II. POUR UNE PRÉVENTION RÉSOLUMENT DÉCOMPLEXÉE

• Objectif 1 : Maximiser l'accès aux outils de dépistage

Le contrôle de l'épidémie de VIH suppose, en premier lieu, la réduction significative du nombre de personnes séropositives qui s'ignorent . En la matière, les hésitations des pouvoirs publics ne sont plus permises. La démarche de dépistage reste encore délicate dans notre société en raison du tabou et des stigmates qui entourent toute initiative personnelle en matière de santé sexuelle. Solliciter de son médecin traitant une ordonnance pour un test de dépistage d'IST, se rendre dans un centre gratuit d'information, de dépistage et de diagnostic (CeGIDD) pour une consultation de prophylaxie pré-exposition (PrEP) ou encore acheter un autotest en pharmacie n'a malheureusement encore rien d'évident. Il convient, par conséquent, de ne pas entraver de telles démarches par des contraintes réglementaires et financières mais, bien au contraire, de les encourager, de les faciliter et, à terme, de les « normaliser ».

Votre rapporteure salue ainsi le lancement, à partir du 1 er juillet 2019, d'une première phase d'expérimentation de dépistages gratuits sans ordonnance en laboratoire à Paris et dans le département des Alpes-Maritimes, deux zones où l'incidence de l'infection au VIH reste élevée. Elle regrette, néanmoins, qu'une telle expérimentation ne soit pas déployée en Guyane car elle aurait permis d'y concevoir une procédure spécifique d'accès au dépistage en laboratoire en direction des populations migrantes qui ne disposent pas de numéro de sécurité sociale.

En tout état de cause, votre rapporteure partage pleinement la recommandation n° 8 de l'enquête de la Cour des comptes et estime incontournable la généralisation du dépistage gratuit sans prescription dans les laboratoires de biologie médicale , qui doit ainsi intervenir dès que les résultats des premières expérimentations seront connus. Lors de son audition par votre commission le 3 juillet 2019, M. Denis Morin, président de la 6 e chambre de la Cour des comptes, a confirmé que « dans un schéma financièrement équilibré et sous réserve d'une évaluation au terme de deux ou trois ans, la Cour propose d'ouvrir largement et sans conditions l'accès aux laboratoires pour les sérologies, notamment parce que le réseau des laboratoires couvrent tout le territoire et que, dans certains endroits, il est sans doute plus aisé de trouver un laboratoire qu'un médecin traitant. » Le coût d'une telle mesure, encore difficile à estimer, pourrait avoisiner les 100 millions d'euros.

Dans le même esprit, votre rapporteure considère que cet accès au dépistage gratuit doit être universel en bénéficiant aux assurés disposant d'un numéro de sécurité sociale comme aux personnes ne disposant pas d'identifiant national de santé, et ne saurait faire l'objet d'aucune limitation , qu'il s'agisse de « quotas » de tests par personne par an ou d'un délai minimal entre deux tests consécutifs.

Proposition n° 2 : Généraliser l'accès au dépistage gratuit sans prescription dans les laboratoires de biologie médicale.

L'accès des populations les plus exposées aux autres outils de dépistage doit, en outre, être considérablement facilité. La dispensation d'autotests 7 ( * ) en pharmacies d'officine reste insuffisante alors que cet outil est plébiscité par un nombre croissant de personnes dans d'autres pays européens et aux États-Unis, en particulier par les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH). La Cour relève ainsi, dans son enquête, que seulement 35,5 % des pharmacies disposaient, en décembre 2018, d'autotests à la vente alors qu'elles étaient 47,9 % en décembre 2016. De même, cet outil demeure difficilement accessible aux jeunes, alors que l'accès de cette population aux tests de grossesse ou aux moyens contraceptifs d'urgence, notamment la pilule du lendemain, est possible en pharmacie comme dans les services de santé scolaire ou universitaire.

Votre rapporteure recommande, par conséquent, l'autorisation de la vente libre des autotests en officines , sans entretien préalable avec le pharmacien, et leur mise à disposition à titre gratuit tant dans les centres et associations habilités que dans les services de santé scolaire du second degré et universitaire , sous réserve que ces tests soient accompagnés de notices d'utilisation plus détaillées renseignant l'utilisateur sur la marche à suivre en fonction du résultat et l'orientant vers les structures pertinentes .

Proposition n° 3 : Autoriser la vente libre d'autotests en officines et leur mise à disposition gratuite dans les centres et associations habilités ainsi que dans les services de santé scolaire du second degré et universitaire.

Comme l'autotest, le test rapide d'orientation diagnostique (TROD) permet, de façon simple et rapide, de dépister une infection à la suite d'une exposition datant de plus de trois mois, sous réserve, en cas de résultat positif, de le faire confirmer par une sérologie. Aux termes de l'article L. 6211-3 du code de la santé publique 8 ( * ) , les TROD ne constituent pas des examens de biologie médicale et peuvent donc, à ce titre, être réalisés en dehors des laboratoires de biologie médicale par des catégories de personnes définies par arrêté.

La loi « Santé » du 26 janvier 2016 a étendu la réalisation des TROD VIH aux non-professionnels de santé ayant reçu une formation adaptée et relevant de structures de prévention et associatives et l'a autorisée sur des personnes mineures. Compte tenu de la rédaction en vigueur de l'article L. 6211-3 du code de la santé publique, un arrêté du 1 er août 2016 9 ( * ) réserve la réalisation des TROD aux professionnels de santé et non-professionnels de santé dûment formés à cet effet et exerçant dans un établissement ou service médico-social impliqué dans la prévention sanitaire ou dans une structure associative habilitée.

L'enquête de la Cour des comptes fait néanmoins état d'une utilisation encore marginale des TROD VIH : ils n'ont représenté que 2 % des dépistages pratiqués en 2016 par les structures associatives habilitées, alors même qu'ils présentent « des taux de découverte de séropositivité [...] plus élevés, ce qui démontre leur utilité et justifierait une diffusion plus large auprès des associations. »

Dans ces conditions, votre rapporteure préconise la maximisation des points d'accès aux TROD VIH qui devraient pouvoir être réalisés partout à titre gratuit 10 ( * ) et pris en charge par l'assurance maladie sans avance de frais . La réalisation des TROD VIH pourraient ainsi être autorisée dans toutes les pharmacies d'officine volontaires disposant d'un espace de confidentialité , celles-ci ayant déjà la possibilité de réaliser, sans prescription, des TROD oro-pharyngés pour le diagnostic de l'angine et de la grippe. De même, les TROD VIH pourraient être accessibles dans tous les services de santé scolaire du second degré et universitaire .

D'une façon générale, un effort de formation devra être déployé, en partenariat avec le conseil national de l'ordre des pharmaciens, en direction des pharmaciens afin de faciliter la réalisation des TROD VIH et de garantir une bonne information des personnes et leur orientation vers les structures pertinentes en fonction des résultats du test.

Proposition n° 4 : Autoriser la réalisation de TROD VIH gratuits dans les pharmacies d'officine volontaires disposant d'un espace de confidentialité et dans les services de santé scolaire du second degré et universitaire.

Afin de maximiser l'accès des populations à risque aux outils de prévention dans les territoires où l'incidence de la contamination au VIH est la plus élevée, sans que le coût constitue une barrière, votre rapporteure propose par ailleurs la création d'un « pass santé sexuelle » qui serait attribué gratuitement à tout jeune de moins de 25 ans, aux hommes ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes et aux migrants, y compris ceux bénéficiant de l'aide médicale de l'État ou ne pouvant en bénéficier , et qui leur permettrait d'avoir accès gratuitement dans les services hospitaliers, sociaux et médico-sociaux, dans les structures associatives habilitées, dans les CeGIDD, dans les laboratoires de biologie médicale, dans les officines et dans les services de santé scolaire et universitaire à des préservatifs et à tout outil de dépistage (tests sanguins, autotest et TROD).

Proposition n° 5 : Créer un « pass santé sexuelle » pour les populations les plus exposées aux IST (jeunes de moins de 25 ans, HSH, migrants) leur permettant d'avoir un accès gratuit aux préservatifs et à tout outil de dépistage, en priorité dans les territoires où l'incidence de la contamination au VIH est la plus élevée.

Par ailleurs, et sous réserve de l'avis de la HAS sollicité sur cette question par le Gouvernement mais également de l'avis de la commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) sur les éventuels risques posés en termes de protection des données personnelles, une notification anonyme et gratuite par des structures habilitées des partenaires de personnes ayant découvert leur positivité à la recherche d'une IST pourrait être expérimentée, sur le modèle québécois.

Proposition n° 6 : Expérimenter la notification anonyme et gratuite par des structures habilitées des partenaires de personnes ayant découvert leur positivité à la recherche d'une IST, sous réserve de l'avis de la HAS et de la Cnil.

Enfin, en population générale, il apparaît indispensable de dépasser la recommandation de la Haute Autorité de santé (HAS) préconisant au moins un dépistage au moins une fois dans la vie, du reste vraisemblablement peu suivie et difficilement évaluable.

Dans son enquête, la Cour des comptes préconise l'organisation par les pouvoirs publics, à partir de l'expertise scientifique de la HAS et de l'avis du comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) sur l'acceptabilité sociale et éthique, d'un large débat sur la possibilité de mettre en place un dépistage organisé du VIH et des hépatites en population générale . La Cour rappelle qu'une expérimentation conduite en Guyane auprès de plus des deux tiers des médecins généralistes installés dans ce territoire a montré la bonne acceptabilité par les médecins comme par les patients d'une proposition systématique de dépistage en population générale, via la mise à disposition gratuite de TROD VIH chez ces médecins. Dans ces conditions, la Cour recommande, à travers sa recommandation n° 9, la mise en place d'un dépistage organisé en population générale intégré dans une consultation de prévention ou de santé sexuelle en s'appuyant notamment sur les TROD .

Par conséquent, votre rapporteure plaide pour la mise en place d'une notification périodique, qui prendrait la forme d'un message d'alerte tous les cinq ans, via le dossier médical partagé (DMP) et l'espace numérique de santé (ENS) dont l'ouverture a été rendue automatique pour tous par le Sénat dans le cadre du projet de loi relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé, qui devrait être adopté définitivement très prochainement par le Parlement.

Proposition n° 7 : Instituer une alerte tous les cinq ans via le DMP et l'ENS invitant à procéder à un dépistage d'IST.

• Objectif 2 : Maximiser l'accès aux traitements préventifs

La découverte de la capacité des combinaisons d'antirétroviraux à empêcher la multiplication du VIH et donc à permettre au système immunitaire d'éliminer le virus peu après une exposition, dans le cadre de la prophylaxie pré-exposition (PrEP) ou du traitement post-exposition (TPE), constitue une véritable révolution. Si l'accès à ces traitements préventifs est maximisé et leur observance accompagnée, l'évolution du nombre de nouvelles découvertes de séropositivité pourra être maîtrisée.

Lors de son audition par votre commission, M. Denis Morin, président de la 6 e chambre de la Cour des comptes, a souligné que « les conditions d'accès aux CeGIDD ne sont pas toujours simples, leurs horaires d'ouverture sont souvent restreints, ces centres sont souvent saturés : par conséquent, là encore, il est préférable jouer la redondance des capacités de prescription que le resserrement sur des structures dédiées. » Dans cet esprit, la recommandation n° 7 de l'enquête de la Cour appelle à un renforcement de la diffusion des prophylaxies pré et post-exposition , sous réserve d'une réévaluation des critères d'éligibilité par la HAS, en diversifiant les points d'accès, notamment en assurant la primo-prescription par les médecins de ville.

À l'heure actuelle, la PrEP ne peut toujours pas être prescrite aux mineurs, alors même que certains d'entre eux sont particulièrement vulnérables au risque d'infection par le VIH. Il est temps de lever cette restriction, tout en adaptant le protocole de prescription et de suivi à leur situation particulière. En outre, les consultations destinées à la primo-prescription de la PrEP, effectuées dans les CeGIDD ou d'autres structures habilitées, continuent d'être perçues par les personnes souhaitant se protéger comme stigmatisantes. La prise de la PrEP continue en effet d'être associée dans l'imaginaire collectif à des comportements à risque alors même qu'elle constitue en soi un acte de responsabilité. Votre rapporteure recommande, par conséquent, d' étendre, après avis de la HAS, la primo-prescription de la PrEP à la médecine de ville et à la médecine scolaire du second degré et universitaire .

Les dispositions introduites par le Sénat dans le projet de loi relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé en faveur de la protection de la confidentialité des données de santé sexuelle des jeunes, tant au niveau du DMP et de l'ENS que du dossier pharmaceutique, devraient garantir la non-saisie des données de prise en charge de la PrEP dans les données de remboursement de leurs parents.

Proposition n° 8 : Étendre, après avis de la HAS, la prescription de la PrEP aux mineurs et autoriser sa primo-prescription en médecine de ville et en médecine scolaire du second degré et universitaire.

La télémédecine peut également constituer un moyen de préserver la confidentialité et l'intimité de la personne souhaitant s'engager dans une prise de PrEP, sous réserve qu'elle ait procédé aux tests et prélèvements préalables. À cet égard, l'obligation d'avoir consulté physiquement le médecin prescripteur au moins une fois dans les douze mois précédant la téléconsultation n'apparaît pas pertinente et devrait donc être levée pour toutes les téléconsultations de primo-prescription de la PrEP, et a fortiori pour la délivrance du TPE qui intervient par définition dans une situation d'urgence.

Proposition n° 9 : Développer les téléconsultations sans restrictions au niveau des CeGIDD et des centres et associations habilités pour la prescription de la PrEP et du TPE.

Enfin, compte tenu des inégalités territoriales dans l'accès aux traitements préventifs, votre rapporteure préconise :

- l' extension de la délivrance, à tout le moins, des premières prises du TPE à la médecine de ville et aux officines ;

- l' inscription dans les missions des hôpitaux de proximité d'une responsabilité dans la protection de la santé sexuelle des populations de leur territoire de ressort, en prenant en charge les personnes nécessitant de suivre un traitement préventif, notamment un TPE, ou en les redirigeant vers la structure appropriée ;

- la prise en compte par les projets régionaux de santé des agences régionales de santé (ARS) des objectifs et actions de lutte contre les IST définis par la stratégie nationale de santé sexuelle . Ces projets doivent permettre de coordonner sur les territoires les interventions des différents acteurs de la santé sexuelle et de garantir la cohérence des parcours de soins. Cette proposition rejoint la recommandation n° 5 de l'enquête de la Cour des comptes qui invite à confier aux ARS l'animation territoriale de la lutte contre le VIH et à renforcer les comités de la coordination régionale de la lutte contre l'infection par le VIH (Corevih) dans leur mission d'organisation des parcours.

Proposition n° 10 : Étendre la délivrance des premières prises du TPE à la médecine de ville et aux officines.

Proposition n° 11 : Inscrire dans les missions des hôpitaux de proximité une responsabilité dans la protection de la santé sexuelle des populations de leur territoire de ressort.

Proposition n° 12 : Garantir la prise en compte dans les projets régionaux de santé des objectifs et actions de lutte contre les IST définis par la stratégie nationale de santé sexuelle.


* 7 Dont le coût unitaire varie entre 10 euros et 28 euros.

* 8 En application de l'ordonnance n° 2010-49 du 13 janvier 2010 relative à la biologie médicale.

* 9 Arrêté du 1 er août 2016 fixant les conditions de réalisation des tests rapides d'orientation diagnostique de l'infection par les virus de l'immunodéficience humaine (VIH 1 et 2) et de l'infection par le virus de l'hépatite C (VHC) en milieu médico-social ou associatif.

* 10 En 2014, le coût unitaire de prise en charge par l'assurance maladie du TROD VIH dans les structures de prévention ou associatives était de 25 euros TTC et le coût unitaire d'acquisition de 5 euros TTC pour les associations (Haute Autorité de santé, Place des tests rapides d'orientation diagnostique (TROD) dans la stratégie de dépistage de l'hépatite C , recommandation en santé publique, mai 2014).

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