C. LE FONCTIONNEMENT DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES ET DES ADMINISTRATIONS

> Ordonnance n° 2020-330 du 25 mars 2020 relative aux mesures de continuité budgétaire, financière et fiscale des collectivités territoriales et des établissements publics locaux afin de faire face aux conséquences de l'épidémie de Covid-19

L'ordonnance n° 2020-330 du 25 mars 2020 relative aux mesures de continuité budgétaire, financière et fiscale des collectivités territoriales et des établissements publics locaux afin de faire face aux conséquences de l'épidémie de Covid-19, constituée de 16 articles, poursuit trois objectifs principaux :

- assurer la continuité budgétaire, financière et fiscale des collectivités territoriales en reportant les dates limites d'adoption du budget, de fixation des taux de fiscalité locale et des montants des redevances pour l'année 2020, et en étendant les prérogatives des exécutifs locaux pour engager, liquider et mandater des dépenses d'investissement ;

- accroître temporairement les pouvoirs des exécutifs locaux en matière d'aides aux entreprises afin de donner aux collectivités la réactivité nécessaire pour agir en temps de crise ;

- tirer les conséquences du décalage de l'installation des conseils municipaux et communautaires en ce qui concerne certaines délégations et le renouvellement des mandats des représentants des élus locaux dans certaines instances consultatives nationales.

I. Fondement juridique

L'ordonnance n° 2020-230 est prise en application du 8° du I de l'article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 , qui habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance « afin , face aux conséquences de l'épidémie de Covid-19, d'assurer la continuité du fonctionnement des institutions locales et de l'exercice de leurs compétences ainsi que la continuité budgétaire et financière des collectivités territoriales et des établissements publics locaux » en prenant toute mesure « permettant de déroger :

a) Aux règles de fonctionnement des collectivités territoriales et de leurs établissements publics, s'agissant notamment de leurs assemblées délibérantes et de leurs organes exécutifs, y compris en autorisant toute forme de délibération collégiale à distance ;

b) Aux règles régissant les délégations que peuvent consentir ces assemblées délibérantes à leurs organes exécutifs ainsi que leurs modalités ;

c) Aux règles régissant l'exercice de leurs compétences par les collectivités territoriales ;

d) Aux règles d'adoption et d'exécution des documents budgétaires ainsi que de communication des informations indispensables à leur établissement prévues par le code général des collectivités territoriales ;

e) Aux dates limites d'adoption des délibérations relatives au taux, au tarif ou à l'assiette des impôts directs locaux ou à l'institution de redevances ;

f) Aux règles applicables en matière de consultations et de procédures d'enquête publique ou exigeant une consultation d'une commission consultative ou d'un organe délibérant d'une collectivité territoriale ou de ses établissements publics ;

g) Aux règles applicables à la durée des mandats des représentants des élus locaux dans les instances consultatives dont la composition est modifiée à l'occasion du renouvellement général des conseils municipaux. »

II. Assurer la continuité budgétaire, financière et fiscale des collectivités territoriales et des établissements publics locaux

L'ordonnance procède en premier lieu à plusieurs reports de dates limites de délibérations des assemblées délibérantes des collectivités territoriales et des établissements publics locaux, visant notamment à adopter le budget ou à fixer les taux ou produits de la fiscalité locale. Le tableau ci-dessous procède à un recensement des délibérations ou procédures concernées.

Action concernée

Collectivités
ou
groupements concernés

Date limite
initialement prévue

Date limite
pour l'année 2020,
telle que prévue
par l'ordonnance

Article
de l'ordonnance procédant
au report

Adoption
du budget
primitif

Tous

15 ou 30 avril 2020
(articles L. 1612-2, L. 1612-3, L. 1612-5 et L. 1612-9 du code général des collectivités territoriales et articles L. 263-9 et L. 263-10 du code des juridictions financières)

31 juillet 2020

IV, V et VI
de l'article 4

Arrêté
des comptes
2019

Tous

30 juin 2020
(article L. 1612-12 du code général des collectivités territoriales et article L. 263-18 du code des juridictions financières)

31 juillet 2020

VII
de l'article 4

Transmission
du compte
de gestion
aux organes délibérants
des collectivités territoriales
et de leurs groupements

Tous

1 er juin 2020
(article L. 1612-12 du
code général des collectivités territoriales
et article L. 263-18
du code des juridictions financières)

1 er juillet 2020

VII
de l'article 4

Débat relatif aux orientations budgétaires et transmission du projet
de budget

Tous

Selon les cas, deux mois ou dix semaines avant l'examen du budget
(articles L. 2312-1, L. 3312-1, L. 3661-4, L. 4312-1, L. 4425-5, L. 4425-6, L. 5217-10-4, L. 71-111-3
et L.72-101-3 du
code général des collectivités territoriales
et article L. 212-1 du code
des communes de Nouvelle-Calédonie)

Le délai ne s'applique pas
en 2020.
Le débat relatif aux orientations budgétaire peut être tenu
lors de la séance de l'organe délibérant au cours de laquelle le budget est présenté à l'adoption

VIII
de l'article 4

Vote
des taux et
des taux et produits des impositions directes locales soumis au délai
mentionné à l'article 1639 A du code général
des impôts

Collectivités territoriales, collectivités à statut particulier et EPCI à fiscalité propre

15 ou 30 avril 2020
(article 1639 A du
code général des impôts)

3 juillet 2020 62 ( * )

Article 11

Fixation
des tarifs de
la taxe locale sur la consommation finale d'électricité (TCFE)

Communes, EPCI à fiscalité propre, syndicats intercommunaux exerçant la compétence d'autorité organisatrice de la distribution publique d'électricité et départements

1 er juillet 2020
(article 216 de
la loi de finances pour 2020 )

1 er octobre 2020

Article 7

Institution de la taxe locale
sur la publicité extérieure (TLPE)

Communes, EPCI à fiscalité propre, métropole de Lyon

1 er juillet 2020
(articles L. 2333-6 et L. 2333-10 du
code général des collectivités territoriales)

1 er octobre 2020

Articles 8 et 9

Institution de
la redevance d'enlèvement des ordures ménagères

Syndicats mixtes compétents pour l'enlèvement des ordures ménagères

1 er juillet 2020
(article L. 2333-76
du code général des
collectivités territoriales)

1 er septembre 2020

Article 10

En deuxième lieu, l'ordonnance étend les prérogatives des exécutifs locaux en matière budgétaire pour l'exercice 2020 afin d'assurer la continuité budgétaire des collectivités et de leurs groupements :

- en l'absence de budget adopté au titre de l'exercice 2020, l'exécutif des collectivités territoriales et des établissements publics locaux peut engager, liquider et mandater la totalité des dépenses d'investissement prévues au budget de l'exercice 2019, sans autorisation de l'organe délibérant (I de l'article 3). Le Gouvernement remet ainsi en cause le dispositif qui avait été retenu par le Parlement à l'article 9 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 63 ( * ) , qui avait limité le montant des dépenses susceptibles d'être engagées par l'exécutif aux sept douzièmes des crédits ouverts au budget de l'exercice précédent, non compris les crédits afférents au remboursement de la dette. Le II de l'article 10 de l'ordonnance n° 2020-391 adoptée le 1 er avril 2020 a précisé que ces dispositions primaient sur les facilités accordées aux présidents de la métropole de Lyon, aux métropoles et aux collectivités territoriales de Corse, de Guyane et de Martinique, qui sont rendues inapplicables pour l'exercice 2020. Cette mesure donne ainsi une souplesse de gestion inédite aux exécutifs locaux, qui n'avait pas été retenue dans cette proportion par le Parlement, mais qui peut paraître justifiée au regard des circonstances. Compte tenu du champ de l'habilitation conférée à l'article 11 de la loi, le Gouvernement était juridiquement fondé à modifier ainsi la loi votée deux jours auparavant par le Parlement. Néanmoins, la commission des lois estime qu' il aurait été de meilleure méthode que la mesure soit discutée et arrêtée dans le cadre de la discussion parlementaire ;

- jusqu'à l'adoption du budget pour l'exercice 2020 pour l'ensemble des collectivités territoriales et, une fois ce budget adopté pour les régions, métropoles, collectivités territoriales de Corse, de Guyane et de Martinique, l'exécutif peut procéder à des mouvements de crédits de chapitre à chapitre , à l'exclusion des crédits relatifs aux dépenses de personnel, dans la limite de 15 % du montant des dépenses réelles de chaque section, sans qu'une autorisation préalable de l'assemblée délibérante ne soit nécessaire . L'organe délibérant devra être informé de ces mouvements lors de sa plus prochaine séance (II de l'article 3 et I de l'article 4) ;

- le crédit que l'organe délibérant des communes, des régions, des collectivités de Corse, de Guyane et de Martinique, de la métropole de Lyon et des métropoles peut inscrire au budget pour dépenses imprévues est porté de 7,5 % à 15 % des dépenses réelles prévisionnelles pour l'exercice 2020 . Ces dépenses, en section d'investissement, pourront être financées par emprunt (II et III de l'article 4).

En conséquence de ces mesures, l'article 5 de l'ordonnance abroge l'article 9 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 qui poursuivait les mêmes objectifs.

III. Permettre une intervention rapide des collectivités territoriales en faveur des entreprises lors de la crise

Le deuxième objectif poursuivi par l'ordonnance est de favoriser une intervention rapide des collectivités territoriales pour faire face à la crise . Pour ce faire, des prérogatives accrues sont accordées aux présidents des conseils régionaux en matière d'aides aux entreprises, et toutes les collectivités territoriales et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre volontaires sont autorisés à participer au fonds de solidarité nationale.

L' article 1 er de l'ordonnance autorise le président du conseil régional , sauf délibération contraire de ce dernier, à prendre toute décision d'octroi des aides aux entreprises. Initialement limitée à hauteur de 100 000 euros par aide octroyée, cette capacité d'intervention a vu son plafond rehaussé à 200 000 euros par le I de l'article 10 de l'ordonnance n° 2020-391 adoptée le 1 er avril 2020. Plusieurs dispositions permettent d'encadrer cette nouvelle autorisation :

- les décisions sont exécutoires de plein droit dès qu'il a été procédé à leur notification aux intéressés ainsi qu'à leur transmission au représentant de l'État dans la région, qui en contrôle la légalité . Si une personne physique ou morale est lésée par un de ces actes, elle peut, dans un délai de deux mois, demander au représentant de l'État dans la région de le déférer au tribunal administratif. Les voies de recours sont donc préservées ;

- le président du conseil régional doit informer par tout moyen la commission permanente des décisions qu'il prend à ce titre , et en rendra compte à la plus prochaine réunion du conseil régional ;

- l' autorisation ainsi accordée est temporaire : le conseil régional peut s'y opposer à tout moment et elle prendra quoi qu'il arrive fin à une date fixée par décret et au plus tard fin septembre 2020.

La possibilité pour le président du conseil régional de prendre toute décision d'octroi des aides aux entreprises constitue une évolution notable , bien que temporaire et encadrée, puisque, à l'exception des opérations de préparation, passation, exécution et règlements des marchés publics, les attributions que le conseil régional peut normalement déléguer à son président ne concernent pas l'engagement de dépenses.

L' article 2 de l'ordonnance autorise les exécutifs de l'ensemble des collectivités territoriales, de Nouvelle-Calédonie et des EPCI à fiscalité propre à signer avec l'État une convention déterminant le montant et les modalités de leur contribution au fonds de solidarité . Ce fonds, institué par l'ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 pour une durée de trois mois 64 ( * ) , a pour objet le versement d'aides financières aux personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation du Covid-19 et les mesures prises pour en limiter sa propagation.

Cet article vient donc accroître les compétences des collectivités territoriales et de leurs groupements . Sans cela, seules les régions, au titre de leurs compétences en matière de développement économique, auraient pu signer une telle convention. Celles-ci sont d'ores et déjà en train de débloquer 250 millions d'euros pour participer à ce fonds.

IV. Proroger certaines délégations ainsi que les mandats des représentants des élus locaux dans certaines instances consultatives nationales

En troisième lieu, l'ordonnance vise à proroger certaines délégations ainsi que les mandats des représentants des élus locaux dans certaines instances consultatives nationales, à la suite du report du second tour des élections municipales et de la prorogation des mandats des conseillers municipaux en fonction avant le premier tour des élections municipales.

Selon le droit commun, par délégation de l'organe délibérant, le maire, le président de l'EPCI à fiscalité propre et le président de la métropole de Lyon peuvent être chargés de procéder, dans les limites fixées par le conseil municipal, aux opérations nécessaires au financement de la collectivité ou de l'établissement public (par le biais, notamment, de la réalisation des emprunts destinés au financement des investissements prévus par le budget et des opérations financières utiles à la gestion des emprunts). Ces délégations ayant pris fin à l'ouverture de la campagne pour le renouvellement de l'organe délibérant, l'article 6 de l'ordonnance les rétablit.

L'article 14 proroge quant à lui les mandats des représentants des élus locaux au sein du comité des finances locales (CFL) et du conseil national d'évaluation des normes (CNEN). Ces instances sont renouvelées tous les trois ans et devaient l'être en juillet 2020. Le second tour des élections municipales ayant été reporté, les mandats des représentants des élus locaux au sein de ces deux instances sont prorogés jusqu'au premier jour du cinquième mois suivant le second tour du renouvellement des conseillers municipaux et communautaires, des conseillers de Paris et des conseillers métropolitains de Lyon organisé en 2020.

V. Application outre-mer

L'article 15 précise les dispositions de l'ordonnance applicables en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie. Il s'agit principalement des dispositions en matière budgétaire, rendues applicables au bloc communal et qui relèvent de la compétence de l'État dans ces territoires.

> Ordonnance n° 2020-391 du 1er avril 2020 visant à assurer la continuité du fonctionnement des institutions locales et de l'exercice des compétences des collectivités territoriales et des établissements publics locaux afin de faire face à l'épidémie de covid-19

L'ordonnance n° 2020-391 du 1 er avril 2020 visant à assurer la continuité du fonctionnement des institutions locales et de l'exercice des compétences des collectivités territoriales et des établissements publics locaux afin de faire face à l'épidémie de covid-19 , constituée de 13 articles, vise à déléguer de plein droit certaines compétences à l'exécutif des collectivités territoriales et de leurs groupements, à assouplir les modalités de réunion des organes délibérants de ces mêmes personnes publiques, à alléger les formalités devant être respectées lors de leur prise de décision, et à reporter certains délais pour assurer la continuité de l'exercice de leurs compétences.

Ces dérogations, temporaires , visent à répondre aux difficultés actuelles de réunions et de déplacements, et au besoin de réactivité des collectivités territoriales et de leurs groupements. Selon l'article 11 de l'ordonnance, ses articles 3, 4 et 6 à 8 sont ainsi applicables à compter du 12 mars 2020 et pendant la durée de l'état d'urgence sanitaire . Les autres articles comportent des mesures qui, par leur nature même, ont également un caractère temporaire.

I. Fondement juridique

L'ordonnance n° 2020-391 est prise en application du 8° du I de l'article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 , qui habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance « afin , face aux conséquences de l'épidémie de covid-19, d'assurer la continuité du fonctionnement des institutions locales et de l'exercice de leurs compétences ainsi que la continuité budgétaire et financière des collectivités territoriales et des établissements publics locaux » en prenant, notamment, toute mesure « permettant de déroger :

a) Aux règles de fonctionnement des collectivités territoriales et de leurs établissements publics, s'agissant notamment de leurs assemblées délibérantes et de leurs organes exécutifs, y compris en autorisant toute forme de délibération collégiale à distance ;

b) Aux règles régissant les délégations que peuvent consentir ces assemblées délibérantes à leurs organes exécutifs ainsi que leurs modalités ;

c) Aux règles régissant l'exercice de leurs compétences par les collectivités territoriales ;

d) Aux règles d'adoption et d'exécution des documents budgétaires ainsi que de communication des informations indispensables à leur établissement prévues par le code général des collectivités territoriales ».

II. Élargir les délégations attribuées aux exécutifs des collectivités territoriales et de leurs groupements

A) Des délégations larges attribuées de plein droit par la loi

L'ordonnance vise, en premier lieu, à confier de plein droit aux exécutifs locaux les attributions que les assemblées délibérantes peuvent leur déléguer par délibération, sans qu'une délibération ne soit nécessaire 65 ( * ) .

Le maire se verra ainsi, de par la loi, déléguer l'ensemble des attributions prévues à l'article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales, à l'exception de la faculté de procéder à des emprunts destinées au financement des investissements et aux opérations liées au financement de ces emprunts 66 ( * ) .

Le président de l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) - qu'il s'agisse d'un EPCI à fiscalité propre ou d'un syndicat de communes - exercera par délégation l'ensemble des attributions de l'organe délibérant de l'EPCI, à l'exception des attributions que l'organe délibérant ne peut déléguer 67 ( * ) . Ces dispositions sont également applicables aux présidents de syndicats mixtes, de pôles métropolitains ne comprenant ni région, ni département, ni la métropole de Lyon, et aux pôles d'équilibre territorial et rural (PETR).

Le président du conseil départemental et le président du conseil régional se verront déléguer l'ensemble des attributions que le conseil départemental ou que le conseil régional peuvent habituellement lui déléguer par délibération en vertu respectivement des articles L. 3211-2, L. 3221-10-1, L. 3221-11, L. 3221-12 et L. 3221-12-1, et des articles L. 4221-5, L. 4231-7-1, L. 4231-8, L. 4231-8-2 du code général des collectivités territoriales, à l'exception, là aussi, de la possibilité de procéder à des emprunts destinées au financement des investissements et aux opérations liées au financement de ces emprunts.

Enfin, les exécutifs des collectivités territoriales à statut particulier que sont la Ville de Paris, la métropole de Lyon, et les collectivités de Corse, de Martinique et de Guyane, ainsi que des syndicats mixtes « ouverts » et « fermés », bénéficieront également de ces délégations de plein droit.

Une imprécision demeure sur le champ exact des délégations ainsi octroyées à l'exécutif de par la loi . En effet, les articles du code général des collectivités territoriales auxquels il est fait référence, relatifs aux délégations de l'organe délibérant à l'exécutif, disposent dans certains cas que l'exécutif n'exerce la compétence qui lui a été déléguée que dans les conditions et limites fixées par l'organe délibérant dans l'acte de délégation. En ce qui concerne les délégations au maire, il en va ainsi, par exemple, de la fixation des droits n'ayant pas de caractère fiscal, de l'exercice des droits de préemption ou de priorité prévus au code de l'urbanisme, ou encore de l'exercice d'actions en justice au nom de la commune. Dans le silence de l'ordonnance, il faut sans doute comprendre que, à défaut de délibération préalable de l'organe délibérant, l'exécutif est provisoirement habilité à exercer les compétences déléguées de par la loi sans autres conditions ni limites que celles qui s'attachent à l'exercice de ces compétences par l'organe délibérant lui-même.

L'exécutif pourra déléguer ces attributions à un adjoint ou un vice-président, ou à tout membre l'organe délibérant 68 ( * ) . Il pourra aussi déléguer sa signature à un agent de la collectivité ou de l'établissement exerçant des fonctions de direction 69 ( * ) .

En outre, pour l'exercice des compétences ainsi déléguées, l'exécutif se voit autorisé par la loi à souscrire des lignes de trésorerie , dans la limite du plus élevé des trois montants suivants :

- le plafond fixé par la délibération portant délégation en la matière (dans le cas où une telle délibération a été prise) ;

- le montant total du besoin budgétaire d'emprunt figurant au budget de l'exercice 2020 70 ( * ) ;

- 15 % des dépenses réelles figurant au budget de l'exercice 2020 71 ( * ) .

B) Le maintien d'un double contrôle

L'organe délibérant de la collectivité ou de l'établissement public conserve un contrôle sur l'exercice de ces délégations :

- ses membres sont en premier lieu informés sans délai et par tout moyen des décisions prises sur le fondement de ces délégations. L'exécutif en rend compte à la prochaine réunion de l'organe délibérant ;

- la question du maintien de ces délégations est obligatoirement inscrite à l'ordre du jour de la première réunion de l'organe délibérant qui suit l'entrée en vigueur de l'ordonnance. À cette occasion, mais également à tout moment, l'organe délibérant peut décider du maintien ou de la modification de ces délégations . Si l'organe délibérant décide de mettre un terme à une délégation, il peut réformer les décisions prises par l'exécutif sur le fondement de celle-ci.

Les actes pris sur le fondement de ces délégations sont, par ailleurs, soumis au contrôle de légalité dans des conditions plus rigoureuses que le droit commun : ils doivent tous être transmis sous quinzaine au représentant de l'État et peuvent tous être déférés par celui-ci au tribunal administratif.

Enfin, ces délégations sont temporaires et sont limitées aux exécutifs en fonction à la date d'entrée en vigueur de l'ordonnance . L'obligation de porter cette question « à l'ordre du jour de la première réunion [de l'organe délibérant] qui suit l'entrée en vigueur de la présente ordonnance » induit nécessairement ce caractère temporaire. La commission des lois regrette toutefois qu'une délimitation temporelle claire de ce régime d'exception n'ait pas été prévue.

III. Assurer la continuité du fonctionnement des collectivités territoriales

L'ordonnance vise en second lieu à assurer la continuité du fonctionnement des collectivités territoriales et des établissements publics qui en relèvent, en leur permettant des modalités de réunion compatibles avec la situation actuelle de confinement et en assouplissant les formalités nécessaires à l'entrée en vigueur de leurs actes.

A) Faciliter la réunion des assemblées délibérantes des collectivités territoriales et des SDIS et assouplir les conditions de quorum

Afin de permettre aux organes délibérants des collectivités territoriales de continuer à se réunir et à délibérer, l'ordonnance apporte plusieurs ajustements temporaires.

L'article 3 de l'ordonnance facilite la réunion de l'assemblée délibérante des collectivités territoriales à la demande de ses membres .

Le droit commun prévoit en effet la possibilité pour les membres de l'assemblée délibérante de demander sa réunion. La demande, pour être suivie d'effet, doit être présentée par, selon les cas, un tiers ou la moitié des membres de l'organe. L'ordonnance prévoit, pour la durée de l'état d'urgence sanitaire, de ramener cette proportion à un cinquième des membres. La réunion ainsi provoquée devra se tenir dans un délai maximal de six jours , sur un ordre du jour déterminé, et ne pourra excéder une journée. Chaque membre de l'organe délibérant ne pourra présenter plus d'une demande de réunion par période de deux mois d'application de l'état d'urgence sanitaire.

L'article 6 de l'ordonnance permet à l'exécutif de la collectivité ou du groupement de collectivités , pendant la durée de l'état d'urgence sanitaire, de décider que la réunion de l'organe délibérant, des commissions permanentes des départements et des régions et des bureaux des EPCI se tiendra par visioconférence ou, à défaut, par audioconférence. Il en est alors fait mention sur la convocation, qui est adressée aux membres de l'organe délibérant par tout moyen. Le quorum est apprécié en tenant compte à la fois des membres présents dans le lieu de réunion et de ceux présents à distance.

Lors de la première réunion organisée à distance, l'organe délibérant devra déterminer les modalités d'identification des participants, d'enregistrement et de conservation des débats, ainsi que les modalités de scrutin. L'ordonnance précise que les votes réalisés à distance ne peuvent avoir lieu qu'au scrutin public . Si une demande de scrutin secret était adoptée, le point serait réinscrit à l'ordre du jour d'une séance ultérieure, qui ne pourrait se tenir par voie dématérialisée.

Enfin, l'ordonnance indique que le caractère public de la réunion des collectivités territoriales et des EPCI à fiscalité propre, prévu par les articles L. 2121-18, L. 3121-11 et L. 4132-10, est réputé satisfait si les débats sont accessibles au public de manière électronique . Cette disposition, qui vise à faciliter les conditions de publicité des débats dans le cadre des réunions à distance, risque toutefois de représenter un risque contentieux pour des collectivités territoriales ou EPCI à fiscalité propre peu familiers des moyens techniques d'assurer la diffusion en direct des débats de leur organe délibérant. Il est donc attendu du Gouvernement qu'il communique largement sur les moyens techniques à privilégier pour remplir au mieux cette condition.

L'article 8 de l'ordonnance étend ces dispositions aux conseils d'administration et aux bureaux des services d'incendie et de secours (SDIS) qui, au cours de l'état d'urgence sanitaire, pourront délibérer à distance dans les mêmes conditions que les collectivités territoriales. Par ailleurs, le délai de convocation du conseil d'administration en cas d'urgence est ramené de trois jours à un jour franc suivant l'envoi de la convocation.

L'article 2 de l'ordonnance assouplit , quant à lui, les conditions liées au quorum et aux délégations de vote au sein des organes des collectivités territoriales et de leurs établissements publics, au-delà de ce qui était prévu à l'article 10 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 précitée.

Introduit par la commission des lois du Sénat lors de l'examen du projet de loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 , ledit article 10 réduit de la moitié au tiers des membres en exercice des assemblées délibérantes des collectivités territoriales et de leurs établissements publics le quorum qui y est applicable, pendant la durée de l'état d'urgence sanitaire et dans les zones géographiques où il s'applique. Conformément au droit commun, il prévoit que, si après une première convocation régulièrement faite, le quorum n'est pas atteint, l'organe délibérant ou la commission permanente est à nouveau convoqué à trois jours au moins d'intervalle et délibère alors sans condition de quorum. Parallèlement, le législateur a autorisé chaque membre présent à détenir deux pouvoirs au lieu d'un.

Malgré l'adoption d'une disposition en ce sens par l'Assemblée nationale en première lecture, c'est délibérément que la commission mixte paritaire, suivie par chaque des deux assemblées, avait écarté l'extension de ces dispositions aux commissions permanentes des départements, des régions et de la collectivité territoriale de Guyane. Au sein d'une commission permanente, en effet, le quorum, également fixé selon le droit commun à la moitié des membres en exercice, est apprécié en fonction du nombre de membres présents ou représentés, alors qu'il est apprécié en fonction du nombre des seuls membres présents au sein des assemblées délibérantes. La commission mixte paritaire avait relevé que la disposition adoptée par les députés pouvait être moins favorable que le droit commun en ce qui concerne la commission permanente (puisque celle-ci peut délibérer si un quart seulement de ses membres sont présents et détiennent chacun un pouvoir).

Tout en étendant à juste titre la disposition adoptée par le Parlement aux communes de la Nouvelle-Calédonie, l'article 2 maintient l'abaissement du quorum au sein des assemblées délibérantes à un tiers des membres en exercice, mais dispose que ce quorum est apprécié en fonction du nombre de membres présents ou représentés. Il étend par ailleurs ces mêmes dispositions à la commission permanente des collectivités territoriales où cet organe existe ainsi qu'au bureau des EPCI à fiscalité propre .

Ces assouplissements supplémentaires suscitent de fortes réserves . Selon le dispositif prévu par l'ordonnance, l'assemblée délibérante d'une collectivité pourrait valablement délibérer si un neuvième seulement de ses membres étaient présents et chacun muni de deux pouvoirs (par exemple, quatre membres sur trente d'un conseil départemental, porteurs de six pouvoirs en tout). Ces dispositions sont encore plus contestables en ce qui concerne la commission permanente , qui peut ne comporter que cinq membres et dont l'effectif est en tout état de cause limité, dans les régions, au tiers de l'effectif du conseil régional et, en Guyane, à quinze membres. Ainsi, une commission permanente de quinze membres pourra valablement délibérer, au nom de l'assemblée délibérante, si deux de ses membres seulement sont présents et détenteurs, en tout, de trois pouvoirs .

Mieux vaudrait, selon la mission, faire usage des facilités prévues par l'ordonnance en organisant des réunions à distance par téléconférence ou audioconférence, que de prendre en si petit comité des délibérations qui, juridiquement valides , n'en seront pas moins politiquement fragiles .

De même, ces dispositions seraient applicables à l'élection du maire et des adjoints si les conseils municipaux élus au complet dès le premier tour étaient autorisés à se réunir avant la fin de l'état d'urgence sanitaire, ce qui paraît très inopportun car la légitimité de la municipalité élue pourrait s'en trouver affectée. On rappellera à cet égard que l'article 20 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 précitée a habilité le Gouvernement à définir pour cette élection, par voie d'ordonnance, des modalités de vote à l'urne ou à distance garantissant le secret du vote. Aucune ordonnance en ce sens n'a encore été publiée, ce qui est regrettable, car une telle diversification des modalités de vote paraît bien préférable à un abaissement inconsidéré du quorum .

Enfin, le II de l'article 3 de l'ordonnance supprime l'obligation de réunion trimestrielle des organes délibérants des collectivités territoriales pendant la durée de l'état d'urgence sanitaire.

B) Assouplir les formalités liées à la prise de décision et à l'entrée en vigueur des actes des collectivités territoriales

Afin de permettre une prise de décision rapide des collectivités territoriales dans le contexte de crise sanitaire actuel, l'ordonnance :

- autorise le maire ou le président de l'organe délibérant de la collectivité à décider que la conférence territoriale de l'action publique, les commissions municipales, départementales, régionales et intercommunales, ainsi que le conseil économique, social et environnemental ne sont pas saisis des affaires sur lesquelles ils sont habituellement consultés . L'exécutif devra néanmoins communiquer par tout moyen les éléments d'information relatifs aux affaires sur lesquelles ces commissions et conseils n'ont pas pu être consultés et les informer des décisions prises (article 4) ;

- assouplit les modalités de transmission des actes aux contrôle de légalité , en permettant une transmission électronique de ces actes (article 7) ;

- permet que la publication des actes règlementaires ne soit assurée que sous forme électronique sur le site internet de la collectivité ou du groupement (article 7).

C) Procéder à quelques ajustements

L'ordonnance, dans son article 5, apporte quelques compléments aux dispositions de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 relatives aux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre résultant d'une fusion intervenue dans la semaine précédant le premier tour des élections municipales et communautaire . Il est notamment prévu que :

- le président de l'EPCI à fiscalité propre n'appartenant pas à la catégorie à laquelle la loi a confié le plus grand nombre de compétences devient, de droit, vice-président du nouvel EPCI à fiscalité propre, en sus du nombre maximal de vice-présidents déterminé par l'article L. 5211-10 du code général des collectivités territoriales ;

- le règlement intérieur de l'organe délibérant de l'EPCI à fiscalité propre appartenant à la catégorie à laquelle la loi a confié le plus grand nombre de compétences devient celui du nouvel établissement ;

- le mandat des représentants de chaque ancien EPCI au sein d'organismes de droit public ou de droit privé est prorogé ;

- les actes et délibérations des anciens EPCI demeurent applicables, dans le champ d'application qui était le leur avant la fusion.

Dans son article 10, l'ordonnance modifie l'ordonnance n° 2020-330 du 25 mars 2020 relative aux mesures de continuité budgétaire, financière et fiscale des collectivités territoriales et des établissements publics locaux afin de faire face aux conséquences de l'épidémie de covid-19 72 ( * ) .

IV. Reporter certains délais pour assurer la continuité de l'exercice des compétences des collectivités territoriales

L'article 9 de l'ordonnance procède à des reports de délais dans l'exercice des compétences des communes et des intercommunalités à fiscalité propre pour tenir compte du report de l'installation des conseils municipaux et communautaires.

Eau, assainissement et gestion des eaux pluviales urbaines

Les syndicats compétents en matière d'eau, d'assainissement, de gestion des eaux pluviales urbaines ou dans l'une de ces matières , existant au 1 er janvier 2019 et inclus en totalité dans le périmètre d'une communauté de communes exerçant à titre obligatoire ou facultatif ces compétences ou l'une d'entre elles, ou dans celui d'une communauté d'agglomération sont, en vertu de l'article 14 de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique , maintenus jusqu'à six mois après cette prise de compétence afin que l'EPCI en question puissent décider de lui déléguer tout ou partie de ces compétences.

L'article 9 de l'ordonnance porte ce délai à neuf mois .

Ce même article accorde également un délai supplémentaire aux EPCI en question pour statuer sur la demande de délégation de compétence de tout ou partie des compétences relatives à l'eau, l'assainissement, et la gestion des eaux pluviales urbaines formulée par l'une de leurs communes membres entre janvier et mars 2020 .

Organisation de la mobilité

La loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités organise un mécanisme original de transfert de la compétence « organisation de la mobilité » dans les communautés de communes. Dans les communautés de communes qui n'exerçaient pas cette compétence à la date de promulgation de la loi précitée, l'organe délibérant de l'EPCI et ses communes membres doivent se prononcer sur un tel transfert dans l'année qui vient. La délibération de l'organe délibérant doit intervenir avant le 31 décembre 2020. Les communes sont ensuite invitées à se prononcer dans les conditions de droit commun, c'est-à-dire dans un délai de trois mois. Le transfert prend effet au plus tard le 1 er juillet 2021. À défaut, la compétence d'organisation de la mobilité est transférée, sur le territoire de cette communauté de communes, à la région.

L'article 9 de l'ordonnance proroge de trois mois le délai accordé à l'EPCI pour se prononcer sur ce transfert de compétences . La délibération de l'EPCI devra ainsi intervenir avant le 31 mars 2021. Le délai accordé aux communes pour délibérer n'est toutefois pas réduit, de même que la date du transfert effectif de compétence (1 er juillet 2021) n'est pas modifiée. Les délais accordés ne semblent donc pas compatibles avec une prise de compétence sereine par les communautés de communes. La commission des lois estime nécessaire que soit réduit le délai accordé aux communes pour délibérer, ou repoussée la date du transfert de compétence.

V. Application outre-mer

L'article 12 de l'ordonnance prévoit que les dispositions relatives aux délégations de droit à l'exécutif des communes et des EPCI, les possibilités accrues de réunion de l'organe délibérant à la demande de ses membres, les possibilités de réunion à distance, l'assouplissement des règles de quorum, la suppression du caractère obligatoire de certaines consultations ainsi que la transmission par voie électronique des actes au contrôle de légalité sont applicables aux communes, EPCI et syndicats mixtes de Polynésie française et de Nouvelle-Calédonie.

> Ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 portant diverses mesures d'adaptation des règles de passation, de procédure ou d'exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics
qui n'en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l'épidémie de Covid-19

Cette ordonnance est prise à la suite de l'habilitation donnée au Gouvernement par le f du I° du I de l'article 11 de la loi n o 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19. Cette habilitation permet au Gouvernement d' « adapt[er] les règles de passation, de délais de paiement, d'exécution et de résiliation, notamment celles relatives aux pénalités contractuelles, prévues par le code de la commande publique ainsi que les stipulations des contrats publics ayant un tel objet » .

I. Le champ de l'ordonnance

A) Le champ d'application matériel de l'ordonnance

1. Une habilitation entendue de manière extensive

a) Une extension certaine à tous les contrats publics relatifs à la commande publique

L'article 1 er précise que « sauf mention contraire, les dispositions de la présente ordonnance sont applicables aux contrats soumis au code de la commande publique ainsi qu'aux contrats publics qui n'en relèvent pas » . De prime abord, cette définition semble excéder le champ de l'habilitation stricto sensu accordée par le législateur puisque ce dernier se limite aux « règles de passation, de délais de paiement, d'exécution et de résiliation » prévues, d'une part, par le code de la commande publique ou, d'autre part, par des « stipulations des contrats publics ayant un tel objet ».

Les dispositions de l'ordonnance font une interprétation large de cette habilitation , en considérant qu'elle lui permettait de forcer les stipulations de contrats ne relevant pas du code de la commande publique, sans être pour autant habilité à modifier les règles législatives spéciales qui encadrent ces stipulations. Si ce choix apparaît juridiquement discutable, cette extension à l'ensemble des contrats de la commande publique relevant ou non du code de la commande publique est néanmoins souhaitable sur le fond : elle permet, dans l'urgence, de sécuriser un nombre plus important de contrats et comble ainsi un manque de l'habilitation, relevé par le rapporteur de la commission des lois du Sénat 73 ( * ) , mais que celle-ci n'avait pu étendre compte tenu des règles de recevabilité résultant de l'article 38 de la Constitution. Il n'en reste pas moins que, juridiquement, il y a là un risque contentieux , l'ordonnance conservant un caractère réglementaire jusqu'à sa ratification.

b) Une extension incertaine à tous les contrats publics en lien ou non avec la commande publique

Interrogés par la commission des lois, certains acteurs institutionnels interprètent l'article 1 er comme ouvrant le champ de l'ordonnance à l'ensemble des contrats publics, que leur objet soit ou non en lien avec la commande publique. Cette interprétation est contestable en deux endroits.

Le premier est qu'elle s'écarte considérablement de l'esprit de l'habilitation donnée au Gouvernement . Il est vrai qu'elle vise formellement les « règles de passation, de délais de paiement, d'exécution et de résiliation » prévues par des « stipulations des contrats publics ayant un tel objet » (cf. supra) et que des règles de cette nature peuvent s'appliquer à des contrats administratifs étrangers à la commande publique, telles que les conventions d'occupation du domaine public ou les baux emphytéotiques administratifs (BEA). Toutefois, l'habilitation à prendre l'ordonnance a uniquement été présentée par le Gouvernement au Parlement dans le but « de limiter les conséquences de l'effondrement de la commande publique résultant des mesures sanitaires décidées pour prévenir l'extension de l'épidémie » 74 ( * ) et la lettre de l'habilitation vise explicitement le code de la commande publique. Si l'ouverture du champ de l'habilitation à tous les contrats de la commande publique semble souhaitable ( cf. supra ), l'ouverture aux contrats dépourvus de liens avec la commande publique semble, elle, relever d' une interprétation dolosive de l'habilitation donnée par le Parlement , pouvant conduire le juge administratif à remettre en cause l'application de l'ordonnance à ces contrats.

Le second écueil rencontré par cette interprétation est qu'elle nuirait à la lisibilité du droit applicable aux contrats publics dépourvus de lien avec la commande publique . En effet, la très grande majorité des dispositions de l'ordonnance sont rédigées afin de s'appliquer sans ambiguïté à la commande publique. Noyées parmi elles, seules quelques dispositions éparses et non identifiées pourraient éventuellement s'appliquer aux contrats hors commande publique. Il pourrait s'agir des dispositions de l'article 4 permettant la prolongation limitée de contrats sans remise en concurrence. Elles pourraient s'appliquer aux contrats administratifs qui, sans être pour autant des marchés ou des concessions, nécessitent normalement une telle mise en concurrence (exemple de certaines conventions d'occupation du domaine public 75 ( * ) ). Il pourrait s'agir également des points 1° et a. du 2° de l'article 6 adoucissant les conséquences d'une inexécution contractuelle.

De cette question découle directement le fait de savoir si les aménagements de délais « de droit commun » prévus par l'ordonnance n° 2020-306 76 ( * ) , en particulier par les articles 4 et 5 en matière d'inexécution ou de résiliation contractuelle, doivent s'appliquer aux contrats publics qui ne sont pas en lien avec la commande publique . En effet, l'article 1 er de ce texte dispose que l'ordonnance n'est pas applicable « aux délais et mesures ayant fait l'objet d'autres adaptations particulières par la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 ou en application de celle-ci » .

Il reviendra maintenant au juge de répondre à cette question à l'occasion d'éventuels contentieux. Dans la mesure où les deux ordonnances tendent toutes deux à amoindrir les conséquences d'inexécutions contractuelles, il est probable que les décisions du juge administratif se bornent plus souvent à une substitution de base légale qu'à une annulation des actes litigieux. La question de l'application dans le temps reste, elle, plus problématique puisque l'ordonnance n° 2020-319 s'appliquera jusqu'à deux mois après la fin de l'état d'urgence sanitaire ( cf. infra ) alors que ce délai n'est que d'un mois pour l'ordonnance n° 2020-306.

2. La présence de dispositions réglementaires

En outre , l'ordonnance comporte des mesures réglementaires, alors qu'elle est prise sur le fondement d'une habilitation législative. C'est notamment le cas pour celles de ses dispositions qui concernent les délais ou certaines modalités de passation prévues par le code de la commande publique. Ce point n'est pas juridiquement problématique. En effet, aucune habilitation n'est nécessaire au Gouvernement pour prendre des mesures réglementaires, le cas échéant par ordonnance, sous réserve qu'elles respectent les normes de rang supérieur. En outre, l'adoption de normes matériellement réglementaires au sein de l'ordonnance devrait leur permettre de bénéficier de la rétroactivité prévue par la loi d'habilitation alors qu'une telle rétroactivité n'est normalement pas admise pour les règlements 77 ( * ) .

3. Une application subordonnée à un critère finaliste lié à l'épidémie

L'article 1 er de l'ordonnance prévoit que les dérogations au droit commun « ne sont mises en oeuvre que dans la mesure où elles sont nécessaires pour faire face aux conséquences, dans la passation et l'exécution de ces contrats, de la propagation de l'épidémie de Covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation » . En cas de recours contre les mesures dérogatoires prises par un acheteur public en application de la présente ordonnance, le juge administratif devra donc examiner le but recherché par l'acheteur afin de vérifier qu'il n'en a pas détourné les dispositions .

B) L'application de l'ordonnance dans le temps

L'article 1 er précité précise que l'ordonnance est applicable aux contrats « en cours ou conclus durant la période courant du 12 mars 2020 jusqu'à la fin de l'état d'urgence sanitaire déclaré par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 susvisée, augmentée d'une durée de deux mois » .

C) L'application de l'ordonnance dans l'espace

L'article 7 précise que l'ordonnance s'applique, sous certaines conditions, à Wallis et Futuna, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises.

II. Le contenu des dispositions

A) La prolongation des délais des procédures de passation

Pour les contrats relevant du seul code de la commande publique, l'article 2 de l'ordonnance permet aux acheteurs publics de prolonger « d'une durée suffisante » les « délais de réception des candidatures et des offres dans les procédures en cours » afin de permettre aux opérateurs économiques de présenter leur candidature ou de soumissionner 78 ( * ) .

Cette possibilité n'était pas prévue par le projet loi d'habilitation déposée devant le Parlement et a été introduite, en commission, à l'Assemblée nationale après avoir était appelée de ses voeux par le rapporteur de la commission des lois du Sénat 79 ( * ) . Elle permet de « sauver » les procédures de passation en cours et évite ainsi aux acheteurs de réitérer les procédures ou de choisir un candidat dans des conditions faussées par les circonstances .

La rédaction de l'article 2 semble néanmoins soulever deux problèmes relatifs à son application dans le temps. Le premier est le caractère flou de la notion de « durée suffisante » . Le second tient à la rétroactivité des dispositions en application de l'article 1 er . En effet, la lecture croisée des articles 1 er et 2 laisse entendre que l'acheteur peut proroger un appel d'offre déjà clos à la date d'entrée en vigueur de l'ordonnance et ainsi remettre en cause une procédure de passation régulièrement échue postérieurement au 12 mars. Cette remise en cause de procédure échue peut être source d'insécurité juridique pour les candidats et ne semble pas avoir été anticipée par la direction des affaires juridiques des ministères économiques et financiers 80 ( * ) .

B) L'assouplissement du formalisme

L'article 3 de l'ordonnance permet à l'acheteur de s'écarter du formalisme prévu par le code de la commande publique pour la sélection des candidats . Il dispose ainsi que « lorsque les modalités de la mise en concurrence prévues en application du code de la commande publique dans les documents de la consultation des entreprises ne peuvent être respectées par l'autorité contractante, celle-ci peut les aménager en cours de procédure dans le respect du principe d'égalité de traitement des candidats » . Le ministère de l'économie et des finances indique par exemple que « les réunions de négociation en présentiel prévues par le règlement de la consultation peuvent être remplacées par des réunions en visioconférence » 81 ( * ) .

Combiné à l'article 1 er , l'article 3 semble également valider a posteriori d'éventuels aménagements dictés aux acheteurs par les circonstances avant la date d'entrée en vigueur de l'ordonnance dès lors que l'égalité de traitement entre les candidats a été respectée (voir supra ). Là aussi, la validation de manquements à des obligations réglementaires ne semble pouvoir être introduite que par des dispositions législatives du fait de leur nécessaire rétroactivité.

C) La possible prolongation des contrats en cours d'exécution

L'article 5 de l'ordonnance dispose que les contrats arrivés à terme entre le 12 mars et la fin du deuxième mois qui suivra la fin de l'état d'urgence sanitaire pourront être prolongés par avenant si l'organisation d'une procédure de mise en concurrence ne peut être mise en oeuvre . La prolongation ne pourra alors être fixée que jusqu'à la fin de ce délai, le cas échéant, prolongé du temps nécessaire à une remise en concurrence.

Cette disposition tend à figer les relations contractuelles le temps de la crise sanitaire . Une telle prolongation ne peut cependant pas être imposée unilatéralement aux entreprises puisqu'elle nécessite un avenant au contrat initial. Les précisions introduites pas l'ordonnance semblent nécessaires car le code de la commande publique autorise bien l'acheteur à modifier unilatéralement un contrat « lorsque survient un évènement extérieur aux parties, imprévisible et bouleversant temporairement l'équilibre du contrat » 82 ( * ) , mais ne lui permettent pas de le prolonger unilatéralement, un tel acte s'apparentant à une réquisition.

Le recours facilité à des avenants de prolongation semble ici ouvert à l'ensemble de la commande publique et pas seulement aux contrats relevant du code de la commande publique.

D) La possibilité de verser des avances plus importantes aux titulaires

L'article 5 prévoit la possibilité de verser des avances plus importantes aux entreprises cocontractantes que celles normalement admises par le code de la commande publique. Le plafond de 60 % 83 ( * ) peut ainsi être exceptionnellement dépassé par la conclusion d'un avenant et les conditions de garanties abaissées au profit des entreprises co-contractantes.

Ces dispositions ont pour objet de permettre aux acheteurs publics de soutenir la trésorerie de leurs prestataires , notamment des petites et moyennes entreprises pour lesquelles ce point est sensible.

E) L'adaptation des conditions d'exécution des contrats dans un sens plus favorable au titulaire

1. Le gel des délais d'exécution

L'article 6 a pour objet de forcer les contrats en cours d'exécution dans un sens plus favorable à leurs titulaires , sous réserve de stipulations encore plus favorables. En ce sens, il permet la prolongation de certains délais lorsque « le titulaire ne peut pas respecter le délai d'exécution d'une ou plusieurs obligations du contrat ou que cette exécution en temps et en heure nécessiterait des moyens dont la mobilisation ferait peser sur le titulaire une charge manifestement excessive » 84 ( * ) .

2. Le gel des pénalités et le possible recours à un contrat de substitution pour l'acheteur

L'article 6 prévoit également que le titulaire ne peut se voir appliquer de pénalité 85 ( * ) lorsqu'il est « dans l'impossibilité d'exécuter tout ou partie d'un bon de commande ou d'un contrat , notamment lorsqu'il démontre qu'il ne dispose pas des moyens suffisants ou que leur mobilisation ferait peser sur lui une charge manifestement excessive » 86 ( * ) . La notion d'impossibilité doit être entendue comme en lien avec l'épidémie, en application de l'article 1 er de l'ordonnance. Dans de telles circonstances et afin de pallier les éventuelles défaillances des titulaires, les acheteurs peuvent également recourir à des contrats de substitution avec d'autres entreprises « pour satisfaire ceux de ses besoins qui ne peuvent souffrir aucun retard » 87 ( * ) . Cette disposition fait obstacle à l'application d'une éventuelle clause d'exclusivité au bénéfice du titulaire et ne lui permet plus d'engager la responsabilité contractuelle de l'acheteur 88 ( * ) .

3. L'indemnisation du titulaire en cas d'annulation ou de résiliation d'un marché

L'article 6 prévoit que le titulaire peut être indemnisé si « l'annulation d'un bon de commande ou la résiliation du marché par l'acheteur est la conséquence des mesures prises par les autorités administratives compétentes dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire » 89 ( * ) . Ces dispositions permettent de fixer ce principe dans la loi même s'il est déjà communément admis dans le droit. Comme l'indique le ministère de l'économie et des finances, « tous les cahiers de clauses administratives générales prévoient la possibilité pour le pouvoir adjudicateur de résilier [un] marché pour un motif d'intérêt général, pouvoir qui appartient en tout état de cause à l'administration même en l'absence de clause expresse le prévoyant » 90 ( * ) .

4. Le versement des sommes dues en cas de suspension d'un marché par l'acheteur

L'article 6 prévoit que « lorsque l'acheteur est conduit à suspendre un marché à prix forfaitaire dont l'exécution est en cours, il procède sans délai au règlement du marché selon les modalités et pour les montants prévus par le contrat » 91 ( * ) . À l'issue de la période de suspension, les parties détermineront par avenant si l'exécution du contrat reprend ou s'il est définitivement résilié. L'avenant devra également prévoir les conditions financières de l'une ou l'autre de ces options. Néanmoins, les dispositions de l'ordonnance ne prévoient pas le cas où les parties n'arriveront pas à trouver un accord à l'issue de la période de suspension . En cas de contentieux et dans le silence du texte, il est probable que le juge administratif « ressuscite » d'anciens principes généraux du droit afin de mettre en oeuvre la responsabilité contractuelle des parties.

5. L'adaptation du régime des concessions en cas de suspension de l'exécution du contrat

L'exécution des contrats de concessions est plus complexe que celui des marchés puisqu'elle peut aboutir à des versements du concessionnaire vers le concédant ou inversement, selon les circonstances et l'équilibre économique du contrat. Aussi, afin de protéger l'intégrité économique des concessionnaires, l'article 6 du projet de loi prévoit qu'aucun flux financier ne peut aller du concessionnaire vers le concédant. En revanche, à l'inverse, « si la situation de l'opérateur économique le justifie et à hauteur de ses besoins, une avance sur le versement des sommes dues par le concédant peut lui être versée » .

Enfin, l'article 6 prévoit également le versement d'une indemnité au concessionnaire si les circonstances actuelles liées à l'épidémie conduisent au bouleversement de l'équilibre économique du contrat , nonobstant le risque d'exploitation consubstantiel à tout contrat de concession. Là aussi, l'inscription d'une telle règle dans la loi présente l'avantage de la clarté même si elle semble déjà établie par la jurisprudence centenaire du Conseil d'État relative à l'imprévision 92 ( * ) .

> Ordonnance n° 2020-347 du 27 mars 2020 adaptant le droit applicable au fonctionnement des établissements publics et des instances collégiales administratives pendant l'état d'urgence sanitaire

L'ordonnance n° 2020-347 du 27 mars 2020 est prise sur le fondement de l'habilitation donnée par le i du 2° du I de l'article 11 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19. Ce dernier autorise le Gouvernement à prendre toute mesure relevant du domaine de la loi « simplifiant et adaptant le droit applicable au fonctionnement des établissements publics et des instances collégiales administratives, y compris les organes dirigeants des autorités administratives ou publiques indépendantes, notamment les règles relatives à la tenue des réunions dématérialisées ou le recours à la visioconférence » 93 ( * ) .

I. Le champ d'application de l'ordonnance

A) Le champ d'application matériel de l'ordonnance

L'ordonnance s'applique aux conseils d'administration ou organes délibérants en tenant lieu, organes collégiaux de direction ou collèges des entités suivantes :

- les établissements publics , quel que soit leur statut ;

- la Banque de France ;

- les groupements d'intérêt public (GIP) ;

- les autorités administratives indépendantes (AAI) et les autorités publiques indépendantes (API), « y compris notamment l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution » 94 ( * ) ;

- les organismes de droit privé chargés d'une mission de service public administratif .

L'ordonnance s'applique également aux commissions administratives et à toute autre instance collégiale administrative ayant vocation à adopter des avis ou des décisions , notamment les instances de représentation des personnels, quels que soient leurs statuts, et les commissions d'attribution des logements HLM.

Elle ne concerne pas, en revanche, les organes délibérants des collectivités territoriales et de leurs groupements. Des dispositions d'application directe ont en effet été prévues à leur endroit par l'article 10 de la loi d'urgence, qui adapte les règles de quorum, de représentation et, le cas échéant, de votation pendant la durée de l'état d'urgence sanitaire.

B) L'application de l'ordonnance dans le temps

L'ordonnance est applicable durant la période courant du 12 mars 2020 jusqu'à l'expiration de l'état d'urgence sanitaire déclaré par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 augmentée d'une durée d'un mois 95 ( * ) .

C) L'application de l'ordonnance dans l'espace

L'ordonnance s'applique sur tout le territoire de la République sous réserve de certaines exceptions au profit d'instances néo-calédoniennes et polynésiennes 96 ( * ) .

II. Le contenu de l'ordonnance

A) Le recours généralisé à la visioconférence et la levée des exigences de quorum

L'ordonnance généralise le recours possible aux conférences téléphoniques ou audiovisuelles pour les réunions des instances entrant dans son champ d'application , selon les modalités déjà établies par l'ordonnance du 6 novembre 2014 97 ( * ) et ses dispositions d'application. Elle prévoit que « cette faculté s'exerce nonobstant la circonstance que les dispositions législatives ou réglementaires propres à ces organismes ou instances, y compris leurs règles internes, ne prévoient pas de possibilités de délibération à distance ou les excluent » 98 ( * ) .

Afin d'amorcer le processus, l'ordonnance du 27 mars 2020 autorise que « les modalités d'enregistrement et de conservation des débats ou des échanges ainsi que les modalités selon lesquelles des tiers peuvent être entendus » 99 ( * ) soient exceptionnellement adoptées au cours d'une réunion elle-même dématérialisée afin d'éviter qu'une réunion « physique » soit organisée pour fixer les règles applicables aux réunions dématérialisées suivantes 100 ( * ) . La délibération relative aux règles applicables aux réunions dématérialisées est exécutoire dès son adoption, et doit faire l'objet d'un compte rendu écrit.

Dans le même but de faciliter la tenue des réunions, l'article 6 de l'ordonnance lève les éventuelles règles de quorum applicables aux instances pour l'adoption urgente de décisions ou d'avis 101 ( * ) .

B) Le développement des délégations pour les mesures urgentes

Pour l'adoption de mesures urgentes, les articles 3 et 4 de l'ordonnance autorisent des délégations exceptionnelles.

1. Les établissements publics, les GIP, les organismes de sécurité sociale et les autres organismes chargés de la gestion d'un service public administratif

Ces délégations concernent « le conseil d'administration ou tout organe délibérant en tenant lieu ainsi que toute instance collégiale disposant d'un pouvoir de décision d'un établissement public, d'un groupement d'intérêt public, d'un organisme de sécurité sociale ou de tout autre organisme chargé de la gestion d'un service public administratif » 102 ( * ) . Ces organes peuvent procéder à une délégation « au président-directeur général, au directeur général ou à la personne exerçant des fonctions comparables » 103 ( * ) , nonobstant toute disposition contraire des statuts. La délégation peut être actée au cours d'une réunion dématérialisée. Le délégataire doit ensuite tenir informé l'instance délégante par tout moyen.

S'il n'est pas possible à ces instances de se réunir, même par voie dématérialisée, pour adopter une telle délégation, l'ordonnance prévoit que le président ou un membre désigné par l'autorité de tutelle est autorisé à prendre toute mesure urgente jusqu'à ce que cette instance puisse de nouveau être réunie, et au plus tard jusqu'à l'expiration du délai d'application de l'ordonnance. Là aussi, la personne titulaire de ce droit exorbitant est soumise à une large obligation d'information 104 ( * )

2. Les Autorités administratives indépendantes et Autorités publiques indépendantes

L'article 4 de l'ordonnance autorise les collèges et organes délibérants des AAI et API à déléguer exceptionnellement certaines de leurs compétences à leur organe exécutif, leur président par exemple. Cette délégation peut être actée au cours d'une réunion dématérialisée. Elle ne peut concerner que des mesures urgentes et n e peut pas porter sur des compétences exercées en matière de sanction.

En revanche, l'ordonnance du 27 mars 2020 prévoit la possibilité qu' « une commission des sanctions ou de règlement des différends et des sanctions » d'AAI ou API puisse se réunir par voie dématérialisée, par dérogation aux règles de droit commun prévues par l'ordonnance du 6 novembre 2014 précitée 105 ( * ) .

C) Le report de la mise en place des comités d'agence et des conditions de travail des agences régionales de santé

Le délai limite pour la mise en place des comités d'agence et des conditions de travail (CACT) des ARS est repoussé au 1 er janvier 2021. Ils avaient été créés par la loi du 6 août 2019 106 ( * ) pour connaître des questions et projets intéressant l'ensemble des personnels des agences régionales de santé et devaient initialement être institués avant le 16 juin 2020 107 ( * ) .

Les mandats des membres des actuels comités d'agence et CHSCT devant être remplacés par les CACT sont prolongés jusqu'à cette même date 108 ( * ) .

D) Le prolongement des mandats devant être renouvelés

Pendant la période d'application de l'ordonnance, son article 6 prévoit que les mandats des membres des instances auxquelles elle s'applique 109 ( * ) arrivant à échéance sont prolongés jusqu'à la désignation des nouveaux membres, et au plus tard jusqu'au 30 juin 2020 . Cette prolongation s'applique nonobstant toute limite d'âge ou interdiction de mandats successifs. Il reviendra par la suite à un décret d'adapter la durée du mandat des nouveaux membres afin de la réadapter au rythme habituel de renouvellement de ces instances. Des mesures de prolongation similaires sont applicables aux dirigeants de ces instances, jusqu'au 30 juin 2020.

Cette mesure s'appliquera, par exemple à six des neuf membres de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), dont son président, nommés pour cinq ans 110 ( * ) par un décret du 29 avril 2015 111 ( * ) .

Si la première nomination d'un membre ou le renouvellement d'un membre ou d'un dirigeant nécessite une élection, le délai pour y procéder est repoussé au 31 octobre 2020 . Les mesures de prolongation et la levée des quorums prévues à l'article 6 de l'ordonnance ne sont pas applicables « aux organes délibérants des établissements publics et aux instances collégiales administratives ayant fait l'objet d'adaptations particulières poursuivant le même objet par la loi du 23 mars 2020 susvisée ou en application de celle-ci » 112 ( * ) . Elles ne s'appliquent pas non plus aux CACT, CHST et aux comités d'agence des ARS ( cf. supra ).

> Ordonnance n° 2020-351 du 27 mars 2020 relative à l'organisation des examens et concours pendant la crise sanitaire née de l'épidémie de Covid-19

I. L'habilitation

Le l du 2° du I de l'article 11 de la loi du 23 mars 2020 habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnances, dans un délai de trois mois, pour modifier « des modalités de déroulement des concours ou examens d'accès à la fonction publique » et « garantir la continuité de leur mise en oeuvre, dans le respect du principe d'égalité de traitement des candidats ».

Un projet de loi de ratification doit être déposé devant le Parlement dans un délai de deux mois à compter de la publication de chaque ordonnance.

L'objectif est de pourvoir aux postes vacants dans les meilleures conditions possibles, la plupart des concours administratifs ayant été suspendus à compter du 12 mars 2020 . Cette suspension a d'ailleurs été confirmée par l'article 9 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 113 ( * ) .

II. L'adaptation des modalités d'organisation des concours

L'ordonnance permet au pouvoir règlementaire d'adapter toutes « les voies d'accès aux corps, cadres d'emplois, grades et emplois » des agents publics, notamment en ce qui concerne le nombre et le contenu des épreuves . Le Gouvernement envisage par exemple de supprimer certaines épreuves écrites , « peu susceptibles d'être passées à distance » 114 ( * ) , et de revoir le calendrier des concours dans les trois versants de la fonction publique .

À titre dérogatoire, l'obligation de présence physique pourra être supprimée pour les candidats et « tout ou partie des membres du jury », « lors de toute étape de la procédure de sélection ». Un décret fixera les garanties procédurales et techniques permettant d'assurer l'égalité de traitement des candidats et la lutte contre la fraude .

Ces dispositions s'appliqueraient également aux magistrats judiciaires . Elles pourraient permettre d'adapter les conditions d'organisation des concours mais non les voies d'accès à la magistrature, qui relèvent de la loi organique en application de l'article 64 de la Constitution.

III. L'allongement de plusieurs délais

En raison de la crise sanitaire, l'ordonnance prolonge plusieurs délais pour les procédures d'accès aux trois versants de la fonction publique .

Versant

Délais habituels

Dispositions de l'ordonnance

Durée de validité des
listes complémentaires pour les lauréats des concours

État

Jusqu'au début des épreuves du concours suivant et, au plus tard, dans un délai de 2 ans

Prolongation jusqu'au 31 décembre 2020 pour les concours interrompus ou qui n'ont pas été ouverts

Hospitalier

Jusqu'à l'ouverture du concours suivant et, au plus tard, dans un délai d'un an

Durée de validité
des listes d'aptitude pour les lauréats des concours

Territorial

4 ans à l'issue
du concours

Suspension de ce délai jusqu'à 2 mois après
la fin de l'état
d'urgence sanitaire

Fonction publique communale de la Polynésie française

Jusqu'au début des épreuves du concours suivant et, au plus tard, dans un délai de 2 ans

Prolongation jusqu'au 31 décembre 2020 pour les concours interrompus ou qui n'ont pas été ouverts

Date à laquelle
les candidats doivent remplir les conditions d'accès au concours

État

Date de la première épreuve du concours

Prolongation du délai,
au plus tard à la date d'établissement de la liste des lauréats

IV. Des premières mises en oeuvre pratiques

Dans le versant territorial, la Fédération nationale des centres de gestion (FNCDG) a réagi très rapidement à la suspension des concours administratifs .

Elle a d'ores et déjà suspendu les épreuves jusqu'en mai prochain . Cette mesure concerne une vingtaine de cadres d'emplois, comme les chefs de service et les brigadiers de la police municipale, les bibliothécaires, les adjoints administratifs, les auxiliaires de puériculture, les cadres de santé paramédicaux, etc .

Le nouveau calendrier des épreuves n'est pas encore connu . Il devra, en tout état de cause :

- être concerté entre les centres de gestion pour éviter qu'un même candidat se présente dans plusieurs départements pour un même concours ;

- respecter certaines contraintes matérielles, comme la disponibilité des salles d'examen et des correcteurs d'épreuve.

Certains concours pourraient être annulés en raison du faible nombre de candidats et de la possibilité d'organiser une nouvelle session dès 2021, notamment pour les assistants principaux de conservation du patrimoine et des bibliothèques.

Enfin, la FNCDG a adapté les conditions d'inscription aux concours pendant la période de confinement . À titre d'exemple, les inscriptions pour le concours d'attaché territorial sont ouvertes jusqu'au 27 mai 2020 (contre le 29 avril initialement), les épreuves étant maintenues au mois de novembre 2020. Par dérogation, les candidats pourront envoyer leur dossier d'inscription par voie postale mais également par messagerie électronique , ce qui simplifiera les procédures.

V. Les points de vigilance

Compte tenu des circonstances, adapter les conditions d'organisation des concours est une nécessité pour pourvoir les postes vacants de fonctionnaires et éviter un recours trop large aux agents contractuels. L'enjeu est considérable : chaque année, près de 48 000 personnes réussissent un concours de la fonction publique de l'État, et près de 16 000 obtiennent un concours de la fonction publique territoriale 115 ( * ) .

L'ordonnance du 27 mars 2020 constitue donc une étape importante, définissant les premières orientations à suivre . Elle peut permettre d'expérimenter certaines simplifications administratives , alors que l'organisation des concours constitue aujourd'hui un processus long et coûteux 116 ( * ) .

Dans la plupart des cas, les dates de report des concours ne sont pas encore connues, ce qui peut déstabiliser les candidats. Les organisateurs ont besoin de davantage de visibilité sur les possibilités offertes pour l'adaptation des épreuves , notamment en ce qui concerne la suppression de certaines épreuves écrites et le recours à la visioconférence pour les épreuves orales 117 ( * ) .

Le Gouvernement doit également préciser la situation des apprentis travaillant dans le secteur public . Les centres de formation des apprentis (CFA) ne les accueillent plus depuis le 16 mars 2020 et, dans bien des cas, ils ne peuvent pas recourir au télétravail.


* 62 Par coordination, les communes et leurs EPCI ayant institué une part incitative de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères pourront transmettre le montant de cette part incitative jusqu'au 3 juillet (article 13 de l'ordonnance), et l'entrée en vigueur des délibérations relatives aux droits de mutation à titre onéreux est reportée au 1 er septembre 2020 (article 12 de l'ordonnance).

* 63 L'article 9 est abrogé par l'article 5 de l'ordonnance.

* 64 Cette durée pourra être prolongée par décret pour une durée d'au plus trois mois.

* 65 Article 1 er de l'ordonnance.

* 66 Les délégations accordées précédemment par le conseil municipal en la matière - les seules qui, selon le droit commun, prennent fin dès l'ouverture de la campagne électorale pour le renouvellement du conseil municipal - ont été rétablies par l'ordonnance n° 2020-330 du 25 mars 2020 relative aux mesures de continuité budgétaire, financière et fiscale des collectivités territoriales et des établissements publics locaux afin de faire face aux conséquences de l'épidémie de covid-19. À défaut de délégation antérieure, une délibération du conseil municipal restera donc nécessaire pour permettre au maire de procéder à ces opérations - sous réserve de la faculté pour le maire de souscrire des lignes de trésorerie dans les conditions exposées ci-après.

* 67 Il s'agit des attributions relatives au budget, à la composition, au fonctionnement et à la durée de l'EPCI, à l'adhésion de l'EPCI à un établissement public, à la délégation de la gestion d'un service public, et des dispositions portant orientation en matière d'aménagement de l'espace communautaire, d'équilibre social de l'habitat et de politique de la ville (article L. 5211-10 du code général des collectivités territoriales).

* 68 Dans les EPCI, toutefois, seuls les membres du bureau pourront être délégataires.

* 69 La liste exacte des agents susceptibles de se voir déléguer la signature de l'exécutif varie d'une catégorie de collectivité ou d'établissement à l'autre.

* 70 Si ce dernier n'a pas été adopté, c'est le montant figurant à l'exercice 2019 qui est pris en compte.

* 71 Si ce dernier n'a pas été adopté, ce sont les dépenses réelles figurant à l'exercice 2019 qui sont prises en compte.

* 72 Ces modifications sont commentées dans la fiche relative à l'ordonnance n° 2020-330.

* 73 Rapport n° 381 (2019-2020) de M. Philippe Bas, fait au nom de la commission des lois, déposé le 19 mars 2020, page 29.

* 74 Exposé des motifs du projet de loi.

* 75 Voir l'article L. 2122-1-1 du code général de la propriété des personnes publiques.

* 76 Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période.

* 77 Conseil d'État, 25 juin 1948, Société du journal l'Aurore.

* 78 Les délais relatifs aux appels d'offres relèvent du domaine réglementaire mais donner une valeur législative à la dérogation par me biais d'une ordonnance permet de prolonger des délais non encore échu par une disposition rétroactive (vois supra).

* 79 Rapport n° 381 (2019-2020) de M. Philippe Bas, fait au nom de la commission des lois, déposé le 19 mars 2020, page 29.

* 80 Voir le point 2.1. de la note de la Direction des affaires juridiques de Bercy sur l'ordonnance, disponible à l'adresse suivante :

https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/daj/marches_publics/actualites/FT_Urgence%20Covid_19_commande_publique%2026_3_2020.pdf

* 81 Ibidem .

* 82 Voir le 3° de l'article L. 6 du code de la commande publique en ce qui concerne les marchés publics.

* 83 Article R. 2191-8 du code de la commande publique.

* 84 1° de l'article 6.

* 85 a du 2° de l'article 6.

* 86 2° de l'article 6.

* 87 b du 2° de l'article 6.

* 88 Ibidem .

* 89 3° de l'article 6.

* 90 Note de bas de page n° 8, page 7, de la fiche de la Direction des affaires juridiques de Bercy « La résiliation unilatérale par l'administration des marchés publics et des contrats de concession », disponible à l'adresse suivante :

https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/daj/marches_publics/conseil_acheteurs/fiches-techniques/execution-marches/resiliation-2019.pdf

* 91 4° de l'article 6.

* 92 Conseil d'État, 30 mars 1916, n° 59928, Compagnie générale d'éclairage de Bordeaux, dite décision « Gaz de Bordeaux ».

* 93 Ibidem .

* 94 Article 2 de l'ordonnance du 27 mars 2020.

* 95 Article 1 er de l'ordonnance du 27 mars 2020.

* 96 Voir l'article 7 de l'ordonnance du 27 mars 2020.

* 97 Ordonnance n° 2014-1329 du 6 novembre 2014 relative aux délibérations à distance des instances administratives à caractère collégial.

* 98 Article 2 de l'ordonnance du 27 mars 2020.

* 99 Article 4 de l'ordonnance n° 2014-1329 du 6 novembre 2014 relative aux délibérations à distance des instances administratives à caractère collégial.

* 100 Article 2 de l'ordonnance du 27 mars 2020.

* 101 La levée des quorums prévue à l'article 6 de l'ordonnance n'est pas applicable « aux organes délibérants des établissements publics et aux instances collégiales administratives ayant fait l'objet d'adaptations particulières poursuivant le même objet par la loi du 23 mars 2020 susvisée ou en application de celle-ci ». Elle ne s'applique pas non plus aux CACT, CHST et aux comités d'agence des ARS.

* 102 Article 3 de l'ordonnance du 27 mars 2020.

* 103 Ibidem .

* 104 Voir le dernier alinéa de l'article 3 de l'ordonnance du 27 mars 2020.

* 105 Article 5 de l'ordonnance n° 2014-1329 du 6 novembre 2014 relative aux délibérations à distance des instances administratives à caractère collégial

* 106 Article 7 de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique.

* 107 Article 5 de l'ordonnance du 27 mars 2020.

* 108 Ibidem .

* 109 Voir le A du I de la présente note.

* 110 Article L. 52-14 du code électoral.

* 111 Décret du 29 avril 2015 portant nomination à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.

* 112 Article 6 de l'ordonnance du 27 mars 2020.

* 113 Décret prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire.

* 114 Source : rapport au Président de la République.

* 115 Le nombre total de lauréats dans le versant hospitalier n'est pas connu, chaque établissement pouvant organiser ses propres concours.

* 116 Voir, pour plus de précisions, l'avis budgétaire n° 146 (2019-2020), « Fonction publique », fait au nom de la commission des lois du Sénat par Catherine Di Folco sur le projet de loi de finances pour 2020.

* 117 Dont les modalités techniques doivent être fixées par décret.

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