II. UNE POLITIQUE TROP PEU AMBITIEUSE ET TROP PEU STRUCTURÉE

A. UN INVESTISSEMENT ENCORE INSUFFISANT, ET ESSENTIELLEMENT PORTÉ PAR LA SÉCURITÉ SOCIALE

1. Un investissement insuffisant au regard des besoins

Le rapport d'évaluation des politiques de sécurité sociale pour la branche autonomie annexé au PLFSS pour 2021 estime que les dépenses de prévention de la fragilité des personnes âgées se sont élevées, en 2019, à 1,3 milliard d'euros.

Ces dépenses sont assumées aux deux tiers par la sécurité sociale, dont 38 % pour l'action sociale des caisses de retraite et 28 % pour l'assurance maladie - pour les résidents en Ehpad et bénéficiaires de Ssiad classés en GIR 5 et 6. La CNSA assure 17 % de la dépense, principalement par le versement du forfait autonomie en résidence autonomie et le financement d'actions de prévention via la Conférence des financeurs.

Dépenses de prévention retracées dans les documents budgétaires

Source : REPSS « Autonomie » annexé au PLFSS pour 2021

Ce périmètre n'inclut pas l'action sociale extralégale des collectivités territoriales, majoritairement mise en oeuvre par les communes. En effet, s celle-ci est documentée par la Drees dans le Panorama consacré à l'aide et l'action sociales en France, elle est complexe à chiffrer.

La CNAV le reconnaît pourtant elle-même : les moyens de l'action sociale de la branche vieillesse limitent l'ambition de la caisse en matière de prévention . L'offre de services de la politique de prévention de la CNAV est financée sur le fonds national d'action sanitaire et sociale des personnes âgées (Fnasspa), négocié dans le cadre de la convention d'objectifs et de gestion conclue avec l'État. En 2019, les dépenses se sont élevées à 343,7 millions d'euros, dont 252,5 millions d'euros sur des aides fléchées vers l'autonomie à domicile, 75,5 millions d'euros sur le financement de solutions de logements alternatifs entre le domicile et les Ehpad, et 15,7 millions d'euros sur le financement d'actions collectives de prévention.

Le Fnasspa, financé par le risque vieillesse, représente actuellement moins de 0,3 % des dépenses de retraite et cette part diminue régulièrement depuis le début des années 2000 . Le conseil d'administration de la CNAV évoque parfois l'objectif d'atteindre 1 % des prestations retraites servant à la prévention, ce qui représenterait 1,4 milliard d'euros.

Dépenses d'action sociale de la Caisse nationale d'assurance vieillesse

Source : CNAV, commission des affaires sociales

La cible effective des plans d'action personnalisés est ainsi très réduite dans la population générale des retraités éligibles du régime général et de la fonction publique : les 200 000 bénéficiaires ne représentent que 2 à 3 % de la population de plus de 75 ans. Incidemment, ne sont pas concernées par l'action sociale de la caisse les personnes relevant des GIR 5 et 6 dont les ressources sont inférieures à l'allocation de solidarité pour personnes âgées (Aspa), qui relèvent non de l'aide sociale facultative des caisses de retraite mais de l'aide sociale légale des départements 58 ( * ) . Leur transfert à l'action sociale des caisses de retraite permettrait d'unifier la réponse aux situations relevant des GIR 5 et 6 .

L'effort des caisses de retraite est en outre amoindri par son caractère dispersé. Le tableau ci-après retrace les montants consacrés par les caisses de retraite à l'action sociale - et donc pas exclusivement à la prévention de la perte d'autonomie - et le nombre de personnes potentiellement concernées.

Comparaison des politiques d'action sociale des caisses de retraite

Source : Rapport Vachey, DSS

L'investissement consacré à l'adaptation des logements paraît également insuffisant au regard des besoins.

D'abord, le budget qu'y consacre le principal opérateur, l'ANAH, reste faible. Si les montants de travaux d'adaptation du logement augmentent certes tendanciellement depuis dix ans, de même que le nombre de logements adaptés, la part que ces travaux occupent dans le budget total de l'agence est en baisse marquée depuis 2016 . Les quatre points perdus par ce poste de dépense l'ont été au profit des travaux de rénovation énergétique.

Moyens consacrés par l'ANAH à l'adaptation des logements
des personnes âgées et handicapées

Source : ANAH, commission des affaires sociales

À l'action de l'ANAH s'ajoute certes, depuis 2019, l'imposant plan d'investissement volontaire d'Action logement, d'un milliard d'euros, lancé en 2019 . Celui-ci vise à financer, dans 200 000 logements d'ici 2022, à hauteur de 5 000 euros par foyer et sans reste à charge, les travaux d'adaptation au vieillissement et à la prévention des chutes des salles de bain des logements privés des salariés retraités modestes. Le plan d'investissement prévoit également une enveloppe de 550 millions d'euros destinée à la rénovation des résidences autonomie.

Ces différents outils de financement, ainsi que volet de la convention d'objectifs et de gestion 2018-2022 de la CNAV relatif à l'adaptation des logements, ont été regroupés sous un objectif unique par la démarche lancée par le comité interministériel de transformation publique du 29 octobre 2018. Cette démarche a conduit à élaborer, pour chaque ministère, un plan de transformation ministériel assorti d' « objets de la vie quotidienne » (OVQ) pour lesquels le Président de la République s'est engagé à ce que des résultats concrets soient obtenus. Le plan du ministre chargé de la ville affiche parmi ces OVQ celui d'« adapter des logements aux personnes âgées dépendantes », avec l'ambitieux objectif d'adapter 395 000 logements sur la période 2019-2022.

Pour l'année 2021, les cibles suivantes ont été fixées : 30 000 dossiers pour Action logement ; 17 000 dossiers pour la CNAV ; 20 000 dossiers pour l'ANAH, ce qui représente un total de 67 000 ménages pour l'année .

Mais les moyens existants restent très en-deçà des besoins. La connaissance des besoins d'adaptation des logements des personnes âgées est d'ailleurs assez lacunaire . L'ANAH, dont les chiffres datent de 2013, estime à 6 %, la part des logements adaptés à la dépendance dans l'ensemble du parc, soit 1,8 million de logements seulement . À titre de comparaison, cette part est de 12 % en Allemagne et au Danemark, et de 16 % aux Pays-Bas.

La Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) du ministère de la cohésion des territoires tâche cependant de remédier à cette carence. Elle a ainsi mandaté en 2020 le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) sur les besoins d'adaptation des logements des ménages de 60 ans et plus. Son étude, rendue en janvier 2021 59 ( * ) , identifie environ 497 621 ménages modestes en « priorité 1 » 60 ( * ) et 1 476 409 ménages en « priorité 2A » 61 ( * ) .

Autrement dit, le maintien, tous dispositifs confondus, d'un objectif annuel de 67 000 dossiers à satisfaire exigerait donc entre 6 et 7 ans pour adapter le logement des personnes en niveau de priorité 1 - 6 ans avec les seuils CNAV et 7 avec ceux de l'ANAH - et 30 ans pour les ménages en priorité 2A .

Le Cerema précise certes que ces résultats appellent la prudence car ils correspondent à une fourchette haute et dépendent de nombreux autres paramètres, telles l'adéquation des logements adaptés aux besoins des personnes, l'évolution de la population et des modes de cohabitation, la poursuite éventuelle de la tendance au vieillissement de la population comme encore l'évolution des préférences résidentielles des ménages, mais ils donnent une indication précieuse de l'effort restant à fournir.

Cet effort est en outre appelé de manière hétérogène sur le territoire. Les ménages propriétaires de maisons, qui forment la grande majorité des ménages de niveau de priorité 1, sont en volume et en proportion significativement plus nombreux dans le nord et l'ouest de la France. À l'inverse, les ménages en priorité 1 propriétaires occupants d'un appartement en étage sans ascenseur se rencontrent plus fréquemment dans les départements situés au sud d'un arc allant de la Moselle aux Pyrénées-Atlantiques en passant par la Loire.

Ménages propriétaires occupants d'une maison
sous les plafonds de l'ANAH en priorité 1

Source : Cerema, rapport précité

2. La création de la branche autonomie : pour quoi faire ?

La loi du 7 août 2020 relative à la dette sociale et à l'autonomie 62 ( * ) a créé une cinquième branche de sécurité sociale relative à l'autonomie, dont la gestion a été confiée à la CNSA. La lecture des comptes rendus convainc que les députés, auxquels revient l'initiative de cette création, entendaient notamment améliorer le volet préventif de l'action publique. C'est encore ainsi que la justifie le rapport de M. Laurent Vachey de septembre 2020 : « la création de la 5 ème branche doit enfin permettre une organisation plus efficiente », citant la prévention comme étant « bien sûr la première piste à privilégier » 63 ( * ) .

La loi organique publiée le même jour 64 ( * ) a en outre modifié l'article LO. 111-4 du code de la sécurité sociale pour disposer, après amendement par la commission des affaires sociales du Sénat, qu'est jointe au PLFSS de chaque année une annexe présentant « les dépenses et les prévisions de dépenses de sécurité sociale relatives au soutien à l'autonomie des personnes âgées et des personnes en situation de handicap, en analysant l'évolution des prestations financées ainsi que celles consacrées à la prévention, à l'apprentissage de l'autonomie et à la recherche ».

La première édition de ce nouveau « rapport d'évaluation des politiques de sécurité sociale » pour le volet autonomie, annexé au PLFSS pour 2021, cite en effet en première page la prévention de la perte d'autonomie comme une priorité, et évalue le montant des dépenses qui y sont consacrées, mais cette priorité ne se retrouve ensuite qu'en filigrane dans la liste d'indicateurs d'objectifs et de résultats, qui énumère :

Liste d'indicateurs d'objectifs et résultats attribuée par la direction
de la sécurité sociale à la politique portée par la branche autonomie

Objectif

Indicateurs

Responsable

Assurer un niveau de vie adapté aux personnes invalides

2.1. Assurer aux bénéficiaires de pensions d'invalidité les ressources suffisantes pour qu'ils n'aient pas besoin de l'ASI

DSS

Répondre au besoin d'autonomie des personnes handicapées.

2.2. Réduire les disparités territoriales de prise en charge

CNSA

2.3. Diversifier l'offre d'accompagnement en développant des services pour personnes handicapées dans les structures médico-sociales

CNSA

2.4. Diminuer le délai moyen de traitement de l'AEEH

CNSA

Répondre au besoin d'autonomie des personnes âgées

2.5. Réduire les disparités territoriales de prise en charge de la perte d'autonomie chez les personnes âgées

CNSA

2.6. Diversifier l'offre d'accompagnement en étendant la part des services pour personnes âgées dans les structures médico-sociales

CNSA

2.7. Permettre aux personnes âgées en perte d'autonomie de vivre plus souvent à domicile

CNSA/DGCS

2.8. Mieux prendre en charge les personnes souffrant de maladies neuro-dégénératives

CNSA/DGCS/HAS

2.9. Limiter le reste à charge des personnes âgées en perte d'autonomie

CNSA/DGCS/DSS

Garantir la pérennité financière des actions portées sur le champ de l'autonomie à moyen terme

2.10. Garantir l'équilibre financier de la CNSA

CNSA/DSS

2.11. Assurer le financement des dépenses d'APA et de PCH

CNSA/DSS

Source : REPSS « Autonomie », PLFSS 2021

Peu d'indicateurs ressortissent directement à la prévention de la dépendance . L'indicateur 2.5, relatif aux disparités territoriales de prise en charge des plus de 75 ans, est construit sur l'équipement des territoires en Ehpad, USLD, Ssiad ou encore Spasad mais à l'exclusion des services d'aide à domicile. L'indicateur 2.6 s'en approche davantage, qui mesure en particulier la contribution spécifique des Ssiad et des Spasad à la prise en charge des personnes, pour constater sa progression. L'indicateur 2.7 vise plus explicitement encore à mesurer les résultats de « l'ambition affichée par le Gouvernement » de « permettre aux personnes âgées en perte d'autonomie de vivre plus nombreuses et plus longtemps à domicile ».

Proportion de bénéficiaires de l'APA à domicile
selon le niveau de perte d'autonomie

Source : REPSS « Autonomie » du PLFSS pour 2021, d'après Drees, enquête aide sociale

Pour atteindre l'objectif d'augmentation affiché en surbrillance à côté d'une courbe quasi étale depuis vingt ans, le rapport énumère des leviers hétérogènes et qui sont très inégalement à la disposition du gestionnaire de la branche autonomie : « le relèvement des plafonds de l'APA pour tous les niveaux de GIR [...] ; l'accès facilité aux aides techniques, aux adaptations du logement, aux actions individuelles et collectives de prévention (par la mobilisation des institutions locales et l'affectation de fonds dédiés via les conférences départementales des financeurs de la prévention de la perte d'autonomie) ou encore la création d'un module répit pour les aidants et le développement des actions de soutien et d'accompagnement en leur faveur. Les mesures du plan maladies neurodégénératives [...] notamment concernant l'accueil temporaire et les aidants, sont également de nature à y contribuer. »

Il conviendra donc, pour donner à la branche les moyens de piloter la politique de prévention de la perte d'autonomie, de mettre en adéquation les objectifs et indicateurs qui lui sont fixés et les moyens d'action dont elle dispose.


* 58 Article L. 231-1 du code de l'action sociale et des familles

* 59 Cerema, Accélérer l'adaptation du parc de logements privés au vieillissement , volet 1 : essai de mesure, territorialisation et caractérisation des besoins, janvier 2021.

* 60 C'est-à-dire le « public prioritaire » dans un « logement potentiellement prioritaire ». Le public prioritaire regroupe les ménages composés d'au moins une personne de plus de 60 ans, dont les revenus sont inférieurs aux plafonds de la CNAV et de l'ANAH, dont le revenu est principalement composé de retraites et ayant emménagé il y a plus de deux ans dans leur résidence principale ; le logement potentiellement prioritaire sont ceux n'ayant pas de douche, ou pas de WC à l'intérieur du logement, ou pas d'électricité, ou un classement cadastral de 7 ou 8.

* 61 C'est-à-dire « autre public potentiellement concerné » dans un « logement potentiellement prioritaire ». L'« autre public potentiellement concerné » diffère du groupe « public prioritaire » dans la nature des revenus, qui peuvent être mixtes retraite/salaire ou retraite/autre type de revenu.

* 62 Loi n° 2020-992 du 7 août 2020 relative à la dette sociale et à l'autonomie.

* 63 La branche autonomie : périmètre, gouvernance et financement , rapport de M. Laurent Vachey, septembre 2020, p. 8.

* 64 Loi organique n° 2020-991 du 7 août 2020 relative à la dette sociale et à l'autonomie.

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