B. LE RÔLE DES COLLECTIVITÉS DEMEURE TROP EN RETRAIT

1. Une répartition des fonds infra-régionale réalisée par le préfet
a) Les principes de répartition infra-régionale

La répartition infra-régionale est assurée par les préfets de région .

Elle s'appuie sur l'analyse de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), qui est le responsable de budget opérationnel de programme (BOP) du programme 135 délégué au niveau régional.

Aux termes de la lettre de notification envoyée par le ministre après le conseil d'administration du FNAP qui arrête le budget et la répartition des crédits entre les régions, le préfet doit notamment :

- tenir compte de la nécessité d'inciter et d'accompagner l'effort de production dans les communes soumises à une obligation de production de logements sociaux en application de l'article 55 de la loi SRU 52 ( * ) ;

- limiter le développement de l'offre de logements sociaux dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, déjà fortement pourvus ;

- s'abstenir en particulier de mobiliser les crédits d'aide à la pierre pour la reconstitution de logements démolis dans le cadre du nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) ;

- de manière générale, favoriser le développement d'une offre nouvelle de logements sociaux, surtout dans les zones où l'accès au logement social est le plus difficile, mais également dans des zones où le marché est détendu si des besoins sont identifiés.

Outre ces règles générales, le préfet adapte et module les enveloppes et objectifs assignés aux territoires de gestion en tenant compte des particularités des besoins locaux, telles que la nature du parc de logement social, la localisation des opérations à financer ou la composition sociale de la population.

La lettre de notification prévoit également que le préfet doit mener une large concertation impliquant tous les partenaires de la chaîne de production : services de l'État, bailleurs sociaux, collectivités territoriales, délégataires. Cette concertation doit permettre de dégager des priorités régionales, dans le respect des orientations nationales. Le « dialogue de gestion » définit la feuille de route à suivre pour cette concertation.

En 2018, le Gouvernement met en particulier l'accent sur la mise en oeuvre au niveau régional du plan « logement d'abord et lutte contre le sans-abrisme », qui a pour objectif au niveau national le financement de plus de 40 000 PLAI, dont 10 000 places en pensions de famille à ouvrir d'ici à 2022. Ce plan vise à orienter les personnes sans domicile en priorité vers un logement durable, en évitant le passage par un hébergement provisoire. Suite à un appel à manifestation d'intérêt doté d'un budget de 10 millions d'euros, 24 territoires 53 ( * ) ont été choisis le 30 mars pour mettre en oeuvre ce plan de manière accélérée.

Le préfet élabore ensuite un projet de répartition détaillée entre les territoires de gestion, qui sont de deux sortes :

- des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ou des départements qui ont signé une convention de délégation de gestion des aides la pierre ;

- des directions départementales des territoires (et, le cas échéant, de la mer), dans les territoires où une convention de délégation n'a pas été conclue.

Ce projet est soumis pour avis au comité régional de l'habitat et de l'hébergement (CRHH), qui remet un avis. Le préfet en rend ensuite compte au conseil d'administration du FNAP en transmettant, au plus tard à la fin du mois de février, un premier document de synthèse régional à la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP).

Lors de la présentation devant le CRHH, le préfet peut prévoir une tranche conditionnelle d'objectifs afin d'anticiper les redéploiements interrégionaux de crédits et d'objectifs réalisés en cours d'année, en fonction de l'avancement de la programmation sur les territoires.

L'exemple des Hauts-de-France et l'effet de la fusion des régions

Dans les Hauts-de-France, les services de l'État se sont notamment interrogés sur les niveaux de forfaits à retenir pour les PLAI. La formation des coûts a été étudiée en partant des zonages A, B et C et en cherchant à comprendre la structure des coûts globaux de production, au-delà des seuls logements sociaux.

Cet exercice a permis de constater l'existence, avant la fusion des régions Nord et Picardie, l'existence de différences importantes entre les forfaits de subvention PLAI d'un côté ou de l'autre de la limite entre les régions. La fusion a donc permis d'harmoniser les niveaux de subvention.

b) La gestion locale des aides à la pierre est distincte de celles provenant de l'Anah ou de l'Anru

Les aides à la pierre destinées au logement social suivent un circuit distinct de celui des aides au logement privé par l'Agence nationale de l'habitat (Anah) aussi bien que celles liées au programme national pour la rénovation urbaine géré par l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) .

S'agissant des aides de l'Anah, les principes de gestion sont proches des crédits du FNAP, puisque le même principe de délégation est mis en place, avec la possibilité pour le délégataire d'instruire lui-même les dossiers ou de confier cette tâche à l'Anah, c'est-à-dire à l'administration déconcentrée. Le dialogue de gestion qui permet de suivre l'utilisation des crédits au niveau local et de faire remonter les besoins est également utilisé pour les crédits Anah. Toutefois les services en charge de l'instruction de ces aides distinguent en général en leur sein un pôle consacré au parc public et un pôle consacré au parc privé. Les objectifs sont en effet de nature différente, puisque les aides de l'Anah visent la réhabilitation du parc privé alors que les aides du FNAP sont destinées pour l'essentiel au développement d'une offre neuve de logements sociaux.

Les aides du FNAP se distinguent encore plus de celles consacrées aux programmes gérés par l'ANRU : programme national pour la rénovation urbaine (PNRU), prolongé depuis 2014 par le nouveau programme de renouvellement urbain (NPNRU), et programme national de requalification des quartiers anciens dégradés (PNRQAD). Les aides de l'ANRU se placent dans un cadre contractuel et contribuent au financement d'opérations globales d'aménagement (PNRU et NPNRU) ou de réhabilitation d'un quartier défavorisé (PNRQAD). Ces programmes financent par exemple des opérations de démolition et de reconstruction de logements PLUS ou PLAI. L'instruction des dossiers ne fait pas l'objet d'une délégation aux collectivités ou à leurs groupements.

Les aides à la pierre du FNAP, en revanche, ont un périmètre d'intervention plus large puisqu'elles s'intègrent dans les orientations fixées localement par les plans locaux de l'habitat. La programmation étant annuelle, elle peut s'adapter avec plus de flexibilité aux circonstances de marché locales que les aides de l'ANRU encadrées par le cadre contractuel. Elles visent également un public plus diversifié, avec notamment la prise en compte des populations les plus défavorisées pour lesquelles l'offre classique de logement social n'est pas adaptée. Enfin le FNAP ne finance pas la reconstruction.

La gestion des deux types d'aide est donc complètement séparée, y compris au niveau des outils informatiques de suivi : AGORA pour l'ANRU, GALION pour les aides à la pierre.

Les territoires d'action respectifs de l'ANRU et des aides à la pierre ne sont pourtant pas entièrement distincts . Le règlement général de l'ANRU relatif au NPNRU prévoit en effet que la reconstitution de l'offre de logements locatifs sociaux supprimée dans le cadre d'opérations de démolition a lieu prioritairement en dehors des quartiers prioritaires de la politique de la ville. De plus cette reconstitution se fait à 60 % sous forme de logements PLAI 54 ( * ) .

c) Le suivi local des aides

Le suivi local est nécessaire afin de rendre compte de l'utilisation des crédits au conseil d'administration du FNAP.

Au mois de janvier, une enquête est menée auprès des responsables de budget opérationnel de programme régionaux afin de préciser l'échéancier des restes à payer, le niveau de trésorerie des délégataires et la situation des retards de paiement, enfin l'engagement hors bilan des délégations de gestion des aides à la pierre.

Les organismes de logement social déposent leurs demandes d'aides à la pierre dans le portail web SPLS (suivi et programmation des logements sociaux), qui concourt à la connaissance des besoins en financement et assure également l'information des organismes sur le traitement de leur demande.

La DDT(M) ou les délégataires assurent l'instruction des dossiers de financement à l'aide du logiciel GALION, géré par la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN). Ce logiciel permet de suivre une opération depuis son lancement jusqu'à son terme : financement, signature de la convention APL, mise en chantier, achèvement des travaux et mise en location.

L'ensemble des informations sont alors stockés quotidiennement dans l'infocentre SISAL, dont l'accès est ouvert à des tiers tels que l'ANRU. Une interface avec Chorus, le logiciel de comptabilité de l'État, permet de transmettre les engagements juridiques et le service fait liés aux opérations instruites par l'État. Une autre interface avec le système SITADEL permet de nourrir les analyses statistiques.

Les délégataires utilisent leurs propres outils pour instruire des dossiers, dotés de leurs propres interfaces avec le système SISAL.

Source : site Financement du logement social (ministère de la cohésion des territoires)

d) La question du soutien aux communes carencées

Votre rapporteur s'est demandé s'il ne convenait pas d' orienter les fonds du FNAP plus particulièrement vers les communes ayant fait l'objet d'un arrêté de carence parce qu'elles n'atteignent pas les objectifs de production de logement social qui leur sont assignés en application de l'« article 55 » de la loi SRU.

À cet égard, la DHUP lui a indiqué que le Fonds ne tient pas directement compte de ce critère dans l'établissement de la programmation nationale des aides à la pierre : il se fonde sur les critères de coût des opérations, de demande potentielle en logement PLAI et de cherté des loyers. Il ne donne pas d'orientations sur la modulation du montant de subvention alloué si l'opération est localisée en commune carencée. Il n'y a donc pas de lien direct entre le montant de subvention alloué à un territoire et le nombre de communes en carence sur ledit territoire.

Toutefois, la phase d'évaluation des besoins , dans le cadre du dialogue infra-régional, prend en compte les orientations imposées de la législation, au premier rang desquelles figurent les objectifs de rattrapage SRU . La programmation en logements PLUS/PLAI/PLS respecte donc nécessairement les obligations SRU.

Par ailleurs la lettre de notification adressée chaque année aux préfets de région souligne que les modalités de programmation infrarégionale « devront à la fois respecter la réglementation relative au financement du logement social, et plus particulièrement tenir compte de la nécessité d'inciter et d'accompagner l'effort de production dans les communes soumises à l'article 55 de la loi SRU, afin de garantir la mixité sociale en tout point du territoire, ce qui constitue une priorité du Gouvernement . » 55 ( * )

Une majoration de subvention dans les communes carencées peut donc être effectuée lors de la répartition infra-régionale des fonds.

Votre rapporteur approuve cette flexibilité qui, par son caractère mesuré, ne peut être suspectée de dispenser les « mauvais élèves » de tout effort. Elle se base en effet en premier lieu sur la constatation des besoins locaux et le montant relativement limité de la subvention ne saurait, à lui seul, suffire à faire sortir la commune de sa situation de carence. La première condition pour que la commune se rapproche du respect des obligations SRU est qu'elle parvienne à impulser le développement de projets.

2. Mener à son terme le processus de délégation des aides à la pierre aux collectivités territoriales ou à leurs groupements

La délégation de la gestion des aides à la pierre concernait en 2016 111 collectivités ou groupements, dont 12 métropoles, une collectivité à statut particulier (la métropole de Lyon), 8 communautés urbaines, 61 communautés d'agglomération, 3 communautés de commune et 25 conseils départementaux 56 ( * ) .

La convention de délégation concerne à la fois la délégation de la gestion des aides attribuées par l'Agence nationale de l'habitat (Anah) pour l'habitat privé et celle des aides attribuées par le FNAP pour le logement social.

Lors de la convention de délégation, les délégataires peuvent opter pour laisser l'instruction des dossiers à la charge des services de l'État, c'est-à-dire de la DDT(M). C'est le cas dans 71 des 110 délégations. Le paiement des aides relève dans tous les cas de la responsabilité du délégataire et de son comptable.

Votre rapporteur a ainsi rencontré, dans les Hauts-de-France, les services d'une collectivité, la métropole européenne de Lille, qui a confié l'instruction des dossiers d'aide à la pierre à la DDTM du Nord, et d'une autre, la communauté urbaine de Dunkerque, qui a été l'une des premières, en 2006, à prendre elle-même en charge cette tâche.

La délégation des aides de l'Anah prévoit pour sa part trois modalités, qui se réduisent en pratique à deux :

- la délégation de type 1, jamais utilisée, confie l'instruction au délégataire et le paiement à l'Anah ;

- dans la délégation de type 2, la plus répandue, l'Anah assure l'instruction des dossiers et le paiement ;

- la délégation de type 3 correspond à l'exercice par le délégataire de l'instruction et du paiement.

La Cour des comptes faisait observer dans son rapport de 2011 sur la délégation des aides à la pierre que « l'évolution de l'administration déconcentrée de l'État pèse sur l'avenir du dispositif » s'agissant des délégations ne comportant pas l'instruction des dossiers : elle notait que, avec la réorganisation des services, les questions du logement relèvent des directions du territoire (DDT) alors que, dans les grands départements, la demande de logement et les relations avec les demandeurs dépendent de la direction de la cohésion sociale (DDCS) 57 ( * ) .

La Cour faisait d'ailleurs observer que, si la délégation est un processus complexe, il est en pratique « largement irréversible : la refonte de l'administration déconcentrée et la réduction concomitante des moyens humains et des compétences techniques de l'État rendent difficilement envisageable le retour à la situation antérieure dans les zones où des délégations ont été conclues. L'ampleur de la réforme conduit d'ailleurs à s'interroger sur la capacité de l'État à continuer d'exercer, dans les zones qui restent sous sa gestion directe, les compétences ailleurs déléguées. »

Votre rapporteur a constaté que l'instruction des dossiers par l'État conduisait de fait à une double instruction , le délégataire assurant lui-même une « pré-instruction ». Cette organisation n'est donc rationnelle ni pour les services du délégataire, ni pour ceux de l'administration déconcentrée, même si leurs rapports peuvent être de qualité sur le terrain.

Outre le doublon au sein des administrations , il s'agit aussi d'un surcroît de travail pour les bailleurs , qui doivent porter leurs dossiers devant le délégataire d'une part, devant l'administration départementale d'autre part lorsque celle-ci assure l'instruction.

Votre rapporteur spécial est donc favorable à la généralisation de la délégation de gestion des aides à la pierre, avec instruction des dossiers par la collectivité territoriale ou le groupement délégataire.

Il est conscient toutefois des difficultés que ce schéma peut représenter pour certaines collectivités territoriales ou intercommunalités délégataires : il peut en effet s'agir en pratique d'un transfert de charges sans compensation de la part de l'État.

La question doit donc se poser dès lors du passage à un véritable transfert de compétence, et non d'une simple convention de délégation . C'est d'ailleurs ce que propose le rapport du comité CAP 2022, remis à votre commission par le Gouvernement par un courrier en date du 20 juillet dernier, qui suggère de « transférer la compétence en matière d'aide à la pierre au niveau régional ou métropolitain ». Une réflexion serait alors nécessaire afin de déterminer le niveau de transfert le plus approprié.

Recommandation n° 4 : généraliser la délégation des aides à la pierre aux collectivités locales, avec instruction par le délégataire.

3. Des différences importantes de consommation des crédits d'une région à l'autre

La gestion en cours d'année des crédits issus du FNAP est marquée par un important redéploiement entre régions , qui s'effectue à l'automne , lorsque les enquêtes dans les régions ont permis de dégager des perspectives sur la programmation des opérations.

Les chiffres de consommation des crédits montrent en effet une différence importance de capacité de programmation entre les régions.

Consommation des autorisations d'engagement selon les régions (2017)

Source : commission des finances, à partir des données DHUP

Le niveau de consommation est particulièrement faible , compte tenu de la taille de la région, dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur , ce qui indique une difficulté à programmer la réalisation de logements sociaux correspondant à des besoins pourtant bien identifiés.

Les échanges réguliers, en cours d'année, permettent au cours de l'automne de procéder, par décision du président du conseil d'administration du FNAP, à plusieurs réaffectations successives de crédits.

Ainsi, en 2017, plusieurs décisions successives ont-elles permis de réaffecter des crédits importants entre la région Provence-Alpes Côte d'Azur et les autres régions dans lesquelles les besoins se font sentir d'autre part.

Réaffectation des crédits entre régions fin 2017

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, à partir du rapport de l'ordonnateur annexé au conseil d'administration du FNAP du 14 mars 2018

Cette situation se répète d'année en année, la réalisation en cours d'année venant contredire les objectifs régionaux fixés en début d'année. La répartition régionale continue pourtant à assigner des cibles de production fondées sur les besoins mesurés, en considérant qu'il faut encourager les collectivités à les atteindre.

Les administrations régionales s'adaptent certes à cette situation et préparent en cours d'année un « vivier » de projets qui pourront être engagés dans les dernières semaines de l'année.

Pour autant, votre rapporteur spécial ne considère pas que cette situation soit satisfaisante, car elle conduit à donner un caractère en partie illusoire à la répartition des crédits fixée par le conseil d'administration du fonds . Il propose que le conseil d'administration, lorsqu'il fixe les enveloppes régionales, prenne en compte, dans une certaine mesure, le niveau réel de consommation au cours des exercices passés.

Recommandation n° 5 : prendre en compte le niveau de consommation des crédits du FNAP par chaque région dans la définition des enveloppes budgétaires.


* 52 Articles L. 302-5 et suivants du code de la construction et de l'habitation.

* 53 Les territoires choisis sont en majorité des métropoles, mais comprennent aussi des départements que des métropoles, d'autres établissements publics de coopération intercommunale et de simples communes.

* 54 Règlement général relatif au nouveau programme de renouvellement urbain, validé par le conseil d'administration du 16 juillet 2015, section 2.3.1 « La reconstitution de l'offre de logements locatifs sociaux ».

* 55 Ministère de la Cohésion des territoires, lettre de programmation 2018 des aides à la pierre au logement social, adressée le 21 décembre 2017 aux préfets de région.

* 56 Ministère de la Cohésion des territoires, Liste des délégations de compétence 2016, calculs commission des finances.

* 57 Cour des comptes, Les aides à la pierre : l'expérience des délégations de l'État aux intercommunalités et aux départements , mai 2011, p. 33.

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