NOTES DE DROIT COMPARÉ

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I. SYNTHÈSE DU RAPPORT DE LA COMMISSION IRLANDAISE
SUR LES ABUS D'ENFANTS

1. Contexte et méthode

Le 11 mai 1999, le Gouvernement irlandais a présenté ses excuses aux enfants victimes d'abus et le Premier ministre de l'époque, M. Ahern, a annoncé la création d'une commission d'enquête.

Présidée par une magistrate, Mary Laffoy, la commission avait initialement été établie sur une base non-législative mais administrative, avec un mandat élargi donné par le Gouvernement, qui avait comme objectif premier de constituer une assemblée bienveillante et qualifiée où les victimes pourraient raconter les abus dont elles avaient souffert. Il était demandé à la commission d'identifier et de rendre compte des causes, de la nature et de l'étendue des abus physiques et sexuels, dans le but de faire des recommandations. Cette commission a soumis 2 rapports au Gouvernement, précisant comment son mandat pouvait être mis en oeuvre, et ses recommandations ont été intégrées dans la loi sur la Commission visant à enquêter sur les abus commis sur les enfants de 2000 (Commission to Inquire into Child Abuse Bill, 2000).

La commission découlant de cette loi a été établie le 23 mai 2000 en tant qu'organisme indépendant. Des amendements ont été apportés en 2005. Les fonctions principales de la commission étaient :

- de permettre aux personnes ayant souffert d'abus pendant l'enfance, dans les institutions et pendant la période de référence (voir ci-dessous), de relater les abus ;

- d'enquêter sur les abus, sur la manière dont les enfants ont été placés et les circonstances qui ont fait qu'ils sont restés placés dans les institutions pendant la période de référence, de déterminer les causes, la nature, les circonstances et l'étendue des abus, ainsi que sur le fonctionnement, la gestion, la supervision et l'inspection des institutions dans lesquelles des abus ont été commis.

La commission avait toute latitude pour effectuer son enquête. Elle était organisée en 2 comités distincts et séparés, qui devaient rapporter à la commission de façon séparée :

- un comité confidentiel, chargé de recueillir la parole des personnes victimes d'abus pendant leur enfance et qui ne souhaitaient pas en faire état devant le comité d'enquête, de recevoir les preuves, de faire des propositions générales sur les recommandations à prendre et de préparer et fournir des rapports. Le comité confidentiel a ainsi entendu 1090 témoins.

- et un comité d'enquête, qui pouvait notamment ordonner la présentation des témoins et la production de documents et donner toute instruction qui apparaitrait raisonnable, juste et nécessaire à l'accomplissement de sa mission. Le comité pouvait également exiger la divulgation de documents, de transmettre des questions auxquelles il était obligatoire de répondre et d'exiger des parties qu'elles reconnaissent des faits, des déclarations et des documents. Le rapport du comité d'investigation ne pouvait pas identifier une personne soupçonnée d'avoir commis un abus sauf si cette personne avait été condamnée par un tribunal .

Les institutions sur lesquelles a porté l'enquête étaient définies comme des écoles, des écoles techniques, des maisons de redressement, des orphelinats, des hôpitaux, des foyers pour enfants et tout autre endroit où des enfants étaient pris en charge par d'autres personnes que des membres de leur famille.

La période retenue était initialement 1940-1999, mais la commission, conformément aux pouvoirs dont elle disposait, a finalement retenu 1936 comme année de début de ses investigations.

La présidente de la commission démissionna en septembre 2003 1 ( * ) , pour être remplacée par Sean Ryan, qui commença son mandat en effectuant un état des lieux du fonctionnement de la commission et en proposant des ajustements pour résoudre les problèmes qu'il avait pu relever.

En parallèle, les travaux du comité d'investigation (mais pas ceux du comité confidentiel) ont été suspendus entre septembre 2003 et mars 2004, dans l'attente d'une décision de la Haute Cour suite à une action des Frères chrétiens. Ceux-ci s'interrogeaient sur la constitutionnalité de l'approche retenue, en ce qu'elle visait à émettre des conclusions à l'encontre de frères morts ou âgés ou de personnes qui ne pouvaient correctement se défendre. Leur recours a été rejeté

La commission a repris ses travaux au mois de mai 2004 pour ce qui était de la définition du cadre de son enquête, et en juin 2004 pour ce qui était de l'enquête à proprement parler. 18 congrégations religieuses ainsi que des experts ont été entendus par le comité d'investigation.

2. Résultats 2 ( * )

Le rapport de la commission a été publié le 20 mai 2009. Il comporte 5 volumes et plus de 2500 pages. Il couvre la négligence, les abus physiques, les abus émotionnels et les abus sexuels.

Les volumes I et II couvrent individuellement les écoles techniques et maisons de redressement gérées par les ordres religieux, le volume III est consacré au rapport du comité confidentiel, le volume IV traite du ministère de l'Éducation et de son financement des écoles, ainsi que de questions générales telles que « la société et les écoles ». Le volume V traite du rôle de la Société irlandaise pour la prévention de la cruauté envers les enfants, des ajustements psychologiques des adultes ayant vécu un abus ou encore des dossiers médicaux.

La commission indique que les abus sexuels se sont produits dans un grand nombre d'institutions et qu'ils étaient « particulièrement endémiques dans les institutions pour garçons ». La situation dans les écoles pour filles était différente, bien que celles-ci puissent être soumises à des abus sexuels de prédation de la part des employés masculins et des visiteurs.

La commission précise que la direction des ordres religieux était consciente de cela mais n'a pas agi ou, dans le cas des abus sexuels, a déplacé les auteurs dans d'autres institutions, bien que la propension à la récidive ait été connue.

La commission a jugé que l'attitude pleine de déférence et soumise du ministère de l'éducation envers les congrégations a compromis son devoir réglementaire de mener des inspections et de surveiller les institutions. Le système d'inspections était fondamentalement défectueux et incapable d'être efficace parce qu'il n'était pas soutenu par une autorité réglementaire, il manquait d'indépendance vis-à-vis du ministère, n'incluait pas d'inspections surprises et ne parlait pas avec les enfants.

Selon le rapport, le ministère a échoué à développer des politiques ou à imposer des changements qui auraient amélioré le sort des enfants. Il n'a pas suivi les bonnes pratiques en place dans les autres secteurs.

Le rapport a fait état de milliers d'enfants ayant subi des abus pendant plusieurs décennies dans 216 institutions gérées par des ordres religieux, impliquant plus de 800 prêtres, frères, religieuses et laïques. La commission a entendu plus de 500 témoins ayant déclaré avoir subi des abus sexuels.

Lors de son audition par la commission en 2004, la congrégation des frères chrétiens aurait indiqué avoir découvert dans les archives romaines 30 cas de procès canoniques à l'encontre de frères ayant commis des abus sexuels sur des enfants dont ils avaient la charge en Irlande depuis les années 1930.

3. Recommandations

La commission a publié des recommandations regroupées en deux axes :

1/ soulager ou corriger les effets des abus sur ceux qui les ont subis

- en érigeant un mémorial sur lequel serait inscrit « au nom de l'État et de tous ses citoyens, le Gouvernement souhaite présenter des excuses sincères et tardives aux victimes d'abus durant l'enfance pour notre échec collectif à intervenir, à détecter leur souffrance, à venir à leur secours » ;

- en apprenant les leçons du passé, et en effectuant un travail d'exploration, d'acceptation et de compréhension, de la part de l'État comme des congrégations. L'État doit admettre que ces abus ont pu se produire du fait des défaillances de systèmes et de politiques globales de gestion et d'administration tout autant que du fait des personnels dirigeants liés aux écoles techniques et aux maisons de redressement. Une fois ce pas franchi, une analyse ministérielle interne sera être conduite pour comprendre comment ces défaillances ont pu se produire, afin que cela ne se reproduise plus. Les congrégations également devront se demander comment elles ont pu tolérer des brèches dans leurs règles et comment elles ont répondu aux abus physiques et sexuels quand ceux-ci ont été découverts, ainsi qu'à ceux qui les ont perpétrés ;

- en rendant disponibles pour aider les anciens résidents et leur famille les services de conseil et de psychiatrie, ainsi que les services éducatifs ;

- en laissant en place les services de recherche des origines, qui assistent les particuliers dépourvus de leur identité familiale lors de leur placement. Les anciens résidents doivent se voir reconnaître et accorder un droit d'accès aux documents personnels les concernant et d'information.

2/ empêcher lorsque c'est possible et réduire l'incidence des abus d'enfants dans les institutions, et protéger les enfants de tels abus

- la politique de protection de l'enfance doit être centrée sur l'enfant, ses besoins doivent être prioritaires. Les services doivent être adaptés aux besoins de développement, éducationnels et de santé de l'enfant. Les adultes qui s'occupent des enfants doivent prioriser le bien-être et la protection de ces enfants avant toute loyauté personnelle, professionnelle ou institutionnelle. ;

- la politique nationale de protection de l'enfance doit être clairement articulée et revue sur une base régulière. L'État et les congrégations ont perdu de vue la raison pour laquelle ces institutions étaient établies, à savoir fournir aux enfants un environnement sûr et sécurisant et l'opportunité d'acquérir une éducation et une formation. En l'absence d'une politique articulée et cohérente, les intérêts organisationnels sont devenus prioritaires par rapport à ceux de la protection de l'enfant ;

- une méthode d'évaluation du degré auquel les services remplissent les objectifs de la politique nationale de protection de l'enfance doit être élaborée, afin de s'assurer que les besoins évolutifs des enfants resteront au coeur des services ;

- la fourniture de services de protection de l'enfance doit être revue sur une base régulière, en référence aux meilleures pratiques internationales et aux recherches basées sur des preuves ;

- développer une culture du respect et de la mise en oeuvre des règles et règlements et de l'observation des codes de conduite,  les règles doivent être appliqués, les défaillances doivent être rapportées et les sanctions être mises en oeuvre. Les défaillances qui se sont produites ne sont pas la conséquence d'une absence de règles ou de la difficulté de les comprendre, mais de la mise en oeuvre du cadre réglementaire. Les règles étaient ignorées et traitées comme s'il s'agissait de normes ambitieuses et inatteignables n'ayant pas à s'appliquer dans les circonstances particulières du fonctionnement de l'institution. Non seulement les personnes chargées des enfants ne respectaient pas les règles, mais leurs supérieurs ne les appliquaient pas et n'imposaient pas de sanctions disciplinaires en cas de défaillance. Le ministère de l'éducation ne le faisait pas non plus ;

- il est essentiel de recourir à des inspections indépendantes, en nombre suffisant, dont les inspecteurs écoutent et parlent avec les enfants. Des normes nationales objectives pour ces inspections doivent être déterminées, des inspections surprises doivent pouvoir être organisées. Toute plainte rapportée à un inspecteur doit être enregistrée et suivie, et les inspecteurs ont le pouvoir de s'assurer que toute norme inappropriée est corrigée sans délai ;

- la direction, à tout niveau, doit être responsable de la qualité de service et de la protection, en faisant la meilleure utilisation possible des ressources, en contrôlant le personnel et les bénévoles, en s'assurant que le personnel est bien formé, qu'il correspond à la nature du travail à entreprendre et qu'il est- progressivement formé pour rester à jour, en s'assurant d'une surveillance, d'un soutien et de conseils en continu pour tout le personnel, en révisant régulièrement le système afin d'identifier les zones de problèmes, autant pour le personnel que pour les enfants, en s'assurant de l'adhésion aux règles et règlements, en établissant si les défaillances du système ont causé ou ont contribué à causer des abus et en mettant en place des procédures afin de permettre au personnel et aux tiers de se plaindre ou de soulever des problèmes sans peur des conséquences ;

- les enfants bénéficiant de la protection doivent pouvoir faire part de leurs problèmes sans crainte ;

- les services de protection de l'enfance dépendent de la qualité de la transmission d'information et de la coopération interservices sur les problèmes et les suspicions pour pouvoir agir dans le meilleur intérêt de l'enfant ;

- les enfants bénéficiant de la protection ont besoin de continuité, ils doivent également être associés ainsi que la famille lorsque c'est possible, au développement et à la révision du plan de protection ;

- les enfants ayant été à la charge de l'État doivent avoir accès aux services de soutien, afin qu'ils aient, jeunes adultes, une structure sur laquelle ils puissent compter ;

- les enfants ayant été placés dans les foyers sont bien placés pour identifier les défaillances et déficiences du système et doivent donc être consultés ;

- sauf circonstances exceptionnelles, les enfants ne doivent pas être coupés de leur famille ;

- les dossiers personnels complets des enfants bénéficiant de la protection doivent être conservés, gardés en sécurité et tenus à jour ;

- le guide national « Children first » doit être uniformément et systématiquement appliqué dans l'ensemble de l'État dans le traitement des allégations d'abus.

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE


* 1 Dans sa lettre de démission, elle l'a justifiée par les actions du Gouvernement et du ministère de l'Éducation, qui auraient entravé et ralenti le travail de la commission.
https://www.irishtimes.com/news/justice-mary-laffoy-s-letter-of-resignation-1.373996

* 2 https://www.dcya.gov.ie/documents/publications/implementation_plan_from_ryan_commission_report.pdf

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