B. UN ATOUT ESSENTIEL À LA PUISSANCE NAVALE DE LA FRANCE

1. Un acteur clé de la défense et de la projection française...

À l'heure où les forces armées françaises sont mobilisées sur de nombreux terrains, et où le besoin de modernisation des capacités navales se fait plus pressant, les Chantiers de l'Atlantique représentent un véritable atout pour la puissance navale de notre pays.

Lorsque la Marine nationale a souhaité se doter de quatre nouveaux pétroliers ravitailleurs 7 ( * ) , c'est encore vers Saint-Nazaire qu'elle s'est tournée. En février 2019, le ministère des armées confirmait que les infrastructures des Chantiers seraient mobilisées pour construire les quatre bâtiments d'ici 2025, pour un montant de 1,7 milliard d'euros. En coopération avec Naval Group, Fincantieri et Thalès, les Chantiers se positionnent donc comme l'un des constructeurs des capacités du programme logistique FLOTLOG. À l'occasion de cette commande, la ministre des armées Mme Florence Parly déclarait : « C'est la garantie de notre pleine opérationnalité, c'est-à-dire de l'autonomie des forces déployées, donc de notre pleine souveraineté » 8 ( * ) .

Surtout, le recours aux Chantiers de l'Atlantique apparaît incontournable pour édifier le prochain porte-avions français.

Seul pays d'Europe disposer d'un véritable porte-avions ; seconde puissance mondiale à compter sur une propulsion nucléaire ; la France a fait le choix d'assurer son indépendance et sa capacité de projection 9 ( * ) en construisant sur son territoire ses propres porte-avions. L'intégration de technologies critiques , notamment la propulsion nucléaire 10 ( * ) , appelle en effet des garanties particulières de sécurité et d'autonomie.

Dans la perspective du remplacement du porte-avions Charles de Gaulle , les Chantiers de l'Atlantique sont appelés à jouer un rôle incontournable. Au vu du gabarit du nouveau bâtiment, qui devrait s'élever à 70 000 tonnes contre 42 500 tonnes pour le Charles de Gaulle, seule l'entreprise nazairienne dispose des capacités industrielles nécessaires à la construction d'une coque de telles dimensions. Alors que les délais sont un paramètre central dans l'élaboration des programmes militaires, le site de Saint-Nazaire a fait preuve de sa capacité à livrer rapidement des bâtiments de très grande taille grâce à l'expérience acquise dans le secteur de la croisière. Dès 2003, DCNS (depuis Naval Group), leader français de la construction navale militaire, concluait d'ailleurs avec les Chantiers un accord relatif à la production conjointe des navires de plus 8 000 tonnes.

En mai 2020, la ministre des armées a annoncé que le Porte-Avions de Nouvelle Génération (PANG), qui remplacera en 2038 le porte-avions Charles de Gaulle, serait effectivement construit par les Chantiers de l'Atlantique 11 ( * ) .

Forts d'une expérience historique de construction navale militaire, disposant d'installations et de savoir-faire incontournables, les Chantiers de l'Atlantique représentent donc un maillon de la souveraineté navale française et de son autonomie stratégique.

Dès lors, le projet de cession des chantiers de Saint-Nazaire interroge. Comment s'assurer que soient maintenus sur le territoire les moyens d'assurer la défense et la capacité de projection de la France ?

2. ... qui n'a pourtant pas été intégré dans le schéma de coopération militaire franco-italienne

Consciente de l'importance de la coopération européenne dans le secteur naval, la France est de longue date engagée dans un partenariat avec l'Italie, en particulier dans la construction de navires de surface. Dès 1996, l'Organisation conjointe de coopération en matière d'armement (OCCAR), fondée par la France, l'Italie, l'Allemagne et le Royaume-Uni a mis en place des programmes communs de production de matériels de défense. Parmi ceux-ci figurent les frégates européennes furtives multimissions (FREMM) et les LSS (navires de soutien logistique), produits par la France et l'Italie.

Naval Group et Fincantieri sont pilotes dans ces programmes, mais les Chantiers de l'Atlantique y jouent également un rôle important, comme l'a récemment démontré la commande de quatre BRF par l'OCCAR, qui seront construits sous la maîtrise d'ouvrage des chantiers de Saint-Nazaire.

Pourtant, alors que la coopération franco-italienne s'est récemment approfondie, le Gouvernement semble tenir les Chantiers de l'Atlantique à l'écart de ces projets.

En septembre 2017, un accord signé entre les États français et italien prévoyait de développer la coopération bilatérale, promettant « d'étudier les modalités de la mise en place d'une Alliance progressive, ambitieuse et équilibrée » en matière de construction navale militaire. Un comité de pilotage a été mis en place sous le nom de « projet Poséidon » afin de déterminer les contours de l'approfondissement du partenariat entre Naval Group et Fincantieri , évoquant même une entrée au capital mutuelle entre les deux groupes.

En juin 2019 était annoncée la création d'une joint-venture entre Naval Group et Fincantieri, dénommée Naviris, détenue à parts égales par les deux constructeurs et concernant les marchés des navires de surface tels que les corvettes, les frégates et les pétroliers ravitailleurs 12 ( * ) . C'est toutefois dans le même accord de septembre 2017 qu'était actée la vente des Chantiers de l'Atlantique, détenus par l'État français, à l'italien Fincantieri.

La concomitance des décisions et la différence d'approche vis-à-vis de Naval Group d'une part, et des Chantiers de l'Atlantique de l'autre, interroge. Alors qu'un modèle paritaire de joint-venture , c'est-à-dire de coopération ponctuelle, est retenu pour Naval Group, l'État français consent la prise de contrôle des Chantiers de l'Atlantique par son concurrent Fincantieri, par une cession de la majorité de l'actionnariat.

Au vu de l'importance des deux constructeurs français pour la défense française et la souveraineté industrielle du pays, une cession est-elle assez protectrice ? L'État aurait-il sacrifié l'indépendance des Chantiers de l'Atlantique, afin que son partenaire italien consente au projet de Naviris soutenu par Naval Group ? Ces questions sont d'autant plus saillantes que Naval Group est désormais l'un des actionnaires minoritaires des Chantiers de l'Atlantique.

La volonté de développer la coopération navale franco-italienne, si elle s'inscrit dans un objectif louable de souveraineté militaire et industrielle européenne, ne doit pas pour autant conduire à négliger l'avenir des Chantiers de l'Atlantique, ni à le brader au profit d'un accord global. Il convient d'étudier de manière séparée la cohérence du projet de cession, et la manière dont les Chantiers et Fincantieri pourraient gagner en compétitivité par des synergies industrielles. Dès lors qu'une cession est privilégiée à une coopération sous forme de joint-venture , il faut s'assurer que tous les garde-fous sont mis en place pour protéger ces technologies critiques et cet atout stratégique pour la France.


* 7 Chargés d'approvisionner les navires déployés en pleine mer, les bâtiments ravitailleurs de forces (BRF) peuvent mesurer jusqu'à 200 mètres.

* 8 Discours de Florence Parly au Bourget à l'occasion du salon Euronaval, le 23 octobre 2018.

* 9 Le Charles de Gaulle a récemment été déployé dans le Golfe arabo-persique dans le cadre de l'opération anti-terrorisme Chammal, et le sera bientôt en Atlantique et en mer du Nord.

* 10 Le choix de la technologie de propulsion n'a pas encore été tranché en ce qui concerne le Porte-Avions de Nouvelle Génération (PANG).

* 11 Il ne s'agit pas à ce stade d'une commande ferme, qui devra passer par la loi de programmation militaire.

* 12 Ses objectifs sont de parvenir à gagner de nouveaux contrats à l'international par le biais de réponses en commun aux appels d'offres, d'augmenter l'investissement dans la R&D par une mise en commun de ressources, et de réaliser des achats mutualisés pour une meilleure compétitivité-prix. En matière de gouvernance, la France et l'Italie y sont représentées paritairement, et tandis que le siège social est basé à Gênes, le site de R&D est implanté à Ollioules en France. En juin 2020, Naviris a décroché son premier contrat de recherche et technologie, pour un montant estimé de 40 millions d'euros.

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