserves en France, ce qui n'est pas le cas en Allemagne ou en Espagne ».

Patrick Le Lidec, chargé de recherche au CNRS et à Sciences-Po, a même plaidé pour un changement de modèle : « Je crois qu'il est temps d'assumer une approche à l'" allemande " qui consiste à dire que la démocratie a un prix, sauf à considérer que seuls les plus riches sont en capacité d'exercer les mandats d'élus. Si ce n'est plus notre conception, alors nous devons aller vers une normalisation et sortir du bricolage républicain construit sous la III e République, confortée sous la IV e et amplifié sous la V e , et qui a consisté à multiplier un certain nombre de mandats et de fonctions. »

3. Des conséquences dommageables pour la démocratie locale

Compte tenu des éléments conjoncturel - absence de réévaluation récente des indemnités de fonction des communes de moins de 100 000 habitants - et structurel - prépondérance du critère démographique dans la détermination de ces indemnités - rappelés précédemment, le niveau de l'indemnisation des élus communaux est souvent jugé insuffisant pour leur permettre de couvrir les frais engagés dans l'exercice de leur mandat.

Cette situation est préjudiciable à notre démocratie locale :

- d'une part, elle peut décourager les titulaires de mandats locaux, qui peuvent juger leurs conditions matérielles pénalisantes, a fortiori au regard du temps mobilisé et des responsabilités exercées ;

- d'autre part, elle peut dissuader les personnes pour qui l'exercice d'un mandat local serait le plus préjudiciable sur le plan matériel (les actifs, les femmes, les jeunes) de se porter candidates.

Pour répondre à cette situation, les associations d'élus locaux ont convenu devant vos rapporteurs de la nécessité de revaloriser les indemnités de fonction des élus communaux, sans qu'un consensus ne se dégage par ailleurs en direction d'un changement de modèle.

Ainsi, François Zocchetto, Maire de Laval et représentant de l'AMF, a indiqué approuver « le principe de la gratuité des mandats, pour éviter que la politique soit une profession ». Pour autant, il a constaté que « certains élus perçoivent des indemnités qui ne compensent pas le coût de leur charge », ce qui « n'attire pas des non-retraités vers ces fonctions », ajoutant : « Pourquoi y a-t-il si peu de femmes, de jeunes ou d'actifs dans ces fonctions ? Le dédommagement ne compense pas le manque à gagner. Une personne devant rembourser un emprunt ou payer les études de ses enfants ne peut pas s'y retrouver. »

De manière plus originale, Pascal Bluteau, avocat au Barreau de Paris et représentant de l'APVF, s'est exprimé en faveur de « la suppression du principe de gratuité ». Il a ajouté que « le montant de l'indemnité ne correspond pas à la charge de travail des maires de petites villes et mérite d'être relevé », appelant à fonder « un nouveau système sur la base des grilles indiciaires des directeurs généraux des services (DGS) ».

Quant à l'AMRF, dans les éléments écrits qu'elle a adressés à vos rapporteurs, elle a relevé que les indemnités de fonction « doivent être d'un niveau suffisant, quelle que soit la taille de la commune », proposant même « l'octroi d'une majoration indemnitaire aux maires qui cessent leur activité professionnelle pour se consacrer à leur mandat. »

Soucieux de répondre aux attentes ainsi exprimées par les élus communaux, vos rapporteurs plaident pour une revalorisation des indemnités de fonction maximales pouvant être attribuées aux maires des communes de moins de 100 000 habitants, en particulier dans celles en deçà de 1 000 habitants où les maires ne peuvent disposer du soutien de services administratifs importants.

Cette évolution doit correspondre à ce qui est nécessaire pour que l'indemnité de fonction des maires des plus petites communes compense véritablement les dépenses engagées par eux dans l'exercice de leur mandat.

Une piste pourrait être de rehausser de 20% le niveau maximal de l'indemnité de fonction des maires des communes de 1 000 à 100 000 habitants, et de moitié celle des maires des communes de moins de 1 000 habitants.

Naturellement, tout conseil municipal demeurerait libre de fixer une indemnité de fonction à un niveau inférieur, par délibération et à la demande du maire , ainsi que le prévoit le droit existant.

Recommandation n° 1 : Revaloriser le niveau maximal des indemnités de fonction des maires des communes de moins de 100 000 habitants, en particulier celles en deçà de 1 000 habitants.

À l'occasion d'un « Rendez-vous salarial » avec les partenaires sociaux, le 18 juin dernier 21 ( * ) , Gérald Darmanin, Ministre de l'Action et des comptes publics, a confirmé l'absence de revalorisation du point d'indice de la fonction publique et l'application du PPCR au 1 er janvier 2019 : si ces annonces entrent en application, elles conduiront à un ajustement mécanique des indemnités de fonction des élus locaux à la date indiquée.

Le tableau suivant présente le montant des indemnités de fonction maximales des maires des communes de moins de 100 000 habitants, après la revalorisation envisagée par vos rapporteurs et en tenant compte de l'ajustement annoncé par le Gouvernement :

Population

Indemnité existante depuis le 01/02/2017

(brute
et mensuelle)

Indemnité annoncée
au 01/01/2019


(
brute
et mensuelle)

Indemnité proposée
par vos rapporteurs

(brute
et mensuelle)

Différence par rapport à l'indemnité annoncée
au 01/01/2019

Évolution
par rapport à l'indemnité annoncée
au 01/02/2017

Différence
par rapport à l'indemnité existante

au 01/02/2017

Évolution
par rapport à l'indemnité existante
au 01/02/2017

Moins de 500

658,01 €

661,19 €

991,79 €

+ 331 €

+ 50%

+ 333,78 €

+ 51%

De 500 à 999

1 199,90 €

1 205,71 €

1 808,56 €

+ 603 €

+ 50%

+ 608,66 €

+ 51%

De 1 000 à 3 499

1 664,38 €

1 672,43 €

2 006,92 €

+ 334 €

+ 20%

+ 342,54 €

+ 21%

De 3 500 à 9 999

2 128,86 €

2 139,16 €

2 566,99 €

+ 428 €

+ 20%

+ 438,13 €

+ 21%

De 10 000 à 19 999

2 515,93 €

2 528,10 €

3 033,72 €

+ 506 €

+ 20%

+ 517,79 €

+ 21%

De 20 000 à 49 999

3 483,59 €

3 500,44 €

4 200,53 €

+ 700 €

+ 20%

+ 716,94 €

+ 21%

De 50 000 à 99 000

4 257,72 €

4 278,32 €

5 133,98 €

+ 856 €

+ 20%

+ 876,26 €

+ 21%

Hormis cette revalorisation, vos rapporteurs constatent qu'aucun consensus n'est apparu, entre les associations d'élus locaux auditionnées, en faveur de mesures allant dans le sens d'une « professionnalisation » accrue de la vie locale , telles que la suppression du principe de gratuité des fonctions électives locales ou la modulation des indemnités de fonction des élus locaux selon leur situation professionnelle.

De telles évolutions ne semblent d'ailleurs pas largement attendues par les élus locaux ayant participé à la consultation proposée par votre groupe de travail : ainsi, 56,34% d'entre eux souhaitent que l'indemnité de fonction bénéficie à tous les élus locaux, contre 43,44% pour la subordonner à l'exercice du mandat à temps plein.


* 20 À l'occasion de la table ronde, François Zocchetto a précisé s'exprimer à titre personnel sur l'ensemble des sujets abordés par lui.

* 21 « Fonction publique - Rendez-vous salarial : les mesures annoncées pour 2019 », Localtis, 18 juin 2018 : https://www.caissedesdepotsdesterritoires.fr/cs/ContentServer?pagename=Territoires/Articles/Articles&cid=1250281271944

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