B. UN NOMBRE RÉDUIT DE FERMETURES DE LIEUX DE CULTE

Entre le 1 er novembre 2017 et le 30 novembre 2018, seules cinq fermetures temporaires de lieux de culte ont été prononcées sur le fondement de l'article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure :

- fermeture de la salle de prière « Dar Es Salam » à Aix-en-Provence, le 16 novembre 2017, pour une durée de six mois ;

- fermeture de la mosquée « Salle des Indes » à Sartrouville, le 17 novembre 2017, pour une durée de six mois (mesure prenant le relais d'une mesure de fermeture prononcée dans le cadre de l'état d'urgence) ;

- fermeture de la mosquée « As Sounna » à Marseille, le 11 décembre 2017, pour une durée de six mois ;

- fermeture du lieu de culte « Abu Darda » à Gigean, le 14 mai 2018, pour une durée de six mois ;

- fermeture du lieu de culte « Centre Zahra » de Grande-Synthe, le 15 octobre 2018, pour une durée de six mois.

Une sixième mesure de fermeture a été prononcée le 13 décembre 2018 à l'encontre du lieu de culte « As-Sunnah » à Hautmont.

Aucun de ces lieux de culte n'a rouvert à l'issue de la première mesure. Selon les informations communiquées par la direction des libertés publiques et des affaires juridiques, les fermetures de lieux de culte ont en effet généralement été accompagnées d'autres mesures administratives (en particulier, dissolution d'association, expulsion des imams, gels d'avoirs) qui ont permis de mettre fin à la situation de trouble à l'ordre public.

Par comparaison, 19 fermetures de lieux de culte avaient été prononcées au cours de la période pendant laquelle était instauré l'état d'urgence, soit entre le 14 novembre 2015 et le 31 octobre 2017.

C. UNE MISE EN oeUVRE PLUS TARDIVE DES POSSIBILITÉS DE VISITE DOMICILIAIRE ET DE SAISIE

Depuis le 1 er novembre 2017, 96 requêtes de visite domiciliaire ont été adressées au juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris par les autorités préfectorales  15 d'entre elles ont été rejetées ; 81 ont donné lieu à une ordonnance autorisant la visite mais seulement 74 visites ont été effectivement réalisées 15 ( * ) .

Les visites domiciliaires à ce jour effectuées ont toutes été autorisées à l'encontre de personnes appartenant à la mouvance islamiste radicale, sur l'un ou l'autre des fondements prévus par l'article L. 229-1 du code de la sécurité intérieure, à savoir une relation habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme ou l' adhésion à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes .

L'analyse des statistiques révèle une mise en oeuvre tardive de la mesure . En effet, au cours des six mois qui ont suivi l'entrée en vigueur de la loi, seules 8 visites domiciliaires ont été réalisées sur l'ensemble du territoire.

Évolution du nombre de visites domiciliaires réalisées

Comme l'ont indiqué les personnes entendues par votre mission d'information, le faible nombre de visites domiciliaires au cours des premiers mois s'explique principalement par une nécessaire adaptation des autorités préfectorales aux nouvelles mesures créées ainsi que par une forme de crainte à l'égard d'une procédure jugée complexe. Lors de son audition, M. François Molins, alors procureur de la République de Paris, a relevé à cet égard une vraie « difficulté d'acculturation » des autorités préfectorales à l'égard de ces nouvelles mesures préventives.

L'attentat perpétré à Trèbes le 23 mars 2018 aurait néanmoins eu un effet déclencheur auprès des autorités administratives, dont témoigne d'ailleurs l'augmentation importante du nombre de visites domiciliaires à compter du mois de mai 2018 .

Cette progression du nombre de visites domiciliaires a eu lieu en dépit de la censure, par la décision n° 2017-695 QPC du Conseil constitutionnel du 29 mars 2018, de la possibilité de saisir à cette occasion des documents et des objets. Cette censure n'a en effet pas privé la mesure de son utilité, car la possibilité de saisir les supports et données informatiques a été maintenue. Sur les 74 visites effectuées, 42 ont ainsi donné lieu à des saisies, dont 37 ont été réalisées après l'entrée en vigueur de la censure et ont concerné la saisie de supports informatiques. Les demandes d'autorisations d'exploitation de données saisies formulées par les autorités administratives ont toutes été autorisées .

De manière à assurer une bonne articulation avec les procédures judiciaires, le législateur a prévu que les requêtes préfectorales soient soumises à l'avis préalable du procureur de la République de Paris. Selon les informations communiquées par M. François Molins lors de son audition par votre mission d'information, une procédure ad hoc , qui va au-delà des termes de la loi, a été mise en place entre les autorités préfectorales et le parquet de Paris afin :

- d'une part, de garantir que les requêtes formulées ne soient pas susceptibles de faire l'objet d'une judiciarisation. La politique appliquée par le parquet de Paris est en effet de privilégier, dès que les critères sont remplis, la voie judiciaire plutôt qu'administrative. Les autorités préfectorales entendues par votre mission d'information ont indiqué, de la même manière, qu'il était préférable à leurs yeux, eu égard à la complexité de la procédure, de favoriser le cadre judiciaire au cadre administratif ;

- d'autre part, d'apporter un appui technique aux préfectures dans la rédaction des requêtes.

Cette procédure informelle, si elle a permis d'accompagner les préfectures dans la mise en oeuvre de la mesure, n'a toutefois pas permis d'éviter de nombreux rejets des requêtes par le juge des libertés et de la détention (15 requêtes rejetées sur 96 présentées, soit 15,6 % des requêtes). Le vice-président du tribunal de grande instance de Paris chargé du service des juges des libertés et de la détention a indiqué, lors de son audition par votre mission d'information, qu' une part significative des requêtes préfectorales transmises présentait une motivation insuffisante et manquait d'éléments probants , nécessitant, de la part des juges, des demandes de précisions et d'informations complémentaires. Il y a là, sans aucun doute, des marges de manoeuvre pour, à la fois, améliorer la sécurité juridique des mesures demandées et ne pas engorger les juges des libertés et de la détention déjà fortement sollicités, même si, pour l'heure, les délais de réponse de ces derniers demeurent réduits (trois jours en moyenne à compter de l'envoi de la requête préfectorale).

L'évaluation de l'efficacité des mesures de visites domiciliaires, au-delà de la simple analyse statistique, demeure complexe.

Selon les informations communiquées par la direction des libertés publiques et des affaires juridiques, trois procédures judiciaires seulement ont été engagées à la suite d'une visite domiciliaire, toutes pour des infractions de droit commun. Trois mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance ont également été prononcées à la suite d'une telle visite.

Pour autant, comme l'indiquait M. François Molins, alors procureur de la République de Paris, lors de son audition par votre mission d'information, l'existence de suites judiciaires à l'issue d'une visite domiciliaire 16 ( * ) ne constitue pas, en soi, un critère adéquat, dans la mesure où l'efficacité de la mesure réside en réalité principalement dans la « levée de doutes » qu'elle permet. Or, un tel critère est difficilement appréciable, et encore moins quantifiable.

A cet égard, votre mission d'information entend, dans la suite de ses travaux, interroger les autorités concernées (parquet de Paris, direction générale de la sécurité intérieure) sur le bilan qu'elles tirent du recours à cette procédure en matière de prévention des actes de terrorisme.


* 15 Ces statistiques sont celles transmises par le ministère de l'intérieur. Des chiffres différents ont été communiqués à votre mission d'information par le premier vice-président du tribunal de grande instance de Paris chargé du service du juge des libertés et de la détention, qui dénombre un plus grand nombre de saisines. En dépit des demandes de précisions adressées au ministère de l'intérieur, il n'a, pour le moment, pas été possible d'identifier l'origine de cet écart.

* 16 Au début du mois d'avril 2018, sur les 9 visites domiciliaires réalisées, une seulement avait donné lieu à l'ouverture d'une information judiciaire pour une infraction de droit commun.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page