B. DES LIMITES À RÉINTERROGER

1. Des effets parfois contreproductifs : une réglementation qui pose question
a) Des carences dans l'information des consommateurs

Destinée à protéger la sécurité du consommateur, la réglementation encadrant la commercialisation des plantes et produits à base de plantes ne satisfait pas pleinement, toutefois, l'objectif de bonne information de ce même consommateur .

• La diversité des statuts peut induire une confusion pour l'usager, par exemple avec une frontière parfois fine entre médicament à base de plantes et complément alimentaire.

Comme l'a relevé Pierre Champy, professeur de pharmacognosie, « la multiplicité des statuts est aberrante. Les choix de statuts se font principalement au regard des contraintes d'étiquetage et de la TVA des produits ». Le président de Weleda France a relevé les mêmes limites : « l'articulation entre les statuts et les familles de produits laisse souvent perplexe et les acteurs se perdent. Finalement, les choix sont souvent liés à la volonté d'aller vite sur le marché et dépendent des coûts : obtenir le statut de médicament coûte beaucoup plus cher que de lancer un complément alimentaire. La partie réglementaire est devenue un enjeu stratégique pour les entreprises, car le choix sera déterminant pour le cycle de vie d'un produit. »

• De surcroît, l' approche segmentée du droit européen - un produit ne peut être à la fois un aliment et un cosmétique ou un aliment et un médicament - n'est pas adaptée à certains produits à base de plantes présentant, par nature, de multiples usages .

C'est notamment le cas des huiles essentielles , dont la vente connaît une importante progression : on peut à la fois les ingérer, les appliquer sur la peau ou les diffuser dans son environnement. Celles-ci peuvent, selon leur présentation, avoir le statut de médicament, de produit cosmétique, de denrée alimentaire, de biocide...

Plusieurs intervenants ont relevé, de ce fait, un risque potentiel de mésusage puisque l'étiquetage du produit ne sera pas adapté à ces différentes utilisations : comme l'a souligné le président de Weleda France, « il n'est pas possible, si on vend une huile essentielle à base d'agrumes comme complément alimentaire, d'indiquer sur l'emballage qu'il ne faut pas l'utiliser sur la peau en s'exposant au soleil alors que chacun sait que les agrumes sont photo-sensibilisants. Ainsi, les catégories réglementaires ne tiennent pas toujours compte de la réalité des besoins et des usages et empêchent de faire figurer des mises en garde sur des produits susceptibles d'être utilisés de différentes façons. »

Laurent Gautun, gérant d'Essenciagua, entreprise spécialisée dans la distillation artisanale des plantes, a suggéré l'établissement d'un « statut spécifique aux huiles essentielles qui leur reconnaisse leur réalité agricole et permette de communiquer, justement, autant sur les usages traditionnels multiples que sur les risques potentiels. »

Une réflexion paraît en effet nécessaire en vue notamment d'améliorer l'information des consommateurs sur des produits aux multiples potentialités mais nécessitant certaines précautions d'emploi.

Proposition n° 23 : Envisager une réglementation propre aux huiles essentielles afin de renforcer l'information du consommateur sur leurs différents usages et les risques potentiels qui leur sont liés

b) Un cadre inadapté aux producteurs en vente directe

D'après une étude diligentée par FranceAgriMer en 2016, la complexité de la réglementation constitue l'une des difficultés principales pour les producteurs de PPAM commercialisant une partie de leur production en vente directe : 62 % d'entre eux estiment qu'elle est un frein à cette activité et qu'elle n'est pas adaptée.

La complexité de normes crée une insécurité globale pour opérer la bonne qualification des produits et nécessite de multiplier les étiquetages selon la présentation et la finalité du produit.

L'ensemble des producteurs entendus par votre mission d'information ont pointé les contraintes liées à cette « surrèglementation » , qui sont d'autant plus lourdes - et coûteuses - que leur gamme de production est diversifiée. Cela peut placer des petits producteurs « hors la loi » par manque de connaissances et de temps.

Thierry Thévenin, porte-parole du syndicat des Simples, a illustré la complexité et l'inadaptation de cette réglementation pour les petites structures de production en prenant l'exemple de la lavande officinale qui recouvre, en fonction des situations, différents statuts et autant de réglementations.

Présentation

Statut

- en l'état, sans allégation

- Denrée alimentaire

- « antiseptique et cicatrisante »

- Médicament (interdit à la vente en dehors des officines)

- « apaisante, qui contribue à la qualité du sommeil »

- Complément alimentaire

- « adoucit les irritations légères ou les démangeaisons sur une peau saine non lésée »

- Produit cosmétique

- « parfum d'ambiance »

- Substance chimique

- « répulsive contre les insectes au jardin »

- Préparation naturelle peu préoccupante

Suivant des initiatives d'entraide et de réseau prises par des acteurs, un accompagnement des producteurs dans leurs démarches de commercialisation des produits à base de plantes serait utile pour les aider à s'y retrouver (par exemple pour l'étiquetage des produits) et à avoir une bonne compréhension des textes, par le biais d'un guide ou encore d'une mutualisation des démarches.

Proposition n° 24 : Élaborer un guide pratique d'aide aux producteurs pratiquant la vente directe pour expliciter la réglementation applicable aux plantes et produits à base de plantes

L'impossibilité de délivrer des conseils sur les vertus thérapeutiques des plantes constitue une contrainte commerciale quand on parle, précisément, de plantes médicinales ( cf. ci-après) 75 ( * ) .

De surcroît, certaines normes applicables conçues en priorité pour l'industrie pharmaceutique paraissent inadaptées à des procédés de transformation artisanaux : plusieurs producteurs ont ainsi souligné le coût des dossiers à constituer pour être conforme à la réglementation sur les produits cosmétiques.

Comme le souligne Thierry Thévenin : « La réglementation ne fait pas suffisamment de distingo, en termes de risque d'impact sur l'environnement, entre une cuve de camion-citerne et un flacon de 5 ml. » 76 ( * )

S'il importe d'être intransigeant quant à la sécurité des consommateurs et à la qualité des produits, des méthodes traditionnelles de transformation très simples (baume, hydrolats, macérations huileuses...) employées par les petits producteurs peuvent répondre à cet objectif en s'inscrivant dans de bonnes pratiques de préparation. Le syndicat des Simples notamment a travaillé à un cahier des charges encadrant ces procédés pour des produits cosmétiques.

Proposition n° 25 : Adapter les réglementations au caractère artisanal des activités à visée cosmétique des producteurs en vente directe, dans le cadre de bonnes pratiques de préparation

Au-delà, votre rapporteur souhaite que le ministère en charge de l'agriculture engage avec les acteurs une réflexion sur une unification du statut des produits artisanaux à base de plantes ou « préparations naturelles traditionnelles », à l'instar de ce qui existe d'ailleurs au Canada pour l'ensemble des produits à base de plantes. Cette piste a été mentionnée par les représentants de la Confédération paysanne, considérant que l' « excès de réglementation cache en fait un déficit de réglementation adaptée, prenant en compte le caractère multi-usages de nos produits » 77 ( * ) . Cette simplification pourrait s'appliquer également à la fiscalité des produits : en effet, la variabilité des taux de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) applicables aux mêmes produits selon leurs différents usages participe de la complexité des normes actuelles.

Proposition n° 26 : Engager une réflexion pour définir un statut unique aux productions artisanales traditionnelles à base de plantes et harmoniser les taux de TVA applicables

2. La « résistance » des herboristes dans un contexte d'insécurité des pratiques

Comme l'a souligné lors de son audition Ida Bost, auteure d'une thèse sur les herboristeries en France, les pratiques des herboristes sont « à la limite de la légalité et de l'illégalité » .

Sans être interdite, ni formellement encadrée, cette pratique s'inscrit en permanence « sur le fil du rasoir ».

Pierre Champy, professeur en pharmacognosie, a expliqué en effet que « la frontière est fine entre les conseils prodigués par les herboristes et un éventuel exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie, c'est-à-dire entre l'indication thérapeutique que l'on trouve sur un médicament et l'allégation de santé pouvant figurer sur un complément alimentaire ou un aliment . Cette instabilité juridique explique une demande de sécurisation des pratiques des herboristes, qui oscillent entre santé et bien-être. »

La complexité du cadre juridique qui encadre la commercialisation des plantes médicinales contribue à cette insécurité :

- en premier lieu, les plantes du monopole pharmaceutique ne peuvent être vendues en dehors d'une officine , à l'exception de 148 plantes sorties de ce monopole en 2008 .

Cette évolution a été importante : toutefois, alors que les plantes sèches, plus que les gélules, sont au coeur de l'activité des herboristes « traditionnels », ce cadre est jugé par certains encore trop restrictif, notamment au regard de celui applicable aux compléments alimentaires qui peuvent contenir un nombre beaucoup plus important de plantes. Thierry Thévenin, porte-parole des Simples, a rappelé la condamnation en première instance de la coopérative à laquelle il appartient pour avoir vendu de la presle des champs, « utilisée depuis les débuts de l'humanité et qui ne présente aucun risque » ;

- en second lieu, en dehors de l'officine, les plantes médicinales ne peuvent être vendues assorties d'une communication, écrite ou orale, sur leur usage thérapeutique traditionnel : Michel Pierre, président du syndicat des herboristes Synaplante, a rappelé avoir été condamné pour avoir fait figurer des allégations non autorisées sur son site internet. Comme l'a souligné Isabelle Robard, avocate, « les sanctions peuvent aller de la simple contravention (...) jusqu'à la peine pour cause de publicité trompeuse » . Les représentants de la DGCCRF ont reconnu que cette réglementation drastique pouvait s'avérer rédhibitoire pour les herboristes.

Cette dernière limite, qui est au coeur de l'insécurité juridique liée à l'activité d'herboriste , tient à deux aspects :

- d'une part, en ce qui concerne le statut de denrées alimentaires, le règlement européen 1924/2006 a fixé, pour éviter les abus, un cadre strict aux allégations de santé , interdites sauf si elles sont autorisées conformément aux prescriptions du même règlement ; or, ces allégations sont en attente en ce qui concerne les plantes ( cf. ci-après) ;

- d'autre part, selon la formulation retenue sur l'étiquetage pour mettre en avant ses vertus, le produit peut être requalifié en médicament par fonction ou par présentation . C'est notamment le cas si sont mentionnées sur l'emballage les propriétés curatives de la plante, relevant d'une indication thérapeutique - et donc du statut du médicament - tandis que l'allégation de santé concerne une amélioration du bien-être pour un individu sain (tonus, vitalité, digestion...). Cela conduit les herboristes à des circonvolutions de langage, par exemple en appelant une tisane Atchoum à défaut de pouvoir vanter ses propriétés contre le rhume...

Sur ce fondement, des procédures , notamment pour exercice illégal de la pharmacie 78 ( * ) ont été engagés par l'ordre des pharmaciens ou la DGCCRF à l'encontre d'herboristes.

Ces mêmes restrictions s'appliquent aux personnes diplômées en pharmacie , qui ne peuvent être inscrites à l'ordre des pharmaciens si elles décident de consacrer leur activité exclusivement à l'herboristerie, sans conserver une activité « classique » de vente de médicaments.

Votre rapporteur, comme l'ensemble des membres de la mission d'information, est fermement attaché à la protection des personnes malades et vulnérables ; il s'interroge toutefois sur la mesure des actions dès lors qu'elles sont engagées contre des personnes responsables et des produits qui ne promettent pas de guérir des maladies graves, mais tendent à procurer un mieux-être ou à agir au simple niveau de la « bobologie » sur la base d'un usage traditionnel.

3. Réexaminer la liste des 148 plantes « libérées », en particulier pour y inclure celles des outre-mer

• Alors que la loi du 21 juin 1941 avait sorti du monopole officinal cinq plantes médicinales inscrites à la pharmacopée (tilleul, camomille, menthe, verveine et oranger), le ministère en charge de la santé a élargi cette liste en deux étapes, en 1979 puis en 2008, autorisant ainsi leur vente au public par des personnes autres que des pharmaciens :

- le décret n° 79-480 du 15 juin 1979 a autorisé la vente libre de 34 plantes , parmi lesquelles l'eucalyptus, la lavande, la mélisse, la reine des prés, le sureau ; il a autorisé les mélanges de cinq d'entre elles (tilleul, verveine, camomille, menthe, oranger, cynorrhodon, hibiscus) ;

- le décret n° 2008-841 du 22 août 2008 a étendu cette liste à 148 plantes ou parties de plantes (feuille, graine, fruit, partie aérienne ou souterraine, etc.), en précisant la forme d'emploi pour laquelle la sécurité de leur utilisation est assurée (en l'état, en poudre, extrait sec aqueux).

Comme l'ont rappelé les représentants de la direction générale de la santé et de l'ANSM, cette liste a été établie au regard des critères d'usage alimentaire ou condimentaire des plantes, d'usage très courant en cuisine ou dans les tisanes, en plus de leur action médicinale.

• Certains intervenants, à l'instar de Cyril Coulard, ont jugé cette liste suffisante, estimant qu'une bonne connaissance de ces 148 plantes devrait être un préalable à toute évolution.

D'autres, en particulier le docteur Laurent Chevallier, ont suggéré de la remplacer par une « liste noire » de plantes interdites à la vente, selon l'approche d'ailleurs retenue par certains pays européens qui ont établi une liste négative de plantes médicinales impropres à la vente libre.

D'autres encore ont souligné le caractère trop restrictif de la liste actuelle et des incohérences par rapport à la réglementation du complément alimentaire (les 541 plantes autorisées dans leur composition - cf. ci-après - ne pouvant toutes être utilisées en tisane sous la forme de doses unitaires, c'est-à-dire préparées en infusette).

Certains intervenants ont regretté l'absence de cette liste de plantes présentant selon eux un usage traditionnel courant, sans risque particulier. C'est le cas de Jean-Baptiste Gallé, pharmacognoste, qui a considéré qu' « aucun producteur ne revendique la vente de plantes médicinales appartenant à la liste B de la pharmacopée » , et qu'il « ne serait pas prudent de libérer toutes les plantes de la liste A » , mais que « d'autres plantes de la liste A comme le bleuet ou le calendula ne nécessitent pas six ans d'études pour pouvoir être vendues » . Thierry Thévenin a quant à lui suggéré d'y intégrer au moins 22 plantes supplémentaires, parmi lesquelles le plantain, la feuille d'artichaut ou encore les fleurs de bleuet.

Il n'appartient pas à votre rapporteur ou aux membres de votre mission d'information de se prononcer sur l'opportunité de l'élargissement de cette liste à telle ou telle plante.

Pour autant, il leur semble qu' un nouvel examen de cette liste serait utile , dix ans après son établissement , en croisant les analyses de différents experts (agences sanitaires, pharmaciens, toxicologues...). Cette réévaluation pourrait prendre en compte, au-delà du seul usage alimentaire, d'autres critères, pour y intégrer des plantes de tradition médicinale ne présentant pas de risque dans les conditions de leur emploi. Il conviendrait notamment de veiller à bien encadrer la qualité des produits mais aussi de prévenir les risques de toxicité et de mésusage.

Dans les mêmes conditions, ce nouvel examen devrait, en priorité, porter sur les plantes des outre-mer , nombre d'entre elles ayant été intégrées à la pharmacopée française postérieurement au décret de 2008. La connaissance de ces plantes est bien documentée, grâce au formidable travail accompli notamment par le réseau Tramil dans la zone Caraïbes 79 ( * ) . Aussi bien Jacques Fleurentin, président de la société française d'ethnopharmacologie, que les acteurs des outre-mer entendus par votre rapporteur, pharmaciens à La Réunion, en Guadeloupe et à la Martinique notamment, ont souligné qu'un grand nombre de ces plantes n'avaient pas de raison d'être dans un monopole. Leur « libéralisation » pourrait contribuer à soutenir la production et les filières locales.

Proposition n° 27 : Réexaminer la liste des 148 plantes médicinales « libérées » du monopole pharmaceutique, en particulier pour y intégrer des plantes des outre-mer

Pour la bonne information des consommateurs et comme l'a fait notamment l'Autriche d'après des informations communiquées à votre rapporteur, cette liste pourrait être complétée, à l'appui de ces travaux de recherche, d'un cadre validé d'usages traditionnels des plantes y figurant contre des « petits maux du quotidien » et de leurs contre-indications éventuelles.

Proposition n° 28 : Étudier la possibilité d'associer à la liste des plantes médicinales « libérées » du monopole pharmaceutique leurs usages traditionnels reconnus et validés concernant les « petits maux du quotidien »

4. Impulser des évolutions indispensables pour lever les insécurités sur le secteur et favoriser l'innovation
a) Poursuivre une harmonisation européenne encore imparfaite

La réglementation encadrant les compléments alimentaires offre un exemple d'une harmonisation européenne poussée mais encore incomplète.

En France, l'arrêté « plantes » du 24 juin 2014 a établi une liste de 541 plantes autorisées dans la composition des compléments alimentaires, en précisant les parties de plantes concernées et, pour certaines, les conditions de leur emploi (substances à surveiller, éventuelles restrictions d'emploi devant figurer sur l'étiquetage, en particulier à l'égard des enfants ou des femmes enceintes et allaitantes).

Comme l'a relevé la présidente du Synadiet, le syndicat national des compléments alimentaires, en dépit du principe de reconnaissance mutuelle, l'absence d'harmonisation des listes de plantes pouvant entrer dans la composition des compléments alimentaires 80 ( * ) ne facilite pas la circulation des produits au sein de l'Union européenne : « la racine d'une plante peut être autorisée en France tandis que seule la feuille le sera dans un autre État. » Cela conduit à multiplier les démarches administratives et limite les capacités d'exportation des entreprises françaises.

A l'initiative de trois États - la Belgique, la France et l'Italie - et sur la base du travail d'experts pharmacognostes reconnus 81 ( * ) , un effort d'harmonisation a été initié en 2012 pour aboutir à une liste commune de plantes dont l'emploi pourrait être autorisé dans les compléments alimentaires, sous réserve des exigences de qualité et en garantissant la sécurité des consommateurs. Ce projet BelFrIt a abouti à l'établissement d'une liste de 1 029 plantes et de 11 champignons.

Ce travail, fruit d'une intense recherche bibliographique sur les usages traditionnels, compile des informations sur l'identité de chaque plante, les parties utilisées ainsi que les molécules intrinsèques dont la surveillance doit être assurée tout au long du procédé de fabrication.

Si l'Italie et la Belgique ont intégré la liste BelFrIt dans leur réglementation en 2014 et 2017, la France n'a pas modifié son arrêté « plantes ». La DGCCRF intègre sur son portail d'enregistrement l'essentiel de cette liste, qui n'a toutefois pas de valeur juridique.

Sur la base de la coopération initiée avec succès avec la Belgique et l'Italie et des travaux scientifiques déployés dans ce cadre, il serait souhaitable que se poursuive l'harmonisation de la réglementation européenne sur les plantes employées dans les compléments alimentaires.

Dans cette perspective, il conviendrait de veiller à la bonne intégration des plantes ultramarines avec les acteurs des outre-mer concernés. La possibilité d'introduire des huiles essentielles dans les compléments alimentaires, qui n'est pas formellement autorisée en France alors qu'elle l'est dans d'autres pays, pourrait être à cette occasion envisagée sous réserve d'y associer les précautions d'emploi nécessaires.

Proposition n° 29 : Poursuivre l'harmonisation de la réglementation européenne sur les plantes pouvant entrer dans la composition des compléments alimentaires. Veiller dans ce cadre à intégrer des plantes des outre-mer

b) Reconnaitre la spécificité d'une réglementation propre aux plantes

Si le règlement (CE) 1924/2006 précité a encadré et harmonisé les réglementations nationales concernant les allégations nutritionnelles et de santé portant sur les denrées alimentaires, afin d'assurer une information correcte et non trompeuse du consommateur, la réflexion n'a pas encore abouti sur les allégations de santé relatives aux plantes .

Depuis 2009, une liste d'allégations de santé portant sur environ 2 000 plantes est toujours en attente au niveau des instances européennes. Ces allégations peuvent être utilisées par les industriels mais il ne s'agit que d'une solution transitoire.

Les représentants de la DGCCRF ont rappelé que l'Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA), chargée de cette évaluation, avait fixé dès le départ le niveau d'exigence et de preuves scientifiques le plus élevé, en l'occurrence des études en double aveugle contre placebo, présentant un coût élevé (au moins 50 000 euros par étude).

Comme l'a expliqué la présidente du Synadiet, « si treize vitamines sont reconnues dans toute l'Europe, le nombre de plantes est beaucoup plus important et les listes sont très hétérogènes. Or, nous ne disposons pas sur toutes les plantes d'études cliniques d'un niveau scientifique attendu , c'est-à-dire analogue à celui des médicaments. Il n'existe ainsi pas d'étude sur l'effet transit du pruneau. Faute d'un recul scientifique avéré et documenté, une insécurité d'ordre économique demeure . »

Cette situation est préjudiciable : elle prive le consommateur de l'accès à une information essentielle tout autant qu'elle bride l'innovation dans le secteur.

En effet, comme l'ont relevé les représentants du laboratoire Pierre Fabre, il n'est pas possible de communiquer sur les bienfaits des actifs des végétaux qui sont découverts, dans l'attente d'un processus officiel d'évaluation des allégations. Cela conduit les laboratoires à une forme d'autocensure dans la recherche sur les plantes.

La diversité et la grande complexité biologique et chimique des plantes, ainsi que le caractère souvent empirique des données disponibles sur leurs effets, rendent cette évaluation forcément ardue.

C'est pourquoi plusieurs intervenants ont suggéré de sortir d'une logique d'évaluation binaire, inadaptée aux spécificités des plantes, pour avancer vers un principe d'évaluation graduée.

Cette gradation, comme le prône le Synadiet, reposerait sur différents niveaux de preuve : le premier serait l'usage traditionnel des plantes , déjà reconnu et pris en compte pour les médicaments à base de plantes, complété par deux autres niveaux - intermédiaire et plus haut niveau de preuves - permettant de faire valoir une validation de cet usage traditionnel par des études scientifiques .

Cette réflexion nécessaire permettrait de sortir d'une situation de blocage en valorisant l'usage traditionnel bien établi des plantes tout en intégrant, pour l'enrichir, les avancées des recherches scientifiques.

Elle pourrait s'appuyer sur une documentation conséquente réunie par des chercheurs dans différents pays, que ce soient en France, avec notamment les travaux conduits sur les plantes des outre-mer, ou encore en Allemagne avec les travaux de la commission E ou bien au niveau européen avec les monographies établies par le comité des médicaments à base de plantes 82 ( * ) de l'Agence européenne du médicament. D'autres pays, comme l'Autriche, ont par ailleurs établi, à titre plus ou moins informel, des listes de plantes recensant ces usages traditionnels.

Proposition n° 30 : Exiger, au niveau européen, l'établissement d'un cadre d'évaluation graduée des allégations de santé concernant les plantes utilisées comme denrées ou compléments alimentaires, fondé

sur la reconnaissance de leur usage traditionnel tout en intégrant les avancées des connaissances scientifiques

5. Accompagner l'émergence de nouveaux débouchés pour la filière « plantes »

D'autres freins réglementaires plus ciblés pèsent sur certaines filières de production ou peuvent enrayer l'émergence de nouveaux usages des plantes médicinales.

• Un premier exemple concerne la réglementation applicable aux soins vétérinaires .

L'usage de méthodes à base de plantes pour les soins des animaux d'élevage, à titre préventif ou curatif, constitue un débouché porteur pour la filière « plantes », en cohérence avec les objectifs du plan national Écoantibio 2017-2021 qui vise à réduire l'exposition des animaux aux antibiotiques. Laurent Gatun, gérant de la distillerie Essenciagua, a évoqué lors de son audition des expérimentations prometteuses d'utilisation d'huiles essentielles sur des troupeaux de bovins.

Le cadre réglementaire du médicament vétérinaire est proche de celui du médicament humain. Une procédure allégée existe depuis 2013 pour l'autorisation de mise sur le marché (AMM) de médicaments à base de plantes. Néanmoins, comme l'ont souligné les représentants de l'ANSES, des obstacles demeurent : les données d'innocuité jointes aux demandes d'AMM par les industriels doivent mentionner la « limite maximale en résidus » (LMR) du médicament dans la viande animale, afin de garantir la sécurité du consommateur. Or, l'évaluation de cette LMR présente un coût important et dissuasif.

L'ANSES a formulé un avis sur ce sujet pour débloquer la situation et faciliter la méthodologie d'évaluation des LMR des substances végétales 83 ( * ) sans transiger sur les exigences de sécurité. Votre rapporteur souhaite que les réflexions se poursuivent sur cette base, notamment dans le cadre des discussions sur le prochain règlement européen relatif aux médicaments vétérinaires.

Proposition n° 31 : Favoriser un cadre plus propice au développement des médicaments et soins vétérinaires à base de plantes

• En outre, des producteurs ont attiré l'attention de la mission d'information sur les freins réglementaires au développement en France d'une filière de production du chanvre thérapeutique.

Indépendamment de la réglementation actuelle ou future sur l'usage thérapeutique du cannabis en France, sur laquelle il n'appartient pas à votre mission de se prononcer , les acteurs de la filière 84 ( * ) considèrent que le cadre juridique actuel ( cf. encadré) constitue un handicap sur le marché européen et mondial .

Il ne permet pas, en effet, de développer la production d'une matière première pharmaceutique à plus forte teneur en substances actives que ce qu'autorise la réglementation (soit avec un taux de tetrahydrocannabidiol ou THC, doté d'effet psychotrope, supérieur à 0,2 %) ou d'exploiter, pour les variétés déjà autorisées, les feuilles et fleurs dont est extrait le cannabidiol (CBD), substance non psychoactive mais qui serait dotée de propriétés anti-inflammatoires notamment.

La production et l'utilisation du chanvre : quel cadre juridique en France ?

• Le développement récent de « coffee shops » proposant, pour un usage « bien-être », des produits dérivés du cannabis à base essentiellement de cannabidiol (CBD) aux propriétés relaxantes (produits de vapotage, cosmétiques, gélules...), ont conduit les autorités sanitaires à réaffirmer et clarifier la réglementation applicable, qui était jugée floue par certains acteurs.

Le code de la santé publique (article R. 5132-86) interdit toutes les opérations concernant le cannabis, autrement appelé chanvre, notamment sa production, sa mise sur le marché, sa détention et son emploi.

Dès lors, tout produit contenant des composés actifs extraits de la plante - tels que le cannabidiol (CBD) ou encore les delta-9-tétrahydrocannabinol (THC) - est interdit sauf s'il entre dans le cadre d'une dérogation fixée par un arrêté du 22 août 1990 , destinée à permettre l'utilisation du chanvre à des fins industrielles et commerciales, notamment dans l'industrie textile, dans les marchés du bâtiment, de la papeterie, des cosmétiques, de l'alimentation, etc.

Ainsi, la culture, l'importation, l'exportation comme l'utilisation à des fins industrielles et commerciales de certaines variétés de cannabis ou de chanvre ne sont autorisées que sous trois conditions cumulatives :

- les variétés de chanvre autorisées sont listées par l'arrêté précité ;

- seules les graines et les fibres peuvent être utilisées (à l'exception des fleurs ou des feuilles) ;

- la plante doit avoir une teneur inférieure à 0,2 % en THC ; ce taux n'est pas un seuil de présence dans le produit fini mais dans la plante elle-même. La présence de THC (classé comme stupéfiant) dans les produits finis, quel que soit son taux, est interdite.

En outre, aucune vertu thérapeutique ne peut être revendiquée (ce qui classerait les produits au titre de médicaments). Enfin, toute publicité entretenant une confusion entre le cannabis et le CBD, considérée comme faisant ainsi la promotion du cannabis, est passible de sanction pénale.

• Dans le domaine thérapeutique, le décret n° 2013-473 du 5 juin 2013 a permis la délivrance d'une autorisation de mise sur le marché (AMM) à des médicaments contenant du cannabis ou ses dérivés . Un seul en a bénéficié à ce jour, en 2014 (le Sativex , spray destiné aux malades atteints de sclérose en plaques, en attente de commercialisation).

Source : www.drogues.gouv.fr ; point sur la législation des produits à base de cannabidiol établi par un groupe de travail interministériel piloté par la MILDECA

Or, la filière française du chanvre à fibre à usage industriel est bien structurée et présente de nombreux atouts : avec 16 000 hectares de production, soit la moitié de la surface cultivée dans l'Union européenne, elle représente, d'après les estimations du secteur, 20 000 emplois directs et indirects compte tenu des usages multiples du chanvre (papeterie, isolants, industrie automobile...) et de marchés émergents (plastiques biosourcés, cosmétiques, alimentation humaine compte tenu notamment des qualités nutritionnelles de la graine de chanvre, riche en protéines).

Proposition n° 32 : Lever les obstacles réglementaires au développement d'une filière de production française de chanvre à usage thérapeutique


* 75 D'après une enquête auprès de producteurs en circuits courts réalisée par la FNAB en avril 2018, seuls 12 % des producteurs déclarent vendre leurs produits sans conseil ni information.

* 76 Article paru dans la revue Ethnopharmacologia, n° 49, décembre 2012.

* 77 Cf. compte rendu de la table ronde des syndicats agricoles (24 juillet 2018).

* 78 Aux termes de l'article L. 4223-1 du code de la santé publique, « le fait de se livrer à des opérations réservées aux pharmaciens, sans réunir les conditions exigées par le présent livre, constitue l'exercice illégal de la profession de pharmacien. Cet exercice illégal est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende. »

* 79 Cf. partie II, B. et encadré page 52.

* 80 Cette réglementation relève du niveau national : des pays possèdent une liste positive de plantes autorisées ; d'autres ont établi des listes négatives de plantes interdites dans la composition des compléments alimentaires ; d'autres encore évaluent les plantes au cas par cas.

* 81 Robert Anton, Luc Delmulle et Mauro Serafini.

* 82 Committee on Herbal Medicinal Products (HPMC).

* 83 « Évaluation des demandes d'autorisation de mise sur le marché de médicaments vétérinaires à base de plantes », avis de l'ANSES, rapport d'expertise collective, février 2016.

* 84 Le président de l'Iteipmai et le président de la Fédération nationale des producteurs de chanvre ont attiré l'attention des ministres concernés sur le sujet dans un courrier de juillet 2018 transmis à votre rapporteur, demandant l'ouverture d'un chantier d'étude et de faisabilité d'une filière dédiée à la production de matière première pharmaceutique.

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