B. AGIR POUR ÉCLAIRCIR L'AVENIR DE L'ENSEIGNEMENT AGRICOLE ASSOMBRI PAR LA CRISE DE COVID-19

1. Une crise aux conséquences financières lourdes qui appellent un soutien fort de l'État

La crise de Covid-19 a eu des conséquences financières importantes sur l'enseignement agricole. Le ministère estime ainsi à une centaine de millions d'euros les pertes financières pour l'ensemble de l'enseignement agricole. Pour sa part, le CNÉAP chiffre sa perte financière du début du confinement à fin mai entre 20 et 22 millions d'euros.

Les raisons de ces pertes financières sont plurielles :

- un remboursement aux familles de l'internat et de la restauration collective, alors même que certaines sociétés de restauration continuent à facturer les prestations ou certaines charges ;

- une fermeture des activités annexes des établissements : fermeture des crèches annexées aux lycées, des magasins de proximité, des cuisines centrales délivrant des repas à d'autres structures et des plateaux techniques loués à des producteurs locaux. Ces activités font partie intégrante des cinq missions que l'article L. 811-1 du code rural et de la pêche maritime donne aux établissements agricoles : l'animation et le développement des territoires, les activités de développement, d'expérimentation et d'innovation agricoles et agroalimentaires ;

- un soutien aux personnels sous contrat qui ne peuvent pas bénéficier du chômage partiel. Selon Didier Guillaume, le ministère a fait en sorte de n'arrêter aucun contrat. Pour leur part, les lycées agricoles privés sous contrat ont indiqué avoir maintenu le paiement des salaires de leurs personnels sans recours à l'activité partielle ni aux aides proposées par l'État.

Or, avant même la crise de Covid-19, la situation financière de plusieurs EPLEFPA (établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricole) était sous surveillance, malgré une amélioration générale ces dernières années : 45 % d'entre eux étaient dans une situation financière difficile ou préoccupante en 2017.

Source : Note de service DGER/SDEDC/2018-298 du 17 avril 2018

La santé financière des établissements d'enseignement participe à l'attrait de cet enseignement envers les apprenants et leurs familles. En effet, comment attirer de nouveaux élèves ou étudiants si les exploitations agricoles liées aux établissements sont en difficulté financière ?

Par ailleurs, le groupe de travail souhaite souligner le rôle important des EPLEFPA dans l'animation des territoires : il s'agit d'ailleurs d'une des missions qui leur est confiée par l'article L. 811-1 du code rural et de la pêche maritime.

En outre, le groupe de travail rappelle que le ministre a annoncé en juillet 2019 un plan de requalification sur trois ans, pour 1 400 agents de catégorie 3 et la revalorisation des salaires des enseignants des établissements privés sous contrat pour les aligner sur les agents contractuels des établissements d'enseignement à gestion nationale. Ce plan participe à la nouvelle dynamique que le ministère souhaite donner à l'enseignement agricole : certains établissements éprouvent des difficultés pour recruter de nouveaux professeurs. Dans ces conditions, il est difficile de promouvoir une image valorisante de l'enseignement agricole auprès des élèves et de leurs familles. Dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2020, un montant supplémentaire de 2,13 millions d'euros a été alloué pour financer le plan de requalification et de revalorisation. Toutefois, les mesures d'application de ce dispositif n'ont pas encore été prises. Le groupe de travail appelle à un déblocage rapide de la situation.

Préconisations :

- Mettre en place un plan d'aide économique aux exploitations et établissements d'enseignement agricole pour les aider à faire face aux conséquences de la crise de Covid-19

- Prendre les mesures d'application du plan de requalification et de revalorisation salariale pour les agents contractuels et les enseignants de catégorie 3 de l'enseignement agricole privé sous contrat

2. Répondre aux nombreuses incertitudes qui pèsent sur la rentrée
a) Comment concilier distanciation physique et internat ?

50 % des apprenants de l'enseignement agricole sont internes. Dans le cadre de la reprise des cours, le protocole sanitaire diminue fortement le nombre d'internes pouvant être accueillis. En effet, comment gérer distanciation de 4 m² et accueil de 2 à 4 jeunes par chambre ? Actuellement, les établissements ne savent pas s'ils doivent accepter le même nombre d'inscriptions en internat ou un nombre plus faible. Or, pour nombre d'entre eux, l'internat fait partie à part entière du projet pédagogique . Lors de son audition, le ministre a présenté une position claire : « s'il nous faut diviser par deux, voire par trois, le nombre de lits, il faudra trouver d'autres modalités pour nos internes. En revanche, je tiens à le souligner : pour la rentrée 2020-2021, nous inscrivons tout le monde ». Toutefois, cette incertitude peut peser sur les familles et les élèves qui décident au final de s'orienter vers d'autres voies professionnelles. De même, en raison des nombreuses interrogations sur la circulation du virus et les conséquences de la vie en internat, certaines familles peuvent songer à désinscrire leurs enfants (ou ne pas les inscrire) pour se tourner vers des systèmes de formation différents.

Comme l'a indiqué une personne auditionnée, « il est important de rassurer les élèves et de leur rappeler qu'il n'est pas forcément dangereux de vivre ensemble ».

b) Des difficultés pour trouver un stage ou un apprentissage dans un contexte de crise économique ?

La crise de Covid-19 risque d'avoir des répercussions économiques importantes, notamment sur les petites entreprises. Or, ce sont souvent celles-ci, sur les territoires, qui accueillent des apprenants en stage ou en apprentissage. Si pour le moment, le ministère n'a pas constaté de baisse du nombre de stages, il est conscient que certaines entreprises prendront moins de stagiaires.

Dans ces conditions, le groupe de travail appelle à un assouplissement des conditions d'accès au statut scolaire alternant. Celui-ci présente l'avantage de permettre à un jeune qui n'a pas encore trouvé un contrat d'apprentissage de pouvoir quand même s'inscrire dans une formation, et commencer son année scolaire par des cours, dans l'attente de la signature de son contrat d'apprentissage. De telles formations sont déjà proposées par les MFR, avec un changement du statut de l'apprenant à partir du moment où ce dernier débute son apprentissage. Toutefois, le directeur et le président de l'union nationale des MFR ont indiqué que s'ils ont la possibilité de recourir au statut de scolaire alternant pour les formations de l'enseignement agricole, tel n'est pas le cas pour les élèves accueillis par les MFR dans le cadre des formations de l'éducation nationale.

c) Renforcer les liens entre les enseignements et les filières professionnelles

De nombreux élèves n'ont pas pu effectuer leurs périodes de formation en milieu professionnel, qui sont une partie intégrante du cursus scolaire : ainsi pour le bac professionnel agricole, les élèves doivent passer entre 18 et 22 semaines en formation en milieu professionnel. De même, certains élèves en formation certifiante n'ont pas pu passer leur contrôle en cours de formation (CCF). Lors de son audition, Didier Guillaume a indiqué que le ministère travaillait en lien avec les filières professionnelles pour que toutes les formations initiales et continues soient en adéquation avec les besoins des entreprises.

Le groupe de travail souhaite qu'une réflexion soit menée, en lien avec les chambres d'agriculture et les chambres de commerce et d'industrie, ainsi que les associations professionnelles, pour mobiliser de « jeunes professionnels » qui sont installés il y a peu, afin qu'ils puissent transmettre leurs compétences aux élèves à travers un retour d'expérience.

Préconisations :

- Rassurer les élèves, et leurs familles, quant à la préparation de la prochaine rentrée (obtention du diplôme en cours, organisation des concours, conditions d'accueil dans les établissements d'enseignement)

- Assouplir dès maintenant les conditions d'accès au statut scolaire alternant

- Organiser une large concertation avec les représentants professionnels pour préparer la prochaine rentrée

3. Relancer l'attractivité de la filière pour éviter une nouvelle diminution des effectifs

Après 10 ans d'érosion, les effectifs des apprenants ont connu une légère augmentation à la rentrée 2019. La campagne de promotion de l'enseignement agricole, « l'aventure du vivant » lancée à l'occasion du salon international de l'agriculture en février 2019, et la volonté des ministères de l'éducation nationale, et de l'agriculture et de l'alimentation de renforcer l'information et l'orientation vers l'enseignement agricole ont permis non seulement de stopper l'hémorragie affectant l'enseignement agricole moins - 3 000 élèves en septembre 2018 par rapport à la rentrée 2017 -, mais ont même suscité un rebond des inscriptions : + 3 000 élèves à la rentrée 2019 .

Or, cette dynamique risque d'être cassée par la crise de Covid-19. En effet, de nombreuses journées portes ouvertes prévues au printemps n'ont pas pu se tenir, même si les établissements ont fait preuve d'innovation pour informer les élèves et leurs familles, par des journées portes ouvertes virtuelles. D'autres ont mis en place des permanences téléphoniques et s'engagent à répondre rapidement aux questions posées.

De plus, l'enseignement agricole risque de souffrir du manque de conseil, d'information et d'orientation qui se font traditionnellement lors des conseils de classe des deuxième et troisième trimestres .

D'ailleurs, le conseil national de l'enseignement privé agricole estime une baisse potentielle de ses effectifs d'environ 15 % avec de très grande disparité entre les établissements, les régions ou les filières.

Or, l'enseignement agricole reste mal connu et beaucoup de familles et d'élèves ignorent qu'à peine un tiers des élèves inscrits dans les lycées agricoles se destine à des métiers en lien avec le secteur de l'agriculture. D'ailleurs, le groupe de travail regrette l'absence de mention de cette voie de formation - ou alors de manière trop succincte - dans les discours publics au cours de cette crise de Covid-19. Il pense notamment au discours du Président de la République ou du Premier ministre concernant le confinement puis la réouverture progressive des établissements d'enseignement, ou encore les annonces concernant les sessions du bac et des examens 2020.

Le groupe de travail appelle le gouvernement à lancer très rapidement une large campagne d'information et de communication en faveur de l'enseignement agricole.

Préconisation : relancer fortement l'information et la communication sur l'enseignement agricole

LES 10 PRÉCONISATIONS DU GROUPE DE TRAVAIL « ENSEIGNEMENT AGRICOLE »

1. Prévoir la réouverture des établissements d'enseignement en concertation avec l'ensemble des acteurs locaux

2. Travailler avec les représentants des associations d'élus sur les questions liées aux transports scolaires, internats et restauration collective

3. Réfléchir à un dispositif « école ouverte » mutualisé, notamment pour les matières communes entre l'enseignement agricole et l'éducation nationale, afin de permettre aux élèves de l'enseignement agricole domiciliés loin de leurs établissements de pouvoir disposer d'un soutien scolaire pendant les vacances d'été

4. Revoir le schéma prévisionnel d'emploi pour mettre fin à la baisse du nombre d'ETP, afin de permettre un accompagnement des élèves en petits groupes

5. Mettre en place un plan d'aide économique aux exploitations et établissements d'enseignement agricole pour les aider à faire face aux conséquences de la crise de Covid-19

6. Prendre les décrets d'application du plan de requalification et de revalorisation salariale pour les agents contractuels et les enseignants de catégorie 3 de l'enseignement agricole privé sous contrat

7. Organiser une large concertation avec les représentants professionnels pour préparer la prochaine rentrée

8. Rassurer les élèves, et leurs familles, quant à la préparation de la prochaine rentrée (obtention du diplôme en cours, organisation des concours, conditions d'accueil dans les établissements d'enseignement)

9. Assouplir dès maintenant les conditions d'accès au statut scolaire alternant

10. Relancer fortement l'information et la communication sur l'enseignement agricole

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