EXPOSÉ GÉNÉRAL

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I. UN PROBLÈME PRÉOCCUPANT : LE RESTE À CHARGE DES PERSONNES ÂGÉES ATTEINTES DE PERTE D'AUTONOMIE

A. UN RESTE À CHARGE MENSUEL POUVANT ALLER JUSQU'À PLUSIEURS MILLIERS D'EUROS, MAIS DONT LA MOYENNE S'ÉTABLIT À 490 EUROS PAR PERSONNE ÂGÉE DÉPENDANTE...

1. Une dépense publique de 23 milliards d'euros

La politique publique de la dépendance fait intervenir autour de la personne âgée plusieurs intervenants publics dont les financements et les actions répondent à des logiques distinctes. Ces financeurs publics sont au nombre de quatre :

- en premier lieu, l' assurance maladie . Compte tenu de la prévalence renforcée de pathologies et de poly-pathologies chez les personnes âgées, la prise en charge de la dépendance se traduit d'abord, en masse financière, par une couverture des dépenses de soins. Cette dernière peut prendre alternativement la forme de remboursement d'actes établis par feuilles de soins, ou de forfaits globaux versés à des établissements ou à des services spécialisés. Pour cette seule forme, la dépense s'élève à peu près à 13 milliards d'euros 2 ( * ) en 2018 ;

- les conseils départementaux interviennent en seconde ligne, pour un total de 6 milliards d'euros . Titulaire d'une compétence financière de droit commun en matière de politique sociale, le conseil départemental s'est progressivement défini comme l'interlocuteur privilégié de la personne âgée en perte d'autonomie. Le service et les prestations qu'il lui fournit ne comportent néanmoins pas de dimension médicale et se distinguent donc foncièrement de ceux apportés par l'assurance maladie. Il intervient à un double titre : en tant qu'acteur public chargé de l' accompagnement des personnes en perte d'autonomie et en tant que collectivité responsable de la mise en oeuvre des politiques de solidarité . Il n'est en effet pas rare qu'une personne âgée, selon sa situation financière, relève simultanément de ces deux fonctions. Le conseil départemental sert concurremment :

o une prestation sociale attribuée aux personnes âgées dépendantes, l' allocation personnalisée à l'autonomie (APA), qui prend exclusivement la forme d'une prestation en nature (intervention d'aides humaines ou attribution d'aides techniques) ;

o une aide spécifique aux personnes âgées présentant des difficultés financières . Cette aide peut prendre la forme d'une aide-ménagère à domicile ou d'un soutien financier à l'hébergement en établissement ;

- la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), établissement public créé en 2005 et chargé du pilotage et de la gestion des politiques de l'autonomie au niveau national, assure une partie du financement de l'APA sous la forme d'un transfert aux conseils départementaux. Ce transfert représente environ 2 milliards d'euros ;

- enfin, l' État participe indirectement au financement des politiques publiques de dépendance, notamment par le biais d'exonérations fiscales 3 ( * ) ou d'aides au logement. Cette dépense s'élève à environ 2 milliards d'euros .

Le total de ces dépenses porte la dépense publique relative à la dépendance à environ 23 milliards d'euros en 2018 .

Source : direction générale du Trésor

Une première remarque peut être formulée à ce stade : la dépense publique en matière de dépendance des personnes âgées est une dépense très fortement médicalisée . De façon générale, il s'agit d'un reproche couramment fait à la politique publique de la dépendance, que vos rapporteurs reprennent d'ailleurs à leur compte, de s'être insuffisamment émancipée d'une épure strictement sanitaire .

2. Un « reste à charge » global de 7 milliards d'euros

L'accompagnement de la perte d'autonomie prend deux grandes formes distinctes : l'accompagnement de la personne âgée à domicile ou l'accueil dans un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Au sein d'une population d'environ 1,2 million de personnes, on estime que l'accompagnement à domicile concerne 640 000 d'entre elles (soit 53 %) et que 560 000 (soit 47 %) sont résidentes d'un établissement .

Selon une étude 4 ( * ) récemment publiée par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), le besoin de financement global lié à la dépendance s'élèverait à environ 30 milliards d'euros, soit 1,4 % du PIB . Cette même étude anticipe un doublement de ce besoin d'ici 2060, qui passerait alors à 2,78 % du PIB, soit près de 50 milliards d'euros . Ces prévisions se fondent en partie sur l'anticipation des effectifs concernés qui devraient passer d'environ 1,2 million en 2017 à 1,9 million en 2060 , voire 2,35 millions dans certains scénarios.

Ces chiffres, qui préfigurent une augmentation sensible de la dépense relative à la dépendance, doivent être nuancés. Un récent rapport 5 ( * ) de nos collègues Julien Bargeton, Fabienne Keller et Nadia Sollogoub indiquait que les projections économiques dont on dispose montrent que l'impact du vieillissement sur les transferts intergénérationnels semble en voie d'être maîtrisé dans les décennies à venir. Ces projections conduisent à dédramatiser la question du financement de la dépendance : l'effort à réaliser est important, mais la France ne se trouve pas devant un « mur » de dépenses qui obligerait à réviser de manière drastique les conditions de son financement . La Drees confirme ce constat, en évaluant une baisse substantielle du rythme de croissance de la dépense publique relative à la dépendance à partir de 2040.

Croissance annuelle moyenne de la dépense publique
en faveur des personnes dépendantes et des effectifs concernés

Source : Drees

Note de lecture : entre 2035 et 2040, les personnes âgées dépendantes représenteront plus de 40 millions de personnes (soit environ 8 millions de personnes par année) et environ 0,03 % de PIB en dépenses publiques

Malgré ces perspectives de long terme, il n'en demeure pas moins que la différence actuelle des besoins exprimés et des dépenses publiques engagées indique un montant annuel d'environ 7 milliards d'euros restant à la charge des personnes âgées dépendantes . Rapporté à leur nombre approximatif (1,2 million), ce « reste à charge » moyen s'élève à 5 830 euros annuels, soit environ 490 euros mensuels .

Il est important de noter que le reste à charge obtenu désigne le montant restant après le versement de l' ensemble des allocations publiques , comprenant les prestations de compensation et les aides sociales . Par ailleurs, vos rapporteurs se pencheront plus loin sur la distinction nécessaire qu'il convient de faire entre reste à charge à domicile et reste à charge en établissement.

3. Les composantes du reste à charge

L'appréhension générale du reste à charge des personnes âgées dépendantes se doit de très soigneusement distinguer ses composantes, dont les montants relèvent de logiques très différentes .

Il est également fortement variable selon le type d'accompagnement dont bénéficie la personne : à domicile ou en établissement .

• Le reste à charge sur les dépenses de soins est a priori limité : pour une personne prise en charge à domicile ou en établissement, les dépenses de soins sont d'abord couvertes par le forfait global de soins attribué au service d'accompagnement ou à l'établissement et, en cas de dépassement, peuvent faire l'objet d'une couverture par les régimes individuels d'assurance-maladie des résidents, qui peuvent assurer des couvertures-soins plus ou moins étendues. La Drees évaluait ce « reste à charge médical » en 2014 à environ 100 millions d'euros.

• Le reste à charge relatif à la perte d'autonomie se traduit par une participation financière du bénéficiaire au montant d'APA auquel son degré de dépendance lui donne droit :

- dans le cas d'un accompagnement à domicile, ce montant d'APA est appelé « plan d'aide » et la participation prend la forme d'une contribution proportionnelle ;

- dans le cas d'un accueil en établissement, le montant d'APA est collectivement attribué à l'établissement sous la forme d'un forfait global. La participation du bénéficiaire prend alors la forme de ce qu'il est courant d'appeler improprement le « ticket modérateur » de l'APA 6 ( * ) . Ce ticket modérateur correspond au montant d'un tarif dépendance variable selon le GIR, facturé par l'établissement et dont les modalités de calcul seront détaillées ci-après.

Le reste à charge relatif à la perte d'autonomie est évalué par la Drees à presque 3 milliards d'euros .

• La dernière composante du reste à charge rassemble l'ensemble des dépenses, qui ne sont ni de soins ni de dépendance, laissées à la charge de toute personne âgée dépendante dont les ressources sont supérieures au montant de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa) :

- pour les personnes âgées vivant à domicile, l'attribution d'une aide-ménagère sous condition de ressources peut donner lieu à une participation financière du bénéficiaire si le conseil départemental en décide ainsi ;

- mais c'est surtout pour les personnes résidentes d'Ehpad que cette dernière composante est importante : elle englobe toutes les charges liées à leur hébergement en établissement qui ne relèvent ni du soin ni de la perte d'autonomie (hôtellerie, restauration, blanchisserie...) et qui leur sont facturées par le gestionnaire. Ces charges peuvent être intégralement ou partiellement prises en charge par le conseil départemental via le versement de l'aide sociale à l'hébergement (ASH), attribuée si les ressources sont inférieures à l'Aspa. Pour les autres bénéficiaires, le tarif hébergement doit être acquitté sur leurs ressources personnelles.

La Drees estime que la très grande majorité de ce dernier reste à charge est assumée par les résidents d'Ehpad, pour un montant d'environ 4 milliards d'euros .

Composantes du reste à charge

À domicile

En établissement

Total (en milliards d'euros)

Total moyen mensuel (en euros)

Reste à charge soins

Ticket modérateur sur les soins

Ticket modérateur sur les soins, lorsque ceux-ci sont prodigués à l'extérieur

0,1

7

Reste à charge dépendance

Participation financière au plan d'aide APA

Tarif dépendance

3

208

Reste à charge autre

Participation financière à l'attribution d'une aide-ménagère

Tarif hébergement après versement de l'aide sociale à l'hébergement

4

278

Reste à charge total

7

493

Source : commission des affaires sociales


* 2 Sur ces 13 milliards d'euros, 11 milliards sont effectivement financés par des cotisations d'assurance maladie et 2 milliards proviennent de la contribution de solidarité à l'autonomie (CSA) dont il sera question plus loin.

* 3 Aux termes de l'article 199 quindecies du code général des impôts (CGI), les contribuables accueillis en Ehpad bénéficiaires de l'APA « bénéficient d'une réduction d'impôt égale à 25 % du montant des dépenses qu'ils supportent effectivement tant au titre de la dépendance que de l'hébergement [qui] ne peut pas excéder 10 000 euros par personne hébergée ». Par ailleurs, les articles 1391 B bis et 1414 B du CGI prévoient une exonération de taxe d'habitation et de taxe foncière sur l'ancien domicile détenu par les résidents en établissement d'accueil.

* 4 DREES, « Personnes âgées dépendantes : les dépenses de prise en charge pourraient doubler en part de PIB d'ici à 2060 », Études et Résultats , n° 1032, octobre 2017.

* 5 Rapport d'information n° 38 (2018-2019) de M. Julien BARGETON, Mmes Fabienne KELLER et Nadia SOLLOGOUB, fait au nom de la Délégation sénatoriale à la prospective, déposé le 11 octobre 2018.

* 6 L'expression « ticket modérateur » devant être réservée au reste à charge acquitté par l'assuré social, quelle que soit la prestation servie et indépendamment de ses conditions de ressources.

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