B. UNE PRISE DE CONSCIENCE ACCRUE DES ENJEUX DE RELOCALISATION ET DE SOUVERAINETÉ ÉCONOMIQUE

Au-delà de son seul impact économique direct, la pandémie de coronavirus a entraîné un regain d'attention pour les enjeux de réindustrialisation et des chaînes de valeur essentielles .

L'arrêt brutal des échanges et de l'activité économique au cours du mois de mars a mis en évidence la fragmentation des chaînes de production au niveau mondial, mais aussi la disparition de certaines capacités productives nationales pourtant stratégiques. La pandémie de coronavirus a ainsi agi comme le révélateur d'un relatif abandon de certains secteurs d'activité industrielle, dont la production de principes actifs et d'équipements de protection individuelle n'est qu'un exemple parmi d'autres.

POIDS DE L'EUROPE DANS LE SECTEUR MONDIAL DE LA CONSTRUCTION NAVALE

Source : Commission des affaires économiques du Sénat 39 ( * )

Alors que le débat se concentre désormais sur la relocalisation de chaînes de valeur essentielles , la commission souligne que les efforts déployés pour attirer de nouvelles activités doivent s'accompagner d'une politique active de maintien sur le territoire des capacités industrielles stratégiques. À ce titre, le projet de cession des Chantiers de l'Atlantique à Fincantieri, qui présente des risques de transfert de technologie, de production et d'emploi, fait figure de contre-sens .

La filière française de la construction navale a payé un lourd tribut à la délocalisation de la production vers l'Asie. En 2014, le continent asiatique produisait déjà entre 62 et 94 % des navires mondiaux, seuls les navires de transport de passagers faisant figure d'exception. Ce sont donc la Chine, le Japon et la Corée qui ont tiré parti de l'explosion des flux d'échanges maritimes mondiaux, alors même que l'Europe avait auparavant figure de leader mondial. Les années 1970 et 1980 ont marqué une importante contraction de la filière européenne, entre 60 et 100 % de l'activité de construction ayant disparu au cours de ces deux décennies 40 ( * ) . Les Pays de la Loire comptaient cinq chantiers dans l'estuaire en 1955, contre un seul aujourd'hui 41 ( * ) . Près de 45 000 personnes travaillaient directement dans la construction navale civile en 1949, contre 6 000 environ en 2005.

EMPLOI DIRECT PAR LES CHANTIERS DE L'ATLANTIQUE ENTRE 1954 ET 2019

Source : Commission des affaires économiques du Sénat 42 ( * )

Face au constat d'une industrie de construction navale en contraction continue, la France et l'Europe ne devraient-elles pas garantir le maintien sur le territoire d'une capacité de production stratégique, a fortiori à l'heure où l'on crée un ministère de la Mer et où la puissance maritime de la France est présentée comme une priorité ?

Surtout, la perte irrémédiable de savoir-faire et de compétences qui résulterait d'une éventuelle cessation d'activités des Chantiers de l'Atlantique ne serait-elle pas extrêmement préjudiciable pour la capacité de défense et projection militaire , considérant l'imbrication des activités de construction civile et navale ?

En 2004 déjà, un article du professeur Jacques Guillaume soulignait : « Est-il vital de maintenir un secteur dont l'efficacité industrielle a filé vers l'Asie, permettant ainsi au Monde de disposer d'unités de transport dont les prix relatifs sont de plus en plus faibles ? Vue sous cet angle, la réponse est non. Est-il nécessaire de disposer de sites d'assemblage pour navires complexes, voire de sites d'essai pour une industrie d'équipements maritimes qui, en Europe, continue à produire près de 40 % de la valeur mondiale de ce genre de matériels (4 % environ pour la France), la réponse est alors clairement oui » 43 ( * ) . Plus récemment, M. Paul Tourret, le directeur de l'ISEMAR, écrivait : « L'Europe doit faire des choix stratégiques pour maintenir ou non la construction navale comme secteur industriel d'importance continentale, mais aussi comme élément central de bien des économies des régions maritimes » 44 ( * ) .

Outre les enjeux stratégiques et de souveraineté, la construction navale est en effet aussi le poumon d'activité de toute une région et de nombreuses zones littorales, étant source d'externalités positives pour le dynamisme économique local. Selon le GICAN (Groupement des industries de construction et activités navales), près de 42 000 emplois directs et indirects relèveraient aujourd'hui en France de ce secteur . Le savoir-faire de ces fournisseurs ne sert pas que la seule branche navale, nombre d'entre eux étant également diversifiés dans des secteurs tels que l'aéronautique.

La stratégie industrielle du Gouvernement doit donc prendre acte de l'importance économique et stratégique de l'un des derniers représentants de la construction navale française , avant qu'une cession aux risques mal maîtrisés ne puisse mettre en danger sa pérennité. Le contexte actuel lié à la pandémie de coronavirus pourrait peut-être contribuer à cette prise de conscience, que la commission appelle de ses voeux.


* 39 Données ISEMAR, « État des lieux de la construction navale internationale » , Note n° 118 (2009).

* 40 ISEMAR, note n° 118, « État des lieux de la construction navale internationale » (2009).

* 41 « La survie de la construction navale française, entre l'innovation par les produits et l'innovation par l'organisation des entreprises » , Pr. Jacques Guillaume, Université de Nantes, in Cahiers Nantais, 2004-2005, n°62-63.

* 42 Données ISEMAR, « État des lieux de la construction navale internationale » , Note n° 118 (2009).

* 43 Ibid.

* 44 Ibid.

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