B. DES SUITES JUDICIAIRES TROP PEU FRÉQUENTES

1. Un faible nombre de plaintes

Le dépôt de plainte est loin d'être systématique : seuls 37 % des participants ont saisi la justice à la suite d'une attaque physique ou verbale . Seuls 7 participants sur 10 ont porté plainte après avoir subi une agression physique.

Avez-vous porté plainte auprès des services de police ou de gendarmerie compétents ?

Source : Commission des lois du Sénat

Le « taux de plainte » 12 ( * ) dans les petites communes est particulièrement faible : seuls 32 % des maires des communes de moins de 499 habitants ont saisi la justice à la suite d'une attaque physique ou verbale.

Taux de plainte par strate de communes

Source : Commission des lois du Sénat

Dans bien des cas, l'absence de plainte traduit une véritable autocensure de la part des participants. Ces derniers évoquent notamment :

- le souci d' apaiser la situation et de ne pas « envenimer les choses » . Certains maires expliquent attendre un acte de récidive avant de porter plainte, en particulier pour des violences verbales ;

- la volonté de privilégier le dialogue et de parvenir à un règlement amiable, le maire conservant une fonction de conciliation vis-à-vis de ses administrés.

De manière plus préoccupante, des participants mentionnent la peur des représailles . Pour le maire d'une commune de moins de 500 habitants, « dès que l'on rappelle les règles, on a 50 % de risques d'être agressé au moins verbalement (stationnements gênants, bruits de voisinage et tapages nocturnes ) ».

Beaucoup de participants évoquent également la crainte de surcharger des services de police ou de gendarmerie , déjà fortement mobilisés : « la brigade de gendarmerie est beaucoup sollicitée et couvre 25 communes. En général, le maire ou un adjoint gère le problème ».

Dans un nombre plus limité de cas, les participants ont été confrontés au refus des services de police ou de gendarmerie d'enregistrer leurs plaintes . Le maire d'une commune de moins de 1 000 habitants écrit ainsi : « un gendarme m'a dit : quand on devient maire il faut s'attendre à se faire insulter et en prendre son parti, c'est les risques du métier ».

Les participants invoquent enfin un manque de temps, la difficulté de prouver les faits et l' inutilité de la démarche , considérant que le dépôt de plainte est trop rarement suivi d'effets sur le plan judiciaire.

Témoignages de maires : pourquoi ne pas avoir porté plainte ?

- « Les personnes ont obtempéré à mes injonctions et j'ai considéré que l'affaire était close . Lorsqu'il s'agit de jeunes, je vais voir les parents auprès desquels j'ai toujours trouvé un soutien » ;

- « J'ai préféré régler les soucis dans un premier temps seule ou avec mon équipe , je porterai plainte si récidive » ;

- « J'ai estimé que comme nous n'en étions qu'au niveau verbal sans menace clairement exprimée, ça ne méritait pas de dépôt de plainte qui pourrait envenimer encore plus la situation » ;

- « Je recherche le plus souvent la conciliation, de peur des représailles (déjà eu des oeufs jetés sur mon portail) » ;

- « Éviter si possible des vengeances futures » ;

- « J'aurais dû le faire à plusieurs reprises, mais après discussion avec le maire, on a préféré faire le dos rond , les procédures de plainte étant souvent trop longues et sans effet rapide pouvant accentuer le danger » ;

- « Inutile car la plainte n'aboutirait pas ! Surcharge de travail des gendarmes et tribunaux » ;

- « Les services de gendarmerie avec lesquels nous entretenons des contacts fréquents ont fort à faire par ailleurs. Les effectifs sont très insuffisants . Et pour quelle suite ... » ;

- « La gendarmerie a refusé mon dépôt de plainte : dépôt sauvage en forêt auquel la personne avait mis le feu. J'avais en main un classeur en partie calciné contenant suffisamment de documents pour identifier le coupable... » ;

- « Trop de temps à consacrer sans espoir réel de suite et difficulté de matérialisation de la faute ».

2. Un très faible nombre de condamnations

Seules 21 % des plaintes déposées par les participants ont abouti à la condamnation pénale des fautifs , 7 % des dossiers étant en attente de jugement.

Dans la plupart des cas, les plaintes :

- sont classées sans suite (16 %) ;

- ou ne font l'objet d'aucune suite pénale (40 %) . Cette dernière hypothèse peut recouvrir des mesures alternatives aux poursuites pénales mises en oeuvre par le procureur de la République, par exemple, un rappel à la loi, l'obligation de suivre un stage de citoyenneté ou de réparer le dommage, ou l'interdiction de paraître pour une durée de six mois 13 ( * ) .

Le reste des participants ne dispose d'aucune information concernant les suites données à leur plainte (16 %) .

Appréciation des élus sur les suites données à leurs plaintes

Source : Commission des lois du Sénat

Même en cas d' agression physique , seules 24 % des plaintes ont donné lieu à une condamnation pénale . 182 affaires n'ont fait l'objet d'aucune suite judiciaire ou ont été classées sans suite.

La consultation fait apparaître une grande disparité des situations entre les départements : sans se prononcer sur le bien-fondé ou non de ces dossiers faute d'éléments, il semble que le traitement des plaintes déposées par les maires varie d'un territoire à l'autre.

Ainsi en Seine-et-Marne, sur 37 plaintes recensées, 25 n'ont reçu aucune suite judicaire ou ont été classées sans suite ( 68 % ), tandis que, dans le département voisin de l'Aisne, sur 34 plaintes recensées, seules 6 d'entre elles n'ont pas eu de débouché judiciaire ( 18 % ).

La carte ci-dessous présente, par département, le nombre de plaintes recensées, ainsi que le taux d'absence de suites judiciaires et de classement sans suite 14 ( * ) .

Suites judiciaires données aux plaintes déposées

(répartition territoriale)

Source : Commission des lois du Sénat

NB : Lorsque peu de plaintes ont été déposées dans le département, le taux d'absence de suite est peu révélateur (par exemple, dans le Cantal, une plainte déposée, 100 % d'absence de suites).

La Nouvelle-Calédonie n'est pas représentée sur cette carte ; l'un des deux participants fait état d'une plainte pour « incivilités » qui n'a pas eu de suite judiciaire.

Dans la majorité des départements (en orange et rouge sur la carte), le risque que la plainte d'un maire ne reçoive aucune suite judiciaire s'élève à plus de 50 %.

De nombreux participants déclarent avoir perdu confiance en la justice , tant en raison des délais de procédure et que du faible nombre de condamnations pénales.

Témoignages de maires : une perte de confiance envers la justice

- « Classement sans suite quasi-automatique de la part de la justice , aucun intérêt de perdre du temps à cela » ;

- « À quoi bon perdre son temps puisque la justice ne punit pas !!! » ;

- « Cela ne sert à rien, classement sans suite , souvent les forces de l'ordre mettent en avant notre fonction d'officier de police judiciaire (que du baratin ) !!!!!! » ;

- « La justice est bien trop longue à réagir et un simple rappel à la loi ne sert à rien ! » ;

- « Inutile car aucune sanction à la sortie . Banalisation du non-respect couvert par la justice » ;

- « Le procureur refuse de prendre en considération les plaintes , cependant avec dossier complet, preuves, témoignages » ;

- « Les courriers envoyés au procureur restent sans suite ( aucune réponse de sa part pour des faits remontant à environ 1 an ) avec relance. Comment encore faire confiance à la justice ? » ;

- « Les personnes mises en garde à vue ont été relaxées par le procureur pour manque de preuve alors que j'ai suivi les personnes sur 12 kilomètres afin que la gendarmerie puissent les interpeller sur la commune voisine. Ma plainte était pourtant avec une notion de menace avec arme sur officier de police judiciaire et les gendarmes témoins des insultes portées à mon attention ».


* 12 Calculé en rapportant le nombre de plaintes déposées au nombre de réponses.

* 13 Articles 41-1, 41-1-2 et 41-2 du code de procédure pénale.

* 14 Cas dans lesquels les maires ont répondu « Oui, des poursuites ont été engagées mais l'affaire a fait l'objet d'un classement sans suite » ou « Non, aucune suite judiciaire n'a été donnée », rapportés au nombre de plaintes signalées.

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