IV. LES RECOMMANDATIONS DE LA COMMISSION ROYALE
AUSTRALIENNE SUR LES RÉPONSES INSTITUTIONNELLES
AUX ABUS SEXUELS D'ENFANTS (2017)

Une commission royale de six membres nommés sur proposition du Premier ministre par le Gouverneur général représentant la Couronne britannique a mené entre janvier 2013 et décembre 2017 une enquête sur les réponses institutionnelles aux abus sexuels sur les enfants en Australie. La présente note synthétise les principales recommandations parmi les 189 propositions du rapport final, dont près d'un tiers concernent les institutions religieuses, notamment l'Église catholique très sévèrement critiquée.

Pour connaître l'étendue du phénomène, le gouvernement australien devrait régulièrement conduire et publier une étude de prévalence. Il devrait définir une stratégie nationale de prévention des abus sexuels sur enfants et établir un dispositif de supervision de sa mise en oeuvre sous l'égide d'un Bureau national pour la sécurité des enfants, rattaché aux services du Premier ministre et créé par la loi.

Cette stratégie nationale devrait faire partie de l'actualisation en 2020 du document-cadre existant qui coordonnent les actions de l'État fédéral, des États fédérés et des territoires autonomes. Elle articulerait un faisceau d'initiatives complémentaires :

- des campagnes publiques pour accroître la prise de conscience générale et assurer l'orientation vers les services d'information, de prévention et de soutien aux victimes ;

- des modules éducatifs obligatoires mis en place dans les écoles comme partie intégrante du cursus et destinés à développer la vigilance et les capacités de réaction des enfants, ainsi que d'autres modules à destination des parents pour les sensibiliser et leur permettre de réduire les risques d'abus ;

- des actions spécifiques de prévention aux dangers courus sur Internet, sous l'égide du Commissaire à la sécurité électronique ( eSafety Commissioner ) ;

- une inflexion de la formation des étudiants se destinant à des professions en contact avec les enfants pour les sensibiliser et leur donner des clefs de compréhension qui faciliteront la prévention ;

- des services d'information et de soutien pour les personnes qui craignent d'abuser eux-mêmes sexuellement des enfants ;

- des services d'information et de soutien pour les parents et tout tiers craignant la survenance d'un abus sexuel ou repérant un comportement sexuel dangereux de la part d'un adolescent ( harmful sexual behaviours ).

La Commission royale, en référence à l'article 3 de la Convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant a défini 10 normes pour des enfants en sûreté ( Child Safe Standards ) qu'elle préconise à toutes les institutions concernées de respecter :

1. La sûreté de l'enfant est incorporée à la culture et à la gouvernance de l'institution. Ceci implique qu'il s'agisse d'une responsabilité à tous les échelons, publiquement affirmée. Des stratégies de gestion des risques pour identifier, prévenir et réduire les menaces pour les enfants sont élaborées. Le personnel respecte un code de conduite encadrant clairement les interactions avec les enfants

2. Les enfants participent aux décisions qui les affectent et sont pris au sérieux.

3. Les familles et les communautés sont informées et impliquées.

4. L'équité comme les besoins spéciaux de certaines populations sont respectés. En particulier, les besoins particuliers des Aborigènes et des populations du détroit de Torres, ainsi que ceux des enfants handicapés ou provenant de milieux culturellement et linguistiquement différents sont pris en compte.

5. Les personnes travaillant avec des enfants sont recrutées et supervisées de façon appropriée. Elles sont instruites de leurs responsabilités particulières en matière de protection des enfants et de leurs obligations de signalement.

6. Les procédures de traitement des plaintes pour abus sexuels sont centrées sur l'enfant. Les plaintes sont prises au sérieux, traitées avec rapidité et en profondeur, dans le respect de l'ensemble des obligations légales de signalement, de confidentialité et de droit du travail.

7. Les personnels sont pourvus des connaissances et des aptitudes nécessaires à la protection des enfants grâce à une formation continue tout au long de leur carrière.

8. Les environnements physiques et en ligne de l'institution sont conçus pour réduire les risques d'abus.

9. La mise en oeuvre des présentes normes est constamment évaluée et améliorée.

10. Les documents d'orientation et les règles de procédures manifestent la façon dont l'institution garantit la sûreté des enfants.

Au niveau national, le Bureau pour la sécurité des enfants vérifierait l'application de ces normes, rendues préalablement obligatoires, dans toutes les institutions dépendant du gouvernement fédéral et assurerait l'information du Parlement. Il coordonnerait également l'action de nouvelles agences indépendantes qui devraient être instaurées dans chaque État fédéré ou territoire autonome pour conseiller les institutions recevant des enfants et le grand public, pour collecter, analyser et publier des données sur la protection contre les abus sexuels, pour développer des partenariats avec des associations professionnelles et pour promouvoir et faciliter la formation des personnels des institutions concernées.

En matière d'obligation de signalement, la Commission recommande d'amender les lois fédérales et fédérées pour établir une liste uniforme des professionnels tenus de dénoncer tout fait pouvant constituer un abus dont ils peuvent être informés. Doivent être obligatoirement inclus dans cette liste les personnels accueillant des enfants placés, les éducateurs et professionnels de la protection judiciaire de la jeunesse, toutes les personnes travaillant dans le secteur de la petite enfance, les psychologues et les conseillers d'éducation, ainsi que les ministres du culte. Pour ces derniers, aucune exemption légale au titre du secret de la confession ne devrait être prévue. Les personnes effectuant un signalement de bonne foi doivent être préservées de toute poursuite civile ou pénale.

Les institutions accueillant des enfants quel qu'en soit le type devrait être légalement obligées de mettre en place un dispositif de signalement des conduites douteuses ( reportable conduct schemes ), sur le modèle adopté dans l'État de Nouvelle-Galles-du-Sud. Ainsi devrait être installé un organe de surveillance indépendant au niveau de l'État fédéré, auquel les directions des institutions seraient tenues de rapporter tout signalement d'une conduite douteuse. L'organe de surveillance aurait le pouvoir d'inspecter les institutions, de surveiller le traitement des plaintes, de conduire de sa propre initiative des enquêtes sur toute conduite douteuse dont il a connaissance, d'exempter certains comportements de signalement et de rédiger des rapports publics. Des lignes directrices définiraient les conduites qui doivent être impérativement signalées et rapportées, en s'assurant de couvrir tous les employés, volontaires et contractants. Elles garantiraient la protection des lanceurs d'alerte de bonne foi.

Pour tenir compte du fait que les révélations d'abus et les plaintes par les victimes sont souvent tardives, les institutions dont l'activité est directement reliée à l'accueil d'enfants devraient conserver pendant 45 ans au moins tout document pertinent et toute archive portant sur des allégations d'abus. Plus généralement, les institutions doivent revoir leur politique interne pour créer et conserver des registres précis et complets de données sur tous les aspects de la sûreté et du bien-être de enfants, en particulier tous les incidents, toutes les réponses apportées et toutes les décisions prises en la matière.

Tous les individus dont l'enfance est ainsi documentée doivent disposer d'un plein droit d'accès et de rectification de leurs données personnelles ainsi collectées et conservées.

Les échanges d'informations entre certains opérateurs définis par la loi, dont les services de police et de justice, les agences gouvernementales, les organismes de régulation et de contrôle, devraient également être facilités dans le but de prévenir les abus sexuels d'enfants en contexte institutionnel. Toutefois, le nouveau dispositif légal d'échange d'informations devrait laisser l`opportunité à toute personne visée de répondre aux allégations portées contre lui avant que ne soient prises des mesures dont elle pâtirait.

Une harmonisation des fichiers d'enseignants tenus par les différents États fédérés paraît nécessaire. Devraient y figurer pour tout enseignant ou ancien enseignant tous ses noms et éventuels pseudonymes, les coordonnées de ses employeurs passés et présent, les sanctions disciplinaires prises à son encontre (notamment restriction, suspension ou annulation de son habilitation à enseigner) et leurs motifs, les enquêtes en cours, les résultats des enquêtes passées, les éventuelles démissions ou licenciements. Toutes les informations inscrites au registre des enseignants d'un État doivent être consultable par les autorités d'autres États fédérés et par les établissements scolaires. Plus globalement, la Commission recommande de durcir les procédures de vérification de l'aptitude ( suitability ) des aspirants à la profession d'enseignants.

Pour tenir compte de la complexité des procédures de réparation et de réclamation de dommages et intérêts, la Commission royale a recommandé au gouvernement australien d'établir et de financer un service dédié de conseil juridique aux victimes. Il leur offrirait ses conseils pour accéder aux registres des institutions, pour initier des poursuites civiles ou pénales ou pour bénéficier de dispositifs spécifiques d'indemnisation ou de compensation. Il les orienterait également vers les professionnels susceptibles d'assurer leur présentation devant les tribunaux. Parallèlement, une ligne téléphonique et un site Internet seraient installés pour procurer tout conseil et information pertinent aux victimes.

Les recommandations destinées aux églises et confessions, ainsi qu'aux établissements accueillant des enfants qui dépendent d'elles, sont très nombreuses. On se concentrera sur celles qui concernent toutes les institutions religieuses et sur celles qui regardent l'Église catholique en particulier, en laissant de côté les quelques recommandations destinées aux anglicans, aux témoins de Jéhovah et à la communauté juive.

À titre de règle générale, la Commission royale demande que les organisations religieuses et les institutions qui leur sont affiliées respectent les 10 normes fondamentales qu'elle a établies et mettent en place tous les mécanismes internes nécessaires à leur application effective, à l'instar des établissements sous tutelle publique. Elle insiste sur la nécessité de dispenser spécifiquement aux candidats à un ministère ou une fonction religieuse des formations sur la responsabilité professionnelle et la déontologie, en particulier à l'égard de la protection des enfants, sur les réponses appropriées aux allégations ou aux plaintes d'enfants, sur la psychologie de l'enfance et du développement, sur la nature, les signes et l'impact des abus sexuels. Des dispositifs spécifiques devraient être dédiés également à la sélection, à la formation et à la supervision de personnes venant en Australie depuis l'étranger pour y exercer des fonctions religieuses ou pastorales.

Toutes les religions qui reconnaissent un équivalent du sacrement de la confession devraient s'assurer que la confession d'un enfant ne puisse s'effectuer que dans un lieu ouvert et clairement visible par un autre adulte. En particulier, en l'absence d'un autre adulte que le ministre du culte, la confession ne devrait pas pouvoir avoir lieu.

Les codes de conduite dont doivent se doter les institutions religieuses ne devraient pas faire de différence entre les ministres du culte ou personnes consacrées et les laïcs, afin de limiter les effets néfastes d'un cléricalisme qui, selon la Commission, a renforcé l'impunité des religieux auteurs d'abus. En particulier, les institutions devraient appliquer les mêmes règles et les mêmes procédures pour enquêter sur des plaintes, que le mis en cause soit un religieux ou un laïc.

Les religieux faisant l'objet d'une plainte crédible devraient être suspendus de leurs ministères pendant la durée de l'enquête dès lors qu'ils pourraient entrer en contact avec la victime. Les religieux condamnés doivent être démis de leur ministère définitivement et leur statut religieux révoqué en fonction des rites propres à chaque confession. Chaque Église ou confession devrait mettre sur pied un registre national rassemblant les informations pertinentes pour aider les établissements qui leur sont affiliés à identifier les risques potentiels posés par des ministres du culte et à y répondre adéquatement.

En ce qui concerne plus particulièrement l'Église catholique, la Commission royale a émis des recommandations radicales qui poussent assez loin l'intervention dans son organisation interne :

- les prêtres de paroisse ne devraient plus pouvoir être les employeurs des proviseurs et des enseignants des écoles catholiques ;

- la conférence des évêques d'Australie devrait conduire une revue nationale des structures de gouvernance et de gestion des diocèses et des paroisses, en mettant l'accent sur les enjeux de transparence, de reddition de comptes, de consultation et de participation des laïcs et des femmes. Le bon exemple a été donné par des institutions catholiques elles-mêmes dans le domaine de la santé et des services caritatifs ;

- la nomination des évêques devrait résulter d'un processus transparent impliquant la participation directe des laïcs ;

- la loi canonique, et notamment le code de droit canon de 1983, devrait être amendé pour :

o redéfinir les délits d'abus sexuel sur enfant non plus comme des fautes morales et des manquements aux voeux de célibat ou de chasteté mais comme des crimes canoniques contre l'enfant ;

o supprimer la distinction entre personnes ordonnées et non ordonnées dans l'application des dispositions relatives aux délits d'abus sexuel ;

o réviser la caractérisation du délit d'acquisition, de possession ou de distribution d'images pornographiques pour qu'il renvoie à des mineurs de 18 ans et non de 14 ans comme aujourd'hui 21 ( * ) ;

o lever le secret pontifical pour toute action disciplinaire canonique en matière d'abus sexuel sur enfant ;

o supprimer avec effet rétroactif tout délai de prescription pour l'engagement d'une action canonique pour abus sexuel sur enfant ;

o revoir le test d'imputabilité de telle sorte qu'un diagnostic de pédophilie ne soit pas nécessaire pour la poursuite et la sanction d'abus sexuels ;

o conserver pendant 45 ans les archives des procès canoniques en matière d'abus sexuels sur enfant, au lieu de les détruire à la mort du religieux condamné ou dix ans après la condamnation.

- l'érection d'un tribunal australien pour juger les affaires disciplinaires canoniques devrait être envisagée, en conservant un recours en appel devant la Signature Apostolique ;

- les jugements canoniques devraient être publiés avec leurs motivations, en supprimant les informations qui pourraient conduire à l'identification d'une victime ;

- la fin de l'obligation de célibat pour le clergé séculier devrait être envisagée. Toutes les institutions catholiques d'Australie devraient prendre les mesures appropriées pour prévenir les potentiels dysfonctionnements psychologiques et sexuels associés au voeu de célibat et faciliter des formes alternatives d'engagement dans la vie religieuse ;

- un protocole spécifique devrait être établi par la Conférence des évêques et la fédération des Ordres catholiques pour sélectionner attentivement les candidats avant leur ordination ou leurs voeux pendant toute leur formation notamment au séminaire. Les évêques et les provinciaux devraient s'appuyer sur les conseils professionnels d'experts avant d'admettre des individus en séminaire ou en centre de formation, puis avant d'accepter leur ordination ou la profession de leurs voeux.


* 21 Conformément à l'article 6 § 2 1° du motu proprio Sacramentorum sanctitatis tutela.

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