Rapport d'information n° 535 (2019-2020) de Mme Anne-Catherine LOISIER et M. Marc DAUNIS , fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 17 juin 2020

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N° 535

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020

Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 juin 2020

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur le plan de relance de la commission des affaires économiques ,

Tome VII : Numérique, télécoms et postes

« Faire du numérique une priorité de la relance »

Par Mme Anne-Catherine LOISIER et M. Marc DAUNIS,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas, présidente ; Mme Élisabeth Lamure, MM. Daniel Gremillet, Alain Chatillon, Franck Montaugé, Mmes Anne-Catherine Loisier, Noëlle Rauscent, Cécile Cukierman, M. Jean-Pierre Decool, vice-présidents ; MM. François Calvet, Daniel Laurent, Mmes Catherine Procaccia, Viviane Artigalas, Valérie Létard, secrétaires ; M. Serge Babary, Mme Anne-Marie Bertrand, MM. Yves Bouloux, Bernard Buis, Henri Cabanel, Mmes Anne Chain-Larché, Marie-Christine Chauvin, Catherine Conconne, Agnès Constant, MM. Roland Courteau, Pierre Cuypers, Marc Daunis, Daniel Dubois, Laurent Duplomb, Alain Duran, Mmes Dominique Estrosi Sassone, Françoise Férat, M. Fabien Gay, Mme Annie Guillemot, MM. Jean-Marie Janssens, Joël Labbé, Mme Marie-Noëlle Lienemann, MM. Pierre Louault, Michel Magras, Jean-François Mayet, Franck Menonville, Jean-Pierre Moga, Mmes Patricia Morhet-Richaud, Sylviane Noël, Guylène Pantel, MM. Jackie Pierre, Michel Raison, Mmes Évelyne Renaud-Garabedian, Denise Saint-Pé, Patricia Schillinger, M. Jean-Claude Tissot.

L'ESSENTIEL

La tragique crise sanitaire que nous traversons agit comme un puissant révélateur de l'omniprésence du numérique dans nos vies et de l'impérieuse nécessité, pour les pouvoirs publics, d'être à la hauteur des enjeux.

Nous avons ainsi : assisté à l'explosion des usages et des besoins numériques, qui demeureront après la crise ; constaté l'insoutenabilité d'une fracture muée en gouffre numérique ; et regretté, une fois de plus, notre incapacité à faire émerger des champions du numérique, conduisant à une perte de souveraineté alors que les Français se sont rués en masse vers des solutions américaines. Les constats et recommandations effectués par la commission d'enquête sénatoriale sur la souveraineté numérique en ressortent renforcés.

Le plan de relance de notre économie devra établir des priorités. Le numérique, vecteur désormais incontournable de liens sociaux et d'activité économique, doit en faire partie. C'est pourquoi nous formulons des recommandations visant à faire du numérique une opportunité de transformation de notre économie à l'occasion de la reprise.

Au-delà de mesures favorisant la transition numérique complète de notre pays (axes 1, 2 et 3), les chantiers en cours sur une meilleure régulation du numérique, en faveur d'une concurrence plus équitable, doivent être poursuivis (axe 4).

I. AXE N°1 - RÉSEAUX : ACCÉLÉRER LA COUVERTURE NUMÉRIQUE DU TERRITOIRE

A. SI LES RÉSEAUX ONT GLOBALEMENT TENU DURANT LA CRISE, UN PLAN DE RÉSILIENCE DEVRAIT ÊTRE ÉLABORÉ

Le premier jour de confinement a été l'équivalent d'un 31 décembre, ce qui a entraîné une certaine saturation sur les réseaux mobiles (difficultés d'interconnexion). Depuis, il n'y a plus eu d'incident majeur imputable aux réseaux. Des mesures d'accompagnement, adoptées en urgence, ont pu concourir à ce résultat.

Mesures adoptées pour s'assurer de la résilience des réseaux durant la crise

D'abord, le Gouvernement et les opérateurs ont fait un effort de pédagogie envers la population, notamment en incitant à recourir au Wi-Fi plutôt qu'au réseau mobile pour visionner des contenus vidéos. Le Gouvernement a également, en lien avec l'Arcep, demandé aux opérateurs de lui fournir des données permettant un suivi quotidien des capacités des réseaux et des risques de saturation.

Ensuite, le Gouvernement et la Commission européenne ont demandé aux plateformes dites « OTT » (pour « over the top », comme Youtube, Facebook, Netflix, Amazon Prime...) et prenant une grande partie de la « bande passante » des réseaux de limiter la qualité des vidéos 1 ( * ) . Et le lancement de Disney + a été retardé de deux semaines sur demande du Gouvernement. Il est difficile de savoir si ces mesures ont vraiment été utiles. Néanmoins, certains incidents ponctuels ont pu être reportés, comme lors de mises à jour de certains jeux vidéo en ligne très utilisés.

Enfin, une ordonnance a établi quatre dispositifs dérogatoires pour des opérations strictement nécessaires à la continuité du fonctionnement des services et des réseaux de communications électroniques. Ces mesures ne sont applicables que pendant la durée de l'état d'urgence sanitaire.

Si le résultat obtenu apparaît satisfaisant, ces développements nous amènent à formuler deux recommandations pour l'avenir :

Mesure n° 1 : élaborer un plan de résilience des réseaux de communications électroniques en cas de circonstances exceptionnelles amenant à une explosion des usages.

Mesure n° 2 : en lien avec l'élaboration de ce plan, étudier la pertinence d'un cadre réglementaire contraignant les plateformes dites « OTT » à limiter la « bande passante » en cas d'absolue nécessité. Si les acteurs ont été conciliants en l'espèce, cela ne saurait constituer une garantie suffisante à l'avenir.

B. LA FRACTURE NUMÉRIQUE TERRITORIALE NE PEUT PLUS DURER

Les inégalités de couverture ont constitué une double peine inacceptable pour les entreprises et nos concitoyens. Durant le confinement, ces disparités de couverture se sont traduites, très concrètement, par des enfants qui ne peuvent pas suivre leurs cours en ligne, des salariés qui ne peuvent pas télétravailler, des commerces qui ne peuvent pas développer des offres en ligne... À la faveur de la crise, la fracture s'est transformée en gouffre numérique ! Cette situation ne peut plus durer.

Les chiffres clés

• Fin 2019, 37 % des locaux n'étaient toujours pas couverts en très haut débit fixe. Mais ce chiffre monte à 60 % en zone rurale.

• Plus de 50 % des locaux n'étaient pas couverts en fibre jusqu'à l'abonné. Ce chiffre monte à 80 % en zone rurale.

• En 2018, la France était le dernier pays de l'UE en couverture en très haut débit fixe.

• Des milliers de zones restent à couvrir en très haut débit mobile.

1. À court terme, il importe d'abord de soutenir une filière en danger

Avant le confinement, la filière du déploiement de la fibre avait atteint des records de déploiements, à 4,8 millions de prises par an en 2019. Mais, mi-avril, Infranum évoquait des risques de retards importants sur le plan France très haut débit et une baisse de 70 % de l'activité de production, faisant état du risque d'écroulement de la filière du plus grand chantier de France. Depuis le déconfinement, l'activité de production aurait repris à hauteur de 50 % de mobilisation des effectifs. Mais, compte tenu des mesures sanitaires à respecter, la productivité est moindre et le coût des déploiements a augmenté. Plusieurs mesures ont été mises en place en soutien à la filière.

Mesures adoptées pour maintenir un minimum d'activité de production

Une plateforme de remontée des difficultés, dont nous avions appelé de nos voeux la création rapide , a été mise en place par l'Agence nationale de la cohésion des territoires. Elle est particulièrement utile pour objectiver les blocages administratifs que peuvent rencontrer les opérateurs sur le terrain, collectivités et opérateurs n'ayant pas toujours le même diagnostic à ce sujet 2 ( * ) .

Un guide de bonnes pratiques sanitaires a été publié (mais pas toujours parfaitement respecté sur le terrain) et, dans un premier temps, cela n'a pas pallié le manque de masques et de gels hydro alcooliques.

L'ordonnance relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période a été ajustée et complétée par un décret (délais de recours non plus prorogés mais suspendus ; délais d'instruction des autorisations d'urbanisme également suspendus et suppression du « mois tampon ») afin de faciliter la reprise des travaux, alors que sa première rédaction avait pour effet de retarder tous les projets de construction de trois mois après la période d'urgence sanitaire.

L'ordonnance citée dans le précédent encadré, qui prévoit notamment un renversement du principe selon lequel le silence vaut rejet au bout de deux mois pour les permissions de voirie, n'a cependant pas été étendue aux opérations de déploiement, le Conseil d'État ayant rejeté cette proposition 3 ( * ) . Considérant que tout ajustement normatif devait assurer un équilibre entre préservation du domaine public et nécessité de soutenir la filière, nous avions appelé le Gouvernement à consulter les associations d'élus locaux et à objectiver la situation sur le terrain avant de prendre une mesure particulièrement dérogatoire par ordonnance.

Par ailleurs, les collectivités ont été autorisées par ordonnance à augmenter les avances versées à leurs co contractants jusqu'à 60 % du montant du marché. Enfin, une ordonnance a autorisé que les assemblées générales de copropriété se tiennent à distance, ce qui a permis de lever les blocages aux raccordements d'immeubles.

Mesure n° 3 : pour aller plus loin, une avance de trésorerie des crédits disponibles du fonds pour la société numérique (FSN) devrait être envisagée à titre exceptionnel là où cela pourrait venir en soutien à des entreprises en difficulté. Les industriels estimeraient le besoin de trésorerie à 200 millions d'euros. Une telle disposition devrait, le cas échéant, s'accompagner d'une instruction aux comptables publics locaux afin d'éviter des blocages dans sa mise en oeuvre administrative.

Par ailleurs, la question se pose de savoir comment devront être traités les éventuels retards dans les déploiements dus à la crise. Les échéances contraignantes pour les opérateurs à venir cette année sont nombreuses, tant sur le mobile (échéance du premier arrêté du dispositif de couverture ciblée concernant 485 sites le 27 juin , fin de l'année 2020 pour le deuxième arrêté concernant 185 sites supplémentaires , pour le passage en 4G des réseaux existants et pour la couverture de 75 % des sites du programme « zones blanches centres bourgs ») que sur le fixe (92 % de locaux raccordables à fin 2020, le complément devant être « raccordable à la demande »).

Mesure n° 4 : il reviendra au régulateur de traiter ces retards au cas par cas , en faisant preuve d'indulgence lorsque cela apparaît justifié mais aussi de fermeté lorsqu'un tel retard n'apparaît pas justifié par les circonstances exceptionnelles de la crise. S'agissant des 8 % raccordables à la demande en zone dite « Amii » fin 2020, il conviendra de s'assurer de la commercialisation effective de l'offre par au moins un opérateur de détail. Le délai de raccordement à la demande, de six mois actuellement, pourrait également être reconsidéré.

2. La nécessité de fixer un calendrier clair à 2025 accompagné d'une trajectoire financière

L'exigence d'une couverture numérique du territoire exhaustive apparaît aujourd'hui comme une évidence. Des objectifs ont été fixés au niveau national, mais ceux-ci apparaissent insuffisants.

Rappel des objectifs poursuivis en matière de couverture numérique du territoire

Sur le fixe, 2020 était censée être l'année durant laquelle 100 % des locaux seraient couverts en « bon haut débit » (8 Mbit/s). Cet objectif, qui ne fait actuellement l'objet d'aucun suivi statistique agrégé officiel, sera tenu grâce au satellite. Il conviendra cependant de s'assurer que le taux effectif d'abonnement au bon haut débit sera significatif. Cela passe par une simplification du guichet « cohésion numérique » , qui n'a jusqu'ici pas rencontré le succès escompté.

En 2022, la France devra atteindre l'objectif de 100 % de locaux en très haut débit (30 Mbit/s). Mais aucun objectif clair n'a, jusqu'ici, été fixé postérieurement à 2022.

Sur le mobile, au-delà des échéances de 2020, les objectifs du New Deal , notamment celui de couverture de 5 000 nouvelles zones par opérateur, devront être suivis avec attention. De nouveaux engagements seront également pris dans le cadre de l'attribution des fréquences pour la 5G.

Mesure n° 5 : fixer - enfin ! - des objectifs ambitieux d'ici à 2025 dans le cadre d'une loi de programmation des infrastructures numériques , qui déterminerait également une trajectoire financière indicative des concours de l'État.

- Sur le fixe , la Commission européenne a fixé pour objectif d'atteindre la société du gigabit en 2025 (100 % des locaux couverts par un débit de 100 Mbit/s, convertible en gigabit). Cet objectif devrait être poursuivi par la France et notre pays devrait s'en donner les moyens. Le Sénat avait plaidé ( amendement 1 , amendement 2 ), lors de l'élaboration de la loi de finances pour 2020, pour une dotation budgétaire à la hauteur des besoins de financement des réseaux d'initiative publique, estimés à 322 millions d'euros en plus des 140 millions d'euros issus du recyclage de crédits déjà ouverts mais non utilisés. Les associations de collectivités locales estiment les besoins globaux à un minimum de 680 millions d'euros . La mobilisation de ces moyens pourrait également s'accompagner d'une refonte du cahier des charges du plan France très haut débit, particulièrement restrictif. Par ailleurs, après la mise en redressement judiciaire de Kosc, il devient plus que jamais nécessaire, comme l'ont souligné la délégation aux entreprises et le groupe numérique du Sénat , de faire du développement du marché à destination des entreprises une priorité nationale.

- Sur le mobile, ce serait l'occasion que le Parlement, qui n'a pas été associé à l'élaboration du New Deal mobile de janvier 2018, reprenne la main, tant sur le volet 4G que sur les déploiements à venir de la 5G. Une réflexion devrait, dans ce cadre, être menée sur un recours accru à la mutualisation des infrastructures mobiles, là où cela apparaîtrait pertinent d'un point de vue technique, économique et environnemental.

- Cette loi pourrait également être l'occasion de fixer des objectifs en matière de transition énergétique à l'ensemble du secteur , alors que la Commission européenne fixe l'objectif de neutralité carbone des télécommunications et centres de données en 2030 4 ( * ) . S'agissant de ces derniers, dont l'implantation en France est indispensable pour que nos données soient hébergées sur notre sol et, au moins en partie, soumises à notre droit, une réflexion sur la fiscalité qui leur est applicable devrait être engagée, afin d'accroître l'incitation à leur implantation en France tout en favorisant les démarches d'efficacité énergétique. Cela pourrait se traduire par une extension du champ d'application du taux réduit de taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité actuellement en vigueur au-delà des seuls grands centres de données, extension qui serait assortie d'une incitation en matière d'efficacité énergétique 5 ( * ) .

- Pour mettre en oeuvre cette loi de programmation , le pilotage des déploiements mobiles et fixes pourrait être davantage harmonisé. Une telle loi de programmation pourrait être intégrée à une loi d'orientation et de suivi de la souveraineté numérique proposée par la commission d'enquête sénatoriale sur ce thème.

- Par ailleurs, même si la France bénéficie déjà de prix très bas , la transposition du code européen des communications électroniques sera également l'occasion de s'assurer que le prix des prestations de communications électroniques relevant du service universel ne soit pas un frein à l'abonnement des particuliers : cette directive prévoit que, s'il est établi que les prix de détail ne sont pas abordables pour les consommateurs à faibles revenus ou à besoins sociaux particuliers, l'État membre doit prendre des mesures pour y remédier. La transposition de ce code, prévue initialement par voie d'ordonnance dans le projet de loi sur l'audiovisuel , devrait faire l'objet d'un véritable examen parlementaire.

II. AXE N°2 - USAGES : L'IMPÉRIEUSE NÉCESSITÉ D'ACCOMPAGNER MASSIVEMENT NOS ENTREPRISES ET NOS CONCITOYENS DANS LA TRANSITION NUMÉRIQUE

A. RAPPROCHER DU NUMÉRIQUE LES 13 MILLIONS DE CONCITOYENS QUI EN SONT AUJOURD'HUI ÉLOIGNÉS

Les chiffres clés

• 13 millions de Français éloignés du numérique

• 12% ne possèdent pas d'équipement numérique

• Un gain potentiel de 1,6 milliard d'euros sur 10 ans

En 2018, France Stratégie estimait qu'« un plan d'inclusion numérique qui toucherait un tiers de la population cible sur dix ans, soit de l'ordre de 4,7 millions de personnes éloignées du numérique, pourrait représenter un gain de 1,6 milliard d'euros par an en moyenne sur cette période ». D'un point de vue purement pratique, il faut que tous les Français aient accès et soient à l'aise avec le numérique si le Gouvernement souhaite maintenir son objectif de 100 % de services publics dématérialisés en 2022.

Mais les ambitions comme les moyens du Gouvernement en la matière avant la crise apparaissaient limités. S'ils ont récemment augmenté, notamment à la faveur de la mise en place du « Pass numérique », la politique d'inclusion numérique, apparaît toujours poussive et la structuration des acteurs insuffisante. Il convient cependant de saluer la mise en place d'un numéro d'appel gratuit pour être aidé par un volontaire dans la prise en main de services en ligne essentiels durant la crise. Le Sénat s'est récemment pleinement saisi du sujet en lançant une mission d'information sur l'illectronisme du Sénat .

Mesure n° 6 : renforcer dès maintenant l'ambition et les moyens du plan pour l'inclusion numérique . Ce renforcement, qui permettrait un véritable « passage à l'échelle » de la politique d'inclusion numérique de notre pays, pourrait passer par deux axes : l'aide au financement du premier équipement numérique, et l'amplification des efforts en matière de formation aux usages, autour des maisons « France Services ».

B. RATTRAPER NOTRE RETARD SUR LA NUMÉRISATION DES ENTREPRISES

La France n'est que 14 e en Europe pour l'intégration des technologies numériques par les entreprises 6 ( * ) . C'est ce qui a motivé, fin 2018, le lancement de l'initiative France Num, qui a pour objectif de sensibiliser 100 % des TPE et PME à l'horizon 2022, en appui des initiatives régionales, à travers trois outils : une plateforme nationale www.francenum.gouv.fr ; la fédération des réseaux impliqués dans la transformation numérique pour créer des synergies entre leurs actions ; la valorisation des actions de la communauté sous une marque commune (France Num).

Ce retard, qui a fait l'objet d'un rapport de la délégation aux entreprises du Sénat , est rendu d'autant plus saillant par la crise sanitaire, qui a empêché de nombreux commerces de poursuivre leur activité. Le numérique est pourtant apparu comme une opportunité pour les entreprises contraintes de fermer : de nombreux fleuristes, restaurants et commerces de bouche se sont réinventés en réorientant une partie de leur activité vers la livraison à domicile. Le Gouvernement a d'ailleurs encouragé les commerçants à prendre ce virage en publiant un guide pratique à destination des artisans, commerçants et indépendants sur la plateforme « France Num » ainsi qu'une liste des offres préférentielles le temps du confinement pour développer un site marchand, recourir à des solutions de paiement en ligne, à des solutions de logistique et de livraison, à des places de marché qui permettent aux clients de rechercher un commerçant localement et à des solutions de communication en ligne.

Il faut renforcer dès maintenant l'accompagnement financier de l'État dans la transition numérique des entreprises, dans le cadre d'une stratégie globale de numérisation des PME, sur le modèle danois . Le prêt France Num octroyé par Bpifrance devrait être bientôt dévoilé, ce qui est un premier pas intéressant. Mais nos entreprises ont besoin d'un choc d'investissement pour prendre le virage numérique, aussi bien sur l'ensemble des TPE PME que pour nos entreprises industrielles.

Mesure n° 7 : créer un crédit d'impôt à la numérisation des TPE et des PME . Il comprendrait un ensemble très large de dépenses - formation au numérique du personnel, acquisition d'équipement, création d'un site internet, acquisition de logiciels d'aide à la production, acquisition de solutions de cybersécurité... - et bénéficierait d'un taux attractif, par exemple, sur le modèle du crédit d'impôt recherche, de 30 % jusqu'à une certaine somme.

Au-delà des PME, il est essentiel que l'ensemble de l'industrie se numérise pour rester dans la course. Un soutien plus important de l'État pour appuyer cette transition numérique apparaît indispensable.

Mesure n° 8 : muscler les dispositifs de soutien à la numérisation des entreprises industrielles , à travers :

- la reprise des prêts French Fab de Bpifrance , malheureusement éteints faute de crédits budgétaires ;

- afin de soutenir le recours à l'impression 3D, élément clé de la numérisation des processus de production 7 ( * ) , le soutien à l'émergence de consortia de développement de fermes d'impression 3D , disponibles pour plusieurs acteurs et différents usages, devrait être envisagé.

Mesure n° 9 : pour soutenir la numérisation de l'ensemble des entreprises, et afin que la France gagne la bataille des données stratégiques après avoir perdu celle des données personnelles, élaborer une véritable politique de la donnée en France, qui soutiendrait le partage de données entre acteurs économiques . Il conviendra d'amplifier les premiers efforts engagés en ce sens 8 ( * ) . Cette initiative compléterait la stratégie élaborée au niveau européen en la matière.

Mesure n° 10 : afin que les entreprises puissent se saisir rapidement des potentialités offertes par la 5G, élément clé du développement d'une industrie 4.0, étudier la pertinence d'un soutien financier renforcé aux plateformes d'expérimentation de la 5G pour les entreprises 9 ( * ) . Les professionnels estiment le besoin à 100 millions d'euros.

Mesure n° 11 : les aides apportées par l'État et les collectivités territoriales aux différents secteurs économiques pour les accompagner dans la sortie de crise devraient être orientées vers la transformation numérique de ces secteurs, consacrant ainsi une forme de conditionnalité numérique des aides .

C. INCITER LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES À PRENDRE LE VIRAGE NUMÉRIQUE

L'impératif de transformation numérique doit également être une priorité des services publics - qu'ils relèvent de l'État, de la sécurité sociale ou des collectivités territoriales. S'agissant de ces dernières, au-delà de la numérisation de l'organisation interne des services, elles réalisent les investissements en matière de « smart city » ou, plus simplement, développent des solutions numériques afin d'améliorer le service rendu aux usagers des services communaux.

Mesure n° 12 : un dispositif incitatif d'investissement dans les technologies numériques pourrait être intégré au FCTVA .

Mesure n° 13 : la Banque des territoires pourrait développer son offre d'ingénierie pour accompagner les collectivités dans la transition numérique, en particulier en matière de cybersécurité.

III. AXE N° 3 - PRODUITS ET SERVICES NUMÉRIQUES : POURSUIVRE LES EFFORTS POUR SOUTENIR LES TECHNOLOGIES NUMÉRIQUES CLÉS, FAIRE ÉMERGER DES CHAMPIONS NUMÉRIQUES ET PROMOUVOIR UNE SOCIÉTÉ NUMÉRIQUE DE LA CONFIANCE

A. LE NÉCESSAIRE SOUTIEN AUX TECHNOLOGIES NUMÉRIQUES CLÉS

Le rapport Tibi a souligné que l'Union européenne représente près d'un quart du PIB mondial mais seulement 10 % de la technologie mondiale émergente. Il est donc nécessaire de poursuivre et d'amplifier les efforts pour renverser cette tendance.

Mesure n° 14 : poursuivre les efforts financiers et la structuration des écosystèmes en soutien aux technologies numériques clés .

Sur le modèle du plan Nano pour la filière microélectronique, un projet important d'intérêt européen commun devrait être mis en place en matière d'intelligence artificielle. Le plan quantique annoncé par le Gouvernement, que nous attendons toujours, doit être dévoilé et mis en oeuvre rapidement. La stratégie nationale blockchain doit être amplifiée. Pour ces technologies clés, l'enjeu est de structurer un écosystème et de financer massivement l'innovation : à cette fin, la mise en place d'un fonds dédié à la consolidation des acteurs de ces technologies clés devrait être envisagée. Le soutien aux différentes technologies clés pourrait également prendre la forme d'un grand plan de résilience dans les domaines de la santé, de la mobilité, de l'énergie et de la cybersécurité, pour susciter un effet d'entraînement quant à de nouveaux usages stratégiques.

Mesure n° 15 : s'assurer de notre autonomie stratégique sur des produits et services numériques critiques .

La question de l'autonomie industrielle doit également se décliner au niveau des produits et services numériques. Il est donc impératif d' identifier les produits et services , comme la cybersécurité ou les supercalculateurs, sur lesquels une rupture d'approvisionnement aurait des effets désastreux sur notre économie et de déterminer en conséquence une stratégie de diversification des sources d'approvisionnement et de relocalisation des activités.

Par ailleurs, la France dispose déjà de quelques grands industriels du numérique. Cela a notamment été souligné par le président directeur général de Schneider Electric. Selon lui, si l'Europe a assez largement perdu la bataille de l'Internet des personnes, « le deuxième épisode de l' Internet des objets , qui connecte les villes, les bâtiments et les usines, sert le leadership de sociétés européennes comme Schneider Electric ou Siemens, qui constituent les deux grands acteurs mondiaux de la digitalisation des objets et de l'environnement » . Il convient de consolider la base industrielle existante plutôt que de tenter de créer ex nihilo et à fonds perdus des solutions concurrentes sur des marchés déjà dominés. Cette consolidation doit passer par une révision de la politique de la concurrence européenne afin que celle-ci ne s'oppose pas à la création de champions européens qui deviendraient dominants sur leur secteur d'activité.

B. POURSUIVRE LES EFFORTS EN FAVEUR DE L'ÉMERGENCE DE CHAMPIONS NUMÉRIQUES

Les chiffres clés

• 13 420 start-ups en France

• Seulement 7 licornes

• 5 milliards d'euros levés en 2019

Depuis plusieurs années, force est de reconnaître que les gouvernements successifs n'ont pas ménagé leurs efforts pour faire de la France un écosystème favorable, autour de la « French tech », à l'éclosion de jeunes pousses innovantes pouvant, à terme, donner naissance à de nouveaux « géants » du numérique. Comme l'a rappelé le ministre Cédric O devant la commission , la France héberge désormais 7 licornes sur les 84 que compte notre continent et, en ce qui concerne le financement des start-ups , même si notre pays restait derrière le Royaume-Uni et l'Allemagne, en 2019, près de 5 milliards d'euros ont été investis dans ces jeunes pousses, contre moins de 2,5 milliards d'euros en 2017.

Pour faire face à la crise, cet écosystème a été soutenu par un plan dédié 10 ( * ) , principalement constitué de mesures de trésorerie, dont il faut saluer la bonne facture et qui permettra de maintenir à flot les start-ups en croissance qui auraient pu disparaître, faute de levée de fonds. Face aux remontées de comportement discutable de la part de certains investisseurs, nous avons appelé l'attention de Bpifrance sur la nécessité que l'établissement, qui finance plus de 90 fonds de capital-risque, conditionne ce soutien à un comportement convenable durant la crise.

Par ailleurs, nous appelons également à ce que les engagements des investisseurs institutionnels contractés début janvier (mobilisation de 6 milliards d'euros d'ici le 31 décembre 2022) soient bien tenus et nous réjouissons des premiers signes en ce sens .

Mesure n° 16 : poursuivre les efforts en faveur de l'émergence de champions numériques français et européens, en soutenant les entrepreneurs et les investisseurs .

- Pour aller plus loin, le soutien aux entrepreneurs pourrait être renforcé, dans deux directions :

- le statut de jeune entreprise innovante , qui a déjà démontré son efficacité, pourrait être rendu encore plus attractif, par exemple à travers la bonification du taux du crédit d'impôt recherche à 50 % des dépenses de recherche exposées et du taux du crédit d'impôt innovation à 40 % des dépenses d'innovation exposées ;

- le levier de la commande publique devrait être davantage mobilisé pour aider les start-ups à se développer.

- Côté investisseurs , une réflexion nous apparaît nécessaire sur une relance du dispositif d'IR-PME (hausse des plafonds, des taux, imputation des moins-values sur le revenu), une fois celui-ci validé au niveau européen, afin d'orienter l'épargne de Français, amplifiée par la crise, vers les PME de notre pays, sur le modèle de l' Enterprise Investment Scheme britannique. De même, afin d'orienter l'épargne des Français vers l'avenir le fonds d'investissement dans les start-ups en cours d'élaboration par Bpifrance doit être rapidement commercialisé 11 ( * ) . Au niveau européen, l'extension à la France du dispositif European Angels Fund du Fonds européen d'investissement (FEI) devrait être examinée. Le redéploiement vers le continent des fonds du FEI alloués jusque-là aux fonds de capital-risque britanniques devrait également être mis en oeuvre.

Mesure n° 17 : sanctuariser les aides à l'innovation

Les dépenses d'innovation sont souvent les premières à faire les frais des crises. Ce serait une grave erreur, car l'innovation est la source de la croissance de demain. Nous saluons la décision de l'État de maintenir les aides à l'innovation versées par Bpifrance, estimées à 1,3 milliard d'euros en 2020, annoncée en même temps que le plan de soutien aux start-ups . Nous y serons vigilants. Ce sont toutes les aides à l'innovation - dont le total est estimé à 10 milliards d'euros par an 12 ( * ) - qui doivent être maintenues, et certaines doivent être amplifiées, comme le dispositif JEI évoqué ci-dessus.

Mesure n° 18 : former massivement au numérique pour faire émerger les talents

Selon une étude conduite en 2018 par France Digitale, 62 % des projets de recrutement les plus difficiles à réaliser dans les start-ups , TPE, PME et ETI concernaient les métiers de l'informatique. L'un des principaux moyens de faire de la France une « start-up nation » réside dans la formation à tous les étages - formation initiale et formation professionnelle - au numérique, sujet essentiel qui a déjà fait l'objet d'un rapport sénatorial . A minima , l'ambition du volet numérique du Plan d'Investissement dans les Compétences 13 ( * ) devrait être rehaussée.

C. PROMOUVOIR UNE SOCIÉTÉ NUMÉRIQUE DE LA CONFIANCE

Depuis ses débuts, le numérique effraie. C'est pourquoi le titre de la première grande loi sur le numérique en France suggérait que le rôle des pouvoirs publics est d'assurer la confiance dans l'économie numérique ( loi pour la confiance dans l'économie numérique ). Récemment, les polémiques sur la 5G ou sur les risques liés à l'utilisation du numérique pour participer à la résolution de la crise sanitaire, ont légitimement ravivé les craintes à l'égard du numérique. La numérisation du pays encouragée par le plan de relance devra prendre ces craintes en compte et rappeler ce principe fondamental : le virage numérique nécessite la confiance dans le numérique .

Mesure n° 19 : s'appuyer sur le comité de dialogue relatif aux niveaux d'exposition du public aux ondes hébergé par l'Agence nationale des fréquences pour objectiver le débat sur le volet sanitaire de la 5G . Il s'agit de répondre à une préoccupation de plus en plus importante chez les Français. Les travaux du comité de dialogue en la matière devraient donner lieu à une publication systématique.

Cette confiance est aussi un enjeu de souveraineté. Face à la recrudescence de la cybermalveillance et des cyberattaques, d'origine étatique ou privée, la sécurité des systèmes d'information est un enjeu crucial de souveraineté. La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat a récemment souligné le sous-investissement en la matière des acteurs de la santé et les risques de la bascule vers le « tout numérique » effectuée dans l'urgence durant la crise, sans se soucier des risques de cybersécurité. Au-delà des attaques, la sécurité des données stratégiques des entreprises est également mise à mal par certaines lois à portée extra-territoriale, comme le CLOUD Act américain.

C'est pourquoi les deux mesures suivantes apparaissent nécessaires.

Mesure n° 20 : promouvoir le développement de solutions informatiques sécurisées et suscitant la confiance des utilisateurs, selon les besoins (gradation du degré de sécurisation en fonction de la criticité des données). L'initiative franco-allemande Gaïa-X visant à promouvoir les offres cloud européennes se différenciant par leur niveau de confiance apparaît à ce titre bienvenue. Une plus ample promotion des démarches de certification Cnil et Anssi pourrait également être mise en place.

Mesure n° 21 : adapter notre droit aux lois extraterritoriales facilitant le pillage des données stratégiques , comme l'avait prôné notre collègue député Raphaël Gauvain, à travers l'ajustement de la « loi de blocage » de 1968 et une extension des principes protecteurs du RGPD aux données non personnelles des personnes morales.

IV. AXE N° 4 - RÉGULATION : UN NÉCESSAIRE APPROFONDISSEMENT DE LA RÉGULATION DES PLATEFORMES STRUCTURANTES

Au niveau européen, le Digital Services Act doit être une priorité de la Commission européenne. Au niveau français, un texte est déjà prêt sur la neutralité des terminaux. L'encadrement des places de marché pourrait également être renforcé.

A. STOPCOVID, DÉMONSTRATION DE LA NÉCESSAIRE « NEUTRALITÉ » DES TERMINAUX

Il ne s'agit pas ici de traiter de la pertinence du recours à l'application StopCovid : des positions diverses ont pu s'exprimer lors du débat dans l'hémicycle le 27 mai dernier.

Nous souhaitons en revanche souligner que le projet du Gouvernement de mettre en place une application de traçage numérique a été révélateur de la nécessité de consacrer un principe de « neutralité » des terminaux, prolongement de la neutralité du Net actuellement applicable aux réseaux numériques.

En effet, la mise en oeuvre de cette application s'est heurtée au refus, de la part des deux géants Apple et Google, de lever certaines barrières techniques de leurs systèmes d'exploitation. Cette situation est d'autant moins acceptable qu'elle aurait pu être évitée si un principe de neutralité des smartphones avait été consacré comme le Sénat l'a adopté dans une proposition de loi de la commission des affaires économiques votée à l'unanimité de tous les groupes politiques du Sénat le 19 février dernier. Il est urgent de poursuivre l'examen parlementaire de cette proposition de loi sénatoriale en vue d'une adoption rapide.

B. UNE RÉFLEXION À ENGAGER SUR LES MOYENS DE RENFORCER L'ENCADREMENT DES PLACES DE MARCHÉ

Le e-commerce et les places de marché sont avant tout une opportunité pour les entreprises qui prennent le virage numérique, comme la crise actuelle l'a montré 14 ( * ) . Mais une réflexion sur les ajustements normatifs en vue de mieux protéger le consommateur et d'assurer une concurrence équitable reste nécessaire, et pourrait porter en priorité sur deux points :

1. Les fraudes sur les places de marché en ligne posent la question de l'aménagement de la responsabilité des plateformes

La crise a été l'occasion pour de nombreux fraudeurs de tirer avantage du régime de responsabilité limitée 15 ( * ) des sites de commerce en ligne, et en particulier des places de marché en ligne : lampes quasi magiques, censées chasser le coronavirus, miel aux obscures vertus médicinales, faux médicaments...

La direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF) est en première ligne et il faut saluer son action. Mais force est de reconnaître que cela relance la question d'une plus grande responsabilisation de ces plateformes quant aux contenus illicites qui s'y trouvent.

Les réflexions menées en France sur la proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, et reposant sur la définition d'obligations de moyens sous le contrôle d'un régulateur, pourraient être élargies à l'ensemble des contenus illicites, et en particulier aux contenus frauduleux, qui sont dangereux pour les consommateurs.

2. Les relations entre petits commerçants et places de marché doivent être assainies

Sans l'apparition de la crise sanitaire, le Sénat aurait déjà examiné la transposition en droit français du règlement dit « platform to business » 16 ( * ) , qui entend assainir les relations entre les petits commerçants et les places de marché en ligne. Le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière prévoyait une telle transposition par ordonnance, alors que le règlement entrera en vigueur en juillet 2020. Il conviendra de reprendre rapidement son examen et ce sur la base de dispositions « en dur », c'est à dire directement insérées dans le texte et sans recours à une habilitation à légiférer par ordonnance. Le règlement étant issu d'une proposition datant déjà qu'il y a quelques années, et face à l'évolution rapide du marché, une réflexion sur une révision de ce règlement devrait être rapidement engagée.

Mesure n° 22 : promouvoir et accompagner la mise en place de plateformes locales référençant et favorisant les achats en ligne auprès de commerçants de proximité . La limitation de la dépendance des petits commerçants aux grandes places de marché en ligne peut également provenir de l'émergence d'alternatives locales. Des initiatives telles que « Achat ville » des chambres de commerce et d'industrie ou « Ma ville mon shopping » de La Poste gagneraient à être davantage promues.

3. Les Gafam, grands absents de la solidarité durant la crise ?

Aucun des géants du numérique n'a connu de véritables difficultés durant cette crise. À l'exception d'Apple, dont les recettes sont stables, tous les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) ont connu une croissance à deux chiffres sur le premier trimestre, et les indicateurs sont au vert pour le deuxième trimestre. Pour autant, les gestes de solidarité dont ils ont pu faire preuve ont été limités 17 ( * ) . Amazon n'a, contrairement à de nombreuses autres places de marché, pas proposé de réduction des tarifs pour accéder à sa plateforme. Au vu des circonstances, une solidarité entre tous les acteurs apparaîtrait légitime.

Cette solidarité pourrait passer par :

- une contribution au fonds de solidarité ;

- une contribution financière à la formation de nos concitoyens et des entreprises au numérique.

Mesure n° 23 : à court terme, appeler les géants du numérique à faire preuve de solidarité avec le tissu économique qui les fait vivre. Il est également impératif, pour s'assurer d'une saine concurrence, que les négociations en cours dans le cadre de l'OCDE sur une taxation plus équitable du numérique aboutissent rapidement.

***

Au terme de l'ensemble des auditions menées, c'est aussi le manque de stratégie globale sur le numérique dans notre pays qui nous a frappé. L'Europe a publié, le 19 février dernier, une stratégie numérique , qui aborde l'ensemble des sujets à traiter. Il faudrait un équivalent en France !

Cela nécessite également d'améliorer la gouvernance du numérique en France, actuellement trop morcelée, tant au sein du Gouvernement que des administrations. La création d'une administration centrale dédiée en charge de coordonner et de piloter l'ensemble des sujets numériques sous l'autorité d'un ministre du numérique nous apparaîtrait pertinente.

Mesure n° 24 : nommer un ministre du numérique doté d'une administration centrale dédiée et définir une stratégie numérique de la France .

SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS POUR FAIRE DU NUMÉRIQUE UNE PRIORITÉ DE LA RELANCE

Axe 1 : réseaux

Résilience des réseaux :

- Élaborer un plan de résilience des réseaux ;

- élaborer un cadre réglementaire contraignant les plateformes dites « OTT » à limiter la « bande passante » en cas d'absolue nécessité.

Soutien à la filière industrielle du déploiement des réseaux :

- Mettre en place une avance de trésorerie des crédits disponibles du fonds pour la société numérique (FSN), à titre exceptionnel et là où cela pourrait venir en soutien à des entreprises en difficulté. Accompagner cette mesure d'une instruction aux comptables publics locaux afin d'éviter des blocages dans sa mise en oeuvre administrative.

Accélération du déploiement des réseaux :

- Traiter les retards pris pendant la crise au cas par cas ;

- fixer - enfin ! - des objectifs ambitieux d'ici à 2025 dans le cadre d'une loi de programmation des infrastructures numériques ;

- prévoir les moyens financiers étatiques pour atteindre la société du gigabit : 680 millions d'euros pour abonder le plan France très haut débit.

Axe 2 : usages

Citoyens : renforcer dès maintenant l'ambition et les moyens du plan pour l'inclusion numérique, à travers deux axes :

- l'aide au financement du premier équipement numérique ;

- l'amplification des efforts en matière de formation aux usages, autour des maisons « France Services ».

Entreprises

- créer un crédit d'impôt à la numérisation des TPE et des PME ;

- muscler les dispositifs de soutien à la numérisation des entreprises industrielles : reprise des prêts French Fab de Bpifrance ; soutien à l'émergence de consortia de développement de fermes d'impression 3D ;

- élaborer une véritable politique de la donnée en France, qui soutiendrait le partage de données entre acteurs économiques ;

- soutenir financièrement le développement de plateformes d'expérimentation de la 5G pour les entreprises ;

- mettre en place une conditionnalité numérique des aides octroyées aux entreprises dans le cadre de la crise.

Collectivités territoriales

- intégrer au FCTVA un dispositif incitatif d'investissement dans les technologies numériques ;

- la Banque des territoires pourrait développer son offre d'ingénierie pour accompagner les collectivités dans la transition numérique, en particulier en matière de cybersécurité.

Axe 3 : produits et services numériques

Poursuivre les efforts financiers et la structuration des acteurs des technologies numériques clés (IA, blockchain, quantique, cybersécurité...) :

- mise en place d'un fonds dédié à la consolidation des acteurs ;

- élaboration de plans de résilience dans les domaines de la santé, de la mobilité, de l'énergie et de la cybersécurité pour susciter un effet d'entraînement.

S'assurer de notre autonomie stratégique sur des produits et services numériques critiques.

Poursuivre les efforts en faveur de l'émergence de champions numériques :

- renforcer le soutien aux entrepreneurs : amplifier le statut de jeune entreprise innovante ; utiliser le levier de la commande publique pour soutenir les start ups ;

- renforcer le soutien aux investisseurs : relancer et amplifier l'IR PME ; lancer rapidement le fonds d'investissement dans les start-ups en cours d'élaboration par Bpifrance ; orienter les fonds du Fonds européen d'investissement vers la France ;

- sanctuariser les aides à l'innovation ;

- former massivement au numérique pour faire émerger les talents, en renforçant le volet numérique du Plan d'Investissement dans les Compétences.

Renforcer la confiance dans les solutions numériques

- s'appuyer sur le comité de dialogue relatif aux niveaux d'exposition du public aux ondes hébergé par l'Agence nationale des fréquences pour objectiver le débat sur le volet sanitaire de la 5G ;

- promouvoir le développement de solutions informatiques sécurisées et suscitant la confiance des utilisateurs, en s'appuyant sur la certification (Anssi, Cnil) ;

- adapter notre droit aux lois extraterritoriales facilitant le pillage des données stratégiques.

Axe 4 : régulation

- Introduire la neutralité des terminaux dans notre droit.

- Engager une réflexion sur un meilleur encadrement du e-commerce pour aller au-delà du règlement « platform-to-business ».

- Promouvoir et accompagner la mise en place de plateformes locales référençant et favorisant les achats en ligne auprès de commerçants de proximité.

- Appeler les Gafam à davantage de solidarité avec leurs partenaires nationaux et finaliser rapidement le projet d'une meilleure taxation des géants du numérique dans le cadre de l'OCDE.

TRAVAUX EN COMMISSION

Réunie le jeudi 4 juin 2020, la commission des affaires économiques a adopté le plan de relance de la cellule de veille, de contrôle et d'anticipation du secteur « Numérique, télécoms et postes ».

Mme Sophie Primas , présidente . - Mes chers collègues, nous entamons aujourd'hui une série de trois réunions de restitution des travaux des cellules sectorielles de suivi de la crise du Covid-19.

Nous allons écouter successivement les préconisations des sénateurs pilotes des cellules de suivi « Énergie », « Agriculture » et « Numérique, télécoms et postes ».

Je vous propose que nous procédions à des votes sur les différents plans de relance sectoriels et un plan de relance général, lors de notre dernière séance de restitution le mercredi 17 juin.

Mme Anne-Catherine Loisier . - Quelques mots maintenant sur le numérique, sujet très vaste et que nous n'avons pas la prétention d'épuiser en quelques minutes ! On l'a bien vu d'ailleurs avec le débat en séance publique à l'initiative de mon groupe politique qui s'est tenu le 27 mai dernier. Les sujets étaient nombreux, les réponses étaient décevantes, en l'absence du secrétaire d'État au numérique. Nous avons pu constater l'absence de vision globale du numérique au sein du Gouvernement.

Notre orientation est claire : il faut faire du numérique une priorité de la relance. Le confinement a confirmé que le numérique est un support incontournable et essentiel à la reconstruction de notre économie.

Nous avons organisé nos réflexions en trois grands axes : réseaux, usages, produits et services numériques. Nous y avons ajouté un volet régulation, tant les manques en la matière sont aujourd'hui criants et peuvent nuire au développement de champions numériques.

Le premier axe porte sur les réseaux. Notre orientation en la matière est la suivante : aller plus loin dans la couverture du territoire. Les réseaux sont l'infrastructure de base du numérique, ce qu'Al Gore appelait dans les années 1990, les « autoroutes de l'information ». Ils sont la condition sine qua non de la numérisation de nos territoires, de notre industrie, de nos commerces, de nos mairies, de nos écoles, de nos hôpitaux, et de l'ensemble des services essentiels. La crise a montré à quel point ces infrastructures sont vitales pour la continuité du pays, sa résilience et le rebond de notre vie économique et sociale.

Il y a eu deux sujets à traiter d'urgence : s'assurer que les réseaux tiennent face à l'accroissement continu des usages et éviter un effondrement de la filière industrielle qui remettrait en cause les capacités de déploiement des infrastructures.

Afin de s'assurer que les réseaux ne risquaient pas une saturation globale, le Gouvernement a mis en place un suivi de la capacité des réseaux en lien avec l'Arcep et les opérateurs. Mais une telle entreprise s'est effectuée dans l'urgence, sans cadre préétabli. C'est pourquoi il nous semble nécessaire, pour l'avenir, d'élaborer un plan de résilience des réseaux permettant de mieux anticiper les risques et ce sur l'ensemble du territoire.

S'agissant du soutien à la filière, qui avait réalisé la performance de déployer près de cinq millions de prises l'année dernière, l'arrêt de nombreux chantiers et le renchérissement des coûts risquent de mettre à terre les éléments les plus fragiles de la filière - les sous-traitants de deuxième et troisième rang. Certains grands opérateurs ont semble-t-il été solidaires. Pas tous. Nous estimons que, là où cela est nécessaire pour éviter un effondrement de la filière, une avance des fonds du plan France très haut débit devrait être envisagée - restera à déterminer les conditions de mise en oeuvre de ces avances, afin qu'il n'y ait pas de difficulté avec comptables publics locaux.

Mais au-delà de l'urgence, lors de cette crise, les inégalités de couverture ont constitué une double peine inacceptable pour les entreprises et nos concitoyens. Avec cette crise, la fracture numérique s'est muée en véritable gouffre. Je vous rappelle que 60 % des zones rurales ne sont pas couvertes en très haut débit fixe et 80 % en fibre optique jusqu'à l'abonné. En 2018, la France était le dernier pays de l'Union européenne en couverture en très haut débit fixe. Et il reste des milliers de zones à couvrir en très haut débit mobile.

Il est donc urgent d'aller plus loin sur la couverture numérique du territoire, pour assurer l'accès de nos concitoyens au numérique sur tout le territoire, mais également pour garantir l'égalité des chances économiques. Cela pourrait passer par une loi de programmation des infrastructures numériques, qui fixerait les objectifs à atteindre à moyen terme sur le fixe et le mobile et inscrirait une trajectoire financière. Le Gouvernement n'a pas de stratégie claire sur le fixe d'ici à 2025, et n'est pas prêt à mettre les moyens : nous l'avons constaté lors du débat sur la loi de finances 2020. Les collectivités estiment les besoins pour parvenir à une société du gigabit
- l'objectif européen en 2025 - à 680 millions d'euros. Nous pensons que ce défi doit être relevé, d'autant plus suite à la période de confinement que nous avons connue. Sur le mobile, cette loi de programmation permettrait d'associer davantage le Parlement aux décisions prises. Bref, il faut sortir du flou et mettre les moyens une bonne fois pour toutes. Je salue ici les travaux d'Élisabeth Lamure sur l'accès des entreprises à la fibre optique, sujet crucial pour la compétitivité de nos territoires.

M. Marc Daunis . - Le deuxième axe porte sur ce qu'on appelle les usages. Notre orientation en la matière est la suivante : accompagner massivement nos entreprises et nos concitoyens dans la transition numérique.

Nos concitoyens d'abord, car ils sont 13 millions à être éloignés du numérique. La fracture sociale numérique est violente ! Et je vous rappelle que, dans le même temps, le Gouvernement souhaite passer au 100 % numérique dans les démarches administratives en 2022 ! Il faut donc renforcer l'ambition et les moyens du plan pour l'inclusion numérique. Ce plan a le mérite d'exister, mais il est clairement insuffisant. Cet effort supplémentaire pourrait passer par l'aide au financement du premier équipement numérique, et l'amplification des efforts en matière de formation aux usages, autour des maisons « France Services ». Je salue les collègues qui participent à la mission d'information du Sénat sur l'illectronisme, qui a la lourde tâche d'approfondir ce sujet.

J'en viens aux entreprises. Je crois que les « pilotes » des cellules « Commerce » et « Industrie » ne nous contrediront pas si nous disons que la numérisation de nos entreprises doit être un levier absolument fondamental du plan de relance. Les entreprises, exsangues, n'auront pas les moyens d'investir. C'est dans ce type de situations que l'État - c'est son rôle - doit envoyer un signal sans ambigüité et particulièrement fort. Cela pourrait prendre la forme d'un crédit d'impôt à la numérisation des entreprises. Les aides apportées par l'État et les collectivités territoriales aux différents secteurs économiques pour les accompagner dans la sortie de crise devraient également être orientées vers la transformation numérique, consacrant ainsi une forme de conditionnalité numérique comme on parle d'éco-conditionnalité.

Enfin quelques mots sur les collectivités locales : un signal de même nature devrait leur être envoyé, tant pour l'organisation interne que pour fournir de nouveaux services à la population, à travers un dispositif incitatif d'investissement dans le numérique intégré au fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée et le renforcement de l'offre d'ingénierie de la Banque des territoires pour accompagner les collectivités dans la transition numérique, en particulier en matière de cybersécurité.

Le troisième axe porte sur les produits et services du numérique. Nous retenons deux orientations en la matière : renforcer le soutien aux technologies clés et aux champions numériques français et européens, et promouvoir une société numérique de la confiance.

Afin de garantir la croissance de demain, la France doit être au rendez-vous des technologies clés : je pense par exemple à l'intelligence artificielle, au calcul quantique ou encore à la blockchain . La mise en place d'un fonds dédié à la consolidation des acteurs de ces technologies clés devrait être étudiée rapidement. Ce fonds concernerait aussi bien les secteurs où nous avons du retard que ceux où nos acteurs disposent déjà d'une certaine avance - je pense notamment à l'internet des objets, comme l'a souligné en audition le président-directeur général de Schneider Electric. C'est une nouvelle phase de la révolution du numérique où il conviendrait de mettre les bouchées doubles, plutôt que de s'épuiser pour rattraper notre retard. Cela pourrait prendre la forme de projets importants d'intérêt européen commun, sur le modèle du plan Nano pour la filière microélectronique.

Ce soutien aux technologies clés doit être conçu pour favoriser la croissance de notre pays et nos emplois, mais également pour assurer notre autonomie stratégique sur les produits et services numériques critiques, c'est-à-dire ceux pour lesquels une rupture d'approvisionnement aurait des effets désastreux sur notre économie. Cela passe par un recensement exhaustif de ces produits et services permettant ensuite de déterminer une stratégie de diversification des sources d'approvisionnement et de relocalisation des activités.

Par ailleurs, nous devons poursuivre les efforts en faveur de l'émergence de champions numériques européens, en soutenant les entreprises technologiques - les start-ups - et les investisseurs. Le levier de la commande publique est absolument essentiel et reste insuffisamment mobilisé en soutien aux start-ups . Pour soutenir l'acte d'investissement, une réflexion sur le renforcement de l'IR-PME devrait également être engagée. La formation initiale et professionnelle doit enfin être orientée massivement vers le numérique : sans former les nouveaux talents, nous ne parviendrons pas à relever le défi !

Enfin, la numérisation de notre pays et l'émergence de produits et services numériques nouveaux ne sauraient se faire sans une pleine confiance de chacun en ces solutions. Le virage numérique nécessite la confiance dans le numérique. Les conditions de la confiance concernant la 5G peuvent être créées en objectivant les données du débat quant aux effets sanitaires de cette technologie. Mais au-delà des enjeux sanitaires, les solutions numériques de confiance sont un enjeu de souveraineté : on le voit avec les débats en interne sur les logiciels de visioconférence que nous utilisons. La promotion de solutions de confiance, dans la logique de ce que le Gouvernement a initié en matière de cloud , et à travers des certifications délivrées par l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information et la Cnil, est un outil à développer.

Mme Anne-Catherine Loisier . - Quelque mots enfin sur les aspects de régulation du numérique. Nous en avons déjà amplement parlé à l'occasion de la proposition de loi visant à garantir le libre choix du consommateur dans le cyberespace. Mais le constat est là : les géants du numérique, déjà ultra-dominants, sortiront renforcés de cette crise et à même de poursuivre leurs stratégies agressives d'investissement. Pourtant, ils n'ont pas fait preuve d'une grande solidarité avec leur immense tissu de partenaires économiques français.

Mais au-delà de cette considération de court terme, si l'on souhaite l'émergence de géants numériques européens, il faut revoir la régulation de ces plateformes structurantes. Le Digital Services Act de la Commission européenne doit être l'une de ses priorités. Comme la présidente l'a fait remarquer lors du débat sur StopCovid, qui a permis à toutes les sensibilités de s'exprimer et sur lequel je ne reviendrai pas, le Gouvernement s'est retrouvé dans une position très délicate face à Apple et Google quand il s'est agi d'élaborer cette application - ce qu'il aurait pu éviter si la proposition de loi, qui proposait de consacrer ce qu'on appelle la « neutralité des terminaux », avait été adoptée !

Par ailleurs il faut muscler nos outils de cybersécurité, aussi bien dans les entreprises que dans les administrations publiques. Les cyberattaques ont explosé durant le confinement. Il est absolument nécessaire de sécuriser l'outil numérique en parallèle de son développement. Je salue l'annonce franco-allemande de ce jour sur la création tant attendue d'une plateforme européenne de données, Gaïa X.

Enfin, on l'a vu, le numérique a représenté une formidable opportunité pour nos commerçants de proximité de poursuivre au moins une partie de leur activité pendant le confinement. Il faut assainir le commerce en ligne en étant plus vigilant à l'encontre des places de marché qui se réfugient derrière le statut d'hébergeur pour proposer des produits frauduleux et s'assurer que les places de marché vertueuses envers le consommateur le soient également envers leurs partenaires commerçants
- c'est l'objectif de la transposition du règlement « Platform to business ». À ce titre, et je crois que les membres de la cellule « Commerce » nous rejoindront, la promotion et l'accompagnement de plateformes mettant en valeur le commerce de proximité, comme « Achatville » des chambres de commerce et d'industrie ou « Ma ville Mon Shopping » de La Poste, devraient être renforcés.

M. Marc Daunis . - En conclusion, nous regrettons l'absence de stratégie globale sur le numérique dans notre pays, alors pourtant que la Commission européenne a adopté une telle stratégie en février dernier. Cela peut s'expliquer par une gouvernance éclatée du numérique au sein du Gouvernement, qui ne facilite pas la vision transversale. Le secrétaire d'État au numérique ne dispose pas d'une administration centrale dédiée. Cela peut paraître anecdotique, mais on sait l'importance à disposer d'une capacité de frappe autonome sur les sujets stratégiques ! Peut-être que cela explique pourquoi la politique numérique du Gouvernement apparaît encore brouillonne. La relance, elle, ne se satisfera pas d'une stratégie brouillonne. C'est pourquoi nous appelons le Gouvernement à faire clairement du numérique une priorité de la relance !

Mme Sylviane Noël . - Avez-vous traité de la question de la sécurité des plateformes ? Je pense notamment à la plateforme Zoom que nous avons beaucoup utilisée durant le confinement.

M. Marc Daunis . - La cybersécurité et la promotion des solutions de confiance font partie intégrante de nos travaux. Nous avons notamment auditionné l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information. Ce sujet est très largement sous-estimé, et il convient de mettre les bouchées doubles. Il est inconcevable que le Gouvernement et le Parlement français n'aient pas à leur disposition des outils qui soient totalement sécurisés. Cela vaut pour les institutions, mais aussi pour les entreprises ! Les données stratégiques représentent un enjeu considérable. Nous sommes d'une coupable légèreté en la matière.

Mme Élisabeth Lamure . - Je partage pleinement le point de vue des rapporteurs quant à l'importance de la numérisation des entreprises. C'est un sujet à propos duquel j'ai déjà eu l'occasion de travailler dans le cadre de la délégation aux entreprises. Pour numériser nos entreprises, encore faut-il qu'elles aient accès dans de bonnes conditions au très haut débit, ce qui n'est pas le cas dans un certain nombre de nos territoires ! Les grandes entreprises n'ont pas ce souci puisqu'elles peuvent avoir accès à des réseaux dédiés. Les petites entreprises situées dans des zones de réseaux d'initiative publique n'ont également pas ce problème. Mais partout ailleurs, les opérateurs intégrés ne font absolument pas l'effort de les connecter. Parfois même, ils évitent les lieux où sont implantées les entreprises, ou leurs proposent des solutions à des coûts excessifs. C'est pourquoi il faut laisser une vraie place au marché de gros à destination des entreprises, et particulièrement aux TPE et PME qui en ont besoin. Nous avons travaillé avec Patrick Chaize et nous allons de façon imminente déposer une proposition de loi dans ce cadre. La loi de programmation numérique qu'a souhaitée Anne-Catherine Loisier serait bienvenue, mais nous risquons de l'attendre longtemps.

Mme Anne-Catherine Loisier . - Il faut que nous intégrions davantage la culture de la cybersécurité. La solution la plus pratique, vers laquelle nous allons spontanément, n'est pas toujours la plus sécurisée !

Nous visons tous sur nos territoires les difficultés d'accès des petites entreprises aux réseaux à très haut débit. Des progrès ont pu être faits dans certaines zones d'activité, mais la marge de progression est importante. Le véritable enjeu aujourd'hui et pour les commerces et artisans, plus dispersés géographiquement. Les opérateurs doivent adapter leurs offres aux besoins de ces petites entreprises.

M. Marc Daunis . - Si on ne devait retenir qu'une chose de notre rapport, c'est la nécessité d'une loi de programmation des infrastructures numériques !

Mme Sophie Primas , présidente . - Merci beaucoup à tous nos pilotes qui démontrent la capacité des sénateurs à travailler ensemble au-delà des appartenances politiques.

Réunie le mercredi 17 juin 2020, la commission des affaires économiques a adopté le rapport de la cellule de veille, de contrôle et d'anticipation du secteur « Numérique, télécoms et postes ».

Mme Sophie Primas , présidente . - Puisque notre configuration nous le permet, je vous propose d'organiser un vote global sur les rapports des cellules « Énergie », « Industrie », « Numérique, télécoms et postes » et « Tourisme » qui vous ont été précédemment présentés, si vous en êtes d'accord.

Les rapports des cellules « Énergie », « Industrie », « Numérique, télécoms et postes » et « Tourisme » sont adoptés à l'unanimité.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Mardi 7 avril 2020

- Fédération française des télécoms et Iliad-free : M. Arthur DREYFUSS , secrétaire général d'Altice SFR, président de la FFT, Mme Claire PERSET , directrice des relations institutionnelles et de l'engagement d'Altice SFR, MM. Anthony COLOMBANI , directeur des affaires publiques de Bouygues télécom, Laurentino LAVEZZI , directeur des affaires publiques d'Orange, Mmes Claire CHALVIDANT , directrice des relations institutionnelles d'Orange, Ombeline BARTIN , directrice des relations institutionnelles d'Iliad-Free, M. Olivier RIFFARD , directeur des affaires publiques de la FFT.

- Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité : MM. Xavier CADORET , membre du comité directeur, Michel SAUVADE , membre du comité directeur, Mme Charlotte DE FONTAINES , chargée des relations avec le Parlement.

- Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information : M. Guillaume POUPARD , directeur général.

- InfraNum : MM. Hervé RASCLARD , délégué général, Julien DELMOULY , délégué général adjoint.

- Cellnex France : MM. Vincent CUVILLIER , directeur général, Philippe LESNE , conseiller pour les relations institutionnelles, Simon LALANNE , conseil de l'entreprise Cellnex.

Vendredi 10 avril 2020

- Ministère de l'économie et des finances - Direction générale des entreprises : M. Olivier COROLLEUR , sous-directeur des communications électroniques et des postes.

- Autorité de régulation des communications électroniques et des postes : MM. Sébastien SORIANO , président, Jean CATTAN , conseiller du président.

Jeudi 16 avril 2020

- Fédération du e-commerce et de la vente à distance : M. Marc LOLIVIER , délégué général, Mme Marie AUDREN , responsable affaires publiques.

- Google France : M. Olivier ESPER , responsable des relations institutionnelles.

- Amazon France : MM. Frédéric DUVAL , délégué général d'Amazon.fr, Yohann BÉNARD , directeur de la stratégie, Stanislas BOSCH-CHOMONT , directeur des affaires publiques et de la prospective.

- Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel (Avicca) et Assemblée des départements de France (ADF) : MM. Patrick CHAIZE , président d'Avicca, Ariel TURPIN , délégué général d'Avicca, Claude RIBOULET , président de l'Allier, Guilhem DENIZOT , conseiller innovation et numérique de l'ADF, Mmes Valérie NOUVEL , vice-présidente du conseil départemental de la Manche et de la commission innovation et numérique de l'ADF, Marylène JOUVIEN , chargée des relations avec le Parlement de l'ADF.

Vendredi 24 avril 2020

- France Digitale : M. Nicolas BRIEN , CEO, Mme Marianne TORDEUX , directrice des affaires publiques.

- Apple : M. Sébastien GROS , directeur des affaires publiques.

- Alliance française des industries du numérique : M. Marc CHARRIÈRE , secrétaire général de Nokia, Mme Stella MORABITO , secrétaire générale de Secimavi.

- Tech in France et Syntec numérique : M. Loïc RIVIÈRE , délégué général de Tech in France, Mme Manon DEVEAUX , chargée de mission en affaires publiques de Tech in France, M. Victor GAUDEAUX , chargé de mission affaires publiques de Tech in France, Mme Marjorie VOLLAND , responsable affaires publiques de Tech in France, M. Philipe TAVERNIER , délégué général de Syntec numérique, Mme Philippine LEFÈVRE-ROTTMANN , déléguée aux relations institutionnelles de Syntec numérique.

- Sycabel : Mme Marie-Thérèse BLANOT , déléguée générale, MM. Jacques DE HEERE , vice-président Télécom, Ladji DIAKITÉ , responsable Télécom.


* 1 Selon l'Arcep, plus de la moitié (53 %) du trafic vers les clients des principaux FAI en France provient de quatre fournisseurs : Netflix, Google, Akamai et Facebook.

* 2 Une enquête de l'AMF montre d'ailleurs que les difficultés d'obtention d'autorisations pour les déploiements proviennent avant tout des services ne relevant pas des collectivités territoriales, 70 % des répondants estimant effectuer l'instruction des autorisations d'urbanisme normalement ou presque, et seuls 7 % connaissent un arrêt. L'Avicca a également mené une enquête allant dans le même sens.

* 3 Le Conseil d'État a probablement rappelé à l'occasion sa jurisprudence d'un arrêt du 21 mars 2003, SIPERREC, selon lequel « un régime de décision implicite d'acceptation ne peut être institué lorsque la protection des libertés ou la sauvegarde des autres principes de valeur constitutionnelle s'y opposent ; qu'en vertu de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, auquel se réfère le Préambule de la Constitution, la protection du domaine public est un impératif d'ordre constitutionnel ».

* 4 Commission européenne, communication sur la stratégie numérique de l'Europe, février 2020. Selon une publication commune d'autorités administratives indépendantes françaises en date du 5 mai dernier, l'impact du numérique est estimé autour de 3 % des émissions de gaz à effets de serre au niveau mondial, mais pourrait doubler d'ici à 2025. Selon l'Ademe, les émissions de tels gaz par le numérique proviennent à 53 % des infrastructures (25 % des centres de données, 28 % du réseau) et à 47 % des équipements des utilisateurs finaux.

* 5 La mesure a initialement été consentie, lors de la loi de finances pour 2019, en contrepartie d'un engagement du secteur à baisser de 15 % sa consommation énergétique d'ici 2022. Mais aucun dispositif incitatif n'est entré en vigueur parallèlement.

* 6 15 % des PME vendent en ligne et les PME réalisent seulement 11 % de leur chiffre d'affaires en ligne, ce qui situe la France aux 17e et 12e places au niveau européen.

* 7 Lors de la crise, la mise en réseau de l'impression 3D professionnelles a permis d'augmenter la production de masques, de visières et de respirateurs simplifiés dédiés à l'usage Covid-19 ainsi que d'écouvillons de test PCR.

* 8 Selon France Digitale , « la Corée du Sud investira 140 millions de dollars entre 2020 et 2023 pour le développement de dix plateformes d'échanges de données dans plusieurs verticales et incite les PME et start-ups à acquérir des données grâce à un système de couponing, avec l'objectif d'encourager 30 000 organisations à échanger des données d'ici 2023 ».

* 9 11 premières plateformes d'expérimentation ont été mises en place fin 2019 .

* 10 Le Gouvernement a par ailleurs mis en avant des services numériques français pendant la crise , autre initiative bienvenue.

* 11 Ce fonds « retail » devrait permettre d'investir, avec un ticket minimum de 5 000 euros, dans 3 000 start-ups et PME françaises.

* 12 6,7 milliards d'euros d'aides fiscales et 3,1 milliards d'euros d'aides directes selon le rapport de la mission sur les aides à l'innovation (2018).

* 13 10 000 formations aux métiers du numérique pour accélérer l'accès des jeunes et des demandeurs d'emploi « bac ou infra bac » vers les professions du secteur du numérique.

* 14 Selon une enquête de Foxintelligence , pendant le confinement, la moitié des vendeurs sur les places de marché a vu ses ventes augmenter. La situation est bien sûr très contrastée selon les secteurs d'activité des vendeurs. Le tourisme a été touché de plein fouet alors que les ventes d'« IT grand public » ou d'imprimantes ont fortement augmenté durant le confinement, à tel point, selon l'Afnum, que la France a pu manquer de stock !

* 15 Issu de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur et de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique.

* 16 Règlement (UE) 2019/1150 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 promouvant l'équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d'intermédiation en ligne.

* 17 Google a offert, au niveau mondial, 340 millions de dollars d'emplacements publicitaires, Facebook réfléchit à une aide de 100 millions de dollars...

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