II. LA GESTION DES AIDES À LA PIERRE DOIT ENCORE SE RAPPROCHER DES TERRITOIRES

Bien que le FNAP s'appuie sur un appareil statistique et un travail d'enquêtes auprès des acteurs locaux, il reste des divergences de point de vue entre le niveau national et le niveau local. D'une manière générale, les collectivités locales ne jouent pas encore le rôle qui devrait leur revenir et le processus de délégation des aides à la pierre demeure inachevé, laissant à l'État un rôle sans doute démesuré par rapport au faible niveau des ressources qu'il apporte.

A. LA PRISE EN COMPTE DES BESOINS LOCAUX PEUT PROGRESSER

La prise en compte des besoins locaux est essentielle, car le marché du logement est d'abord local . Les objectifs nationaux, en particulier sur une typologie donnée, ne peuvent s'appliquer de manière indifférenciée à tous les territoires.

C'est pourquoi la répartition infra-régionale des crédits et des objectifs entre les territoires de gestion laisse une importante marge d'appréciation au préfet . Il doit pour cela s'appuyer sur un diagnostic partagé de l'état du marché et des besoins locaux, qui se fonde sur les bases de données disponibles et le retour des différents acteurs.

Les sources pour la connaissance des besoins sont multiples : par exemple les bases de données et les études menées par les collectivités territoriales ou d'autres organismes locaux.

Les chiffres offrent une base objective, mais nécessairement partielle de la réalité des besoins . Ainsi certaines personnes auditionnées par votre rapporteur spécial dans les Hauts-de-France ont-elles souligné l'importance du parc privé dégradé. De plus le point de vue des services de l'État, de ceux des collectivités et des bailleurs sociaux n'est pas toujours identique sur les types de logement (PLAI, PLUS, PLS...) et leur typologie (T1, T2, T3, logements familiaux) dont la production est nécessaire dans un territoire donné.

Il apparaît donc nécessaire , malgré le développement des outils informatiques, d'améliorer encore le partage de l'information sur le niveau des besoins et l'état du marché, afin de faciliter la convergence des diagnostics.

La mise en place du système national d'enregistrement (SNE) a toutefois été un vrai progrès qui a permis d'enrichir la compréhension des besoins en logement locatif social.

1. Le SNE, un outil indispensable mais non suffisant

La mise en place en 2011 du système national d'enregistrement (SNE) des demandes de logement locatif social, en application de la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion du 25 mars 2009 et de son décret d'application 41 ( * ) , a amélioré la connaissance des besoins afin d'orienter le pilotage des aides à la pierre.

Il permet de connaître les caractéristiques des ménages du parc social et ainsi de fonder des décisions favorisant la mixité sociale. Les données du SNE sont particulièrement utiles pour déterminer la demande en logements PLAI, critère de détermination des enveloppes régionalisées du FNAP. Elles permettent aussi, en centralisant l'ensemble des demandes, d'éviter l'apparition de doublons.

Le SNE est également un outil de mesure de la pression sur la demande de logement social, particulièrement nécessaire depuis que la loi « Égalité et citoyenneté » du 27 janvier 2017 42 ( * ) a différencié les obligations de production de logements sociaux à imposer aux communes soumises à la loi SRU. Le taux « normal » de 25 % est réduit à 20 % dans les agglomérations où le nombre de demandes de logements sociaux par rapport au nombre d'emménagements annuels, hors mutations internes, dans le parc locatif social ne justifie pas de réaliser un effort de production supplémentaire 43 ( * ) . Le taux de 20 % s'applique également à des communes en croissance démographique auxquelles le taux normal ne s'applique pas et dont le parc de logements nécessite un effort de production. De plus un décret peut exempter les communes de ces obligations en fonction du niveau de la demande en logements locatifs sociaux.

C'est également en s'appuyant sur les données du SNE que l'État a identifié l'existence d'un besoin important de petits logements sociaux (T1 et T2) dans toutes les régions, ce qui a conduit à l'attribution d'un bonus pour ces logements dans l'exercice de programmation 2016 (voir infra).

Enfin, la base de données du SNE est utilisée pour la répartition infra-régionale de l'enveloppe attribuée à chaque préfet de région.

Le SNE, si utile soit-il, ne saurait toutefois constituer l'unique moyen de connaître les besoins locaux .

Les demandes inscrites au SNE constituent une base statistique qui, comme toute donnée, demande à être qualifiée et interprétée. Certaines demandes sont incomplètes et toutes ne présentent pas le même caractère d'urgence, sans que cela soit apparent dans le système : à la fin de 2016, le nombre de demandes figurant dans le SNE était de près de 1,9 million, ce qui ne signifie pas que le besoin réel soit aussi important 44 ( * ) .

De plus il s'agit d'un système déclaratif : il ne permet donc de connaître que les besoins qui se concrétisent par une demande effective. Certaines personnes reçues par votre rapporteur spécial ont souligné qu'il serait utile de mesurer également la demande potentielle, qui ne s'exprime pas nécessairement mais pourrait faire l'objet d'études. Or le FNAP ne dispose pas de moyens en ce sens.

Recommandation n° 2 : améliorer la prise en compte des besoins locaux par un meilleur partage des différentes sources d'information et leur enrichissement par des études.

2. La question de l'aide à la réhabilitation

Le FNAP a défini en 2018 une enveloppe principale pour la programmation d'une offre de logement social neuve , principalement en zone tendue, ainsi qu'une enveloppe secondaire pour la démolition, plutôt en zone non tendue.

Lors de son déplacement dans les Hauts-de-France, région dans laquelle l'habitat social est plus ancien que dans d'autres régions, votre rapporteur spécial a pu constater qu'il y avait également un besoin de réhabilitation , pour lequel le FNAP ne propose actuellement pas de crédits.

La DHUP, dans les réponses obtenues dans le cadre du présent contrôle, fait observer que d'autres aides ciblent particulièrement la réhabilitation :

- la Caisse des dépôts et consignations propose le prêt à l'amélioration (PAM), allant jusqu'à 35 ans, pour des travaux d'amélioration ou de réhabilitation du patrimoine de logements conventionnés à l'APL ;

- les travaux de rénovation thermique peuvent bénéficier de l'éco-prêt logement social (Éco-PLS), également accordé par la Caisse des dépôts, dans la limite de 16 000 euros par logement en métropole et 18 000 euros en outre-mer, cumulable avec le prêt à l'amélioration ;

- les prêts de haut de bilan bonifiés permettent de réaliser aussi bien des travaux de rénovation thermique que de la construction neuve. Les remboursements ne commencent qu'à l'issue d'une période de 20 ans, ce qui permet d'apporter aux organismes HLM des quasi-fonds propres leur permettant d'obtenir plus facilement des prêts. La Caisse des dépôts, Action Logement et le Gouvernement ont ainsi signé le 5 juin 2018 dernier une nouvelle convention mettant en place une enveloppe de 2 milliards d'euros de prêts bonifiés sur trois ans, destinée à la production neuve pour 80 % et à la réhabilitation de logements sociaux pour 20 %. Toutefois la tranche 2018 porte entièrement sur la production neuve ;

- les investissements en efficacité énergétique et en énergies renouvelables dans le secteur du logement sont également éligibles au Fonds européen de développement régional (FEDER).

Votre rapporteur spécial considère que la réhabilitation de logements existants ne devrait pas être exclu du mécanisme de soutien, notamment dans des zones où le bâti existant est ancien et dégradé ou lorsque le foncier disponible est rare.

Recommandation n° 3 : inclure la réhabilitation de logements locatifs sociaux dégradés parmi les opérations soutenues par le FNAP, en fonction des besoins et des coûts observés localement.

3. L'incertitude sur l'enveloppe spécifique consacrée aux PLAI adaptés

Dans le cadre du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale, le ministère en charge du logement lance chaque année, depuis 2013, un appel à projets pour la réalisation de logements « très sociaux », dits « PLAI adaptés ».

S'agissant aussi bien de ses règles de distribution que de son alimentation, l'enveloppe « PLAI adaptés » se distingue profondément du « droit commun » des aides du FNAP.

a) Des demandes très inférieures aux crédits disponibles

En 2017, 22 861 220 euros en autorisations d'engagement étaient disponibles sur le programme 135 pour les PLAI adaptés, dont 10 861 220 euros issus de reports de l'année précédente et 12 000 000 euros ouverts en fin de gestion 2017 45 ( * ) . Sur ce montant :

- un montant de 6 857 098 euros d'autorisations d'engagements a été délégué dans les régions, où elles ont été consommées à hauteur de 94 % ;

- le solde des autorisations d'engagement non consommées ou non déléguées, soit 16 400 447 euros, a été reporté en 2018.

Le montant élevé des reports indique le faible succès des appels d'offres.

Le nombre de PLAI adaptés financés est passé de 181 en 2016 à 716 en 2017 , la moyenne étant de 489 par an sur les cinq appels à projets de 2013 à 2017. Toutefois cette augmentation du nombre de PLAI adaptés programmés est due pour l'essentiel à l'ouverture du programme aux résidences sociales et aux pensions de famille , dans le cadre de l'appel à projets 2017 : le nombre de logements ordinaires est inférieur aux premières années du programme.

b) Le remplacement des appels d'offres par une nouvelle procédure de territorialisation à l'automne 2018

L'année 2018 a ainsi été marquée par un manque de visibilité . Alors qu'un appel d'offres était lancé les années précédentes, les premiers mois se sont passés sans définition d'un nouveau cahier des charges.

Certaines des personnes auditionnées par votre rapporteur spécial ont indiqué que la non-publication d'un nouveau cahier des charges cette année soulevait des inquiétudes chez les bailleurs sur la pérennité du cahier des charges en cours, entrainant un attentisme de leur part. L'administration indiquait pourtant que le cahier des charges 2017 demeure en vigueur, ce qui ne devait donc pas bloquer le développement des opérations.

L'annulation du conseil d'administration du 27 juin, qui devait être consacré à l'adoption de mesures relatives aux PLAI adaptés, a été le résultat de la volonté du ministère, constatant le succès insuffisant des précédents appels d'offres, de prendre le temps de modifier la formule .

C'est ainsi que les nouvelles règles n'ont été soumises au conseil d'administration du FNAP que le 21 septembre 2018.

Le cahier des charges des années précédentes, qui demandait des contreparties importantes aux opérateurs, a été remplacé par une présentation plus succincte des orientations envoyées aux préfets de région. Ces orientations reposent sur deux principes : loyer maîtrisé et gestion locative adaptée.

La procédure est désormais déconcentrée et rapprochée de l'échelle locale , comme c'est le cas pour l'enveloppe principale du FNAP destinée aux opérations nouvelles. L'appel d'offres national est ainsi remplacé par une répartition entre les régions de l'enveloppe, en distinguant deux catégories de logements parmi les PLAI adaptés : logements ordinaires et résidences sociales (y compris pensions de famille).

Au total, une enveloppe de 10 millions d'euros est répartie entre les régions pour un objectif global de 979 logements PLAI adaptés. Les deux millions restants sont conservés au niveau central et pourront être sollicités par les DREAL, au fur et à mesure de l'instruction des projets.

Enfin, les modalités de sélection et de financement des projets sont explicitement pluriannuelles : le document de présentation prévoit qu'elles demeureront en vigueur jusqu'à une nouvelle décision du conseil d'administration du FNAP.

Votre rapporteur prend acte de la mise en place de cette nouvelle procédure et espère que la flexibilité des règles, leur garantie de stabilité et la déconcentration de la gestion de l'enveloppe permettront de favoriser le déploiement des PLAI adaptés .

4. L'intermédiation locative

L'intervention publique pour le développement de l'intermédiation locative prend plusieurs formes :

- l'État finance un dispositif d'intermédiation locative sur les crédits du programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables », les personnes ou ménages étant orientées par le service d'accueil et d'orientation (SIAO). Le parc d'intermédiation locative financé par l'État comprend 31 274 places, au 31 décembre 2017, dont 80 % en location et sous-location et 20 % en mandat de gestion 46 ( * ) . Plus de la moitié des places sont mobilisées en région Île-de-France 47 ( * ) . Dans le cadre du plan Logement d'abord, l'objectif d'accroissement du parc d'intermédiation locative financée par l'État est de 40 000 places supplémentaires sur cinq ans, par rapport au 1 er janvier 2018 ;

- sur le même programme, des places d'intermédiation locative sont financées dans le cadre du dispositif de coordination thérapeutique « Un chez-soi d'abord » ;

- le FNAP, via le programme 135, finance un dispositif spécifique en vue du développement de l'offre de logements du parc privé en intermédiation locative dans les communes faisant l'objet d'un arrêté de carence au titre de la loi SRU. Le dispositif financé par le FNAP vise surtout les zones les plus tendues, où les communes ont le plus de difficultés à atteindre les objectifs SRU. Les logements ainsi financés ne sont pas comptabilisés dans l'objectif de 40 000 places supplémentaires rattaché au programme 177 ;

- les fonds de solidarité pour le logement (FSL), gérés au niveau départemental, et les collectivités territoriales contribuent également au développement de l'intermédiation locative.

Or le déploiement de l'intermédiation locative est entravé par le retard de publication d'un arrêté permettant le décompte SRU des logements placés en intermédiation locative. Cet arrêté, prévu depuis janvier 2017 par l'article L. 302-5 du code de la construction et de l'habitation 48 ( * ) , doit fixer le plafond de loyer applicable aux logements du parc privé confiés en intermédiation locative à un opérateur agréé en vue sa sous-location.

Une question écrite, posée à ce sujet le 12 juillet dernier par notre collègue Dominique Estrosi Sassone, sénatrice des Alpes-Maritimes, au ministre de la Cohésion des territoires, n'a pas reçu de réponse à ce jour 49 ( * ) .

Votre rapporteur spécial s'étonne du retard de publication de cet arrêté , alors que les objectifs du plan Logement d'abord sont particulièrement ambitieux.

Il soutient le développement de l'intermédiation locative afin de limiter le passage par les dispositifs d'hébergement d'urgence, avec un coût par place très inférieur. Le groupe de travail sur le financement et la fiscalité du logement, créé au sein de la commission des finances du Sénat, avait ainsi préconisé en octobre 2015 50 ( * ) de renforcer les avantages issus du dispositif d'incitation fiscale à l'investissement locatif dans l'ancien dit dispositif « Borloo » et avait été entendu puisque ce dernier dispositif a été remplacé par le dispositif « Cosse », qui améliore les taux d'abattement d'imposition des revenus locatifs applicables pour la location de ménages modestes, en particulier dans le cadre de l'intermédiation locative.

Cet objectif suppose toutefois, comme votre rapporteur spécial l'avait signé dans son rapport sur les dispositifs d'hébergement d'urgence 51 ( * ) , d'assurer une communication active à destination des bailleurs en s'appuyant sur les professionnels de l'immobilier, et d'instaurer un dispositif d'incitation efficace envers les bailleurs. Les services déconcentrés ont besoin d'un cadre et de lignes directrices leur permettant de développer ce type de dispositif innovant et il convient d'espérer que la circulaire diffusée le 4 juin dernier favorisera le développement du dispositif.


* 41 Article 117 de la loi n° 2009-323 du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion et décret, mis en oeuvre par l'article R. 441-2-5 du code de la construction et de l'habitation.

* 42 Loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté.

* 43 Article L. 302-5 du code de la construction et de l'habitation.

* 44 Le logement social face au défi de l'accès des publics modestes et défavorisés, rapport public thématique de la Cour des comptes, février 2017.

* 45 Rapport de l'ordonnateur, annexé au compte rendu du conseil d'administration du FNAP du 14 mars 2018.

* 46 Le mandat de gestion consiste pour un propriétaire bailleur à louer son logement directement à un ménage tout en faisant appel à un tiers social pour qu'il assure la gestion du bien (gestion locative comptable et technique, dont la perception des loyers et des charges pour le compte du bailleur). Dans le cas de la location/sous-location, le logement est mis en location auprès d'un organisme agréé par le préfet en vue de sa sous-location ; c'est une solution plus temporaire que le mandat de gestion, formule privilégiée par le plan Logement d'abord.

* 47 Instruction du 4 juin 2018 relative à la mise en oeuvre du plan de relance de l'intermédiation locative dans le cadre du plan Logement d'abord, circulaire envoyée aux préfets de région et de département.

* 48 6° du IV de l'article L. 302-5 du code de la construction et de l'habitation, dans sa rédaction issue de l'article 97 de la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté.

* 49 Question écrite n° 06081 de Mme Dominique Estrosi Sassone, parue au Journal officiel du Sénat du 12 juillet 2018, page 3416.

* 50 Financement et fiscalité du logement : reconstruire sans démolir, rapport d'information n° 99 (2015-2016), fait au nom de la commission des finances, déposé le 21 octobre 2015.

* 51 L'hébergement d'urgence sous forte tension : sortir de la gestion dans l'urgence, rapport d'information n° 193 (2016-2017) de M. Philippe Dallier, fait au nom de la commission des finances, 7 décembre 2016

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