D. UNE TARIFICATION CONTRÔLÉE MAIS CONDITIONNÉE PAR LES EFFETS DE L'ADOSSEMENT ET DU FOISONNEMENT

Les péages sont des redevances pour services rendus et doivent donc, à ce titre, refléter le coût de la prestation fournie.

Leurs évolutions annuelles font l'objet d'un contrôle préalable , partagé entre la DGITM et la DGCCRF, pour vérifier la conformité de la hausse du taux kilométrique moyen à la hausse maximale contractualisée ainsi que l'absence de foisonnement.

1. Des tarifs kilométriques construits autour de sections de référence

La tarification des autoroutes françaises est construite sur des tarifs kilométriques moyens (TKM) qui font l'objet de révisions chaque année.

a) Une construction des péages conduisant à la coexistence de 40 000 tarifs

La commission d'enquête a découvert avec un certain étonnement que l'on dénombre actuellement plus de 40 000 tarifs de péages sur les autoroutes françaises , qui correspondent au nombre de sections de référence multiplié par les cinq classes de véhicules, auxquels s'ajoutent les spécificités de certains tronçons et ouvrages d'art qui font l'objet d'une tarification particulière. Les réseaux exploités par les SCA historiques font l'objet de près de 34 000 tarifs.

Un réseau autoroutier est en effet divisé en plusieurs sections de référence de longueur variable, allant d'une dizaine à plusieurs centaines de kilomètres. Pour chaque section de référence est défini un TKM égal à la somme des tarifs applicables sur chacun des trajets possibles internes à la section de référence, rapportée à la somme des longueurs de tous ces trajets. Le calcul des augmentations annuelles se fait sur la base du tarif kilométrique moyen (TKM) du réseau , c'est-à-dire sur la moyenne des TKM des différentes sections. L'article 25 du cahier des charges définit les modalités de calcul de ce TKM, qui tient compte de la structure du réseau ainsi que les possibilités de modulation de ce tarif. Chaque classe de véhicules (trois pour les véhicules légers et deux pour les poids lourds) dispose de son TKM résultant de l'application d'un coefficient interclasse 232 ( * ) .

Un exemple de tarification complexe : le duplex A86

En 1999, après un premier appel d'offres européen invalidé par le Conseil d'État, Cofiroute obtient la concession de l'A86 ouest, autoroute urbaine en tunnel en Ile-de-France et plus long tunnel routier situé intégralement sur le territoire français. Le tunnel n'est toutefois mis en service qu'en juin 2009, et sa concession se terminera en 2086 (soit une durée totale de 76 ans).

La réévaluation de la tarification du duplex intervient au 1 er janvier , et non au 1 er février, date de réévaluation des tarifs pour les autres concessions autoroutières. La tarification est particulièrement complexe : les tarifs varient en effet entre 1,5 et 13,1 euros, en fonction de différents facteurs : jour de la semaine, tranche horaire, points d'entrée et de sortie (Rueil, Vaucresson ou Vélizy), détention ou non d'un badge de télépéage (avec ou sans abonnement, puis selon le type d'abonnement), enfin réduction pour les usagers covoitureurs.

b) Une indexation sur l'inflation et des hausses temporaires

Les contrats de concession prévoient l'évolution des tarifs de péage jusqu'à la fin de la concession. La hausse minimale prévue dans les contrats de plan en vigueur est généralement de 85% de l'inflation , à laquelle s'ajoutent des hausses temporaires destinées à compenser des travaux nouveaux et le gel des tarifs intervenu en 2015.

2. Un processus de vérification des hausses annuelles partagé entre la DGITM et la DGCCRF
a) Un exercice annuel concentré sur quelques semaines

Le 14 novembre le taux d'inflation sur lequel les tarifs sont indexés est communiqué. Au cours du mois de décembre , les nouvelles grilles tarifaires sont transmises par les concessionnaires à la DGITM qui les examine entre décembre et janvier. La sous-direction de la gestion et du contrôle du réseau autoroutier concédé procède à une première instruction et à un contrôle systématique par rapport aux lois tarifaires des concessions qui varient en fonction des contrats et des hausses prévues par les avenants. Elle recherche principalement à détecter des anomalies par rapport aux formules de calcul figurant dans les contrats.

Par la suite, la DGCCRF effectue un deuxième contrôle , par sondage , en se concentrant sur le repérage d'éventuels foisonnements et sur les distorsions tarifaires ( cf. infra ).

En cas de non-conformité des tarifs, par exemple un arrondi mal effectué ou une distorsion, les concessionnaires doivent modifier leur grille.

Sauf exception 233 ( * ) , les hausses tarifaires approuvées par arrêtés entrent en vigueur le 1 er février de chaque année .

Modalités de révision annuelle des tarifs

Source : Rapport annuel de la DGITM, 2015

Il est à noter que le contrôle se fonde systématiquement sur les tarifs de l'année précédente et que le concédant ne procède pas à un contrôle ex post de l'évolution des tarifs.

b) Un contrôle dont la portée est limité par une construction tarifaire ancienne
(1) Des tarifs opaques hérités de l'adossement et du foisonnement

Les règles générales en matière de tarification n'ont pas été réexaminées lors de la privatisation.

Dans son rapport annuel pour 2008 , la Cour des comptes consacre un chapitre aux tarifs des péages autoroutiers. Elle y met en avant l'opacité de la construction tarifaire et dénonce des tarifs « incohérents ».

Elle critique particulièrement la faiblesse du contrôle des tarifs par l'administration, estimant que « la perte du lien entre montant des péages et coûts, l'incohérence des prix pratiqués, l'opacité des tarifs moyens et les pratiques de maximisation des recettes révèlent que le dispositif a été longtemps mal maîtrisé par les administrations » 234 ( * ) .

Là encore, l'absence de clarification de la tarification et de redéfinition du suivi des tarifs par le concédant avant la privatisation a permis une décorrelation entre le trajet effectué et le coût payé par l'usager . La Cour constate ainsi que « Les défauts et l'opacité de mécanismes d'une grande complexité ont permis des niveaux de recettes supérieurs aux tarifs moyens affichés et des augmentations dépassant les hausses autorisées ».

La Cour des comptes remet également en question la construction même des tarifs des péages. L'évolution annuelle des tarifs est alors encadrée par un décret de 1995 235 ( * ) qui prévoit notamment que la hausse annuelle des péages ne peut être inférieure à 70 % de l'inflation . La Cour estime que cette garantie constitue une exception à la politique de désindexation des prix, d'autant plus surprenante que les autoroutes gérées dans le cadre des concessions historiques sont progressivement amorties et que l'automatisation des péages leur procure des gains de productivité .

La gestion des tarifs de Cofiroute fait l'objet de critiques particulières, réitérées par la Cour depuis ses rapports publics pour 2003 et 2006. Avant la privatisation des SEMCA, Cofiroute, seule société concessionnaire initialement privée, appliquait un tarif de péage moyen au kilomètre supérieur à celui pratiqué par ces dernières. Le différentiel tarifaire a ainsi presque triplé entre 1990 et 2000 et plus que doublé pendant le contrat de plan 1995-1999, pour atteindre un peu plus de 23 % à la fin des années 90. La Cour des comptes notait ainsi en 2003 qu'un kilomètre parcouru rapportait à Cofiroute en 2000 en moyenne 37 % de plus qu'aux SEMCA .

La Cour des comptes préconise en conséquence la création d'une autorité indépendante chargée de la régulation des péages . On notera toutefois que si l'ART est aujourd'hui chargée de rendre un avis sur les formules et les compensations tarifaires des nouveaux travaux prévues dans les avenants aux contrats de concession, elle n'a pas compétence pour se prononcer sur les évolutions tarifaires annuelles .

(2) La fin du foisonnement et la réduction des distorsions tarifaires

Dans son rapport de 2008, la Cour des comptes note un « effort récent de reprise en mains » par l'administration. En effet, le suivi des tarifs semble s'être amélioré peu de temps après la privatisation.

En 2013 , elle observe que le contrôle des péages effectué par la sous-direction compétente de la DGITM est dorénavant approfondi et a permis de mettre fin à la pratique dite du foisonnement à partir de 2011. Elle estime toutefois que « le cadre juridique relatif aux tarifs n'offre pas aujourd'hui une protection suffisante aux intérêts du concédant et des usagers » 236 ( * ) . C'est ainsi qu'en l'absence de tout plafond, les hausses de tarifs observées sur la période 2009-2012 ont été systématiquement supérieures au seuil minimal de 70 % de l'inflation prévu par le décret de 1995.

Taux de hausse moyen par SCA des tarifs applicables
aux véhicules légers avant et après la privatisation

Source : Cour des comptes, Les relations entre l'État et les sociétés concessionnaires d'autoroutes, 2013

La Cour constate en revanche que les hausses tarifaires prévues dans les contrats de plan ont été mises en place dès la signature des contrats par les sociétés concessionnaires, de façon anticipée et jusqu'à deux ans avant leur approbation par décret en Conseil d'État. Elle estime que cette anticipation est source d'insécurité juridique et réduit les marges de négociation de l'État.

S'il a été mis fin au foisonnement, les divergences entre le TKM d'une section d'un réseau concédé par rapport au TKM moyen dudit réseau générées par cette pratique persistent. L'État a toutefois engagé une démarche volontariste pour réduire les distorsions tarifaires , définies comme une divergence de plus ou moins 50 % du TKM par rapport au TKM moyen pour les concessions historiques (plus ou moins 30 % pour les concessions récentes). Les tarifs non conformes ne sont pas augmentés, ce qui conduit à une extinction de la distorsion au bout de cinq ans en moyenne.

E n 2020, une cinquantaine de tarifs sur 40 000 restent distordus . L'objectif de la DGITM est de réduire à zéro à terme les distorsions sur le réseau des sociétés historiques.

La limitation des distorsions tarifaires

Source : Ministère de la transition écologique

c) La persistance des effets des pratiques révolues d'adossement et de foisonnement

Dès 1998 , l'État a mis fin à la pratique de l'adossement 237 ( * ) pour les nouvelles concessions attribuées après 2001. En revanche, le mode de fixation des péages des autoroutes anciennes n'a pas été modifié rétroactivement, consolidant ainsi dans les bases de calcul des augmentations annuelles les hausses de tarifs mises en place lors de l'adossement .

Quant au foisonnement pratiqué par l'État sur les réseaux des SEMCA avant 2005, qui constitue une technique d'optimisation des recettes induites par les hausses annuelles de péages pour accroître le chiffre d'affaires annuel, il a été supprimé entre 2008 et 2011 pour toutes les SCA, dans la mesure où il faisait peser des majorations tarifaires indues sur les usagers des sections les plus fréquentées. Le taux kilométrique moyen ne tient en effet pas compte des volumes de trafic, ce qui permettait une hausse plus importante sur une section plus fréquentée, la moyenne des deux sections restant inférieure au tarif plafond fixé par contrat.

Une récupération des recettes du foisonnement par le biais d'une évolution négative des tarifs a été mise en place entre 2007 et 2008 (au travers d'une baisse des tarifs de 0,84 % en 2008). Toutefois, les excédents de recettes avant cette date n'ont pas été récupérés . Par ailleurs et surtout, la base de chiffre d'affaires utilisée pour le calcul des tarifs résulte du foisonnement tel qu'il a été gelé en 2008.

Schéma des modalités de correction du foisonnement
par la DGITM

Source : Ministère de la transition écologique

Les tarifs de péages actuels sont donc le résultat de l'histoire tarifaire du réseau autoroutier : les hausses annuelles ne corrigent pas les évolutions passées. Il en ressort que les usagers payent encore actuellement pour des pratiques anachroniques .


* 232 Les coûts de construction et d'entretien générés par les poids lourds sont en effet beaucoup plus élevés que ceux correspondant aux véhicules légers.

* 233 Les tarifs du Duplex A86 entrent en vigueur au 1er janvier.

* 234 Cour des comptes, rapport annuel 2008 , Les péages autoroutiers.

* 235 Décret n° 95-81 du 24 janvier 1995 relatif aux péages autoroutiers.

* 236 Communication de la Cour des comptes à la commission des finances de l'Assemblée nationale, juillet 2013, p. 8.

* 237 Financement de nouvelles sections d'autoroutes par la hausse des péages prélevés sur les sections plus anciennes permettant de compenser en tout ou en partie la dégradation de la rentabilité moyenne de l'activité du concessionnaire.

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