II. SORTIR DU CONJONCTUREL POUR DU STRUCTUREL : DOTER CETTE POLITIQUE PUBLIQUE D'UNE « VRAIE » ADMINISTRATION ET RENFORCER LE MAILLAGE TERRITORIAL

Il y a nécessité de sortir des formes actuelles d'organisation conjoncturelle, qui reposent sur des coordinations d'acteurs de bonne volonté pour « ancrer cette politique publique dans le dur » . Cette politique publique doit être dotée d'une vraie administration, et bénéficier d'un portage politique et maillage territorial renforcés.

Le pilotage institutionnel est un impensé du Grenelle , en raison probablement des groupes de travail thématiques pilotés par les ministères, qui ont empêché cette vision transversale, pourtant nécessaire. L'architecture et la gouvernance de cette politique publique doivent être revues.

A. AU NIVEAU CENTRAL, RENFORCER LE PILOTAGE INTERMINISTÉRIEL ET LE SUIVI DE CETTE POLITIQUE

Cette refonte de l'architecture institutionnelle, doit d'abord passer, au niveau central, par un renforcement du pilotage interministériel et du suivi de cette politique.

1. Renforcer les moyens et le positionnement du SDFE et de la MIPROF
a) Doter cette politique publique d'une vraie administration centrale et interministérielle...

À cette fin, plusieurs scenarii sont possibles :

- le premier scenario consisterait dans le renforcement des moyens de la MIPROF, en la dotant d'une équipe pluridisciplinaire (policiers, magistrats, médecins...), et en conférant le statut de déléguée interministérielle à la lutte contre les violences à sa secrétaire générale. Dans ce premier scenario, le SDFE devrait également être renforcé et pourrait être transformé en vraie direction d'administration centrale ;

- le second scenario passerait par un renforcement des moyens de la MIPROF et du SDFE, avec la transformation du SDFE en délégation interministérielle avec, en son sein, la MIPROF.

Cette nouvelle architecture redonnerait ainsi du pouvoir et de l'influence au SDFE face aux autres administrations centrales et permettrait un portage interministériel nécessaire. Pour donner plus de pouvoir à ces instances et renforcer le portage politique , le rattachement à un vrai ministère des droits des femmes et/ou au Premier ministre devrait être envisagé. De même, la pratique des « référents-cabinets », prévue par une circulaire d'avril 2012, doit être mise en oeuvre dans chaque ministère.

Le positionnement et le rôle des hauts fonctionnaires à l'égalité doivent également être renforcés , notamment en leur conférant plus de place au sein des cabinets ministériels et les dotant d'une vraie feuille de route, avec des indicateurs et objectifs clairs.

b) ...et en même temps affirmer la spécificité de cette politique

« L'approche intégrée », un concept important en matière de lutte
contre les violences faites aux femmes

En France, l'approche intégrée est inscrite dans la loi puisque l'article 1 er de la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes précise que « l'État et les collectivités territoriales ainsi que leurs établissements publics mettent en oeuvre une politique pour l'égalité entre les femmes et les hommes selon une approche intégrée ».

L'approche intégrée de l'égalité femmes-hommes, qui consiste, selon une définition du Conseil de l'Europe, en « l'incorporation de l'objectif d'égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines et à tous les niveaux, par les acteurs et actrices généralement impliqué.e.s dans la définition, la mise en oeuvre ou l'évaluation des politiques. L'approche intégrée peut donc mener à la réorganisation, l'amélioration et l'évaluation des processus de prise de décision relatifs aux politiques.

L'approche intégrée n'implique pas d'en finir avec toutes les mesures spécifiques s'adressant aux femmes ou étant consacrée à l'égalité entre les femmes et les hommes. Elle implique une double démarche :

- une approche transversale : l'objectif d'égalité femmes-hommes doit être présent dans toute politique, toute loi, toute mesure. Par exemple, les politiques en matière de transports ou d'emploi doivent prendre en compte les situations d'inégalités entre les femmes et les hommes ainsi que leurs besoins et aspirations parfois différents ;

- une approche spécifique : des actions spécifiques, à destination exclusivement des femmes, peuvent être prises. Il s'avère encore nécessaire de réparer des situations évidentes d'inégalités ou de discriminations sexistes. Pour cela, ces actions spécifiques ou dites “mesures d'action positive”, sont encore possibles et nécessaires. »

Source : Conseil de l'Europe

La spécificité de cette politique, en termes notamment de formation, d'hébergement, d'accueil, doit être prise en compte. À cet égard, la généralisation de référents spécialisés et/ou de permanences des associations spécialisées au sein des hôpitaux, des services de police ou de gendarmerie ou de tout autre service en contact avec les femmes victimes de violences, comme le souhaitent certaines associations, doit être envisagée.

2. Des comités de pilotage et de suivi nécessaires pour s'assurer de la mise en oeuvre de cette politique et des mesures du Grenelle

Par ailleurs, le suivi de cette politique et du Grenelle de lutte contre les violences conjugales, en particulier, doit être renforcé.

L'exécution des mesures du Grenelle est actuellement pilotée par le SDFE , qui n'est pas en mesure d'assurer, au vu de ses moyens et son positionnement actuels, un suivi satisfaisant. Cette politique en général, et les mesures décidées dans le cadre du Grenelle en particulier, ont besoin d'un portage institutionnel et politique plus large.

Selon les informations communiquées aux rapporteurs spéciaux, l'état d'avancement du Grenelle est suivi attentivement aussi bien par le Président de la République que par le Premier ministre. Des réunions interministérielles (RIM) régulières ont lieu. Les rapporteurs spéciaux saluent ce suivi, mais il n'est pas pleinement satisfaisant. Ils considèrent que le suivi de ces mesures doit être institutionnalisé et porté, au plus haut, par l'ensemble des ministres.

Le suivi du Grenelle nécessiterait, selon les rapporteurs spéciaux, la mise en place d'un comité interministériel réunissant tous les ministres concernés , doublé d'un comité réunissant toutes les parties prenantes (y compris les associations et élus locaux), en pérennisant et en institutionnalisant, par exemple, les groupes de travail du Grenelle.

Le suivi de cette politique doit reposer sur des indicateurs de résultats et un tableau de bord régulièrement publié et communiqué, notamment au Parlement. Les rapporteurs spéciaux se félicitent ainsi du tableau de suivi qui leur a été communiqué, par le SDFE, faisant le point notamment sur l'état d'avancement des mesures, leur coût et les acteurs engagés. Ils insistent néanmoins pour que cet outil soit mis à jour régulièrement et assorti d'indicateurs et d'objectifs de suivi. Ces éléments pourraient figurer dans les projets annuels de performance.

Concernant les dispositifs clés de la lutte contre les violences ( TGD, ordonnances de protection, bracelets anti-rapprochement ...), des comités ad hoc pourraient être mis en oeuvre . Les rapporteurs spéciaux saluent ainsi la mise en place d'un comité de pilotage national pour le suivi des ordonnances de protection.

La lutte contre la prostitution : un pilotage et portage politique
qui doivent être renforcés

À l'instar de la politique de lutte contre les violences faites aux femmes en général, la lutte contre la prostitution nécessite un suivi attentif des mesures et dispositifs.

Les rapporteurs spéciaux appellent ainsi le Gouvernement à encourager le déploiement des commissions départementales sur l'ensemble du territoire, à moyen terme . De même, ils estiment nécessaires une harmonisation des critères d'appréciation des demandes par les commissions. Ils espèrent que la circulaire interministérielle envisagée avec le ministère de l'intérieur permettra cette clarification, et rappellera aux préfets la nécessité de mettre en place des commissions départementales sur les territoires non couverts à ce jour.

Par ailleurs, les rapporteurs spéciaux sont favorables à des réunions plus régulières du comité interministériel de suivi de la loi de 2016 , a minima une fois par an, et à la mise en oeuvre d'un tableau de bord assortis d'indicateurs de suivi de la loi.

Source : commission des finances du Sénat

3. Renforcer le suivi de cette politique : le rôle clé du Parlement, en particulier du Sénat

Le Parlement et notamment le Sénat ont un rôle clé à jouer dans le suivi et l'évaluation de cette politique publique, et notamment des mesures mises en oeuvre dans le cadre du Grenelle .

À cet égard, à l'image de ce travail de contrôle, il semble que les synergies entre les travaux de la délégation aux droits des femmes du Sénat et ceux des commissions permanentes sur les différents champs ministériels doivent être encouragées.

Page mise à jour le

Partager cette page