VI. ENSEIGNEMENT FRANÇAIS À L'ÉTRANGER

Le groupe de travail « Action culturelle extérieure de l'État » de la commission de la culture animé par Claude Kern (Bas-Rhin, UC) est composé de Claudine Lepage (Français établis hors de France, socialiste et républicain) et Damien Regnard (Français établis hors de France, LR).

Le groupe de travail « Action culturelle extérieure » a été mis en place à l'initiative du bureau de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat le mardi 14 avril 2020, dans l'objectif de suivre la gestion de la crise sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19 pour le secteur de l'action culturelle extérieure de l'État.

Ce groupe de travail a auditionné le directeur de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), la directrice de la culture, de l'enseignement et de la recherche au ministère de l'Europe et des affaires étrangères, le président de la Fédération des associations de parents d'élèves des établissements d'enseignement français à l'étranger (Fapée), le directeur général de la Mission laïque française (MLF), une représentante du collectif « Avenir des lycées français du monde », et les représentants des syndicats d'enseignants et de personnels administratifs exerçant à l'étranger 5 ( * ) . Les conséquences de la crise pour les établissements du réseau de l'enseignement français à l'étranger et pour les familles qui y ont scolarisé leurs enfants ont constitué le fil conducteur de ces auditions. C'est donc sur ce sujet que le groupe de travail s'est attaché à dresser un constat et à formuler des recommandations.

A. LE RÉSEAU DE L'ENSEIGNEMENT FRANÇAIS À L'ÉTRANGER CONFRONTÉ À LA PLUS GRAVE CRISE DE SON HISTOIRE

1. La fermeture progressive de la quasi-totalité des établissements et la mise en place de la continuité pédagogique

Certains établissements d'enseignement français d'Asie, en Chine principalement, ont été les premiers, dès le mois de février, à être frappés par la crise liée à l'épidémie de Covid-19 et à être contraints de fermer. Au fur et à mesure de la progression du virus sur les autres continents, d'autres fermetures d'établissements ont été décidées par les ambassadeurs, en lien avec les autorités locales. Au pic de la crise sanitaire, courant avril, 99 % des 522 établissements que compte le réseau dans 139 pays avaient fermé leurs portes .

L'AEFE, l'opérateur de l'État en charge du fonctionnement de l'ensemble du réseau, s'est attaché immédiatement à mettre en place un dispositif de continuité pédagogique pour pallier la fermeture physique des établissements. Dès le 4 février, avec le soutien du Centre national d'enseignement à distance (Cned), les équipes de direction et les enseignants des lycées fermés en Asie ont développé, grâce à des supports informatiques, des modules pédagogiques pour permettre, autant que possible, aux élèves de continuer de travailler à distance. Ce dispositif, au départ expérimental, a ensuite été étendu aux autres établissements au fur et à mesure de leur fermeture respective. Toutes les équipes de direction des 522 établissements ont été destinataires d'un protocole pour le mettre en oeuvre.

La fin des cours en présentiel a marqué un véritable changement de logique pédagogique qui a obligé à mettre en place et à développer rapidement des outils d'enseignement et d'accompagnement en ligne. Ce défi s'est traduit par une mobilisation sans précédent des équipes de l'AEFE - inspecteurs, conseillers pédagogiques, enseignants formateurs - que le groupe de travail tient à saluer . Celles-ci ont élaboré un vade-mecum , constitué de fiches thématiques, pour aider les équipes de direction et les enseignants du réseau. Régulièrement actualisé, ce recueil en est aujourd'hui à sa quatrième version. 30 000 actions de soutien individuelles ou collectives ont également été menées par les enseignants formateurs pour améliorer l'offre éducative à distance.

La fermeture généralisée de tous les établissements et la mise en place de la continuité pédagogique ont également fait partie des premières mesures prises par la Mission laïque française (MLF) qui gère en propre 33 établissements et qui constitue, à ce titre, l'un des principaux opérateurs de l'enseignement français à l'étranger après l'AEFE.

2. Une continuité pédagogique diversement perçue par les parents d'élèves

Alors que 350 000 élèves parmi les 365 000 que compte le réseau ont bénéficié ou bénéficient encore d'une continuité pédagogique, la qualité de celle-ci est diversement appréciée par les parents .

Globalement, les efforts déployés par les équipes administratives et enseignantes, ainsi que la qualité de l'offre sont reconnus. Mais les appréciations sont très différentes d'une zone géographique à l'autre, d'un établissement à l'autre . Ainsi, au lycée français de Bruxelles, le taux de satisfaction atteint 70 %, alors qu'il est beaucoup plus bas en Espagne, au Maroc, en Tunisie ou au Vietnam, notamment chez les familles allophones.

Des auditions menées par le groupe de travail, il ressort que ce n'est pas tant le contenu de la nouvelle offre pédagogique qui est contesté, que le retour sur investissement . Certains parents considèrent en effet qu'ils n'en ont pas pour leur argent avec l'enseignement distanciel par rapport à l'enseignement présentiel. Ce sentiment de frustration est particulièrement perceptible chez les parents d'enfants scolarisés en maternelle, pour lesquels le suivi de la scolarité à la maison est souvent compliqué à mettre en oeuvre, ainsi que l'ont indiqué la déléguée du SNUIPP-FSU et le directeur de la MLF.

Les représentants des syndicats d'enseignants et de personnels administratifs ont également tous déploré les excès de certaines associations de parents d'élèves et de certains commentaires sur les réseaux sociaux. Localement, les tensions ont parfois été vives entre les différentes parties.

Comme l'a précisé la Fapée, cette dégradation du climat social s'explique aussi par le fait que cette situation, au départ temporaire, s'inscrit dans la durée. Les familles, au premier rang desquelles les familles allophones, ne sont pas armées pour accompagner, sur plusieurs mois, leurs enfants dans un apprentissage à distance.

3. La remise en cause des frais de scolarité dans un contexte de crise économique et sociale dans la plupart des pays

De nombreuses familles sont touchées de plein fouet par les conséquences économiques de la crise sanitaire . Certaines enregistrent une importante baisse de leurs revenus, tandis que d'autres sont confrontées à la perte de leur(s) emploi(s). La situation est particulièrement préoccupante dans les pays touristiques, où beaucoup de parents travaillent dans les secteurs de l'hôtellerie, de la restauration, du voyage.

L'impossibilité pour ces familles d'assurer le paiement des frais de scolarité du troisième trimestre, doublée du sentiment que ces frais sont disproportionnés par rapport au service rendu à distance par les enseignants, a fait naître un mouvement de contestation, à coups de pétitions et de courriers, très actif dans certaines zones .

Face à cette « grogne grandissante » selon les termes de certaines associations de parents d'élèves, des établissements dotés d'une trésorerie suffisante ont décidé de mettre en place des mesures pour aider les familles les plus en difficulté (échelonnement des paiements, remise sur les frais de scolarité du troisième trimestre, attribution de bourses exceptionnelles, mobilisation de fonds de solidarité...).

De son côté, l'AEFE a adopté une position très ferme à l'égard des velléités de non-paiement ou de réduction des frais de scolarité . Comme l'a expliqué son directeur au groupe de travail, la multiplication des « ristournes » provoquerait un effet boule de neige d'un établissement à l'autre et entraînerait le réseau sur une voie dangereuse. À terme, c'est l'ensemble de son fonctionnement qui s'en trouverait menacé , celui-ci reposant entre 60 à 70 % sur les droits d'écolage. Pour le seul troisième trimestre, les frais de scolarité représentent une rentrée financière de 650 millions d'euros, tous établissements confondus (établissements en gestion directe, établissements conventionnés et établissements partenaires).

Consciente de la gravité de la situation et de la détresse de certaines familles, l'Agence a néanmoins demandé aux établissements d'accompagner tous les appels de frais de scolarité pour le troisième trimestre d'une note invitant les parents connaissant des difficultés à prendre contact avec les équipes administratives, charge ensuite à elles de proposer des mesures de soutien.

Le groupe de travail comprend la position de l'AEFE dans la mesure où le paiement des frais de scolarité est indispensable au fonctionnement du réseau et à sa survie dans le contexte de crise sans précédent qu'il traverse. Il appelle toutefois à faire preuve de souplesse dans l'étude des situations individuelles qui peuvent justifier l'octroi de facilités particulières .

Pour sa part, la MLF a adopté un plan d'aide en trois volets afin de répondre aux préoccupations des parents et préserver l'avenir de ses établissements : un échelonnement exceptionnel de la créance du 3 ème trimestre, l'attribution d'aides aux familles les plus en difficulté, un gel des droits de scolarité pour l'année 2020-2021.

4. Des établissements menacés de grandes difficultés financières et d'une perte d'effectifs

Si, à court terme, la crise menace les familles, à moyen terme, ce sont les établissements qui risquent d'être touchés . Les premiers à être concernés seront les petites structures qui ne disposent pas des ressources de trésorerie suffisantes pour faire face à la dégradation de la situation économique et sociale.

Le directeur de l'AEFE a assuré au groupe de travail qu'à ce jour, aucun établissement n'était dans une situation critique , tout en a alertant sur le risque d'emballement d'une mécanique récessive . C'est pourquoi il y a, selon lui, urgence à aider les familles à payer les droits de scolarité pour éviter, à terme, de fragiliser financièrement les établissements.

Le groupe de travail se montre moins optimiste car il a eu connaissance d'établissements d'ores et déjà confrontés à une situation financière très critique , par exemple l'école de Cuenca en Équateur qui scolarise 450 élèves.

Un autre effet collatéral de la crise est le risque d'une diminution des inscriptions à la rentrée prochaine . Les familles en difficultés, qu'elles soient françaises ou issues du pays d'accueil ou de pays tiers, pourraient en effet se tourner vers des solutions moins coûteuses que l'enseignement français comme le système public local ou le Cned.

Tous les acteurs du secteur auditionnés par le groupe de travail ont alerté sur cette probable évolution des comportements, qui ne serait toutefois pas identique selon les pays et les établissements. Pour le directeur de l'AEFE, le risque est « certain, coûteux, mais pas mesurable à ce stade » , la période d'inscription étant en cours. Il a indiqué qu'une évaluation pourra être faite en juin en comparant le taux de renouvellement des inscriptions avec celui de l'année passée.

Si cette prévision d'une réduction des effectifs se concrétisait, elle aurait évidemment des conséquences financières très graves sur les établissements . Certains pourraient ne pas s'en remettre et fermer.

De premières et prudentes estimations de l'Agence font état, sur l'année 2020, d'une baisse des ressources propres de 48 millions d'euros - soit 12 % de la totalité des recettes d'une année « normale » - pour les établissements en gestion directe (EGD), d'environ 80 millions d'euros pour les établissements conventionnés et de 100 à 120 millions d'euros pour les établissements partenaires.

C'est dans ce contexte financier très tendu que l'AEFE prépare , en lien avec ses tutelles, un budget rectificatif pour tenter de dégager des marges de manoeuvre. Celui-ci devrait être présenté au mois de juin au conseil d'administration de l'Agence.

De son côté, la MLF évalue le coût de la crise pour les établissements qu'elles gèrent en pleine responsabilité entre 39,8 millions et 44,3 millions d'euros , cette prévision intégrant une perte d'effectifs de 10 %, le paiement d'indemnités de licenciement consécutif à la rupture de contrats de personnels, le gel des droits de scolarité en 2020-2021, et le financement des mesures de solidarité en direction des familles les plus précaires.


* 5 SNES-FSU, SNUIPP-FSU, SNPDEN-UNSA, SGEN-CFDT.

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