II. LE TITRE IER DE LA LOI EGALIM A DAVANTAGE BOULEVERSÉ LES LINÉAIRES DES GRANDES SURFACES, AU DÉTRIMENT DES PRODUITS DES PME

Le relèvement du seuil de revente à perte de 10 % a mécaniquement eu un effet inflationniste sur les produits alimentaires en grande surface.

Pour mesurer l'efficacité du ruissellement, il convient de s'interroger sur la destination de ce surcoût consenti par les consommateurs.

Selon Stéphane de Prunelé, secrétaire général du Mouvement E. Leclerc, « le ruissellement de notre marge supplémentaire est ainsi réparti : 70 % de celle-ci ont été redistribués aux industriels et transformateurs de l'agroalimentaire sous forme d'inflation ; 20 % aux consommateurs sous forme de baisse des prix des MDD non alimentaires, sans renégociation avec les fabricants ; 10 % à l'État via la TVA . »

Puisque, quantitativement, les agriculteurs n'ont pas ressenti l'effet sur leurs revenus, à ce stade, seuls quelques acteurs semblent considérer que la loi Egalim leur a été profitable. L'État semble même être le grand gagnant compte tenu des recettes supplémentaires de TVA.

S'arrêter à une analyse purement macroéconomique serait une erreur. Car si l'effet n'a pas été quantitatif à ce stade, il a surtout été qualitatif en provoquant un changement du linéaire en grandes surfaces induit par une évolution des stratégies des distributeurs.

A. LA HAUSSE DU SRP REVALORISE EN RAYON LES PRODUITS DES GRANDES MARQUES

Si l'effet du relèvement du seuil de revente à perte de 10 % touche avant tout les prix des produits de grandes marques, il a également des effets directs sur la valorisation de ces produits en rayons.

Depuis 2018, la part de marché des grands groupes dans les ventes de produits de grande consommation (PGC) en grandes surfaces a augmenté de 0,8 point 18 ( * ) .

Dans la mesure où le distributeur peut réaliser davantage de marges grâce à ces produits de grands groupes, il a tendance à les remettre en valeur dans ses linéaires, d'autant que, pour ces produits, compte tenu de leur image de marque, la hausse de prix ne se traduit pas, le plus souvent, par un recul des volumes vendus de ces produits équivalent.

B. DES MDD POUR SE DIFFÉRENCIER : VERS UN DÉPLACEMENT DE LA GUERRE DES PRIX SUR LES PRODUITS DES MARQUES DE DISTRIBUTEURS ?

Aux côtés de ces produits de grandes marques, les produits sous marques de distributeurs (MDD) sont revalorisés également en rayon depuis l'adoption de la loi Egalim.

Encore faut-il distinguer les produits MDD « premiers prix » des autres produits MDD car les produits MDD « premiers prix » sont, dans les faits, les produits les plus inflationnistes avec ceux des grandes marques, compte tenu de la revalorisation du SRP.

Avec la fin, cette année, de la déflation sur les produits des grandes marques, la différence de prix s'accroît entre les produits sous MDD et les produits des grands groupes. Retrouvant une forte compétitivité par rapport à leurs concurrents, les produits sous MDD gagnent, pour la première fois depuis 2012, des parts de marché après 7 années de baisse selon l'institut Nielsen . Pour la première fois depuis 2012, les MDD sont même plus dynamiques que les marques nationales.

Cette évolution se retrouve surtout dans les chiffres du nombre de référencements . Selon Nielsen, l'offre des grands groupes et surtout des produits MDD en rayon est en nette progression depuis le premier semestre 2019.

Source : Nielsen Scantrack P6 2019, transmis par la FEEF

Cette revalorisation des produits MDD aux yeux des consommateurs peut, durablement, modifier les stratégies des distributeurs qui vont rechercher à accroître leur différenciation non plus sur des produits de grandes marques par une baisse de prix ou des promotions mais en jouant sur la profondeur de gamme des produits MDD. Comme le précise Dominique Amirault, président de la FEEF devant la commission des affaires économiques le 5 juin 2019 : « pour les enseignes, il existe deux manières de se différencier : les marques PME et les MDD, fabriquées à 80 % par des PME. »

Cette différenciation pourrait aboutir à ce que la guerre des prix à l'achat se déplace sur ces produits.

C'est la crainte exprimée par M. Richard Panquiault, directeur de l'ILEC : « j'avais cru comprendre que le SRP majoré devait permettre de dégager une marge dont les distributeurs pouvaient faire un usage vertueux. Aujourd'hui, on a l'impression que cette mesure a été imposée et que la grande distribution essaye d'en aménager les effets en baissant les prix des MDD, de telle sorte qu'au final tout s'équilibre et que la manne supplémentaire, chiffrée à environ 600 millions d'euros, est réduite à néant. »

Ce mouvement a déjà eu lieu dès 2019. Il est assumé par certains distributeurs, comme le confirme Claude Genetay, directeur général d'Intermarché alimentaire international : « en janvier dernier, il nous a semblé que le cumul de la hausse du SRP, l'encadrement des promotions et les hausses de prix liées à l'acceptation des tarifs de tous les produits à forte composante agricole finissaient par faire beaucoup ! Nous avons donc voulu nous engager dans une baisse des prix des MDD pour les consommateurs à chaque fois que c'était possible. »

Dès janvier 2019, les principaux distributeurs ont eu recours à des pratiques dilatoires visant à diminuer les prix des MDD.

D'une part, certains d'entre eux ont annoncé des baisses de prix sur près de 5 000 références MDD en 2019.

D'autre part, des remises sont attribuées sur les cartes de fidélité pour les produits de grandes marques et des produits MDD, le plus souvent d'ailleurs avec un montant de « 10 % », ce qui rappelle étrangement le niveau de revalorisation du SRP.

Tout l'enjeu est de savoir si ces baisses de prix constatées en magasins sur de nombreuses références se retrouveront, dans les contrats passés avec les fournisseurs, par une baisse du prix d'achat. Si ces baisses de prix cette année ont pu être réalisées en partie sur les marges des distributeurs, il n'est pas certain que ce mouvement se pérennise.

Un facteur d'inquiétude, relayé à de nombreuses reprises lors des auditions du groupe de suivi, a porté sur le retard pris dans la négociation des contrats MDD concernés pour l'année 2019 . Certaines entreprises produisant des produits MDD pour la grande distribution n'ont pas encore conclu de contrat avec leur fournisseur pour... l'année 2019 ! Compte tenu d'un encadrement législatif moins contraignant sur les contrats MDD, il n'est à pas douter que ce retard pris dans les négociations constitue un moyen de pression fort qui pèsera sur le prix d'achat final.


* 18 Nielsen Scan Track, août 2019

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