E. UN RETOUR AUX AGRICULTEURS POUR L'INSTANT QUASI INEXISTANT

Côté producteurs, le titre Ier de la loi Egalim prévoit une révision de la mécanique des contrats.

D'une part, l'objectif était de développer le recours à la contractualisation, avec des contrats à l'initiative du producteur. Or force est de constater que le champ de la contractualisation n'a pas à ce stade considérablement évolué.

La contractualisation a été rendue obligatoire, avant l'adoption de la loi, dans plusieurs secteurs et principalement pour le lait de vache et de chèvre et les ovins de moins de 12 mois.

Le Gouvernement a en revanche récemment abrogé le décret rendant obligatoire la contractualisation dans la filière fruits et légumes, l'interprofession estimant que cette obligation n'était pas adaptée à la spécificité du secteur.

En effet, l'article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime imposait, avant la loi Egalim, au premier acheteur de fruits et légumes frais de proposer un contrat au producteur. Ce contrat type était d'une durée minimum obligatoire de 3 ans, durée qui ne correspond pas aux usages et aux spécificités des différents échanges au sein de la filière dans la mesure où de nombreuses transactions se font de gré à gré. Dès lors, peu de contrats étaient matériellement signés, les acheteurs se contentant de proposer un contrat refusé in fine par l'amont.

Pour plus de clarté, l'interprofession a émis le souhait de sortir du dispositif. Toutefois, la filière souhaite encourager la contractualisation en la rendant attractive pour les opérateurs, notamment par son adaptation à leurs modalités de vente. Dans son plan de filière, l'interprofession s'est engagée à contractualiser 30 % des volumes d'ici 2022. Un guide sur les relations contractuelles a été élaboré afin d'aider les opérateurs à rédiger des contrats adaptés.

D'autre part, la loi prévoit que les organisations interprofessionnelles deviennent responsables des indicateurs qu'elles mettent à la disposition des organisations de producteurs afin qu'ils s'y réfèrent dans leur contrat.

Ces indicateurs de référence sont relatifs aux coûts pertinents de production en agriculture et à leur évolution, aux prix des produits et à leur évolution, ainsi que des indicateurs relatifs aux quantités, à la composition, à la qualité, à l'origine et à la traçabilité des produits ou au respect d'un cahier des charges.

Les interprofessions peuvent, « le cas échéant » aux termes de l'article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime, s'appuyer sur l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires. Ce point avait fait l'objet de nombreux débats entre le rapporteur de l'Assemblée nationale et le Sénat, notamment au regard de l'opportunité de recourir à l'aide d'une instance indépendante reconnue pour son professionnalisme et sa connaissance du secteur et qui pourrait, en cas de blocage au sein des interprofessions, faire émerger des indicateurs incontestables.

En pratique, certaines interprofessions rencontrent les plus grandes difficultés à se mettre d'accord sur des indicateurs de coûts de production , bloquant ainsi l'ensemble du système permettant de contractualiser en s'appuyant sur des indicateurs.

C'est le cas des filières viandes dont certaines ont trouvé un accord sur la « méthodologie de calcul des indicateurs de prix de revient » pour certains produits, et non un accord formel sur un indicateur. En outre, les indicateurs ayant fait l'objet d'un accord sont, à ce stade, notifiés à la Commission européenne.

Une intervention de l'Observatoire de la formation des prix et des marges aurait pu, sans doute, débloquer le système.

Il convient de noter que la rédaction de l'ordonnance accorde une place particulière aux indicateurs produits par l'Observatoire, en prévoyant que le juge, pour caractériser un prix de cession abusivement bas, tient compte, « le cas échéant », des indicateurs disponibles « dont ceux établis par l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires » (article 1 er de l'ordonnance n° 2019-358 du 24 avril 2019 relative à l'action en responsabilité pour prix abusivement bas).

Cette mesure, qui donne en partie raison à la position défendue au Sénat lors de la loi Egalim, est une avancée qu'il faut saluer.

Rappelons enfin que la prise en compte des indicateurs de coût revient n'assure pas une couverture de ces derniers. Des accords-cadres dans le domaine du lait calculent, par exemple, entre 20 % et 30 % du prix du lait en référence à un indicateur de coût de production, lui-même largement inférieur à celui fixé au niveau interprofessionnel.

Enfin, l'article 96 de la loi Egalim prévoit que, dans les secteurs où la contractualisation est obligatoire, que :

- les accords-cadres conclus avant février 2019 soient mis en conformité avec le nouveau cadre contractuel avant mars 2019 ;

- les contrats conclus avant février 2019 soient mis en conformité avec le nouveau cadre contractuel avant avril 2019 ;

- les autres contrats soient mis en conformité avant novembre 2020.

Toutefois, à ce stade, très peu de contrats et accords-cadres ont été renouvelés pour se mettre en conformité avec le code rural et de la pêche maritime . Certains contrats prévoyaient déjà une prise en compte d'indicateurs de coûts de production et pourraient être considérés comme compatibles avec l'esprit de la loi. Toutefois, force est de constater que des accords-cadres n'ont toujours pas été signés avec certains industriels, malgré les propositions d'organisations de producteurs.

Les sanctions pour des industriels continuant de collecter le lait sans se conformer à la loi sont potentiellement lourdes mais elles ne paraissent pas, en l'espèce, suffisamment dissuasives pour inciter les industries à contracter.

Dès lors, le groupe de suivi appelle les autorités de contrôle compétentes à vérifier dans les plus brefs délais le respect de l'article 96 de la loi Egalim. .

Au-delà de ces aspects purement juridiques, le sentiment global recueilli par le groupe de suivi lors de ses auditions et lors de ses échanges plus informels avec les filières est que la revalorisation du revenu agricole promise n'est pas au rendez-vous.

C'est d'ailleurs en ces termes que le ministre de l'agriculture et de l'alimentation s'est exprimé lors du compte rendu du conseil des ministres le lundi 20 octobre : « aujourd'hui, il y a un maillon de la chaîne où le compte n'y est pas : c'est l'amont c'est-à-dire là celui qui concerne les agriculteurs. »

Aucun indicateur chiffré ne permet, à ce stade, de matérialiser ce sentiment. Il faudra attendre la publication du rapport de l'Observatoire des prix et des marges de l'année 2020 pour se faire une première idée précise de la situation.

Deux éléments peuvent d'ores et déjà être versés au débat afin d'apprécier « l'effet Egalim » à l'avenir.

D'une part, les cours des produits agricoles sur les marchés internationaux doivent être pris en compte et ont des effets indépendants de la mécanique proposée par la loi Egalim. Or, comme le rappelle l'Observatoire de la formation des prix et des marges dans son dernier rapport, ils sont en moyenne et pris globalement à la hausse depuis la fin du troisième trimestre 2018.

D'autre part, les coûts de production de leur côté connaissent une croissance continue.

Source : Observatoire de la formation des prix et des marges, rapport annuel 2019

Ainsi, il est nécessaire de garder à l'esprit qu'il sera difficile d'isoler un effet « Egalim » sur le revenu des agriculteurs, tout d'abord car les acteurs n'ont pas de prise sur les prix de marché et surtout car il importe de tenir compte de la hausse des coûts de production qui a, le plus souvent, été la condition à la revalorisation des prix dans les contrats.

Plusieurs acteurs ont fait état, notamment dans la filière laitière, d'un changement des cahiers des charges pour mettre en place des démarches visant à augmenter la durée du pâturage ou la mise en place de « lait d'animaux nourris sans OGM », qui se traduiront mécaniquement par une hausse des coûts pour les producteurs. Ces coûts supplémentaires dus à la modification des cahiers des charges devront donc être pris en compte afin de bien isoler l'effet sur le revenu de la loi Egalim.

En tout état de cause, il y a là le piège de la montée en gamme : imposer une hausse des charges aux producteurs supérieure à la hausse hypothétique de revenu accordée à la suite de la loi.

Cet effet devra être mesuré avec précision pour évaluer avec objectivité les effets de la loi sur le revenu agricole, si hausse il devait y avoir.

Pour quelques produits, la loi a d'ailleurs conduit, paradoxalement, à une baisse automatique des revenus. C'est le cas sur certains produits phares soumis à des prix psychologiques du consommateur comme la fraise.

Certains producteurs de fraise gariguette ont par exemple alerté le groupe de suivi de la loi Egalim que la revalorisation du SRP pouvait les pénaliser.

Chaque année, certains distributeurs utilisent ces fraises pour en faire un produit d'appel quand l'été approche. Ils les vendent alors au niveau du seuil de revente à perte, à savoir en moyenne à 1,99 euro la barquette.

Avec la revalorisation du seuil de revente à perte de 10 %, le distributeur aurait donc dû vendre cette même barquette 10 % plus chère, à savoir, pour poursuivre l'exemple, 2,19 euros cette année. Or le distributeur a souhaité maintenir son prix de vente au consommateur à 1,99 euro la barquette, comme l'année précédente, considérant que le prix psychologique déclenchant l'achat du consommateur en cette période était, en pratique, inférieur à 2 euros.

Le distributeur a donc décidé de maintenir ce prix de vente au consommateur qui intègre une revalorisation obligatoire de 10 %, conformément à la loi, en durcissant les négociations avec son fournisseur. En résumé : la hausse du SRP de 10 % s'est traduite, dans ce cas très précis, par une baisse de 10 % du prix d'achat aux producteurs.

Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD), a reconnu que pour ces produits, l'application de la loi n'était pas optimale : « c'est l'un des cas où le SRP pose des difficultés techniques. Les fraises sont un produit météosensible, soumis à une compétition forte avec d'autres pays européens. »

Des problématiques identiques auraient été rencontrées sur certains melons.

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